Avis publié le 4 juillet 2023
JULES & JENN – 938/23
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 22 avril 2023, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, en faveur de la société Jules & Jenn, pour promouvoir son offre de chaussures de type Tennis à lacets.
La publicité en cause, diffusée sur le réseau social Facebook, montre le bas des jambes d’une femme portant une robe et chaussée des tennis.
Les textes accompagnant cette image sont « Alliez confort, souplesse et responsabilité écologique avec nos nouvelles tennis à lacet et semelle en caoutchouc recyclée à 30 % », « Mode responsable au prix juste », « Responsable. Accessible. Essentiel ».
2. Les arguments échangés
– Le plaignant énonce que les allégations « responsabilité écologique », « mode responsable » et « Responsable » méconnaissent les points 2 et 3 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP. Comment peut-on affirmer qu’une tennis est « responsable » dans son intégralité alors qu’un seul composant fait l’objet d’une démarche de réduction d’impacts (la semelle – quid des autres composants : la tige, les lacets, etc.) et que de surcroît celle-ci n’est composée qu’à 30 % de matière recyclée (avec une telle allégation, on pourrait attendre que ce soit 100 %) ?
En outre, le point 7 de la même Recommandation sur le vocabulaire est également méconnu car les allégations induisent le public en erreur sur les propriétés du produit (la tennis promue) et sur les actions de l’annonceur en matière de développement durable (« responsable » dans la baseline, « mode responsable » qui se rapportent à l’ensemble de la marque).
– La société Jules & Jenn a été informée, par courriel et par courriel et par courrier avec accusé de réception du 11 mai 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.
Son représentant fait valoir que la marque Jules & Jenn s’inscrit dans une démarche générale de consommation raisonnée : l’objectif de la marque est de contribuer à ce que le consommateur consomme moins, mais consomme mieux.
La société soutient qu’elle promeut une mode responsable, aussi appelée la slow fashion. Comme détaillé sur la page « La Marque » du site internet de la société, l’approche responsable repose sur plusieurs piliers :
- production locale : aujourd’hui, 90% des chaussures vendues en France sont fabriquées en Asie. Produites dans des pays où le mix énergétique est très carboné, leur production puis leur transport jusqu’en France génèrent d’importantes émissions de carbone. Chez Jules & Jenn, 100% des produits sont fabriqués localement en France, Italie, Espagne et Portugal. Tous les fabricants sont présentés sur la page « Les ateliers » du site internet. En produisant localement, la société contribue aussi à créer de la richesse et à maintenir l’emploi artisanal dans ces 4 pays européens.
- absence de promotions pour lutter contre la surconsommation et le gaspillage : aujourd’hui, en France, près de 40% des vêtements et accessoires de mode sont vendus en période de soldes et de promotions. En pratiquant des prix barrés à outrance, les marques de mode poussent le consommateur à des achats d’impulsion, dont il n’a pas forcément besoin. L’usage des soldes et des promotions est l’un des mécanismes clés de la surconsommation dans l’industrie textile, qui pousse ensuite au gaspillage de vêtements. Jules & Jenn fait partie des quelques marques françaises qui ne font jamais de soldes ni de promotions, à rebours des pratiques de l’industrie de la mode. Par cette politique, elle ne pousse pas à la surconsommation de chaussures et évite le gaspillage. Cela l’oblige aussi, en tant que société, à moins produire à chaque collection pour ne pas se retrouver avec des invendus qu’elle ne peut pas solder.
