Avis publié le 6 décembre 2021
FREENOW – 787/21
Plainte non fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu le plaignant, le représentant de la société Freenow et celui de l’agence de communication Rosa Paris,
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 12 août 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une vidéo publicitaire diffusée sur internet par la société Freenow pour promouvoir son offre de trottinettes électriques.
La vidéo publicitaire en cause montre un homme qui marche sur un pont en effectuant des grands pas qu’il compte à l’aide d’un compteur manuel. Il s’arrête lorsqu’une trottinette électrique apparaît devant lui. Les images suivantes le montrent circulant dans la rue, sur la trottinette.
Le texte accompagnant ces images est : « Libre de faire 10000 pas par jour. Libre de ne pas en faire un de plus » et « Les trottinettes arrivent sur votre application Freenow ».
2. Les arguments échangés
– Le plaignant relève que cette publicité tourne en ridicule la pratique de la marche, pratique écologique sans équivoque, et incite à lui préférer la trottinette électrique.
Si le texte s’attache à respecter les règles déontologiques, la vidéo tourne en dérision le fait de marcher et de compter ses pas. Le personnage marche très lentement, en faisant d’immenses pas, comme si cela lui était très difficile. Cette attitude lui confère par ailleurs une allure grotesque. Enfin, le fait de compter manuellement chaque pas à l’aide d’un appareil hors d’âge renforce cette impression. En revanche, le personnage est ravi de tomber sur la trottinette électrique (sourire), et semble très heureux de pouvoir en faire (hochement de tête en direction de la caméra).
Selon le plaignant, la publicité oppose très nettement deux modes de déplacement, ringardisant le premier – pourtant écologique – pour mieux valoriser le second, qui ne peut se targuer de l’être.
Il souligne que le fait de marcher 10000 pas est une pratique bénéfique pour la santé, recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Par ailleurs, la marche est le mode de transport le plus écologique, en cela qu’il n’émet pas de CO2. A l’inverse, les trottinettes électriques en free-floating sont reconnues pour avoir un bilan carbone médiocre.
Enfin, la publicité incite le spectateur à passer de la marche à la trottinette électrique. Or, une étude du cabinet 6T, ayant reçu le soutien de l’ADEME, montre que 74% des usagers auraient utilisé la marche ou les transports en commun si la trottinette électrique en free-floating n’avait pas existé (44% pour la marche, 30% pour les transports en commun).
Pour l’ensemble de ces raisons, le plaignant considère que ce spot publicitaire contrevient au point 1.2 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.
– La société Freenow a été informée, par courriel avec accusé de réception du 12 octobre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
La société Freenow et son agence Rosa Paris font valoir conjointement que Freenow est une plateforme de mobilité multimodale (VTC, scooter électriques, trottinettes).
Le film « Trottinette » s’inscrit dans le cadre d’une campagne publicitaire composée de trois films (dont « Mamie » et « Divorce ») et de nombreux visuels qui prônent la liberté de chacun de faire ce qu’il veut, quand il veut et comme il veut, faisant écho au nom de la marque.
Concernant le film « Trottinette », Rosa Paris a fait appel à un musicien connu pour son excentricité, notamment vestimentaire (Myd) qui joue dans le film son propre rôle. Il est présenté en train de marcher et de compter ses pas, afin de se conformer strictement à la recommandation de I’OMS de 10 000 pas par jour minimum pour rester en bonne santé, sans la critiquer.
Comme on peut le constater, ses pas sont très amples et vont certainement au-delà, en distance parcourue, de l’équivalent des 10 000 pas recommandés. Le respect de cette bonne pratique n’exclut pas l’usage d’un autre moyen de mobilité. Il n’y a donc rien de critiquable à ce que Myd poursuive sa route avec une trottinette électrique. Tout est question de liberté, le choix en faveur de la trottinette n’intervenant qu’au-delà des 10 000 pas recommandés par l’OMS.
Les sociétés ajoutent que cette publicité ne dénigre ni ne ringardise en aucune manière la marche à pied.
Le plaignant dissocie les images du texte du film, en ne remettant en cause que les images, ce qui n’est pas acceptable, les deux fonctionnant ensemble et permettant d’expliquer clairement le propos du film qui ne fait aucune opposition, ni ne suggère de substituer la marche à pied à l’usage de la trottinette.
Par conséquent, Freenow et Rosa Paris estiment n’avoir pas porté atteinte à l’article 1.2 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, ni à toute autre disposition de celle-ci, ni aux règles de l’OMS. Elles tiennent à souligner qu’elles ont à cœur le respect de la déontologie et que le film objet de la plainte a été soumis à l’avis de l’ARPP, dans le cadre d’une diffusion en télévision, par une demande de conseil préalable, laquelle n’a émis aucune objection à sa diffusion.
Lors de la séance, le représentant de la société Freenow a précisé que celle-ci menait des actions en faveur du développement durable, notamment la plantation d’arbres et l’électrification progressive de la flotte, et a rappelé qu’elle n’avait pas entendu « ringardiser » la marche à pied.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :
- En son point 1, relatif aux impacts écocitoyens, que :
« La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité.
Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :
1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. (…)
1.2 La publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable. La publicité ne saurait détourner de leur finalité les messages de protection de l’environnement, ni les mesures prises dans ce domaine. »
Le Jury relève que le film publicitaire litigieux entend promouvoir l’utilisation de la trottinette électrique, en précisant que, après avoir fait 10 000 pas dans la journée comme le recommande l’OMS, chacun est libre de ne pas en faire un de plus et d’opter pour ce mode de locomotion proposé par l’annonceur. Cette publicité joue sur le registre de l’humour et de l’absurde en représentant le personnage muni d’un compteur manuel dénombrant un à un ses pas, allongés jusqu’au grotesque.
Le Jury considère que, eu égard à cette mise en scène, cette publicité ne peut s’interpréter comme tournant en dérision les préconisations sanitaires de l’OMS en matière de marche à pied. Elle présente au contraire la vertu de les rappeler.
Plus largement, il estime que ce film publicitaire ne discrédite pas la marche en tant que moyen de locomotion vertueux en matière de développement durable. Il rappelle seulement que chacun est « libre » – c’est-à-dire peut décider d’opter pour la trottinette électrique après avoir déjà effectué un long trajet à pied.
A cet égard, le Jury considère que cette publicité ne banalise ni ne valorise des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. Certes, l’usage de la trottinette électrique est plus polluant que la marche à pied à trajet égal. Il ne peut toutefois être regardé en soi comme une pratique contraire à ces objectifs, sauf à proscrire toute publicité en faveur de ce type de services : tout dépend des circonstances, notamment de la longueur du trajet, de l’échéance à laquelle la personne doit rejoindre son point de destination, de son état de fatigue… En l’espèce, la publicité ne fournit pas d’indication sur les raisons pour lesquelles le personnage principal opte pour la trottinette électrique et, en particulier, ne permet pas d’affirmer qu’il l’utiliserait pour accomplir un trajet modeste qu’il aurait parfaitement pu couvrir à pied. Elle fait apparaître en outre qu’il recourt à ce moyen de locomotion après avoir accompli 10 000 pas, c’est-à-dire après avoir couvert une partie de son trajet par la marche à pied, pratique encouragée aussi bien pour des raisons sanitaires qu’environnementales.
Dans ces conditions, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas les règles précitées.
Avis adopté le 5 novembre 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.