ORANO – Presse – Internet – Plainte partiellement fondée

Avis publié le 6 mai 2022
ORANO – 822/22
Plainte partiellement fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le conseil de l’association Réseau Sortir du nucléaire et les représentants de la société Orano, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 14 janvier 2021, d’une plainte de l’association Réseau Sortir du Nucléaire, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de deux publicités, diffusées en presse, dans le journal Le Monde, ainsi que sur le site internet et les réseaux sociaux de la société Orano, en vue de recruter de nouveaux collaborateurs.

La campagne se présente sous forme d’une bande dessinée.

La première publicité comporte les textes : « Vous ne le savez pas encore…. Vous pouvez lutter contre le dérèglement climatique », … « vous pouvez nous aider à le combattre grâce à votre savoir-faire et … à un caillou ! », « Si si ! Bon évidemment on ne parle pas de n’importe quel caillou mais de l’Uranium. Une source d’énergie aussi bas carbone que l’éolien, puissante et complémentaire aux énergies renouvelables », « maintenant vous savez ce que vous pouvez apporter aux grands challenges du climat ! » « SURPRENEZ-VOUS, REJOIGNEZ-NOUS ! », « Rendez-vous sur www.orano.group/fr/carrieres/surprenez-vous. »

La deuxième publicité comporte les textes : « Vous ne le savez pas encore…. Vous pouvez faire du neuf avec du vieux », « Rien ne se perd, tout se transforme, comme dit l’adage nucléaire », « De nos jours, s’il y a un domaine où l’on fait tout pour y arriver c’est bien dans le recyclage nucléaire ! », « Aujourd’hui, nous sommes déjà capables de réutiliser 96 % des matières recyclables d’un combustible qui à la base est complètement usé », « Maintenant vous savez ce que vous pouvez apporter aux grands challenges de l’économie circulaire !
« SURPRENEZ-VOUS, REJOIGNEZ-NOUS
! »

2. La procédure

La société Orano et le diffuseur de presse Le Monde ont été informés, par courriel recommandé avec accusé de réception du 4 février 2022, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. Ils ont également été informés que cette affaire ferait l’objet d’un examen lors de la séance du Jury du 4 mars 2022.

Les personnes intéressées ont ensuite été informées, le 28 février 2022 qu’en raison d’un problème de transmission électronique, la société Orano n’avait pas été mise en mesure de présenter ses observations. Il a donc été décidé de reporter l’examen de l’affaire en avril.

3. Les arguments échangés

L’association Réseau Sortir du Nucléaire rappelle à titre liminaire l’objet et les activités de la société Orano dans le domaine nucléaire, ainsi que le contenu des publicités litigieuses.

La première publicité axe son argumentaire sur le faible impact carbone du nucléaire. Elle présente l’uranium U235, l’isotope fissible de l’uranium qui est utilisé comme combustible nucléaire, comme un « caillou » massif et musculeux, ayant la force de lutter contre le dérèglement climatique. Le dérèglement climatique, lui, est représenté comme une
« sale bête » hirsute et agressive. Elle décrit l’opposition entre le gentil et fort uranium U235 et le méchant dérèglement climatique. Les destinataires de cette publicité sont donc amenés à choisir leur camp.

La deuxième publicité vante les capacités de recyclage des matières nucléaires. Elle présente le nucléaire comme étant une industrie à la pointe de l’économie circulaire grâce à ses capacités de recyclage des combustibles usés générés par les centrales. Cette publicité tente de donner le change face aux critiques récurrentes liées à la grande quantité de déchets radioactifs générée par l’exploitation des centrales, dont les rayonnements présentent un risque pour la santé et l’environnement.

L’association considère que, ce faisant, cet annonceur cherche à renvoyer au public l’image d’une entreprise éco-responsable, agissant en faveur de l’environnement et du climat. Depuis plusieurs années, sa technique de communication se concentre sur l’urgence climatique en vantant une production électrique qualifiée régulièrement de bas carbone, décarbonée, neutre en carbone, sans émission de CO2. A titre d’exemple, il est possible de retrouver, en regardant seulement la page d’accueil du site d’Orano, plusieurs articles consacrés à la place du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique. En outre, le groupe va encore plus loin en utilisant l’argument du recyclage des combustibles pour donner l’image d’une industrie fonctionnant en circuit fermé. L’association plaignante soutient qu’il s’agit d’une forme de publicité mensongère, contraire à la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP pour les raisons suivantes.

Sur la publicité relative au dérèglement climatique

En premier lieu, l’association plaignante conteste l’assimilation de l’uranium U235 à un « caillou ». Il s’agit d’un métal lourd radioactif qui sert de combustible nucléaire et qui est à l’origine de pollutions diverses susceptibles d’affecter durablement l’environnement. En effet, le nucléaire génère d’autres formes de pollutions qui ne sont jamais mentionnées dans ces publicités : des pollutions quotidiennes (effluents chimiques et radioactifs, gazeux et liquides, dans l’environnement) ainsi que des milliers de tonnes de déchets radioactifs produits chaque année, en France, pour lesquels aucune solution de gestion n’existe.

L’usine de retraitement des combustibles usés exploitée aujourd’hui par Orano à La Hague (France) est l’une des installations les plus polluantes au monde, avec un cumul de toxicité chimiques et radioactives. Elle rejette, en particulier dans l’atmosphère, de très grandes quantités d’un gaz radioactif, le krypton 85, conduisant à multiplier par 60 la radioactivité moyenne annuelle de l’air dans les villages voisins. Compte tenu de sa longue période radioactive (10 ans), la concentration de ce gaz ne cesse d’augmenter dans l’ensemble de l’hémisphère nord. Certains chercheurs ont d’ailleurs soulevé la question de l’impact de cette ionisation artificielle de l’atmosphère sur le climat. Enfin, ces publicités passent complètement sous silence la pollution générée par les stériles et résidus miniers issus de l’extraction de l’uranium, qui est pourtant une des activités principales d’Orano. Cette pollution des sols et des eaux, qui perdure bien après la fermeture des sites miniers, a été largement documentée. Au Niger, l’exploitation de la mine d’Arlit, menée par Areva/Orano, a eu des conséquences désastreuses sur l’environnement, polluant la ressource en eau.

