NESPRESSO – Internet – Plainte non fondée – Demande de révision rejetée

Avis publié le 16 septembre 2021
NESPRESSO – 758/21
Plainte non fondée
Demande de révision rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le plaignant et les représentants de la société Nespresso, par visioconférence
  • après en avoir débattu,
  •  l’avis délibéré ayant été adressé à la société Nespresso et au plaignant, lequel a introduit une demande de révision rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 18 mai 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société Nespresso, pour promouvoir son offre de cafés.

La publicité en cause, diffusée sous forme de vidéo diffusée sur Internet, sur le réseau social Linkedin, présente deux images superposées d’une plantation de café. Celle du dessous, sur laquelle est inscrite l’année « 2020 » montre de nombreux arbres, absents de l’image du dessus sur laquelle est inscrit « 2011 ».

Le texte accompagnant ce visuel est « Nespresso Professionnel. Comment fait-on pour vous proposer un café neutre en carbone ? », « Nous avons fait le choix de planter des milliers d’arbres au cœur des fermes de café notamment pour aider les caféiculteurs au quotidien. (…) Tous les cafés Nespresso consommés en France sont ainsi neutres en carbone ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant considère que l’allégation « neutres en carbone » relève du greenwashing.

Cette affirmation est fausse, par nature, comme le rappelle l’ADEME : ce type d’allégation ne trouve aucun fondement scientifique, suggère indûment une absence totale d’impact négatif et influence négativement le consommateur en minimisant l’impact de ces biens ou services sur le climat.

Le plaignant estime que la méthodologie mise en avant par Nespresso relève de l’amateurisme :

  • planter des arbres ne suffit pas à être neutre en carbone
  • le périmètre retenu est trop restrictif : seule la consommation du café est incluse dans le périmètre de la soi-disante neutralité carbone alors que le cycle de vie global d’un café Nespresso inclut l’emballage individuel des capsules, la fabrication de la cafetière et la consommation électrique de l’utilisation de la cafetière.

Cette pratique devrait d’ailleurs être interdite par la loi climat en cours de discussion au Parlement.

Cette affirmation de neutralité carbone semble donc contraire à la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

D’autre part, Nespresso revendique des bienfaits sociaux, par l’allégation « Aider les caféiculteurs au quotidien ». Cette déclaration sous-entend que Nespresso améliore le mode de vie des caféiculteurs. Pourtant, aucune démonstration de cette affirmation n’est faite.  Deux données devraient être publiées pour appuyer ce message :  Nespresso doit démontrer que son activité a nettement et sensiblement aidé les caféiculteurs au quotidien, et ce, depuis le début de son activité et non pas sur une période réduite. De plus, il serait également bienvenu de la part de Nespresso de publier la répartition des bénéfices faits par l’entreprise, comparés à ceux des caféiculteurs, pour appuyer cette affirmation.

La prétendue aide aux caféiculteurs semble également contraire à la même Recommandation.

La société Nespresso a été informée, par courriel avec accusé de réception du 7 juin 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir à titre liminaire que Nespresso mène depuis près de 20 ans et à l’échelle mondiale des actions ambitieuses en faveur d’un café plus durable et prend des mesures concrètes en faveur de l’environnement, à l’instar de la compensation de l’empreinte carbone des tasses de café Nespresso consommées en France. C’est dans ce cadre que s’est inscrit le post LinkedIn mis en cause.

L’annonceur relève en premier lieu que la plainte est irrecevable en ce qu’elle ne respecte pas l’exigence de motivation prévue par le règlement intérieur. Ainsi, la formulation « greenwashing sur la neutralité carbone » n’indique pas « de façon précise en quoi la publicité mise en cause soulève un problème déontologique », conformément aux dispositions de cet article. La généralité et l’imprécision du reproche empêchent d’ailleurs d’apporter des arguments précis en réponse au manquement allégué.

La société soutient en second lieu que le post LinkedIn critiqué respecte l’ensemble des principes déontologiques et en particulier, l’ensemble des principes visés dans la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

S’agissant notamment de la véracité des actions, la Recommandation précise qu’une publicité « ne doit pas induire en erreur le public et exprimer avec justesse la réalité des actions de l’annonceur ». Ces dernières devant être « significatives » et justifiées « au moyen d’éléments objectifs, véridiques, fiables et vérifiables ».

