Avis JDP n°468/17 – MATERIAUX DE CONSTRUCTION – Plainte fondée

Avis publié le 21 août 2017
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,

et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 8 mai 2017, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur d’une société proposant des matériaux de construction, diffusée en presse.

Cette publicité présente, en gros plan, sur la partie gauche de la publicité, les fesses d’une femme portant un jean, le dos nu. Dans les poches arrière de son pantalon, sont insérés plusieurs outils de bricolage.

Sur la partie droite de la publicité est inscrite la formule : « Du super matos… » et, en dessous de cet ensemble, figure la signature : « X – Construire, rénover, aménager ».

2. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette publicité constitue une représentation de la femme objet et ne respecte pas, à ce titre, l’intégrité de la personne.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 9 juin 2017, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

Le représentant de la société expose que cette publicité, réalisée afin de promouvoir la vente de matériaux de construction, notamment pour les aménagements d’intérieur et d’extérieur, est conforme aux dispositions déontologiques et qu’elle procède de la volonté d’apporter une touche de modernité aux produits vendus par le recours, comme c’est souvent le cas en publicité, à des visuels mettant en scène des personnes ou des jeux de mots pour capter l’audience, tout en conservant un humour décalé évitant toute interprétation négative.

La société rappelle que l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen énonce que : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi » et que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ; L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la Loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (…) ». Elle rappelle aussi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a précisé que « la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas de société démocratique » (CEDH Handyside c Royame-Uni, 7 décembre 1976, n°5493/72).

La société annonceur expose que le fait que la jeune femme se tienne debout et que les poches arrière de son jean soient remplies d’outils de bricolage n’est absolument pas suggestif ou même tendancieux et ne renvoie pas à une représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine.

Elle fait observer que seule une infime partie du corps de la jeune femme est représentée dans cette publicité, ce qui, ne permet pas de prétendre à ce que le haut de son corps soit entièrement dénudé. Sa posture se justifie par la volonté de mettre en avant le produit vendu, à savoir la vente de matériaux de construction, notamment pour les aménagements d’intérieur et d’extérieur. Il est, selon elle, coutumier dans le milieu de la construction de porter un jean bleu et de placer ses outils dans les poches arrière ou alors de les disposer dans une ceinture qui se trouve généralement portée au niveau du bassin.

La société renvoie à une autre affaire dans laquelle le Jury a considéré que la plainte n’était pas fondée, alors que la publicité montrait une femme en maillot de bain, plongée à mi-corps dans un véhicule automobile par une vitre ouverte, et qui faisait apparaître tout le bas du corps de la jeune femme tandis que le produit concerné était beaucoup moins apparent que dans sa propre publicité.

Elle fait aussi un rapprochement avec un autre avis du 6 mars 2017 rejetant une plainte contre une publicité pour une soirée consacrée au « twerk », danse caractérisée par son caractère érotique, le Jury n’ayant pas considéré la publicité en cause comme indécente ou comme portant atteinte à l’image des femmes alors qu’elle présentait un homme embrassant les fesses d’une femme et que son slogan était « So Watts – Last chance to kiss a bad butt ».

Elle en déduit que la posture représentée dans sa publicité ne peut être considérée comme portant atteinte à la dignité de la personne humaine en ce qu’elle est loin d’être provocatrice ou dégradante, comme peut l’être à l’inverse, dans l’esprit du public, l’image de la femme associée au « twerk ».

Elle expose que de plus, son slogan « du super matos » fait simplement référence de manière familière aux instruments de bricolage qu’elle entend vendre au travers de cette publicité.

Selon l’annonceur, cette publicité est donc le reflet de la liberté créative et artistique de son créateur. Elle ne peut être considérée comme portant atteinte à la dignité de la personne humaine et plus particulièrement à celle des femmes, car la jeune femme photographiée n’est absolument pas représentée de manière dégradante ou humiliante, d’autant plus que son visage n’est pas apparent sur la publicité.

Sur le grief qui lui est fait de présenter la femme comme argument de vente d’un produit, ce qui constituerait une instrumentalisation des femmes ainsi réduites à la fonction d’objet, la société expose que le Jury de Déontologie Publicitaire n’est pas censé ignorer que le recours à la nudité, aussi bien des hommes que des femmes, est très fréquent dans le domaine de la publicité, que cet usage présente ou non un lien direct avec l’objet de la publicité et du produit ou service vendu. Selon elle, la posture et le fait que le modèle se tienne debout et de dos, ne traduit pas une quelconque image sexuelle.

