LANVIN

Affichage

Plainte fondée / Demande de révision rejetée

Avis publié le 17 avril 2023
LANVIN – 901/23
Plainte fondée / Demande de révision rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,
  • l’avis délibéré ayant été adressé au plaignant particulier ainsi qu’à la société Jeanne Lanvin S.A et à la société JC Decaux, lesquelles ont chacune introduit une demande de révision rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 7 décembre 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société Jeanne Lanvin S.A.

La publicité en cause, diffusée par affichage, montre une femme allongée, sur un côté, le buste nu, l’un de ses bras cachant en partie ses seins.

2. Les arguments échangés

Le plaignant énonce que, que ce soit pour la vente de vêtements ou d’un canapé, l’utilisation du corps d’une femme nue est inacceptable. Le corps féminin n’a pas à être dénudé pour vendre.

La société Jeanne Lanvin S.A. a été informée, par courriel avec avis de réception du 6 janvier 2023, ainsi que par courrier recommandé avec avis de réception, avisé le 12 janvier 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle relève que la plainte remet en cause le recours à la nudité, qui réduirait ici la femme à un objet, ainsi que l’utilisation du corps de la femme nue. Le plaignant reproche en outre à l’annonceur d’utiliser et de dénuder le corps de la femme pour vendre. Enfin, cette plainte semble s’inscrire dans un mouvement plus général de restriction de l’utilisation du corps de la femme dans la publicité.

Selon l’annonceur, la perception de la nudité est différente et varie selon les personnes, l’histoire, l’environnement socioculturel, l’éducation, le rapport au corps, au sexe et à la pudeur. Par ailleurs, le consensus social ainsi que les tabous évoluent, ce qui conduit à devoir être à l’écoute du corps social et à s’interroger sur le degré d’acceptabilité selon les cultures ou les pays.

Dans ce cadre, les conditions de l’acceptabilité de la nudité posées par le Conseil de l’Ethique Publicitaire font ressortir deux questions : « Pourquoi ce corps est-il nu ? » ; « Qu’évoque-t-il ? » (le sens, la signification de la nudité)  et « Comment ce corps dénudé est reçu ou perçu ? » (les conditions de perception de la nudité).

L’annonceur estime que le visuel, objet de la plainte, s’inscrit dans le cadre d’une campagne de la Maison Lanvin « Chapter One » (Character Studies) qui relaie six visuels différents et vise à faire la promotion de la marque, et non d’un produit en particulier. Il s’agissait de présenter les caractéristiques d’une femme Lanvin nouvellement imaginée : cultivée, curieuse, indépendante, mystérieuse et sûre d’elle-même. La société considère que cette nudité représente ici la liberté, la pureté et que la teinte de la photo (noir et blanc) produit un effet de douceur et de pudeur de sorte que le corps de la femme se confond avec l’arrière-plan pour créer un ensemble harmonieux. Le cadrage de la photo, qui ne laisse apparaître que le haut du buste, sans que les seins ne soient visibles, et la pose (avant-bras sur la poitrine), sont pudiques, de sorte qu’il n’est pas porté atteinte à la dignité et à la décence. Il conclut que l’image est esthétique et que la représentation, objet de la campagne, n’est en aucun cas dégradante, aliénante, humiliante ou avilissante.

S’agissant de la manière dont le corps dénudé est perçu, l’annonceur relève que le visuel s’inscrit dans le cadre d’une représentation de l’état naturel de l’Homme (femme en l’occurrence) et ne renvoie en aucun cas à la sexualité, à l’érotisme ou à la séduction. La nudité est partielle et suggérée : seul le haut du corps est visible, les parties génitales (seins, sexe, fesses) ne le sont pas. La posture et l’attitude du corps ne sont pas provocatrices : les caractéristiques du visuel, mettant en scène un modèle de façon à la fois artistique et pudique, manifestent l’absence d’intention de choquer le corps social et le souhait de respecter sa sensibilité. De plus, le visage de la femme est présent sur la photographie, ce qui permet, selon le CEP (avis du CEP « Nudité et publicité » de 2011), d’écarter la considération du
« corps objet » telle qu’invoquée par le plaignant.

