LES SURVIVANTS

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Plaintes fondées

Avis publié le 31 juillet 2023
LES SURVIVANTS – 946/23
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et conviées à participer à la séance,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 25 et 26 mai 2023, de trois plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un autocollant publicitaire apposé sur des vélos (Vélib’) proposés en libre-service à Paris.

Le document en cause montre plusieurs illustrations du développement d’un enfant : un embryon, un fœtus dans le ventre de sa mère, un nourrisson se déplaçant à quatre pattes et un enfant faisant du vélo.

Le texte accompagnant cette illustration, inscrit en différentes couleurs, est : « Et si vous l’aviez laissé vivre ? », suivi du logo et de l’adresse du site Internet du collectif « Les Survivants.com ».

2. Les arguments échangés

Les plaignants énoncent que cette publicité affiche clairement un message anti-avortement qui suggère que l’IVG consiste à tuer un adulte en devenir. Elle vise à influencer l’opinion publique sur l’IVG, et donc met en danger sur le long terme ce droit.

Par ailleurs, l’organisation lessurvivants.com défend clairement l’idée selon laquelle l’avortement est un meurtre dont les êtres humains vivants sont tous des survivants. C’est oppressant pour les femmes utilisatrices de Vélib’, culpabilisant et insultant.

L’un des plaignants souligne que l’autocollant est trompeur car il reprend les codes d’un affichage institutionnel, ceux de la Mairie de Paris, ce qui est illégal.

Le collectif Les Survivants, ainsi que la société Smovengo, le Syndicat Autolib Velib Métropole (SAVM) et la Mairie de Paris ont été informés, par courriel avec avis de réception du 7 juin 2023, des plaintes dont copies leur ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Le Collectif Les Survivants n’a pas présenté d’observations.

La société Smovengo fait valoir que lors des deux opérations organisées de nuit les 25 mai et 15 juin 2023, le groupe « Les Survivants » a, à son insu et illégalement, collé des milliers d’autocollants porteurs d’un message anti-avortement sur les garde-boues des vélos exploités à Paris. Cet autocollant et les messages associés reprennent l’identité visuelle du service Vélib’.

La société Smovengo, titulaire du marché public Vélib’ et propriétaire à ce titre des vélos n’a en aucun cas autorisé ni même été informée de cette campagne de « publicité sauvage ».

Ces actions délictueuses, revendiquées par le groupe « Les Survivants » causent à la société Smovengo un préjudice matériel (dégradation des vélos qu’elle exploite) et moral (atteinte à son image et sa réputation) importants.

La société Smovengo a, après chaque opération de collage sauvage, déposé une plainte entre les mains de la police et du procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris des chefs notamment de dégradations et détériorations de biens appartenant à autrui, afin d’obtenir l’indemnisation de ses dommages et mobiliser les autorités pour endiguer, autant que faire se peut, d’éventuelles actions futures de même nature.

La société Smovengo a également mobilisé, dès le 25 mai 2023, d’importants moyens destinés à nettoyer les vélos touchés par la campagne illicite du groupe « Les survivants ».

Malgré les contraintes inhérentes à un service en libre-service, la société Smovengo poursuit quotidiennement ses meilleurs efforts afin d’identifier, immobiliser et nettoyer les vélos sur lesquels l’autocollant est encore visible.

La société Smovengo, victime des agissements dénoncés par les plaintes reçues par le JDP, décline toute responsabilité dans les actions sauvages d’apposition de ces autocollants de propagande sur les Vélib’ et récuse tout lien direct, indirect et plus généralement de quelque nature que ce soit, avec les auteurs desdits agissements.

  • Le Syndicat mixte Autolib’ Velib’ Métropole (SAVM) fait valoir qu’il a pour objet l’étude, la réalisation et l’exploitation d’un service public de vélos en libre-service, communément désignés par le terme « Velib’ ». Pour ce faire, il bénéficie d’une licence concédée par la Ville de Paris pour l’exploitation des marques Velib’ (marque française n°07 3 482 225 et marque de l’Union européenne n°010015485) dont la Ville de Paris est titulaire. La licence porte, en complément, sur la fourniture de services de publicité et de communication à des tiers annonceurs.
  • Par ailleurs, le SAVM a confié à la Société Smovengo, par le biais d’un marché public, la conception, la fabrication, la pose, la mise en service, l’entretien, la maintenance et la gestion de ce dispositif de vélos en libre-service.