- transparence et prix juste : pour chaque produit, Jules & Jenn partage avec le public le détail du prix et des coûts de revient. En explicitant le coût des matières, le coût de confection, le coût de service et la marge, elle permet au consommateur de connaître la valeur de ce qu’il consomme. Pour chacun de tous ses produits, le consommateur retrouve cette infographie sur le site
- traçabilité des matières et labels : pour chaque produit, Jules & Jenn décrit les matières utilisées pour chaque composant de l’article et leur provenance. 100% des matières proviennent d’Europe, principalement d’Italie, Portugal et Espagne. En sourcant localement, Jules & Jenn réduit son impact carbone et contribue à l’économie de ces pays européens. Aujourd’hui, la part des matières labellisées augmente dans l’offre de la société : tous ses cuirs sont labellisés Leather Working Group et ses pochons en coton de conditionnement sont labellisés GOTS.
- durabilité, recyclage et upcyclage : par le style intemporel des produits et le choix des matières, Jules & Jenn augmente la durabilité de ses produits. En choisissant le cuir, matière durable par excellence pour ses chaussures, le bilan carbone a mesuré que la société a évité l’émission de 491 tonnes CO2e sur l’année 2020. La part des matières recyclées et upcyclées augmente régulièrement dans l’offre de Jules & Jenn, avec des semelles de baskets en caoutchouc recyclées à 30%, des toiles en 100% PET recyclée, des fibres issues de déchets de pomme ou de maïs imitant le cuir. Le détail est disponible sur la page « Nos convictions environnementales » du site internet.
La société soutient qu’elle est donc effectivement un acteur de la mode responsable aujourd’hui. En comparaison avec les autres acteurs de la mode actuellement actifs sur le marché français, la société peut réellement revendiquer ses actions pour une mode responsable.
Concernant la publicité visée par la plainte, une maladresse a été faite par l’équipe sur l’utilisation du mot écologique qui a été, depuis, retiré des publicités.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :
- au titre de la véracité des actions (point 2) :
- « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
- 2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
- 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) »
- au titre de la proportionnalité (point 3) :
- « 1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
- 2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
- au titre du « vocabulaire » (point 7) :
- « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable /
- 7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.».
- au titre de la « présentation visuelle » (point 8) : « 8.1 Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient. »
Le Jury relève que la publicité en cause, diffusée sur le réseau social Facebook, montre le bas des jambes d’une femme portant une robe et chaussée des tennis. Les textes accompagnant cette image sont « Alliez confort, souplesse et responsabilité écologique avec nos nouvelles tennis à lacet et semelle en caoutchouc recyclée à 30% », « Mode responsable au prix juste », « Responsable. Accessible. Essentiel ».
Le Jury considère, en premier lieu, que la publicité litigieuse fait état d’une « responsabilité écologique » et d’une « mode responsable » sans qu’aucun bandeau ni renvoi ne permette de comprendre, à la date de la diffusion critiquée, en quoi les vêtements promus présenteraient la qualité ainsi revendiquée.
En second lieu, le Jury relève que le terme « écologique », en particulier lorsqu’il est appliqué à du prêt-à-porter, est spontanément compris par la majorité du public comme signifiant que le produit ainsi valorisé est composé de matières issues de culture biologique, majoritairement recyclées ou recyclables et n’entraîne pas de nuisance écologique significative. Le terme « responsable » constitue quant à lui une formulation globale non relativisée (contrairement à l’allégation « plus responsable »). Même si les informations disponibles sur le site de la marque indiquent que 100 % des matières proviennent d’Europe, principalement d’Italie, Portugal et Espagne, que les semelles des baskets en caoutchouc sont recyclées à 30 % et les toiles fabriquées en PET recyclée, les allégation de la publicité sur Facebook, à défaut d’être relativisées, sont disproportionnées eu égard à l’impact écologique des productions de vêtements et chaussures, aux nuisances environnementales qui en résultent et à l’absence de précisions quant aux actions de la marque. La publicité méconnaît donc à ce titre les points 2.1, 3.2, 7.1 et 7.3 de la Recommandation « Développement durable » précitée.
En conséquence de ce qui précède, tout en prenant acte de la décision de l’annonceur de retirer le terme « écologique », le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions déontologiques précitées.
Avis adopté le 9 juin 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.