Avis JDP n° 571/19 – IMPRIMEUR – Plainte fondée

Avis publié le 20 mai 2019
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 26 février 2019, d’une plainte émanant de l’association Two Sides France, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de deux vidéos publicitaires diffusées sur le site Internet de d’une société d’imprimerie, en faveur de la société annonceur pour promouvoir son produit « Feuille de Pierre ». Ces deux vidéos présentent :

– pour la première, plusieurs planches de textes et dessins, ainsi que deux photographies montrant une forêt et un plan d’eau, accompagnées des textes suivants : « X. Papier 0% bois. Papier 0% eau. Papier 0% produit chimique. Waterproof. Moins de CO2. Papier doux ne coupe pas. Papier résistant », « X 1er site d’impression 100% Feuille de Pierre », « Saviez-vous que pour fabriquer 1 tonne de papier traditionnel, 20 arbres doivent être coupés, 59000 litres d’eau doivent être utilisés », « Feuille de Pierre est constituée à 80% de poudre de Pierre », « Sa fabrication ne nécessite ni bois ni eau » ;

– pour la seconde, plusieurs planches de textes et dessins, ainsi qu’un petit film montrant une machine plastifiant un document, assortis des textes suivants : « X. Papier 0% bois. Papier 0% eau. Papier 0% produit chimique. Waterproof. Moins de CO2. Papier doux ne coupe pas. Papier résistant », « X 1er site d’impression 100% Feuille de Pierre », « Bonne nouvelle plus besoin de plastifier vos documents pour les rendre waterproof », « Affiches, enveloppes, plans, vos documents seront étanches et durables », « Feuille de Pierre est naturellement waterproof. Waterproof. Résistant ».

2. Les arguments échangés

– L’association TwoSides France indique que ces communications commerciales contreviennent aux règles de déontologie de la publicité.

Elle souligne que la première vidéo réalise une comparaison sur l’origine des matières premières entre le papier de pierre et le papier de cellulose, revendiquant sous une forme laissant penser à un label une composition « 0% bois », et l’évitement d’arbres abattus. Le rapport entre le texte et l’image laisse entendre que la forêt serait ainsi préservée. Or, les arguments mis en avant sont faux ou abusifs. Elle indique ainsi qu’aucune source n’est donnée à l’appui du chiffre mentionné de « 20 arbres coupés ». Cette équivalence théorique est en outre présentée avec, à l’appui, un visuel de forêt européenne, suggérant par ce rapprochement texte/image que la production de papier contribuerait à la destruction de la forêt. Or, cet argument écologique comparatif est faux pour trois raisons :

– à défaut de source et selon le type d’arbre, chacun peut en effet réaliser à sa convenance un calcul d’équivalence théorique allant de moins d’un à plusieurs dizaines d’arbres ;

– le rapprochement avec la destruction de la forêt est trompeur car en réalité la surface des forêts françaises et européennes augmente ;

– cette équivalence théorique sous-entend que des arbres sont spécifiquement coupés pour faire du papier, ce qui ne correspond pas à la réalité de l’industrie papetière en France et en Europe. Le bois utilisé pour la production de papier de cellulose est issu de la récupération de chutes de bois de scieries (où il est d’abord utilisé pour la construction, considérée par ailleurs comme une pratique vertueuse pour la transition écologique) et de coupes d’entretien nécessaires à la bonne gestion de la forêt.

L’association plaignante indique ensuite que la deuxième vidéo met en avant une caractéristique d’étanchéité du produit, alléguant que le produit est « naturellement » waterproof, qu’il n’y aurait ainsi plus besoin de plastifier du papier conventionnel, et que ce papier serait par conséquent « durable ». L’association estime que ces termes « naturellement » et « durables » sont ambigus, alors que la propriété d’étanchéité alléguée pour la « Feuille de pierre » repose sur la présence de 20 % de plastique dans sa composition – étant rappelé que le carbonate de calcium est le minéral composant le calcaire ou la craie, pierres poreuses qui absorbent l’eau en conditions atmosphériques normales. Le carbonate de calcium n’est donc pas étanche à l’état naturel, et nécessite l’ajout d’un plastique de synthèse qui donne aussi sa structure à la feuille, que la seule poudre de pierre ne peut assurer. La plaignante estime en outre que l’argument de la plastification évitée est contestable, dans la mesure où la présence d’une proportion significative de 20% de plastique dans le « papier pierre » est de nature à réduire, voire annuler le bénéfice allégué de la plastification évitée, sans que le consommateur n’en soit informé.