En France également, plus de 20 ans après la fermeture de la dernière mine d’uranium, la contamination radioactive de l’environnement reste très préoccupante, notamment sur certains sites placés sous la responsabilité d’Orano et censés avoir fait l’objet d’une décontamination. Ainsi, près du site de Bellezanne (Haute-Vienne), des boues rouges présentant des concentrations très élevées en substances radiotoxiques sont abandonnées dans l’environnement et accessibles au public. La contamination radioactive liée au passé minier persiste aux abords de site qui constituent pourtant des réserves en eau potable pour la ville de Limoges.

Par ailleurs, la justice a reconnu plusieurs fois des faits de pollution générés par l’activité d’Orano. A titre d’exemple, sur le site nucléaire du Tricastin, exploitée par Orano Cycle, les inspecteurs de l’ASN ont relevé de nombreux écarts aux règles de gestion des déchets définies par la réglementation et par le référentiel de l’installation. Le tribunal de police a reconnu la culpabilité d’Orano en 2019. Encore, France Nature Environnement et l’association ECCLA (Ecologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois) ont mis en lumière qu’après une importante pollution de l’eau en 2009, l’usine de retraitement de l’uranium d’AREVA n’avait pas respecté de nombreuses règles de prévention sur la pollution atmosphérique, l’incinération et la combustion des déchets ou encore la gestion des gaz toxiques. La cour d’appel de Montpellier a condamné la société à verser aux associations victimes 10 000 euros en 2018.

Ainsi, les enjeux climatiques et environnementaux ne sauraient être réduits aux seules émissions de CO2.

Le renforcement du rôle du nucléaire entraîne une augmentation des risques d’accident majeur, d’accumulation de déchets et de pollution qui lui sont attachés. Ceci va à l’encontre du principe de soutenabilité. Le nucléaire est donc une source d’énergie polluante à plusieurs égards.

En mettant l’accent sur la seule retombée positive (basses émissions de CO2 par les centrales) d’un processus long et complexe, Orano laisse indûment croire que son activité est bénéfique pour l’environnement. Ce faisant, elle réalise un traitement partiel de l’information car célébrer le nucléaire pour ses faibles émissions « carbone », c’est raisonner en compartimentant les impacts de cette exploitation sur l’environnement et sur la santé.

Par conséquent, cette publicité contrevient au point 1 de la Recommandation « Développement durable ».

Pour les mêmes raisons, cette publicité banalise le recours au procédé nucléaire qui nécessite pourtant de manipuler des éléments chimiques et radioactifs qui sont à la fois dangereux pour la santé et pour l’environnement.  Il induit donc consciemment le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés de ses produits et contrevient au point 7 de la même Recommandation.

En deuxième lieu, la publicité affirme que le nucléaire permet de lutter contre le dérèglement climatique. Or, des rapports d’experts affirment que les faibles émissions de CO2 induites par le secteur nucléaire n’ont qu’une retombée assez mineure en termes de réduction d’émissions à l’échelle globale. En effet, la production d’électricité nucléaire ne représente que 10 % de la production d’électricité mondiale, à peine 4,5 % de la consommation d’énergie finale et ne permet d’éviter que 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Le Groupe Orano exagère l’impact positif du nucléaire sur le climat car l’exploitation de cette source d’énergie ne représente, en réalité, qu’un faible pourcentage d’émissions de CO2 évitées et la réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l’échelle globale est assez minime. La contribution du nucléaire à l’atteinte de la neutralité carbone reste faible et hors délai.

Par ailleurs, Orano reste silencieuse sur les autres options envisageables pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’origine énergétique, et notamment sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables (solaire thermique et photovoltaïque, éolien). Pourtant, ce sont ces dernières qui apporteront la contribution la plus massive à la réduction des émissions, celle du nucléaire restant marginale. L’Agence Internationale de l’Énergie table sur un mix où les énergies renouvelables représenteront une part écrasante de 90 % en 2050 pour atteindre la neutralité carbone.

Par ailleurs, toutes ces options ne présentent pas le même degré de soutenabilité et le recours au nucléaire est la moins bonne des options car elle est celle qui a le plus d’impacts négatifs au regard des Objectifs de Développement durable (ODD) édictés par l’ONU (éducation, justice et paix, vie aquatique, vie terrestre, santé, pas de pauvreté…).

Dans son rapport publié en 2018 sur les solutions pour maintenir le réchauffement en-deçà de 1,5°C17, le GIEC a passé les différentes options au crible des ODD. L’association négaWatt présente ainsi une synthèse des informations fournies, mettant en évidence la non-soutenabilité du nucléaire.

Par conséquent, cette publicité contrevient au point 3 de la même Recommandation.

En troisième lieu, les éléments visuels utilisés empruntent les codes militants et écologistes. La publicité d’Orano se rapproche, par exemple, du style graphique de Pénélope Bagieu, qui a fait des bandes dessinées de sensibilisation sur l’urgence écologique. La publicité minimise le danger inhérent au procédé nucléaire en représentant le combustible comme un élément naturel. Ce « caillou », à l’état naturel, est en réalité un métal lourd radioactif. Il faut aussi préciser que l’uranium à l’état naturel est inutilisable. Pour qu’il puisse servir de combustible, plusieurs procédés chimiques doivent être mis en œuvre : la concentration et l’enrichissement. La concentration du minerai consiste à broyer finement le minerai et à le dissoudre dans une solution acide pour obtenir le yellow cake. Orano méconnaît donc le point 8 de la Recommandation en ce qu’elle assimile directement un produit à un élément naturel alors que, même à l’état naturel au moment de l’extraction, la manipulation d’uranium est dangereuse pour les populations et l’environnement, et que le combustible nucléaire final doit subir de nombreuses transformations et ne peut plus être considéré comme un élément naturel.

Sur la publicité relative à l’économie circulaire

L’association plaignante reproche à Orano d’induire en erreur les destinataires de la publicité en ce qui concerne les actions de l’entreprise en matière de recyclage des combustibles usés. En effet, l’annonceur ne réutilise en réalité que 1 % du combustible usé.