Nespresso a mis en place de nombreuses actions en termes de développement durable depuis près de 20 ans qui sont récapitulées dans le rapport « the positive cup » disponible sur internet et Nespresso publie un état d’avancement sur les actions et KPI chaque année. Elle a co-conçu en 2003 avec l’ONG Rainforest Alliance le Programme Nespresso AAA pour une Qualité Durable (programme qui poursuit des objectifs de qualité, de durabilité et de productivité). Ce programme est la base des relations de long terme avec les caféiculteurs et la traçabilité de la filière d’approvisionnement de Nespresso.

Dans ce cadre, Nespresso France a décidé de compenser l’empreinte carbone de chaque tasse de café Nespresso consommée en France grâce des programmes d’agroforesterie, approche connue sous le nom d’insetting. Pour ce faire, l’empreinte carbone d’une tasse de café Nespresso en France a été évaluée par une étude indépendante, réalisée par le cabinet Quantis spécialisé dans les analyses de cycle de vie. Cette empreinte carbone a servi de base à la société PUR Projet, entreprise à but social fondée par Tristan Lecomte, pour définir qu’il fallait 500 000 arbres pour compenser l’empreinte carbone des tasses Nespresso consommées en France pendant un an. Comme l’indique PUR Projet, plus de 3,5 millions d’arbres ont été plantés entre 2014 et 2020 (le programme continue depuis).

Les programmes d’agroforesterie pour la compensation carbone ont été audités et certifiés selon les standards « Verified Carbon Standard » et « Ecocert reforestation solidaire ». Par ailleurs l’atteinte de la neutralité carbone a été vérifiée par Ecocert selon le standard « Insetting Program Standard ».

L’ensemble des bénéfices de l’agroforesterie sont multiples et ont notamment été présentés par Nespresso France et PUR Projet lors du salon Produrable Paris 2020, les 7 et 8 septembre 2020, organisé en partenariat avec le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, et dont la présentation est désormais rendue accessible sur la plateforme youtube : outre la capacité de séquestrer le CO2 durant leur cycle de vie, ils améliorent la qualité du café grâce à leur ombrage, ils nourrissent les sols grâce au couvert végétal qu’ils procurent, ils aident à lutter contre l’érosion des sols et peuvent diversifier les revenus des caféiculteurs (arbres fruitiers par exemple). Le post LinkedIn, centré sur un seul de ces bénéfices, demeure donc modéré.

S’agissant du vocabulaire utilisé dans le post, il n’induit pas le public en erreur et est employé dans le sens correspondant à sa définition. L’indication selon laquelle les cafés Nespresso consommés en France sont « neutres en carbone » est conforme aux dispositions en vigueur. A cet égard, la « neutralité carbone » fait clairement référence à la situation dans laquelle le bilan des émissions carbone d’un produit est neutre lorsque l’on prend en compte d’un côté les émissions, et de l’autre la séquestration de ces émissions. Tel est exactement ce que Nespresso France a mis en place.

S’agissant enfin de la clarté du message, le post Linkedin présente la pratique de l’agroforesterie mise en œuvre par Nespresso France et plus particulièrement, son partenariat avec PUR Projet. Le message présenté est clair en ce qu’il indique que « depuis 2015, Nespresso France plante plus de 500 000 arbres par an avec l’aide de l’entreprise sociale PUR Projet fondée par Tristan Lecomte ». Il est en outre accompagné d’une vidéo tournée par Brut dans laquelle Tristan Lecomte explique l’intérêt de la plantation des arbres et de l’agroforesterie pour la culture du café. Il est notamment indiqué dans la vidéo que « nous plantons des arbres pour compenser l’empreinte carbone de Nespresso et aussi pour créer les conditions parfaites pour que le café soit de la meilleure qualité grâce à un sol régénéré et un écosystème préservé. Depuis 2014, Nespresso a planté 4,5 millions d’arbres à l’intérieur et autour des fermes de café dont 2,8 millions avec le PUR Projet ».

Toujours dans un souci de clarté et de transparence, le post LinkedIn renvoie directement par un lien hypertexte vers le site internet www.nespresso.com/agit sur lequel un article détaille et explique l’ensemble des actions de Nespresso France de façon claire et pédagogique et est accompagné de données chiffrées précises sur l’action de Nespresso France.

Comme le démontrent les éléments exposés ci-dessus, Nespresso France est particulièrement vigilant à ce que sa communication soit parfaitement en ligne avec des actions réelles, impactantes et documentées.