Enfin, la société rappelle que le visuel fait partie d’une campagne utilisant plusieurs représentations de la femme, ce qui montre que cette campagne s’inscrit dans une stratégie d’image de la Maison Lanvin, sans recours systématique à la nudité, même partielle.

Par conséquent, le visuel, objet de la plainte, apparaît respectueux des principes posés par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité ainsi que par le Conseil d’Etique Publicitaire et n’a pas vocation à heurter le public.

L’annonceur indique que la campagne n’est plus diffusée.

La société JC Decaux France a également été informée de la plainte, en sa qualité de support. Elle fait valoir que, si l’on en reste à une analyse de la nudité telle que celle faite par l’ARPP et le CEP, la représentation objet de la campagne n’est ni dégradante, ni avilissante, ni aliénante : la photo est artistique, le cadrage (haut du buste) et la pose (avant-bras sur la poitrine) sont « pudiques » ; il n’est pas porté atteinte à la dignité et à la décence.

En outre, ce visuel fait partie d’une campagne utilisant plusieurs représentations de la femme (autres visuels de la campagne affichés au même moment), ce qui tend à montrer que celle-ci s’inscrit dans une stratégie d’image pour la marque, sans recours systématique à la nudité, même partielle.

Enfin, les caractéristiques du visuel (pose artistique et pudique) démontrent l’absence d’intention de choquer le corps social et le souhait de respecter sa sensibilité.

Au surplus, la société JCDecaux France est particulièrement sensible au respect des règles déontologiques relatives à la diffusion de publicités susceptibles de choquer le public. A ce titre, la campagne avait, en amont de sa diffusion, fait l’objet d’une analyse au terme de laquelle le Comité de Déontologie Affichage avait conclu qu’elle pouvait être diffusée, y compris le visuel incriminé, dès lors que ce dernier s’inscrivait dans le cadre d’un ensemble de visuels.

La société JC Decaux France estime donc qu’une analyse objective permet de conclure à un visuel respectueux des principes posés par le régulateur, si on accepte de reconnaître qu’une marque visant une clientèle féminine peut avoir recours à une telle représentation de la nudité, même déconnectée du produit.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

1.2 Lorsque la publicité utilise la nudité, il convient de veiller à ce que sa représentation ne puisse être considérée comme avilissante et aliénante et a fortiori ne réduise pas la personne à un objet.

2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que le visuel publicitaire en cause est une photographie en noir et blanc cadrée sur le buste d’une femme allongée sur un canapé qui regarde vers le public. Elle est positionnée sur le côté, les cheveux longs retombant vers le sol, le buste nu, l’un de ses bras cachant en partie ses seins.

A titre liminaire le Jury rappelle que, s’il convient d’être attentif au contexte social dans lequel est exposée une image publicitaire, la nature artistique de la prise de vue et du cadrage ne sont pas de nature à justifier une atteinte à l’image des personnes au sens de la Recommandation précitée.

Il n’est pas contesté que l’attitude du modèle n’est pas provocatrice et que l’image n’est assortie d’aucun commentaire indécent.

Le Jury constate également que, ainsi que l’indique l’annonceur, la publicité critiquée n’a pas pour objet de promouvoir un produit en particulier, mais la marque Lanvin et sa conception de la femme, en lien avec l’histoire de Jeanne Lanvin. Conçu à cette fin, le portrait en cause fait partie d’une campagne utilisant plusieurs représentations de femmes de styles différents, portant parfois des chemises à bretelles, toujours dans une présentation artistique en noir et blanc.

Malgré ce contexte, aucune particularité du visuel, qu’il soit pris isolément ou associé aux autres photographies représentant des visages de femme, ne permet d’analyser cette image comme présentant une femme « cultivée, curieuse, indépendante, mystérieuse et sûre d’elle-même » ainsi que le soutient l’annonceur.