Dans la nuit du 24 au 25 mai 2023, en premier lieu, puis, à nouveau, dans la nuit du 14 au 15 juin 2023, des autocollants porteurs d’un message anti-IVG reprenant les codes graphiques d’exploitation des marques Velib’, ont été apposés sauvagement – sans autorisation préalable ni du SAVM, ni de la Ville de Paris, ni de la Société Smovengo – sur les garde-boues d’un nombre important de vélos du parc. Ces autocollants ont donc été délibérément placés aux côtés des marques Velib’ explicitement apparentes sur ces vélos en libre-service.

Aussi, ces campagnes sauvages avaient pour but de laisser croire aux usagers, et, plus largement au public, de manière trompeuse, à une communication institutionnelle. Ces campagnes de communication sauvage ont été immédiatement revendiquées par un « groupe » nommé « Les Survivants » qui a directement reproduit sur ces autocollants l’adresse internet de leur site : « Lessurvivants.com ».

De plus, ce « groupe » a accompagné cette action d’un « communiqué de presse » par la voix d’Émile Duport et d’une diffusion massive sur différents réseaux sociaux (dont Facebook et Instagram) de ces opérations.

Dans cette situation, le Syndicat, tout comme la Ville de Paris et la Société Smovengo, ont immédiatement réagi afin de faire cesser cette campagne sauvage clivante et associée de façon totalement illégale à la marque Velib’. Dans ce cadre, ils ont multiplié les démarches pour faire cesser et supprimer non seulement ces autocollants sur les vélos mais également l’accès à l’ensemble des contenus mis en ligne concernant ces campagnes de communication.

En outre, cette action a été immédiatement et fermement condamnée par le SAVM. A ce titre, dès constat de cette action visant à usurper l’image de la marque Velib’, le SAVM a communiqué auprès de l’ensemble de ses abonnés au service Velib’ afin de les informer de son absence de responsabilité dans cette campagne.

Ainsi, le SAVM a fermement condamné cette action, notamment sur son site internet et a également diffusé des messages en ce sens sur les réseaux sociaux. Ainsi, il a clairement été indiqué que « cette campagne d’affichage sauvage sur les garde-boues des Velib’ n’a pas été autorisée » et qu’elle constitue des « dégradations inadmissibles et un message incompatible avec les valeurs Velib’ ».

De plus, aucune publicité n’est autorisée sur les garde-boues de ces vélos en libre-service dans le cadre du marché conclu entre le SAVM et la Société Smovengo. Dès lors, aucun message publicitaire et a fortiori cet autocollant ne peut figurer sur les vélos directement ! En conséquence, avec l’apposition de ces autocollants, les vélos en libre-service ne sont pas conformes aux prescriptions du marché. Aussi, cette campagne sauvage oblige la Société Smovengo à une remise en état, sans délais, sous risque de pénalités contractuelles, au retrait de ces autocollants.

Dès lors, nécessairement, cette campagne de communication a été réalisée en toute illégalité par « le groupe » « Les Survivants ». Elle est, en outre, à l’origine d’un préjudice important pour les différents intervenants dans le cadre de la marque et du service Velib’.

Dans ce contexte, le SAVM et la Société Smovengo ont conjointement fait établir des constats d’huissier non seulement des autocollants apposés sur les vélos mais également du contenu mis en ligne par le groupe « Les Survivants ».

En parallèle, dès le 26 mai 2023, le Syndicat a notamment tenté d’obtenir via plusieurs actions contentieuses, la suppression par tous moyens de tous les contenus sur le site internet accessible à l’adresse mentionnée sur les autocollants, ainsi que sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram, estimant qu’ils portaient atteinte à la marque Velib’ et au service public. 7.

En outre, le SAVM a tenté d’obtenir, et en parallèle, par le biais de la voie amiable via mises en demeure, la suppression des contenus susmentionnés sous 72 heures.

De la même façon, le SAVM a également sollicité le retrait des contenus présents sur les réseaux sociaux auprès du Groupe Meta détenant Facebook et Instagram, hébergeurs des contenus sur ces sites.

Les mises en demeure adressées au site « Les Survivants » sont restées sans réponse et celle adressée via les formulaires disponibles en ligne du Groupe Meta a essuyé un refus.