Enfin elle souligne que l’entreprise en cause met en avant une certification cradle-to-cradle, dont les exigences ne respectent pas les exigences de la norme ISO 14021. De fait, il n’existe pas de filière de collecte et recyclage pour ce produit en France. Au contraire, à défaut de marquage adéquat, le consommateur peut être amené à trier ce papier avec le papier conventionnel, dont le recyclage sera perturbé par la présence d’un produit à base de plastique et de poudre de pierre, inadapté aux procédés de recyclage papetier.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 14 mars 2019, puis par courriel du 20 mars 2019, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

Elle n’a pas présenté d’observations.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle qu’il résulte des dispositions de la Recommandation « Développement durable » de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) que :

« 1.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable.

1.4. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité.

2.1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs dont il dispose.

3.6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée.

4.4. En matière d’arguments écologiques : / (…) b) Une allégation selon laquelle un produit ne contient pas un ingrédient ou un composant spécifique (formulation de type « sans ») ne doit être utilisée qu’en adéquation avec les règles des autorités compétentes définissant les plafonds ou, à défaut, dans les conditions énoncées par la norme ISO 14021.

6.1. Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.

7.1. Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable. »

Le Jury relève, en premier lieu, que les deux vidéos publicitaires en cause, diffusées sur le site Internet de l’annonceur, pour promouvoir son produit « Feuille de Pierre », présentent :

– pour la première, plusieurs planches de textes et dessins, ainsi que deux photographies montrant une forêt et un plan d’eau, accompagnées des textes suivants : « X. Papier 0% bois. Papier 0% eau. Papier 0% produit chimique. Waterproof. Moins de CO2. Papier doux ne coupe pas. Papier résistant », « X 1er site d’impression 100% Feuille de Pierre », « Saviez-vous que pour fabriquer 1 tonne de papier traditionnel, 20 arbres doivent être coupés, 59000 litres d’eau doivent être utilisés », « Feuille de Pierre est constituée à 80% de poudre de Pierre », « Sa fabrication ne nécessite ni bois ni eau » ;

– pour la seconde, plusieurs planches de textes et dessins, ainsi qu’un petit film montrant une machine plastifiant un document, assortis des textes suivants : « X. Papier 0% bois. Papier 0% eau. Papier 0% produit chimique. Waterproof. Moins de CO2. Papier doux ne coupe pas. Papier résistant », « X 1er site d’impression 100% Feuille de Pierre », « Bonne nouvelle plus besoin de plastifier vos documents pour les rendre waterproof », « Affiches, enveloppes, plans, vos documents seront étanches et durables », « Feuille de Pierre est naturellement waterproof. Waterproof. Résistant ».

Le Jury relève, en premier lieu, que, dans les deux publicités, l’allégation « 0% produit chimique » n’est pas explicitée et se trouve contredite par les indications figurant sur le site internet de l’entreprise, expliquant que le produit est composé à 80% de carbonate de calcium et d’une « résine PE non toxique », « PE » désignant le polyéthylène, qui est une matière plastique.

En deuxième lieu, les allégations concernant les émissions de CO2, qui comparent la production d’une tonne de papier bois et d’une tonne de « Feuille de Pierre », et concluent à une production de « moins de CO2 » dans le cas du « papier pierre », ne sont étayées par aucun élément justificatif, objectif et vérifiable, et n’indiquent pas la base de comparaison utilisée.

Dans ces conditions, le Jury estime que ces allégations, présentes dans les deux vidéos en cause, méconnaissent les points 1.4, 2.1, 3.6 et 4.4 précités de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, dès lors qu’elles n’expriment pas avec justesse les propriétés du produit promu en fonction d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables permettant de les justifier.

En outre, l’information selon laquelle « pour fabriquer 1 tonne de papier traditionnel, 20 arbres doivent être coupés » laisse entendre que la production de papier de cellulose impose la coupe d’arbres, sans justifier son propos ni prendre en considération la récupération de chutes de bois de scieries ou l’entretien nécessaire à la bonne gestion de la forêt.

Enfin, la formule « Feuille de Pierre est naturellement waterproof » figurant dans la seconde vidéo ne rend pas compte de ce que la création d’une feuille en carbonate de calcium, matériau qui n’est pas étanche à l’état naturel, nécessite l’ajout d’un plastique de synthèse qui, certes, rend la feuille de pierre waterproof, mais au terme d’un processus qui ne peut être qualifié de « naturel ».

Ces allégations sur les arbres coupés et les qualités « naturelles » du produit, ainsi que les expressions employées, telles que « 0% de produit chimique », sont de nature à induire le public en erreur sur les impacts réels sur l’environnement du processus de création de la feuille de pierre, ainsi que sur la nature de ses propriétés, contrevenant ainsi aux points 1.1, 6.1 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, et aux articles 3 et 5 relatifs à la loyauté et à la véracité en publicité du Code ICC.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les points précités de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP et du Code ICC.

Avis adopté le 12 avril 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.