Le site industriel de La Hague réceptionne des combustibles usés en provenance des réacteurs nucléaires, c’est-à-dire de l’uranium naturel enrichi (UNE) « irradié ». Après un premier refroidissement en piscine près du réacteur, ce combustible est de nouveau refroidi dans les piscines de La Hague avant de subir des opérations physico-chimiques visant à extraire puis purifier les éléments d’uranium et de plutonium. À l’issue du retraitement :

  • 4% du volume initial de combustibles usés est conditionné sur place, vitrifié en déchets de haute activité à vie longue (HA-VL) ;
  • 1%, correspond au plutonium (Pu), dont une partie est envoyée sur le site de Melox (usine filiale d’Orano située à Marcoule dans le Gard) pour être réutilisée pour fabriquer du combustible « Mox ». Ce combustible alimente les vingt-deux réacteurs nucléaires conçus pour les recevoir, sur les cinquante-six que compte le parc nucléaire français. On parle de « réacteurs moxés » ;
  • 95%, correspondant à l’uranium issu du retraitement (URT), est entreposé sur le site de Pierrelatte dans la Drôme et est considéré comme des « matières nucléaires ». Cet URT est entreposé dans l’attente de résultats concluants dans la recherche sur la valorisation des déchets radioactifs. Ces 95% ne sont donc, pour l’heure, ni réutilisés, ni recyclés. Ainsi, ce sont moins de 1% du volume des combustibles nucléaires usés qui est aujourd’hui recyclé, c’est-à-dire réutilisé pour fabriquer du nouveau combustible, et ceci, une seule fois.

Ce processus ne correspond pas à la définition de l’économie circulaire par le Ministère, l’Ademe ou la Commission européenne, qui induisent tous une notion de « boucle bouclée ».

Par ailleurs, les 95% restants pour atteindre le chiffre avancé par Orano SA dans son encadré représentent de l’uranium (URT), qui est lui aussi extrait des combustibles usés, mais qui n’est pas recyclé. Orano indique assez explicitement sur son site que l’URT n’est plus utilisé en ce moment, dans aucune centrale. Aussi, son utilisation jusqu’en 2013 était plutôt d’ordre économique qu’environnemental : « Alors que le prix de l’uranium est en hausse (prix spot à plus de 40 dollars la livre contre 20 dollars il y a 3 ans), le recyclage de l’uranium est plus que jamais d’actualité […]. EDF a ainsi utilisé de l’URT de 1994 à 2013 dans 4 réacteurs de la centrale de Cruas. Cela a permis le recyclage de 4000 tonnes d’URT soit une économie similaire d’uranium naturel. EDF a ensuite cessé car le prix de l’uranium naturel s’était effondré, ce qui rendait l’URT non compétitif ».

L’association se prévaut d’un bilan de l’Agence Nationale pour la gestion des déchets Radioactifs (Andra) qui indique que 31 500 tonnes d’URT étaient entreposées fin 2018 en France, en attente de leur prochaine valorisation. Selon ce même document, c’est 1 000 tonnes d’URT supplémentaires par rapport au stock qui avait été inventorié l’année précédente à la même période. On constate donc une absence de valorisation de ces matières, et même à l’inverse, une accumulation des stocks. Cette accumulation des stocks d’URT a alerté l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Dans un avis n°2020-AV-0363 du 8 octobre 2020, l’ASN émet un doute sur la capacité d’EDF à compenser ce stock d’URT, y compris avec la reprise annoncée du chargement de combustibles URE (URT enrichi qui peut servir de combustible) à partir de 2023 pour les 4 réacteurs de Cruas-Meysse. L’ASN envisage la possibilité de classer une partie de l’URT en déchet radioactifs, estimant irréaliste que l’ensemble de l’URT soit utilisé un jour.

L’association précise que le Jury a déjà eu l’occasion de sanctionner une publicité vantant les capacité d’Orano à recycler 96 % d’un combustible usé à travers un avis publié le 4 mai 2020. Il concernait une publicité de la société Orano qui s’intitulait « Idées reçues » et présentait, sur plusieurs pages du site, les réponses apportées par la société Orano à ces idées reçues. Un encadré indiquait que « 96% du combustible nucléaire usé est recyclable », accompagné de l’image de trois conteneurs à recyclage intitulés « combustible nucléaire », « verre » et « plastique ».

Le Jury a rappelé que selon les éléments produits au dossier, le recyclage du combustible usé ne porte que sur environ 1% des combustibles nucléaires usés, la possibilité de recyclage des déchets nucléaires faisant encore l’objet de recherches qui n’ont pas abouti à ce jour. Le Jury a alors estimé que : « pris dans sa globalité, le visuel assorti des mentions précitées est de nature à induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur en matière de recyclage et de développement durable, méconnaissant ainsi les dispositions précitées des points E1 du code ICC d’une part, 1.1 et 2.2. de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP d’autre part ».

De la même manière, la publicité contestée induit volontairement les destinataires en erreur sur les actions en matière de recyclage conduites par Orano, en méconnaissance du point 2 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

L’association ajoute qu’Orano n’est pas même capable de réutiliser les matières recyclables d’un combustible usé, c’est-à-dire 1 %. L’usine Melox ne parvient pas à répondre à ses objectifs en matière de recyclage du combustible usé, mais pire encore, les défauts de fabrication auxquels elle doit faire face créent des déchets supplémentaires.

À court terme, constate l’ASN, « les dysfonctionnements de Mélox entraînent une saturation plus rapide que prévu des capacités d’entreposage des matières plutonifères ». Son accumulation accélère le phénomène de saturation des bassins. En attendant la mise en service du projet de piscine d’EDF sur le site de La Hague (Manche), Orano propose de densifier ses piscines, ce qui pose des problèmes en termes de sûreté.

Sans qu’une méthode définitive généralement acceptée ne puisse mesurer la durabilité ou confirmer l’accomplissement d’une action concrète et bénéfique pour l’environnement, aucune allégation ne doit être formulée sur sa réalisation. Ce faisant, Orano et sa campagne litigieuse contreviennent à l’article E1 du Code ICC.

Enfin, l’association reproche à la publicité de suggérer que les 4 % restants pourraient, prochainement et grâce aux recrutements effectués, être recyclés. Ce n’est pas le cas. En effet, même selon la vidéo de présentation d’Orano La Hague, à la seconde 40, il est expressément indiqué que seulement 96% du combustible usé est valorisable et que les 4% restants ne le sont pas. Ces 4 % de combustibles restants sont des déchets hautement radioactifs de catégorie HA-VL et, si le projet de centre d’enfouissement de déchets radioactifs Cigéo aboutit, ces 4% seront enfouis à 500 m sous terre. Les recycler ne constitue pas un projet avéré d’Orano qui a déjà des difficultés à recycler le reste du combustible usé.