Au contraire, le Jury relève que la nudité du modèle est incontestable et n’a d’autre objet que celui de vanter les mérites d’une femme comme égérie de la marque « Lanvin », dont la campagne ne dit rien d’autre que le nom. Aucun des produits commercialisés par l’annonceur n’est d’ailleurs représenté, le modèle ne portant aucun vêtement et aucune référence n’étant faite au parfum.

Le Jury considère donc que l’annonceur utilise le corps nu de la femme comme argument de promotion de sa marque, participant ainsi à une instrumentalisation des femmes qui est de nature à porter atteinte à leur dignité. Il estime que ni l’absence de toute obscénité dans cette représentation ni le caractère esthétique de la photographie ne permettent de justifier cet usage de la nudité sans lien direct avec un produit promu. Même si telle n’est manifestement pas l’intention de l’annonceur, en renvoyant ainsi à des stéréotypes sexistes encore ancrés dans beaucoup d’esprits quant à la place des femmes dans la société, il contribue à les perpétuer.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas les points 1.1, 1.2, 2.1 et 2.3 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Avis adopté le 10 février 2023 par le Jury de déontologie publicitaire, composé de M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Charlot et Boissier, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


La société Jeanne Lanvin S.A et la société d’affichage JC Decaux, auxquelles l’avis du JDP a été communiqué le 22 février 2023, ont adressé chacune, le 7 mars suivant, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du Règlement intérieur du Jury. Celles-ci ont été rejetées par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis, laquelle a été communiquée aux parties le 17 avril 2023.

DECISION DU REVISEUR DE LA DEONTOLOGIE PUBLICITAIRE

A) Procédure :

Le Jury de Déontologie Publicitaire est saisi, le 7 décembre 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, lui demandant de se prononcer sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de Lanvin.

La publicité en cause, diffusée par affichage, montre une femme allongée, reposant sur le côté, le buste nu, l’un de ses bras cachant en partie ses seins.

Par un avis délibéré le 10 février 2023 et communiqué aux parties prenantes le 22 du même mois, le Jury a estimé cette publicité contraire à plusieurs dispositions de la Recommandation Image et respect de la personne de l’ARPP.

Le 7 mars, l’annonceur (Lanvin) et l’afficheur du visuel (JC Decaux) introduisent chacun une demande de Révision ; leurs deux recours, que Lanvin estime formés “conjointement”, reposent sur des arguments très semblables, sinon identiques. Ils entendent exprimer une “critique sérieuse et légitime de l’avis” (au sens de l’article 22.1 du Règlement intérieur du Jury).

Ces deux demandes en Révision sont communiquées à la plaignante, laquelle répond par courriel du 27 mars.

Conformément au Règlement du JDP, le Réviseur de la déontologie publicitaire se rapproche alors du Président de la séance du Jury qui a élaboré l’avis dont la révision est demandée, afin de procéder avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le JDP a fondé son avis.

A partir de ces divers éléments, le Réviseur est en mesure d’apporter les réponses suivantes à la demande en Révision.

B) Révision :

1) Dans son avis, le Jury commence par décrire avec minutie la photographie publicitaire, et notamment la pose du modèle féminin qu’elle représente.

Il précise d’emblée que la nature artistique de la prise de vue ou du cadrage n’est “pas de nature à justifier une atteinte à l’image des personnes au sens de la Recommandation précitée.”

Il constate ensuite que “ainsi que l’indique l’annonceur, la publicité critiquée n’a pas pour objet de promouvoir un produit en particulier, mais la marque Lanvin et sa conception de la femme, en lien avec l’histoire de Jeanne Lanvin”.

Le Jury constate enfin que “la nudité du modèle est incontestable et n’a d’autre objet que celui de vanter les mérites d’une femme comme égérie de la marque « Lanvin », dont la campagne ne dit rien d’autre que le nom. Aucun des produits commercialisés par l’annonceur n’est d’ailleurs représenté, le modèle ne portant aucun vêtement et aucune référence n’étant faite au parfum”.