S’agissant de l’argument fondé sur le projet de loi relatif au climat, actuellement en discussion au Parlement, la société précise que, dans son état actuel, il permettra d’utiliser la formulation « neutre en carbone » lorsque cette formulation s’appuie « sur des certifications fondées sur des normes et standards reconnus au niveau français, européen et international », ce qui est le cas de Nespresso France.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la recevabilité de la plainte

Il résulte de l’article 11 du règlement intérieur du Jury qu’une plainte n’est recevable que si elle est clairement motivée. Dans sa version adoptée par le conseil d’administration de l’ARPP le 9 juin 2021, le 5° de cet article précise la portée de cette exigence. La plainte doit indiquer de façon précise en quoi la publicité mise en cause soulèverait un problème déontologique, sans avoir à invoquer formellement l’une des règles déontologiques applicables.

Le Jury considère que la présente plainte satisfait manifestement à cette exigence de motivation dès lors qu’elle conteste clairement la conformité aux règles déontologiques issues de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, en particulier aux principes de véracité et de proportionnalité, des allégations « neutres en carbone » et « Aider les caféiculteurs », pour des raisons qu’elle explicite.

Cette plainte est donc recevable.

3.2. Sur la conformité de la publicité aux règles déontologiques

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, prévoit que :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :

« 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ; / 2.2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ; / 2.3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (…) »

  • au titre de la proportionnalité ( point 3):

« 3.1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ; / 3.2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. / 3.3. En particulier : (…) / b/ Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impact négatif (…) ».

  • au titre des dispositifs complexes (point 9) :

« Certains dispositifs reconnus peuvent reposer sur des démonstrations très techniques ou sur des montages complexes dans lesquels le bénéfice en matière de développement durable est indirect (ex. dispositifs dits “électricité verte”, “compensation carbone”, “Investissement Socialement Responsable”, etc.).

Lorsque la publicité fait référence à ce type de dispositif :

9.1 Elle doit veiller à ne pas induire le public en erreur sur la portée réelle du mécanisme.

9.2 Si elle utilise des raccourcis simplificateurs à visée pédagogique, elle doit apporter au public les explications nécessaires, aux conditions définies par l’article 4.4 de ce texte.

9.3 L’avantage procuré par les dispositifs de nature à compenser indirectement l’impact négatif d’un produit ou d’une activité ne doit pas être attribué directement au produit ou à l’activité. ».

Le Jury relève que la publicité litigieuse, diffusée sous forme de post sur le réseau social Linkedin, vise à valoriser le programme d’agroforesterie mis en œuvre par Nespresso afin d’atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire la compensation des émissions de CO2 inhérentes à l’activité de production et de distribution de café de l’entreprise par la séquestration d’un niveau équivalent de ce gaz, à travers des dispositifs de type « puits de carbone ».

Le Jury considère, en premier lieu, que l’allégation selon laquelle Nespresso a fait le choix de planter ses arbres dans les fermes de café « notamment pour aider les caféiculteurs au quotidien » se réfère seulement aux bénéfices que présente l’agroforesterie locale pour les producteurs de café, dont la réalité n’est pas contestée par la plainte et qui consistent notamment à protéger les plantations de café (« toit végétal » permettant de limiter les conséquences du changement climatique) et à conserver les écosystèmes existants. Aucune référence n’est faite au caractère équitable des relations commerciales qu’ils entretiennent avec l’annonceur ou des aides financières que ce dernier peut leur consentir. Dans ces conditions, le Jury considère que le public n’est pas induit en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur à l’égard de ces producteurs.

En second lieu, le Jury rappelle qu’il ne lui appartient pas d’anticiper sur d’éventuelles évolutions législatives, en particulier sur une disposition figurant dans le projet de loi de lutte contre le dérèglement climatique tendant à interdire l’allégation « neutre en carbone », sauf exception fondée sur une certification reconnue. En tout état de cause, en vertu de l’article 2 de son règlement intérieur, le Jury n’est pas compétent pour apprécier la conformité des publicités aux dispositions législatives et réglementaires qu’aucune Recommandation de l’ARPP ne reprend ou n’incorpore, fût-ce par renvoi, au corpus déontologique qu’il applique.