La publicité litigieuse contrevient donc une nouvelle fois au principe de véracité édicté par la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Pour conclure, l’association estime que ces publicités visent à parer le nucléaire de vertus, même si Orano n’a dans l’absolu rien à vendre au grand public. Cette campagne permet de pousser activement pour le renouvellement du parc nucléaire français. Les projets de six nouveaux réacteurs portés par EDF constituent, pour l’ensemble de la filière, Orano comprise, l’assurance de pouvoir continuer à trouver un débouché pour leurs activités dans les décennies à venir. Ces projets de nouveaux réacteurs soulèvent cependant des interrogations légitimes, au regard des pollutions générées par le secteur et du fiasco du chantier de l’EPR de Flamanville, qui a révélé une perte de compétence flagrante. La diffusion large de ces publicités apparaît comme une tentative d’améliorer l’acceptabilité sociale du nucléaire afin de limiter les oppositions à ces projets.

Lors de la séance, l’association plaignante a repris en substance son argumentation. Elle a réitéré l’idée que le nucléaire n’était en aucun cas la solution au dérèglement climatique et qu’il ne fallait pas banaliser la radioactivité. Elle a insisté sur la méconnaissance, par la première publicité, du point 7 de la Recommandation. Elle a renouvelé son argumentation selon laquelle la seconde publicité induit en erreur le public car elle laisse entendre qu’Orano recyclerait effectivement 96 % des résidus.

La société Orano fait valoir qu’elle est un groupe international, acteur majeur de l’énergie nucléaire, qui valorise les matières nucléaires pour répondre aux besoins énergétiques de nos sociétés. Pour ce faire, Orano propose des produits et services à forte valeur ajoutée sur l’ensemble du cycle du combustible nucléaire. L’activité d’Orano contribue à fournir du combustible aux réacteurs nucléaires, obtenu à l’issue du cycle du combustible, à partir d’Uranium U235, seul isotope fissile naturel.

Alors que les enjeux climatiques et environnementaux s’affirment comme des préoccupations politiques et sociétales majeures dans le débat public, l’énergie nucléaire est classée par les autorités européennes et internationales de référence – et en particulier le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (« GIEC »), parmi les sources d’énergie bas carbone ayant un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le dérèglement climatique, la transition énergétique et la mise en place d’un système d’économie circulaire par le recyclage et l’innovation.

Orano est un acteur responsable, engagé dans la production d’énergie bas carbone, fier de participer à la lutte contre le dérèglement climatique et d’inviter de potentiels candidats à l’emploi à le rejoindre pour y participer collectivement.

C’est dans ce contexte qu’Orano, désireux de présenter les capacités de la filière nucléaire pour répondre aux enjeux climatiques actuels et futurs et de poursuivre l’objectif de pédagogie qui lui est cher, a établi sa campagne de recrutement pour 2022 (« campagne marque employeur »).

Cette campagne s’articule autour de quatre thématiques liées à la raison d’être du groupe et situées au cœur des préoccupations des citoyens : l’économie des ressources, l’innovation, la santé et la lutte contre le dérèglement climatique.

A travers ces différentes thématiques, Orano a également souhaité mettre en exergue ce qui fait la singularité du groupe, à savoir la combinaison de métiers différents mais complémentaires, au croisement du climat et de l’énergie, des parcours individuels et du collectif, de l’innovation et de l’héritage des savoir-faire technologiques.

La campagne se décline en plusieurs publicités distinctes publiées notamment par le quotidien Le Monde les 16 et 28 novembre 2021 et relayées sur les réseaux sociaux, dont deux font l’objet de la plainte portée par l’association. Chaque publicité se présente sous la forme d’une bande dessinée utilisée comme un concept créatif, original et surprenant permettant de vulgariser des sujets techniques ou scientifiques. Son utilisation permet d’exposer les thématiques sérieuses susmentionnées tout en optant pour un ton humoristique et décalé. Un tel usage a pour objectif de se détacher de l’approche parfois anxiogène utilisée pour traiter de ces sujets, au profit d’une approche optimiste et positive montrant les solutions innovantes pour l’avenir offertes par Orano et les nombreuses opportunités d’emploi qu’elles impliquent.

Les deux publicités critiquées, que l’annonceur décrit dans ses observations, ont pour but de surprendre et de lutter contre les idées reçues, en faisant œuvre de pédagogie sur ce que sont l’énergie nucléaire et les ambitions d’Orano.

Au-delà de l’imprécision des arguments de l’association et du caractère infondé et partisan de ses prétentions, force est de constater que la plupart des éléments avancés s’écartent largement des publicités incriminées, auxquelles il n’est fait que peu référence hormis pour ce qui concerne le visuel du « caillou ». L’association ne s’attaque pas à des éléments visuels précis, mais à l’industrie nucléaire dans son ensemble représentée par les activités d’Orano. Cet acte s’apparente donc davantage à une prise de position globale partisane contre le secteur du nucléaire qu’à une plainte à l’encontre d’une publicité.

En tout état de cause, l’annonceur entend démontrer que l’ensemble des messages portés par les publicités d’Orano soumis au Jury sont en tous points conformes à la réglementation applicable et, en particulier, ne sont ni trompeurs ni disproportionnés.

Sur la première publicité

La société estime que cette publicité est en tout point conforme à la Recommandation dans la mesure où l’activité nucléaire participe à la lutte contre le changement climatique en produisant une énergie bas carbone dont les rejets sont maîtrisés, contrôlés par l’Autorité de sûreté nucléaire et dépourvus d’impacts sanitaires.

Le nucléaire est une énergie bas carbone qui participe à la lutte contre le changement climatique. L’Uranium U235 utilisé dans les centrales nucléaires provient, à l’origine, des mines d’uranium, dont le minerai extrait est une roche naturellement présente dans la croûte terrestre. Dès lors, l’utilisation du vocable « caillou » pour qualifier l’uranium est la traduction humoristique d’une incontestable réalité géologique. De ce fait, elle ne saurait en aucun cas être jugée contraire à la Recommandation.

Les griefs de l’association revenant plus globalement à considérer que l’industrie nucléaire constituerait une « pratique […] contraire aux objectifs de développement durable » ne sont pas plus fondés. Contrairement à ce qu’elle affirme, tous les scénarios contenus dans le rapport du GIEC du 9 août 2021 permettant de respecter les accords de Paris sur le climat (COP 21), dont l’objectif est de limiter l’augmentation de la température à 1,5°C à l’horizon 2050, encouragent et contiennent une augmentation substantielle du nucléaire dans le monde. C’est bien la preuve que le nucléaire fait partie du mix énergétique nécessaire à la production d’une quantité d’énergie suffisante pour faire face aux besoins des populations aux côtés des énergies renouvelables, comme mis en avant dans la publicité. L’apport substantiel du recours au nucléaire, une énergie à faibles émissions de CO2, est en outre une réalité appuyée par la base carbone de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui rappelle que l’énergie nucléaire n’émet en France que 6 grammes de dioxyde de carbone par kilowattheure (geq CO2/KWh) en moyenne, soit une émission plus basse que l’éolien (9 à 10 geq CO2/KWh), le photovoltaïque (13 à 32 geq CO2/KWh), le biogaz (10 geq CO2/KWh) ou encore l’hydroélectricité (10 à 13 geq CO2/KWh).