2) De ces observations, le JDP déduit que :

  • “l’annonceur utilise le corps nu de la femme comme argument de promotion de sa marque, participant ainsi à une instrumentalisation des femmes qui est de nature à porter atteinte à leur dignité” ;
  • “ni l’absence de toute obscénité dans cette représentation ni le caractère esthétique de la photographie ne permettent de justifier cet usage de la nudité qui est sans lien direct avec le produit promu” ;
  • “même si telle n’est manifestement pas l’intention de l’annonceur, en renvoyant ainsi à des stéréotypes sexistes encore ancrés dans beaucoup d’esprits quant à la place des femmes dans la société, il contribue à les perpétuer”.

En conséquence, le Jury conclut que la publicité en cause ne respecte pas les points 1.1, 1.2, 2.1 et 2.3 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

3) Moyens et arguments de Révision :

a) L’annonceur fait tout d’abord état de sa volonté de “valoriser la femme” et de son absence d’intention de “choquer”. Ces arguments sont toutefois inopérants.

Il convient en effet de rappeler que les manquements d’une publicité à la déontologie publicitaire ne s’apprécient pas au regard des intentions proclamées par l’annonceur, mais à partir de la perception que ressent un “consommateur normalement informé”.

b) De fait, la principale, sinon unique, question posée par ce litige est celle de la nudité de la femme représentée sur cette affiche, au regard des prescriptions de la Recommandation ARPP applicable (« Image et respect de la personne »).

A cet égard, on rappellera que la déontologie publicitaire ne proscrit pas, par principe, la représentation du corps nu d’une personne, homme ou femme ; mais elle refuse que cette représentation puisse être considérée comme avilissante ou aliénante et a fortiori réduise la personne à un objet (§ 1.2 de la Recommandation précitée).

La déontologie en déduit notamment que la nudité d’une personne représentée dans une publicité doit être en rapport avec le produit (ou le service ou la cause) promu par cette publicité ; en l’absence d’un tel rapport, la représentation d’un corps nu est considérée comme “gratuite”, destinée à susciter le désir sexuel – ce qui participe à une “instrumentalisation” de ce corps (comme l’a constaté le JDP dans son avis contesté).

Au cas particulier, l’annonceur confirme que l’objet de l’affiche est d’illustrer la marque Lanvin et de mettre en valeur la personnalité de sa fondatrice. Mais rien dans la publicité exposée aux consommateurs ne permet d’établir un lien entre un corps nu de femme et une maison de couture plus que centenaire ou sa créatrice.

Au surplus, cette posture d’une femme dévêtue, allongée et non dépourvue d’une certaine lascivité, peut être perçue comme renvoyant aux stéréotypes, tels celui de la femme offerte, qui sont “encore ancrés dans beaucoup d’esprits” (comme le souligne l’avis en litige).

Aussi le Réviseur ne peut-il que constater que, dans son avis, le Jury – quand il décrit avec précision l’image en cause ou quand il analyse la déontologie publicitaire applicable – n’a ni procédé à des appréciations, des interprétations ou des constatations manifestement erronées, ni dénaturé les faits de la cause, ni méconnu les principes de l’auto-régulation professionnelle de la publicité relatifs à l’affaire.

La demande en Révision présentée par Lanvin n’est donc pas fondée.

Il en va de même de la demande présentée par JC Decaux, reposant sur des moyens ou arguments similaires.

4) Des analyses qui précèdent il résulte que :

  • les demandes de Révision de l’annonceur Lanvin et de l’afficheur JC Decaux sont recevables et à ce titre seront mentionnées dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
  • l’Avis contesté ne s’expose à aucune critique sérieuse et légitime (au sens de l’article 21.1 du Règlement).

Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à une seconde délibération de l’affaire en cause ni de réformer l’Avis contesté (sauf pour y mentionner les demandes de Révision comme indiqué ci-dessus).

Dès lors et pour conclure, l’Avis en cause (mentionnant en outre les requêtes en Révision et la présente réponse) deviendra définitif et il sera publié sur le site Internet du JDP – accompagné du présent courrier, lequel constitue la réponse du Réviseur de la Déontologie Publicitaire aux demandes de l’annonceur et de l’afficheur.


Publicité Lanvin