En l’état de ce corpus, il observe que la Recommandation « Développement durable » ne proscrit pas l’allégation selon laquelle une entreprise ou un produit serait « neutre en carbone », pourvu que les exigences énumérées aux points 9.1 à 9.3 et les principes de véracité, de proportionnalité et de clarté soient respectés. A ce titre, la publicité ne saurait induire en erreur le public sur les caractéristiques et l’impact des dispositifs de compensation carbone, ni l’inciter à consommer le produit ou le service sans scrupule écologique en raison d’une prétendue innocuité environnementale que permettrait le recours à un tel dispositif. En outre, l’annonceur doit veiller à apporter dans la publicité se prévalant de la mise en place d’un mécanisme de compensation carbone les explications nécessaires à sa bonne compréhension par le public, a fortiori lorsqu’il est allégué que l’entreprise, le produit ou le service serait neutre en carbone, voire présenterait un bilan carbone négatif. Le Jury entend faire preuve à cet égard d’une particulière vigilance, compte tenu de la sensibilité du corps social à cette question, qu’il lui appartient de prendre en compte conformément au point 1 de la même Recommandation, et des difficultés méthodologiques associées à la revendication d’une neutralité carbone par une entreprise, le cas échéant à l’échelle d’un territoire (avis ADEME de mars 2021 sur la neutralité carbone). Pour autant, il estime qu’il n’appartient qu’à l’ARPP, qui adopte les règles déontologiques que le Jury applique, de décider de l’opportunité de proscrire une telle revendication par une entreprise.

En l’occurrence, la neutralité carbone revendiquée par Nespresso France résulte de ce que, depuis 2015, cette entreprise plante plus de 500 000 arbres par an dans le cadre d’un partenariat avec une entreprise sociale dénommée PUR Projet, comme l’indique le post litigieux. Il ressort des explications fournies lors de la séance du Jury que le calcul de l’empreinte carbone a été effectué sur l’ensemble du cycle de vie de la tasse de café Nespresso, de la culture du café à la fin de vie de la capsule. Cette empreinte « à la tasse » est multipliée par les ventes de café en France afin de déterminer le nombre d’arbres à planter en vue de compenser les émissions correspondantes. Le Jury comprend que ce nombre a vocation à être adapté en fonction de l’évolution du chiffre d’affaires issu de la vente de cafés Nespresso dans l’hexagone et, en sens inverse, des efforts consentis pour réduire l’empreinte carbone de l’activité, dans le prolongement de la baisse de 22 % des émissions de CO2 observée entre 2009 et 2020.

Si le plaignant rappelle à juste titre que les programmes de compensation carbone ne suffiront pas à prévenir le dérèglement climatique – ne serait-ce que parce que la capacité totale de séquestration de la planète n’est pas infinie, et tout en ayant conscience que cette approche arithmétique, largement utilisée par les acteurs économiques, n’est pas pleinement satisfaisante, le Jury estime que le post litigieux, explicité par la vidéo qui y est insérée, n’induit pas en erreur le public sur la portée réelle du dispositif mis en place par Nespresso France et lui apporte les explications requises par le principe de clarté du message. En particulier, l’allégation selon laquelle « nos cafés sont neutres en carbone » ne peut être comprise comme une référence à l’absence d’émission de CO2. En outre, la publicité ne comporte pas d’incitation explicite à la consommation de café en raison de son innocuité environnementale.

Enfin, le Jury estime que la séquestration de carbone n’est pas « attribuée directement au produit » par une telle allégation, mais par le programme compensatoire d’agroforesterie mis en place par Nespresso France.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que cette publicité ne méconnaît pas les dispositions précitées de la Recommandation « Développement durable », dans sa rédaction en vigueur.

Avis adopté le 2 juillet 2021 par M. Lallet, Président, Mme Lenain, ainsi que MM. Lucas-Boursier et Thomelin.

Alexandre LALLET

Président du JDP

Pour visualiser la publicité Nespresso, cliquez ici.

Le plaignant, auquel l’avis du JDP a été communiqué le 15 juillet 2021, a adressé, le 20 juillet suivant, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du Règlement intérieur du Jury. Celle-ci a été rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis, laquelle a été communiquée aux parties le 15 septembre 2021.

DECISION DU REVISEUR DE LA DEONTOLOGIE PUBLICITAIRE

Le 18 mai 2021, le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) a été saisi par un particulier (ci-après « le plaignant ») pour qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société Nespresso (ci-après « l’annonceur »).

Par son avis délibéré le 2 juillet 2021, le Jury a estimé « que cette publicité ne méconnaît pas les dispositions de la Recommandation « Développement durable », dans sa rédaction en vigueur ».