Les conclusions du GIEC et de l’ADEME, qui font autorité en la matière, attestant que l’énergie nucléaire contribue à la lutte contre le réchauffement climatique par ses faibles émissions de CO2, confirment la position prise par Orano dans cette première publicité de dire que le nucléaire est une source d’énergie « bas carbone ». Telle est aussi la position de la Commission européenne dans son rapport technique faisant suite à l’adoption du règlement européen 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables. La conclusion de ce rapport, loin de « banaliser le recours au procédé nucléaire », démontre que cette activité économique respecte au moins l’un des six objectifs environnementaux servant de base à cette évaluation : « atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique ; utilisation durable et protection des ressource aquatiques et marines; transition vers une économie circulaire ; prévention et contrôle de la pollution; protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes ». C’est pour ces raisons que la Commission européenne a adopté l’acte délégué le 2 février 2022 accordant un label « vert » à cette activité économique, au vu de son rôle pour faciliter le passage aux énergies renouvelables et à la neutralité carbone.

Orano estime qu’il ne peut lui être reproché de passer sous silence d’autres sources d’énergie, alors qu’elle les évoque dans ses différentes communications.

Ainsi le visuel critiqué, qui se borne à constater que l’énergie nucléaire est une énergie bas carbone complémentaire aux énergies renouvelables, ne contrevient ni au point 1, ni au point 3 de la Recommandation.

De même, selon Orano, les griefs fondés sur les points 7 et 8 de la Recommandation devront être écartés, notamment au regard des effets sanitaires de l’activité nucléaire.

L’uranium est un élément naturel, dont l’utilisation pour la production d’électricité nucléaire est maitrisée, bien éloigné de la vision catastrophiste et fantasmée de l’association. Dans son bilan sur l’exposition de la population aux rayonnements ionisants menée entre 2014 et 2019, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (« IRSN ») a constaté que la dose efficace d’exposition liée à la présence d’une installation nucléaire en fonctionnement normal, pour les personnes résidant dans un rayon de 10 km autour du site, était de l’ordre de 1 à 10 µSv/an (soit 0,001 à 0,01 mSv/an) en fonction du site. D’une part, cette exposition est 10 à 100 fois inférieure à la limite de dose efficace pour l’exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l’ensemble des activités nucléaires, cette limite étant fixée à 1 mSv par an par l’article R.1333-11 du code de la santé publique. D’autre part, une telle exposition est encore bien inférieure à la radioactivité naturelle moyenne en France qui s’élève à 2,9 mSv par an et par personne.

Par ailleurs, l’ensemble des activités relatives à la mise en œuvre ou à l’utilisation de substances radioactives ou de rayonnements ionisants, est couverte par un cadre juridique strict visant à garantir la sécurité, la santé et la salubrité publiques et la protection de la nature et de l’environnement.

Contrairement à ce que prétend l’association, si le Krypton 85, utilisé dans l’usine de La Hague, est un gaz susceptible d’être rejeté dans le cadre d’une activité industrielle nucléaire, il s’agit d’un gaz inerte qui n’interagit pas avec la matière et possède une radiotoxicité très faible. En outre, il est précisé que l’impact des rejets du site Orano la Hague est de 0,02 mSv/an sur les groupes de population susceptibles d’être les plus exposés, largement inférieur à la limite de 1 mSv/an.

Par ailleurs, ces rejets font l’objet d’autorisations strictement limitées et contrôlées par les autorités et, notamment, l’Autorité de sûreté nucléaire.

En outre, l’association se prévaut d’incidents anciens impliquant les sites de Bellezane, du Tricastin et de Malvési. Or, ces affaires, dénuées de liens avec le visuel critiqué qui s’attache à montrer les actions d’Orano en matière de lutte contre le dérèglement climatique, sont hors du champ de compétence du Jury qui ne pourra en tenir compte dans le cadre de son avis et ont été débattues devant d’autres forums.

Enfin, pour les raisons indiquées, l’énergie nucléaire est conforme au principe de soutenabilité.

Au total, la publicité critiquée n’est en rien trompeuse, selon l’annonceur. Le parti pris humoristique et décalé retenu par Orano ne saurait en rien caractériser une quelconque banalisation.

Sur la seconde publicité

Là encore, Orano considère que les propos tenus dans la plainte sont infondés. Grâce aux technologies et au savoir-faire développés par le groupe, acteur de l’économie circulaire, Orano dispose de la capacité de recycler 96 % des combustibles usés, et de gérer les matières valorisables et les déchets de manière durable et responsable.

En premier lieu, le recours à la notion d’économie circulaire est tout à fait justifié. Ce vocable désigne, selon le ministère de la transition écologique, un modèle économique dont l’objectif est de « produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et le gaspillage de ressources et la production des déchets. Il s’agit de passer d’une société du tout jetable à un modèle économique plus circulaire ».

La notion de « boucle bouclée » induit donc uniquement la poursuite d’un objectif : celui de diminuer les ressources utilisées ainsi que l’impact sur l’environnement. C’est d’ailleurs la définition qu’en retiennent plusieurs institutions :

  • l’INSEE : « Organisation d’activités économiques […] visant à diminuer les ressources utilisées ainsi que les dommages causés à l’environnement » ;
  • l’ADEME : « système économique d’échange et de production qui […] vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement » ; et
  • la Commission européenne : « L’économie circulaire est un modèle de production et de consommation qui consiste à partager, réutiliser, réparer, rénover et recycler les produits et les matériaux existants le plus longtemps possible afin qu’ils conservent leur valeur ».

Le recyclage du combustible nucléaire se conforme à ces définitions dans la mesure où Orano a la capacité industrielle de « réutiliser 96 % des matières recyclables d’un combustible qui à la base est complètement usé ».

