ORGASMIC – Affichage – Plainte fondée

Avis publié le 21 février 2022
ORGASMIC – 814/22
Plainte fondée

 Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 13 décembre 2021, d’une plainte émanant d’un particulier tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de deux affiches publicitaires diffusées sur le lieu de vente par la société Polette pour promouvoir sa collection de lunettes de marque Orgasmic.

Les deux visuels publicitaires en cause présentent :

  • pour l’un, une femme allongée sur un matelas, en appui sur un coude, le bas du corps nu, les jambes écartées face à l’objectif. Elle tient dans sa main gauche une paire de lunettes de soleil de la marque, masquant son entrejambe.
  • pour l’autre, une femme dont on n’aperçoit que la tête, yeux fermés et bouche ouverte et le buste intégralement nu. Elle porte une paire de lunettes de la marque et tient une main entre ses seins.

2. Les arguments échangés

Le plaignant considère que ces publicités sont dégradantes. La nudité et la sexualité mises en scène sont sans lien avec la vente de lunettes.

En réponse aux observations présentées par l’annonceur, il précise que le fait d’avoir construit cette campagne de communication au sein d’une équipe uniquement composée de femmes n’est en rien un gage de neutralité ou d’absence de sexisme. Les femmes sont elles aussi porteuses de stéréotypes genrés, au même titre que les hommes. Une femme peut tout comme un homme véhiculer l’idée qu’il existe des rôles et hiérarchies de sexe définissant les modèles de la féminité et de la masculinité basés sur des stéréotypes dans une culture donnée, et sont relatifs à la fois aux traits psychologiques et aux comportements (ce que doit être et comment doit être un garçon, une fille, un homme, une femme), mais aussi aux rôles sociaux et activités réservés à l’un ou l’autre sexe.

Dans la campagne critiquée, la mise en lumière dans l’espace public de femmes mimant un orgasme atteint grâce à une paire de lunettes peut être de nature à renforcer l’idée que les femmes sont objet de plaisir puisqu’offertes aux yeux de tous, ou encore qu’elles sont tout à fait futiles puisque le simple fait d’acheter une paire de lunettes peut leur provoquer un orgasme. Cela peut s’apparenter à du sexisme bienveillant.

Le plaignant considère ainsi que, si les intentions de départ sont positives pour les femmes, la publicité véhicule au final un contre message susceptible de renforcer l’idée de la femme comme étant un objet sexuel offert à tous et toutes. L’affichage en public contribue à créer un climat dégradant pour les femmes, alors que l’annonceur aurait pu mettre en scène des femmes et des hommes.

La société Polette a été informée, par courriel avec accusé de réception du 20 décembre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.

La société Polette fait valoir que la collection “Orgasmique” a été mise en place par son équipe de Design & Production, qui est une équipe exclusivement féminine ; cette collection a pour but d’aborder la question de la censure, du tabou ainsi que des préjugés relatifs à la sexualité féminine et son imagerie.

La raison d’être de cette collection se trouve précisément dans la réaction des femmes de l’entreprise face à un monde moderne qui n’a toujours pas accepté la sexualité féminine comme une chose naturelle, normale et réelle, au même niveau que la sexualité masculine, qui inonde les médias contemporains sans que personne n’y voit d’inconvénient. Cette collection a été faite par des femmes, pour des femmes, et est un pilier important des valeurs féministes de l’entreprise.

Au-delà de cette collection voulant supprimer les tabous sociétaux relatifs à la sexualité féminine, l’annonceur indique être en première ligne lorsqu’il s’agit de mener un combat constant pour la transparence des processus de production et défendre les valeurs écologiques, allant jusqu’à redéfinir l’industrie de l’optique à ce but.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose :

  • En son point 1.1., que « la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité ou de choquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence;
  • Et en son point 2.1, que : « La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet»

Le Jury relève que les deux affiches publicitaires en cause représentent des femmes largement dénudées dans des poses directement évocatrices de scènes sexuelles : l’une, dont la poitrine est visible et dont la bouche soulignée par un rouge à lèvres rouge vif est grande ouverte, vit ou simule un orgasme ; l’autre est allongée, le bas du corps dénudé et les jambes écartées, et tient devant son entrejambe une paire de lunettes.

En dépit de la présence de lunettes sur les visuels et du nom de la collection ainsi promue (« Orgasmic »), et alors même que l’annonceur indique avoir entendu s’inscrire dans une logique de libération sexuelle de la femme et d’acceptation sociale de la sexualité féminine, ces deux mises en scène ne présentent pas de lien objectif avec le produit promu. Elles tendent à réduire le corps de la femme à la fonction d’objet de consommation sexuel et sont susceptibles de choquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à la décence.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que les publicités en cause méconnaissent les dispositions précitées.

Avis adopté le 14 janvier 2022 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello et Lucas-Boursier.

Pour visualiser les publicités Orgasmic, cliquez ici.