Cet avis fait l’objet, de la part du plaignant initial, d’une demande en Révision, introduite dans les délais requis, et fondée notamment sur une « critique sérieuse et légitime de l’avis, relative à l’application ou à l’interprétation d’une règle déontologique, et portant sur le sens de l’avis (fondé ou non) et/ou sur la nature des griefs retenus ou écartés par le Jury ».

Par suite, et conformément au Règlement du JDP, le Réviseur s’est rapproché du Président du Jury et a procédé avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le JDP a fondé son avis.

Le recours en Révision a été transmis à l’annonceur, lequel n’a pas produit d’observations.

Le Réviseur est dès lors en mesure d’apporter les réponses suivantes aux moyens et griefs soutenus à l’appui de la demande en Révision.

A) Cette demande affirme d’abord que les allégations de Nespresso sur la « neutralité carbone » de ses cafés sont trompeuses.

La publicité en cause, diffusée sous forme de vidéo via Internet, sur le réseau social LinkedIn, présente deux images superposées d’une plantation de café ; celle sur laquelle est inscrite l’année « 2020 » montre de nombreux arbres, lesquels sont absents de l’image sur laquelle est inscrit « 2011 ».

Le texte accompagnant ce visuel est « Nespresso Professionnel. Comment fait-on pour vous proposer un café neutre en carbone ? », « Nous avons fait le choix de planter des milliers d’arbres au cœur des fermes de café notamment pour aider les caféiculteurs au quotidien. (…) Tous les cafés Nespresso consommés en France sont ainsi neutres en carbone ».

Sous couvert de critiquer les publicités qui sont en cause dans la présente affaire, le plaignant, à titre principal sinon exclusif, met en cause diverses actions de Nespresso en matière de développement durable – ce qui dépasse largement les compétences et la mission du JDP, strictement cantonnées à la publicité.

1) Si l’on s’en tient au message en litige, on constate que le Jury a fait l’effort de minutieusement analyser, au regard de la déontologie publicitaire en vigueur – qui est le seul critère sur lequel il doit se fonder – les diverses allégations figurant dans le visuel en cause et de les confronter aux critiques figurant dans la plainte initiale.

a) C’est ainsi qu’il a d’abord rappelé « que la Recommandation « Développement durable » ne proscrit pas l’allégation selon laquelle une entreprise ou un produit serait « neutre en carbone », pourvu que les exigences énumérées aux points 9.1 à 9.3 et les principes de véracité, de proportionnalité et de clarté soient respectés.

A ce titre, la publicité ne saurait induire en erreur le public sur les caractéristiques et l’impact des dispositifs de compensation carbone, ni l’inciter à consommer le produit ou le service sans scrupule écologique en raison d’une prétendue innocuité environnementale que permettrait le recours à un tel dispositif. En outre, l’annonceur doit veiller à apporter dans la publicité se prévalant de la mise en place d’un mécanisme de compensation carbone les explications nécessaires à sa bonne compréhension par le public, a fortiori lorsqu’il est allégué que l’entreprise, le produit ou le service serait neutre en carbone, voire présenterait un bilan carbone négatif.

Le Jury entend faire preuve à cet égard d’une particulière vigilance, compte tenu de la sensibilité du corps social à cette question, qu’il lui appartient de prendre en compte conformément au point 1 de la même Recommandation, et des difficultés méthodologiques associées à la revendication d’une neutralité carbone par une entreprise, le cas échéant à l’échelle d’un territoire (avis ADEME de mars 2021 sur la neutralité carbone).

Pour autant, il estime qu’il n’appartient qu’à l’ARPP, qui adopte les règles déontologiques que le Jury applique, de décider de l’opportunité de proscrire une telle revendication par une entreprise. »

A partir de cette position de principe, qui n’est pas formellement contestée, le Jury a ensuite examiné la réalité des actions de l’annonceur en matière de plantation d’arbres telles qu’alléguées dans la publicité ; puis il a approfondi son analyse « sur la portée réelle du dispositif mis en place par Nespresso ».

De ces appréciations fouillées, le Jury a conclu « que le post litigieux, explicité par la vidéo qui y est insérée, n’induit pas en erreur le public sur la portée réelle du dispositif mis en place par Nespresso France et lui apporte les explications requises par le principe de clarté du message. En particulier, l’allégation selon laquelle « nos cafés sont neutres en carbone » ne peut être comprise comme une référence à l’absence d’émission de CO2. En outre, la publicité ne comporte pas d’incitation explicite à la consommation de café en raison de son innocuité environnementale. »

b) Face à ces appréciations précises et argumentées du Jury, la demande de Révision se borne, en s’appuyant sur certaines opinions d’organismes tiers, à contester le principe même de se référer à la « neutralité carbone » – ainsi que le fait l’annonceur dans sa publicité contestée.