Au surplus, soulignons que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (ci-après : « CEA ») utilise la notion de « cycle fermé » pour qualifier le cycle du combustible nucléaire en indiquant qu’il permet d’optimiser la gestion des déchets ultimes. Dans ces circonstances, il est demandé au Jury de déclarer les allégations de RSN infondées, Orano étant un acteur de l’économie circulaire.

En second lieu, l’annonceur estime que la formule selon laquelle « Aujourd’hui, nous sommes déjà capables de réutiliser 96% des matières recyclables d’un combustible qui à la base est complètement USE » ne contrevient pas au point 2 de la Recommandation DD et à l’article E1 du Code ICC.

Cette allégation vise à informer la société civile des solutions techniques développées par Orano qui doivent être prises en compte à l’aune de choix décisifs pour décarboner la production d’électricité. Les volumes potentiellement recyclables du combustible nucléaire doivent être mis en avant pour la bonne information des candidats potentiels. En investissant chaque année des centaines de millions d’euros dans ses activités de recyclage et tout particulièrement dans son usine de la Hague (300 millions d’euros en moyenne chaque année pour cette seule usine) et de Melox (80 millions d’euros sur les 3 années à venir), Orano contribue de manière active au recyclage du combustible.

L’annonceur insiste sur le fait qu’il ne soutient pas que 96 % du combustible nucléaire usé « est recyclé » mais bien « est recyclable ».

Il s’ensuit qu’Orano n’induit pas en erreur sur la réalité de ses actions mais informe sur les capacités maximales de recyclage du combustible nucléaire maîtrisées à ce jour, soit 95% de l’uranium et 1% du plutonium usé. En tout état de cause, ce chiffre est parfaitement corroboré par l’ensemble des acteurs de référence et notamment par le CEA qui met à disposition du public les mêmes informations sur son site internet, notamment par le biais d’une vidéo pédagogique.

Il est en outre confirmé par l’ANDRA qui déclare que « la politique énergétique française prévoit que les combustibles soient retraités après leur utilisation. Le retraitement aujourd’hui opéré à l’usine d’Orano à La Hague permet d’extraire du combustible usé environ 96 % de matières valorisables (plutonium et uranium) et environ 4 % de déchets radioactifs ».

Au surplus, en déclarant que « ce sont moins de 1% du volume des combustibles nucléaires usés qui est aujourd’hui recyclé, c’est-à-dire réutilisé pour fabriquer du nouveau combustible », l’association tente de tirer parti de la décision d’EDF de ne recycler, pour le moment, que le plutonium. Cependant, cela n’entache en rien la capacité d’Orano de réutiliser 96 % des matières issues après traitement des combustibles usés. Parmi ces 96 % de matières recyclables figurent 1% du plutonium qui est également recyclable sous la forme d’un nouveau combustible appelé MOX (un mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium), et grâce auquel 10 % de l’électricité nucléaire produite aujourd’hui en France, soit près de 8 % de l’électricité (toutes sources confondues).

Le savoir-faire d’Orano dans ce domaine a été notoirement reconnu par plusieurs organismes de certification indépendants (notamment la certification OHSAS 18001, la référence internationale des systèmes de management « santé et sécurité au travail » et la triple certification ISO 9001 V15, ISO 14001 V15 et OHSAS 18001 V07 qui a été reconduite pour 3 ans en 2018).

Aussi, et contrairement aux assertions fallacieuses de la plaignante qui prétend que « l’usine a été confrontée à des problèmes techniques et chimiques au moment de la fabrication du combustible Mox », le procédé de recyclage du combustible Mox est parfaitement opérationnel et fait pleinement partie des 96 % de combustibles usés recyclables au sein des usines d’Orano.

L’ensemble de ces éléments sont confirmés par l’ANDRA. EDF a d’ailleurs annoncé le recyclage des URT, en vue de leur réutilisation comme combustibles à compter de 2023.

La déclaration selon laquelle Orano est capable de réutiliser 96 % du combustible usé n’est donc pas de nature à induire le public en erreur sur la réalité des actions d’Orano en matière de recyclage et de développement durable.

En conséquence, selon Orano, le visuel critiqué est conforme à l’article 2 de la Recommandation « Développement durable » et à l’article E1 du Code ICC.

En outre, contrairement à ce que prétend l’association, la déclaration d’Orano n’implique en aucun cas que 100 % du combustible usé seraient recyclables à l’heure actuelle, puisqu’il est justement précisé que ce sont 96 % du combustible usé qui sont recyclables à ce jour. Par ailleurs, le visuel critiqué n’implique pas davantage que recycler 100% du combustible usé soit « un projet avéré ».

Orano mène depuis des années une politique d’innovation – l’une des thématiques de sa campagne marque employeur – afin d’améliorer ses technologies et son savoir-faire. C’est dans ce contexte qu’Orano avance vouloir faire « encore mieux » à l’avenir, c’est-à-dire proposer de nouvelles solutions ou améliorer celles existantes, et ce grâce au recrutement de talents dès aujourd’hui.

Dès lors le message, qui ne souffre d’aucune ambiguïté et reflète fidèlement la véracité des actions entreprise par Orano, est conforme aux mêmes dispositions.

Enfin, il est totalement faux d’affirmer, comme le fait l’association plaignante, qu’aucune solution de gestion des déchets radioactifs n’existe. Orano a la capacité industrielle de recycler la quasi-totalité des matières issues après traitement des combustibles usés et de vitrifier et conditionner les déchets radioactifs dans des conteneurs en acier en toute sûreté. S’il est en théorie possible d’envisager la requalification d’une matière radioactive en déchet (ce qui n’est pas le cas à ce jour), il n’en demeure pas moins que, pour le Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs (le « PNGMDR ») et le Ministère de la Transition écologique, les stocks d’uranium appauvri jouent un rôle de réserve stratégique d’uranium pour l’approvisionnement du parc nucléaire en cas de besoin, ce qui prend tout son sens eu égard au contexte géopolitique actuel.

A titre d’exemple, le projet Cigéo, dont le début d’exploitation est programmé dès 2035 pour une durée de 100 ans, prévoit le stockage des déchets de haute activité (« HA ») et des déchets de moyenne activité à vie longue (« MA-VL »), pour une radioactivité à proximité du site de 0,01 mSv/an pendant son exploitation.

Il résulte de ce qui précède que, du point de vue d’Orano, les publicités diffusées dans le journal Le Monde au mois de novembre 2021, sur le site internet d’Orano et sur ses réseaux sociaux ne portent pas plus atteinte à la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP qu’au Code ICC sur la publicité et les écommunications commerciales.