Par ailleurs, outre ces démarches entreprises pour obtenir le retrait de ces contenus, en parallèle de la plainte déposée par la Société Smovengo, le Syndicat a également entrepris des démarches sur le plan pénal. Ainsi, à ce jour, le Syndicat a effectué notamment un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.

En conséquence, le Syndicat Mixte Autolib’ Velib’, n’est en aucun responsable de cette campagne de communication sauvage clivante qui est préjudiciable tant pour l’image de la marque Velib’ que pour le service public dont elle est responsable et souhaite que toute trace ou diffusion de ces messages soit effacée dans les meilleurs délais.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la compétence du Jury

Le Jury rappelle que, selon le point 2.1. de son règlement intérieur, il lui appartient de se prononcer sur le respect des règles déontologiques par tout « message publicitaire », commercial ou non commercial, à l’exclusion de la propagande électorale et des documents de nature politique ou syndicale.

Constitue un message publicitaire tout contenu porté à la connaissance du public par une personne publique ou privée ou pour son compte, et qui a pour objet principal d’assurer la promotion d’une marque que celle-ci exploite, d’un produit ou d’un service qu’elle propose, de cette personne elle-même, notamment son image de marque auprès du public, ou d’une personne qui lui est liée, ou encore d’une action qu’elle mène ou d’une cause qu’elle défend. Le caractère promotionnel de l’objet de la communication s’apprécie sur la base d’un faisceau d’indices incluant principalement son contenu propre, en particulier le caractère éventuellement valorisant, laudatif, incitatif, emphatique, percutant et/ou ramassé du message, la mise en scène ou la mise en forme et les éléments visuels utilisés, qui peuvent contribuer à conférer à la communication une forme publicitaire, ainsi que les modalités et le contexte de sa diffusion. Le message publicitaire peut présenter un caractère commercial et constituer, le cas échéant, une « communication commerciale » au sens du préambule du code de communications « ICC Publicité et marketing » de la Chambre de commerce internationale, ou ne revêtir aucun caractère commercial.

Le Jury constate que la communication visée par les plaintes se présente sous la forme d’un autocollant, apposé sur de très nombreux vélos en libre service « Vélib ». Cet autocollant utilise les codes visuels traditionnellement associés à ce service, en particulier les couleurs des lettres composant le message « Et si vous l’aviez laissé vivre ? », et le dessin enfantin qui représente un embryon évoluant en fœtus, puis un bébé et, enfin, un enfant roulant à vélo. Au bas figure un logo en forme de « S » et un site « Lessurvivants.com ».

Il ressort des observations présentées au Jury que cette communication n’émane ni d’une personne publique, ni de la société Smovengo qui exploite le service « Vélib’ », mais d’un groupement de fait baptisé « Les survivants », et qu’il vise à critiquer le recours à l’avortement. Il s’agit ainsi d’un message de promotion de la cause que ce groupement s’est donné pour objet de défendre, et qu’il a diffusé massivement dans l’espace public. Le Jury estime ainsi que ce message revêt un caractère publicitaire. En outre, s’il entend soulever un débat de société qui peut revêtir un caractère politique, il ne s’agit pas d’un « document à caractère politique » au sens du point 2.1. du règlement intérieur, dans la mesure où il n’émane pas d’un parti politique, d’une personnalité politique dans l’exercice de son mandat ou de son activité politique ou d’une collectivité publique intervenant dans un débat politique, et ne présente pas un caractère électoral.

Par ailleurs, le Jury relève qu’aucune disposition de son règlement intérieur ne subordonne sa compétence au caractère licite ou non de la diffusion d’une publicité et, en particulier, ne l’exclut en présence d’un éventuel « affichage sauvage ». Au contraire, il résulte des termes mêmes de ce règlement qu’il ne lui appartient en aucun cas de porter une appréciation sur les conditions de diffusion des publicités, ce qui couvre notamment la légalité même de la diffusion, notamment au regard des règles du droit pénal.

Il en résulte que le Jury est compétent pour se prononcer sur les plaintes. Son avis ne porte que sur la conformité du contenu de l’autocollant aux règles déontologiques mentionnées à l’article 2 de son règlement intérieur et invoquées dans les plaintes.

3.2. Sur le respect des règles déontologiques

Le Jury rappelle, en premier lieu, qu’il résulte du principe général de la déontologie publicitaire repris aux articles 7 et 8 du code « Publicité et Marketing » de la Chambre de commerce internationale (dit code ICC), et de la Recommandation « Identification de la publicité et des communications commerciales » que :

  • la publicité doit pouvoir être clairement identifiée comme telle, et ce quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente et quel que soit le support de communication utilisé ;
  • et que tout annonceur, émetteur d’une campagne de communication publicitaire, doit être aisément identifiable, son identité devant être « transparente ».