Enfin et de manière générale, elle oppose que le recours à la nudité n’est pas considéré en jurisprudence comme étant indécent ou portant atteinte à la dignité de la personne humaine. Elle indique à ce titre que la Cour de cassation a décidé qu’un homme photographié de dos, torse nu, vêtu seulement d’un pantalon abaissé à mi- hanche et d’une femme, enlacés, n’était pas révélateur d’une position équivoque ou suggestive, c’est-à-dire semblant impliquer un plaisir charnel (Cass. Civ, 14 novembre 2006, n° 05-15822). Or, sa publicité met en scène une jeune femme vêtue pratiquement de la même manière que l’homme visé par la publicité décrite dans cet arrêt.

Le Jury ne peut donc, selon la société annonceur, considérer que la publicité litigieuse traduirait une utilisation de l’image des femmes comme argument de vente d’un produit, constituant ainsi une instrumentalisation des femmes réduites à la fonction d’objet sexuel portant atteinte à leur dignité.

– La société de presse qui a diffusé la publicité, explique que la maquette de cette campagne lui a été transmise directement par l’agence qui travaille avec l’annonceur. La campagne a été réalisée avec deux visuels sur le même thème : l’un avec un homme, l’autre avec une femme.

Elle indique avoir demandé à l’annonceur de modifier ses documents pour les prochaines parutions et fait remarquer que cette campagne a été déclinée sur d’autres supports.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

À titre liminaire, le Jury rappelle qu’il n’est pas une juridiction et que la mission qui lui a été confiée par les représentants des professions de la publicité réunies au sein de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (l’ARPP) est de donner son avis sur le respect, dans les publicités diffusées depuis moins de deux mois, des recommandations déontologiques inspirées de celles de la Chambre de commerce international, que ces professions se donnent à elles-mêmes et s’engagent à respecter. Ces recommandations peuvent être plus exigeantes que ce qu’impose le respect de la loi.

Dans ce cadre, la préoccupation des professions publicitaires d’assurer le respect de principes déontologiques ne peut s’interpréter comme une entrave à la liberté d’expression.

En l’espèce, le visuel donne à voir le postérieur d’une femme présentée de dos et vêtue d’un jean très moulant. Le bas du dos du modèle est nu, elle est fortement cambrée avec une taille très marquée. Des poches arrière de son pantalon dépassent divers outils, une petite scie, une règle, un pinceau, une truelle et un marteau. Utilisé de la sorte, le corps de la femme apparaît comme un « présentoir » et comme un faire-valoir des matériels commercialisés par la société annonceur. Le slogan « Du super matos » désigne au premier degré le matériel en cause, mais aussi, implicitement par analogie avec une expression populaire, les fesses de la jeune femme.

Cette présentation comporte une connotation érotique du fait de la nudité du dos du modèle, sans qu’importe qu’il soit ou non entièrement nu, de la cambrure, ainsi que de l’expression « Du super matos ».

Cette instrumentalisation de l’image de la femme la réduit ainsi à la fonction d’objet sexuel et porte atteinte à sa dignité. Le fait que le modèle soit présenté sans visage ne change rien à cette analyse.

Par ailleurs les rapprochements faits par la société annonceur avec d’autres publicités pour lesquelles le Jury a considéré que les plaintes n’étaient pas fondées sont sans portée.

En effet, s’agissant de la première publicité, l’analyse du Jury était fondée sur le constat que le visuel mettait en scène une situation d’évasion correspondant à l’activité de location de voitures promue. En outre la présentation des jambes de la jeune femme n’avait pas de connotation érotique contrairement au visuel en cause.

En ce qui concerne la seconde publicité, le Jury rappelle qu’il a fondé son avis sur le fait que le spectacle objet de la publicité est précisément un spectacle érotique ce qui légitimait la représentation publicitaire critiquée. Il observe que de surcroît, il a relevé que l’habillement de la femme n’était pas indécent et que le caractère dessiné de l’affiche donnait une certaine distance à la présentation qu’elle désincarnait.

Enfin, le Jury rappelle que la présentation de la nudité est admise en publicité dès lors qu’elle présente un lien avec le produit promu et qu’elle n’est pas faite de façon indécente ou dégradante pour la personne.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas les dispositions de la Recommandation précitée.

Il est sans portée qu’elle ait été diffusée sur d’autres supports que celui relevé par la plainte.

Avis adopté le vendredi 7 juillet 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio, MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.