Lors de la séance, la société Orano a repris cette argumentation. Elle a insisté sur l’office du Jury, qui ne consiste pas à instruire le procès de l’activité nucléaire, mais à examiner des publicités. S’agissant de la première publicité, elle a rappelé qu’il ressortait clairement des travaux du GIEC que le nucléaire faisait partie intégrante du développement durable et que l’uranium est bien une roche (un caillou) alors que les énergies fossiles sont issues de la dégradation des végétaux, ce qui explique les émissions de CO2 que produit leur combustion. S’agissant de la seconde publicité, elle a réaffirmé que l’URT était recyclable, en rappelant qu’EDF l’a exploité entre 1994 et 2013 avant d’y renoncer provisoirement pour des raisons économiques puis d’annoncer une reprise de ce recyclage. Elle a indiqué qu’elle disposait des capacités d’enrichissement mais plus des équipements de conversion, à la suite de choix d’investissement. Elle a toutefois précisé que ses sous-traitants étaient en capacité de le faire.

A la demande du Jury, Orano a produit postérieurement à la séance un schéma décrivant le rôle des différents acteurs de la filière, qui a été communiqué à l’association plaignante. Cette dernière a maintenu ses critiques et produit des observations complémentaires qui n’ont pas été prises en compte par le Jury, pas plus que les observations en réponse de la société Orano.

Le groupe de diffusion de presse Le Monde a indiqué s’en remettre aux arguments développés par la société Orano dans ce dossier qui présente une certaine technicité, et à l’avis du Jury.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

 

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1 ) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :

1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :

(…)

b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) /

c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :

« 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ; / 2.2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ; / 2.3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (…) »

  • au titre de la proportionnalité du message (point 3) :

« 3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. (…) /

3.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. (…) ».

  • au titre de la clarté du message (point 4) :

« 4.1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ; (…) / 4.3. Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP (…) »

 

  • au titre des signes, labels, logos, symboles et auto-déclarations (point 6) :

« 6.1 Les signes ou symboles ne peuvent être utilisés que si leur origine est clairement indiquée et s’il n’existe aucun risque de confusion quant à leur signification.

Les précisions sur cette signification pourront être apportées aux conditions définies par l’article 4-3 de ce texte.

6.2 Ces signes ne doivent pas être utilisés de manière à suggérer sans fondement une approbation officielle ou une certification par un tiers.

6.3 La publicité ne doit pas attribuer aux signes, logos ou symboles une valeur supérieure à leur portée effective.

6.4 Le recours à des logos d’associations, fondations ou tout autre organisme ne doit pas créer de lien abusif entre le partenariat engagé et les propriétés du produit ou de l’action présenté. »

  • au titre du vocabulaire (point 7) :

« 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.

7.2 Lorsque les termes et expressions utilisés font l’objet d’une définition fixée par une norme, ils doivent être employés dans un sens qui correspond à cette définition.

7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.

7.4 Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur.

7.5 Le vocabulaire technique, scientifique, ou juridique, peut être utilisé s’il est approprié et compréhensible pour les personnes auxquelles s’adresse le message publicitaire.

  • au titre de la présentation visuelle (point 8) :

« 8.1 Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient.

8.2 Ils ne doivent pas pouvoir être perçus comme une garantie d’innocuité si cette dernière ne peut être justifiée.

8.3 Sans exclure leur utilisation, l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur.

8.4 Lorsque la publicité utilise un argument écologique, l’assimilation directe d’un produit présentant un impact négatif pour l’environnement à un élément naturel (animal, végétal, …) est à exclure. »

Ces règles figurent en substance à l’article D1 du code de la Chambre de commerce internationale « Publicité et marketing » (dit code ICC), qui reprend les dispositions de l’article E1 de la version antérieure, auquel se réfère la plainte. Il en ressort notamment que « la communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas profiter abusivement de l’intérêt des consommateurs pour l’environnement ou exploiter leur éventuel manque de connaissance sur l’environnement » et « ne doit contenir aucune affirmation ou aucun traitement visuel de nature à induire en erreur les consommateurs de quelque manière que ce soit quant aux aspects ou aux avantages environnementaux de produits ou quant à des actions entreprises par le professionnel en faveur de l’environnement ». En outre, « aussi longtemps qu’il n’existe aucune méthode définitive généralement acceptée pour mesurer la durabilité ou confirmer son accomplissement, aucune allégation ne doit être formulée sur sa réalisation ».

Le Jury relève que les deux publicités mises en cause s’inscrivent dans le cadre d’une campagne de recrutement de la société Orano, spécialisée dans les combustibles nucléaires, sur l’ensemble de leur cycle de vie.

4.1. Sur la première publicité

Le Jury constate que cette publicité compare l’uranium à un caillou, valorise les faibles émissions de CO2 de l’énergie nucléaire, qu’elle compare à celles de l’éolien, et informe les candidats potentiels à l’embauche qu’ils peuvent « lutter contre le dérèglement climatique » et « le combattre » en rejoignant Orano et en lui apportant leur savoir-faire afin de relever « les grands challenges du climat ».

En premier lieu, le Jury estime que l’assimilation de l’uranium à un caillou n’est pas de nature à induire en erreur le public sur les propriétés de ce produit ni sur la réalité de l’impact environnemental de l’activité d’Orano, qu’il ne minimise pas. D’une part, l’uranium U235 est le seul isotope fissile présent dans le milieu naturel sous forme de masse rocheuse. Le terme de « caillou » n’est donc pas inapproprié. D’autre part, la publicité prend soin de préciser qu’il ne s’agit pas de « n’importe quel caillou », mais de celui qui permet de produire de l’énergie nucléaire. A l’évidence, la majorité du public, et a fortiori les personnes qui constituent la cible de la publicité, qui sont présumés détenir un certain savoir-faire dans ce domaine, ne sauraient se méprendre sur l’existence d’opérations intermédiaires entre l’extraction du minerai et la production du combustible nucléaire connu sous l’appellation de « yellow cake ».