Selon ce même code ICC :

« Article 1 – Principes élémentaires

Toute communication commerciale doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique. Toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle et doit être conforme aux principes de la concurrence loyale telle qu’ils sont généralement admis dans les relations commerciales. Aucune communication ne doit être de nature à dégrader la confiance que le public doit pouvoir porter au marketing. »

« Article 2 – Responsabilité sociale

Les communications commerciales doivent respecter la dignité humaine et ne doivent pas inciter ou cautionner aucune forme de discrimination, notamment fondée sur l’origine ethnique ou nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle. / La communication commerciale, sauf raison justifiable, doit proscrire toute exploitation des sentiments de peur, de malchance ou de souffrance. / La communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux. (…) ».

« Article 3 – Décence

La communication commerciale doit proscrire toute déclaration ou tout traitement audio ou visuel contraire aux convenances selon les normes actuellement admises dans le pays et la culture concernés ».

 « Article 5 – Véracité

La communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse.
La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur (…). »

En premier lieu, le Jury estime qu’il résulte des principes énoncés précédemment qu’une publicité ne doit pas entretenir de confusion avec des communications émanant d’autres personnes que l’annonceur. A cet égard, le détournement de codes visuels, de personnages, de messages, de slogans, de signes distinctifs ou d’autres éléments habituellement associés à une personne (notamment une entreprise) dans l’esprit d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, doit être immédiatement perceptible pour ce dernier, notamment en raison du registre humoristique utilisé ou de l’insertion d’autres éléments qui permettent de comprendre que la communication n’émane pas de cet annonceur, et être manié avec précaution.

En l’espèce, le message en cause entretient délibérément une confusion avec les communications relatives au Vélib’, donnant à penser aux utilisateurs ou aux passants qu’il émane de l’exploitant de ce service et qu’il constitue un message à caractère informatif ou institutionnel. Il apparaît ainsi manifeste que l’objectif a été de faire croire que l’autocollant avait été apposé par la société Smovengo elle-même. Le logo et le site « Lessurvivants.com », qui figurent en petits caractères au bas de l’autocollant, ne permettent pas de lever cette confusion, d’autant plus regrettable que le message véhiculé est totalement contraire aux valeurs de la société telles qu’elle les expose dans ses observations. Une telle présentation est contraire aux exigences d’identification de la publicité et de l’annonceur mentionnées ci-dessus.

En second lieu, le Jury estime que, si la loi garantit aux femmes le droit d’interrompre leur grossesse dans les conditions définies par le code de la santé publique, aucune règle déontologique, ni même d’ailleurs légale, n’interdit par principe à une personne, au titre de la liberté d’expression, de revendiquer son opposition à la pratique de l’avortement. La très grande sensibilité de ce sujet et l’attachement d’une large majorité de l’opinion publique à l’autorisation de l’IVG appellent toutefois la plus grande vigilance dans l’expression publicitaire d’une telle position.

En l’espèce, le Jury constate que l’autocollant litigieux comporte un texte sous la forme interrogative qui vise à interpeller le public sur le fait que, si la grossesse n’avait pas été volontairement interrompue, la femme enceinte aurait pu donner naissance à un bébé devenant ensuite un enfant heureux de faire du vélo (notamment du Vélib’). L’expression « laisser vivre » se comprend comme le fait de ne pas mettre fin à l’existence de l’embryon ou du fœtus et de permettre la naissance et la vie d’un enfant. Le Jury, qui n’entend en aucune manière prendre parti dans ce débat de société, estime qu’un tel message, qui ne revêt pas un caractère indécent et n’encourage pas à des comportements illicites ou « antisociaux » au sens du code ICC, n’est pas contraire aux règles déontologiques précédemment mentionnées.

En conséquence de ce qui précède, le Jury, qui rappelle de nouveau qu’il n’a pas compétence pour porter une appréciation sur le procédé de diffusion utilisé par le groupement « Les survivants », est d’avis que la plainte est fondée au regard de l’article 7 du code ICC et de la Recommandation « Identification de la publicité et des communications commerciales ».

Avis adopté le 5 juillet 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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