GUESS – Affichage – Plainte fondée

Avis publié le 4 octobre 2022
GUESS – 865/22
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 28 février 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société Guess, pour promouvoir son offre de vêtements.

La publicité en cause, diffusée par affichage, montre une femme de dos, portant une veste en cuir, les fesses nues. Une étiquette portant le nom de la marque, en forme de triangle, est apposée à l’arrière de la veste, la pointe dirigée vers les fesses de la femme.

2. La procédure

La société Guess a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 27 juillet 2022, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.

3. Les arguments échangés

Le plaignant énonce que la nudité, dans ce contexte, est dégradante et sexiste et constitue un énième exemple de sur-exhibition du corps féminin pour vendre des vêtements. A cela s’ajoute un jeu de mot douteux, avec une étiquette triangulaire « guess » qui signifie « devinez » dont la pointe est dirigée vers le sillon inter-fessier.

La société Guess fait part tout d’abord de sa surprise concernant les plaintes reçues qui ne  reflètent pas selon elle l’image véhiculée par la photographie en cause et ne sont pas conformes à l’esprit de la campagne Guess.

Sur l’absence d’atteinte à la dignité de la personne humaine ou à la décence, elle indique que selon le point 1.2 de la recommandation de l’ARPP sur l’image et respect de la personne, en cas de nudité au sein d’une publicité, il convient d’éviter toute représentation avilissante de la personne concernée. Il y a notamment lieu d’examiner l’attitude, la posture de la personne représentée et veiller à ce qu’elles ne soient pas attentatoires à la dignité humaine.

Selon l’annonceur, la photographie litigieuse est une photographie d’art célébrant le corps de la femme et symbolisant le mode de vie américain. Cette photographie met en valeur une collection Guess axée sur le style de vie américain vintage, à l’aide des archives de la maison Guess. Elle considère que cela ne porte pas atteinte au principe de respect de la dignité humaine (la posture du mannequin exclut d’ailleurs toute violation de ce principe). Il s’agit davantage pour Guess d’élaborer un concept inédit qui ne se limite pas au simple affichage d’une photographie prise isolément, mais d’une campagne baptisée Guess USA dont l’annonceur transmet une seconde photographie de la campagne réalisée selon la même vision artistique.

L’annonceur signale l’installation réalisée au Dover Street Market, 35-37 Rue des Francs-Bourgeois à Paris (Le Marais) qui démontre qu’il existe une réelle réflexion artistique moderne derrière la campagne Guess différente de la simple exhibition d’une nudité comme semblent le suggérer les plaintes adressées au JDP.

Il soutient que la stratégie publicitaire et marketing de la société Guess est axée vers la représentation métaphorique des Etats-Unis et de l’Ouest américain, l’esprit Hollywoodien d’aventure, l’attitude libre et assurée de son peuple (voir à ce sujet le communiqué de presse Guess correspondant).

Elle ajoute que la nudité du bas du corps n’est représentée que partiellement puisque la veste tombe sur la moitié haute des fesses du mannequin et sur les côtés. Aussi, si la nudité participe à la sensualité de la photographie, elle ne peut constituer un tabou d’autant plus que la veste et le logo Guess constituent les éléments principaux de la publicité et la posture du mannequin ne suggère aucune violation du principe de dignité.

Sur l’absence d’objectisation du corps des femmes : l’annonceur estime que l’attitude de la femme apparaît affirmée, qu’aucun artifice ou autre protagoniste n’est visible sur l’affiche et que par cette représentation du corps de la femme, la société Guess ne propose pas une image dégradante ou avilissante de la femme.

Aucune posture érotique ou suggérant une quelconque soumission n’est constatée. Au contraire, l’attitude neutre, ancrée dans le sol suggère une personnalité affirmée, aventureuse et promeut une idée de liberté, associée à l’Ouest Américain.

Selon la vision de la société : l’annonceur ajoute que la représentation du corps humain est un art et que la mode ne doit jamais être perçue comme inappropriée. Guess célèbre la puissance et la confiance que procure le corps au sein de concepts publicitaires innovants.

A propos du logo triangle Guess présent sur la veste, qui aurait intentionnellement été dirigé vers le sillon inter-fessier du mannequin dans une optique ironique et dégradante, la société indique qu’elle exploite depuis plus de 40 ans le logo Guess présent sur la photographie litigieuse. Le logo triangle Guess est d’ailleurs enregistré à l’INPI depuis 1986 (marque n°1361412). Ce logo qui constitue la marque iconique de Guess est apposé sur l’ensemble des supports de communication et produits Guess (y compris des sous-vêtements). Il n’y a donc aucune ironie prétendument sexiste à constater dans l’apposition de ce logo sur la veste en question.

La société considère qu’il n’est pas davantage pertinent de traduire littéralement la marque Guess (« deviner ») puisque ce terme ne se lit pas comme un message mais représente une marque connue du grand public depuis plusieurs dizaines d’années, dans le monde entier.

Enfin, la photographie en question a fait l’objet d’une campagne d’affichage en France limitée à une durée de 10 jours, le contenu n’étant plus accessible depuis le 9 mars 2022.

En conclusion, la société Guess conteste le bien-fondé des plaintes transmises au Jury et sollicite de ce dernier qu’il rende un avis favorable quant à la photographie contestée : une photographie artistique représentant, de manière vintage, l’esprit aventureux des Etats-Unis et célébrant à cette occasion le corps des femmes et leur liberté.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

1.2 Lorsque la publicité utilise la nudité, il convient de veiller à ce que sa représentation ne puisse être considérée comme avilissante et aliénante et a fortiori ne réduise pas la personne à un objet.

2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury estime légitime qu’un annonceur mette en valeur les produits qu’il commercialise en recourant au registre de la séduction voire de l’érotisme et en valorisant les formes des modèles qui les portent afin d’accroître l’envie de les acheter. Pour autant, il doit veiller à ce que la représentation du corps humain et, en particulier, celui de la femme, ne le ou la réduise pas à la fonction d’objet, en tenant compte de la nature du ou des produits dont il s’agit de faire la promotion. En outre, même lorsqu’un produit a trait à l’intimité corporelle ou à une activité de nature sexuelle, la publicité qui le promeut ne doit pas, en particulier par le recours à une nudité excessive, des postures trop suggestives ou une mise en scène inappropriée, être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence

Le Jury relève que la publicité en cause consiste en la photographie sur fond blanc d’une jeune femme de dos, portant une veste en cuir laissant apparaître ses fesses nues et le haut de ses cuisses. Une étiquette portant le nom de la marque, en forme de triangle, est apposée à l’arrière de la veste, la pointe dirigée vers le milieu des fesses de la femme.

Le Jury comprend des observations de l’annonceur que l’attitude libre et assurée de la jeune femme fait référence à une représentation métaphorique des Etats-Unis et de l’Ouest américain et que l’objectif de la campagne n’était pas de présenter une femme soumise ou exploitée. Le Jury estime toutefois que cette exposition de la nudité, accentuée par le triangle qui pointe le sillon inter-fessier de la jeune femme et qui n’est pas du tout contextualisée, notamment par un décor ou une mise en scène sur le thème choisi qui pourrait expliquer cette tenue, n’est pas en lien direct avec les vêtements promus et renvoie une image dégradante de la femme comme objet sexuel. Cette présentation est de nature à heurter la sensibilité du public ou le choquer en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

Le Jury estime ainsi que ce visuel excède ce qui est admissible au regard des points 1.1, 1.2, 2.1 et 2.2 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP précitée et méconnaît en conséquence ces règles déontologiques.

Avis adopté le 9 septembre 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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