Mais comme l’a précisément expliqué le Jury dans son avis en litige, en l’état du « corpus déontologique » sur lequel le JDP doit se fonder, « la Recommandation « Développement durable » ne proscrit pas l’allégation selon laquelle une entreprise ou un produit serait « neutre en carbone », pourvu que les exigences énumérées aux points 9.1 à 9.3 et les principes de véracité, de proportionnalité et de clarté soient respectés ».

Après quoi, le Jury a démontré que dans l’affaire en cause, il n’y a pas manquement aux obligations déontologiques applicables.

Par suite la demande de Révision de l’avis contesté – faute d’établir que le JDP aurait procédé à des appréciations, à des interprétations ou à des constatations manifestement erronées quand il analyse aussi bien la publicité en cause que la déontologie publicitaire applicable à ce litige – ne peut être accueillie.

2) S’agissant de l’argument invoquant le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, il convient de rappeler qu’un avis du JDP, pas plus qu’une demande en Révision, ne peut prendre en compte – comme l’a parfaitement expliqué le Jury dans l’avis contesté –un texte qui, au moment de l’examen de l’affaire, est en discussion devant les autorités constitutionnellement compétentes, sachant qu’en tout état de cause, le JDP ou le Réviseur sont tenus de n’appliquer que les seules dispositions figurant à l’article 2.2 de leur règlement intérieur.

3) Bien que deux autres questions ou griefs figurant dans la demande de Révision sortent totalement du champ de cette procédure, le Réviseur entend néanmoins y apporter les réponses suivantes.

a) sachant – comme l’a indiqué le Jury dans l’avis en cause – « qu’il n’appartient qu’à l’ARPP, qui adopte les règles déontologiques que le Jury applique, de décider de l’opportunité de proscrire une telle revendication par une entreprise », le plaignant peut tout à fait, comme il en exprime l’intention, saisir l’ARPP d’une demande en ce sens.

En revanche, le Réviseur, pour des raisons tenant à son indépendance vis à vis de l’ARPP, ne peut indiquer si « une telle décision est en cours d’instruction » au sein de cette autorité.

b) le plaignant, dans sa demande de Révision, fait valoir, « pour information », la circonstance suivante : « j’ai constaté que mon anonymat n’a pas été rigoureusement préservé (à titre d’exemple, hier : l’un des représentants de Nespresso a consulté mon profil LinkedIn…). Peut-être faudrait-il prévoir un dispositif plus sécurisant pour l’anonymat. »

Le Réviseur confirme que l’anonymat est l’une des obligations qui régit les procédures devant le Jury ou le Réviseur. Ainsi l’article 12-1° du règlement intérieur applicable à ces deux instances prévoit-il notamment que « dans le cas où la plainte émane d’un particulier, l’identité de celui-ci ne sera pas divulguée aux responsables de la publicité. »

Mais il apparaît, en tout état de cause, que la question d’anonymat soulevée dans la présente demande en Révision – « pour information » (comme mentionné dans cette demande) – est sans influence sur la solution à apporter au fond du litige dont le Réviseur est saisi.

Pour autant, ce dernier, à toutes fins utiles, transmettra, au Jury et aux services qui sont rattachés au JDP, les remarques formulées par le plaignant.

4) Des analyses qui précèdent il résulte que :

  • la demande de Révision du plaignant est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury;
  • l’Avis litigieux n’est entaché d’aucune critique sérieuse et légitime (au sens de l’Article 21.1 du Règlement).

Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à une seconde délibération de l’affaire en cause ni de réformer l’Avis contesté (sauf pour y mentionner la demande de Révision comme indiqué ci-dessus).

Dès lors et pour conclure, l’Avis en cause (mentionnant en outre le recours en Révision et la présente réponse) deviendra définitif et il sera publié – accompagné du présent courrier, lequel constitue la réponse du Réviseur de la Déontologie Publicitaire à la demande du plaignant.

Alain GRANGE-CABANE

Maître des Requêtes au Conseil d’État (H.)

Réviseur de la Déontologie Publicitaire