En deuxième lieu, il ressort du texte de la publicité critiquée que celle-ci entend promouvoir le nucléaire en tant que source d’énergie faiblement carbonée. Si la stratégie nationale bas carbone de la France prévoit de réduire la part du nucléaire à 50 % en 2035, contre environ 70 % aujourd’hui, celui-ci continuera d’occuper une place importante dans la lutte contre le changement climatique, en tant qu’alternative indispensable, en l’état des techniques, aux énergies fossiles dont la production et l’utilisation sont d’importantes sources émissions de CO2. La publicité prend soin de préciser à cet égard que le nucléaire est « complémentaire aux énergies renouvelables », reconnaissant ainsi une forme de primauté à ces dernières, notamment à l’énergie éolienne qui est expressément citée comme une source faiblement émettrice de gaz à effet de serre. Aucune disposition de la Recommandation « Développement durable » ne faisait obligation à l’annonceur de mentionner les autres incidences environnementales de la production d’électricité d’origine nucléaire, notamment la problématique, par ailleurs connue du grand public, du stockage et de la gestion des déchets radioactifs, ou celle du dégagement d’autres gaz ou substances. Contrairement à ce qu’indique la plainte, la publicité ne prétend ainsi nullement que l’activité d’Orano serait bénéfique pour l’environnement, mais seulement qu’elle constitue l’un des éléments de la réponse au défi climatique qui se pose au monde.

En troisième lieu, le choix de recourir à une présentation visuelle de type « bande dessinée » ne saurait en soi traduire une volonté de minimiser les incidences environnementales de l’activité de l’annonceur et caractériser un manquement à la Recommandation précitée.

En quatrième et dernier lieu, le Jury estime que la publicité critiquée n’assimile pas directement un produit à l’élément naturel qu’est le caillou, mais rappelle que le combustible nucléaire est produit par Orano à partir de minerais extraits du sol. En outre, pour les raisons déjà indiquées, l’emploi de cet élément naturel n’est pas de nature à induire en erreur le public sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur et, notamment, ne laisse pas accroire qu’il suffirait du « caillou » pour produire l’énergie nucléaire dans une centrale, sans autres procédés techniques ni substances additives.

Par conséquent, le Jury est d’avis que la première publicité ne méconnaît pas les règles déontologiques précitées.

4.2. Sur la seconde publicité

Le Jury constate que cette publicité met en exergue la capacité d’Orano à recycler les sous-produits de la combustion nucléaire afin de produire de nouvelles unités de combustible. Il est ainsi affirmé que « Rien ne se perd, tout se transforme, comme dit l’adage nucléaire », que « Aujourd’hui, nous sommes déjà capables de réutiliser 96 % des matières recyclables d’un combustible qui à la base est complètement usé » et que l’objectif est de faire encore mieux afin de relever les « grands challenges de l’économie circulaire ».

Le Jury observe qu’il est constant que la combustion nucléaire produit, à hauteur de 4 % du volume initial de combustibles usés, des déchets non réutilisés faisant l’objet d’un stockage souterrain sous la supervision de l’ANDRA, et à hauteur de 96 %, des sous-produits considérés comme des matières nucléaires susceptibles d’être réutilisées afin de produire de nouveau du combustible. Sur ces 96 %, 1 % correspond au plutonium effectivement retraité sur le site de Melox de l’entreprise et réutilisé pour produire le combustible dénommé Mox, et 95 %, qualifiés d’« uranium de retraitement » (URT), sont entreposés sur un site dans la Drôme dans l’attente de leur éventuelle valorisation. Ces URT ont fait l’objet d’un recyclage effectif par EDF entre 1994 et 2013. EDF a décidé de relancer récemment une filière de retraitement robuste des URT qui n’est pas encore opérationnelle.

Le Jury constate qu’Orano ne dispose pas, à l’heure actuelle, des moyens techniques de réutiliser les URT, selon les indications qu’elle a elle-même fournies en séance et qui sont confirmées par son site internet (lequel indique que « il ne dispose pas des équipements pour assurer la phase préliminaire de conversion »). De fait, seuls des opérateurs étrangers, en particulier russes, sont en capacité de procéder à ces opérations d’amont nécessaires au recyclage.

A supposer même que l’expression « nous sommes déjà capables… » utilisée par la publicité puisse être regardée comme incluant ces opérateurs étrangers, considérés comme des sous-traitants d’Orano (et non comme de simples acquéreurs d’URT), alors que la publicité a pour objet le recrutement de salariés par Orano et non par des opérateurs tiers, le Jury constate, en tout état de cause, que celle-ci ne permet pas de comprendre que la capacité de réutilisation dont se prévaut l’annonceur est, en l’état, théorique, et ne correspond pas à la proportion des sous-produits effectivement recyclés par ses soins, qui est de 1 % seulement, ainsi que le Jury l’avait relevé dans son avis n° 625/20 du 6 mars 2020. Compte tenu des proportions en jeu, une telle approximation, qui aurait pu être aisément levée en précisant que seul 1 % du combustible usé est effectivement réutilisé à l’heure actuelle, est de nature à induire en erreur le public sur la réalité de l’ampleur du recyclage nucléaire auquel procède l’annonceur. Elle est renforcée par l’allusion à la formule de Lavoisier (« rien ne se perd, tout se transforme »), présentée comme un « adage nucléaire », et par la référence à l’économie circulaire, qui donne le sentiment qu’à l’heure actuelle, l’essentiel des sous-produits de la combustion nucléaire seraient effectivement recyclés. Le Jury relève au surplus qu’il n’est pas contesté que le 1 % de combustible usagé qui est converti en Mox ne l’est qu’une seule fois.

Enfin, la publicité, partant de l’idée que le recyclage des 96 % est déjà acquis, insiste sur le fait que les recrutements qu’elle entend susciter visent à porter cette proportion au-delà. Or il ne ressort pas des observations de l’annonceur qu’il aurait entrepris de façon sérieuse des recherches ou lancé des projets en vue de recycler les sous-produits qui alimentent actuellement le stock de déchets radioactifs (les 4 %), alors surtout que le stock d’URT qui s’est accumulé au fil des ans (à raison d’environ 1000 tonnes par an) apparaît déjà considérable et qu’Orano fait d’une volonté d’EDF de l’exploiter à partir de 2023 seulement. Lors de la séance, l’annonceur a ainsi précisé que les programmes de recherche étaient pilotés par les opérateurs de réacteurs, et elle n’a fait état que de manière très allusive de sa propre « contribution » à ces programmes.

Dans ces conditions, et alors que la sensibilité du sujet appelle une particulière rigueur dans l’expression, le Jury est d’avis que cette seconde publicité présente de façon tendancieuse l’état et les perspectives de l’activité de recyclage des sous-produits de la combustion nucléaire et qu’elle est donc de nature à induire en erreur le public. Elle est, par suite, contraire aux règles déontologiques précitées.

Avis adopté le 1er avril 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, MM. Depincé, Lucas-Boursier et Thomelin.

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