ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG

Internet

Plainte non fondée

Avis publié le 10 octobre 2025
ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG – 1082/25
Plainte non fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu d’une part, le représentant de l’Etablissement français du sang, d’autre part, les représentants de l’association Vétérinaires pour la Biodiversité (VPB), plaignante, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

  1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 1er août 2025, d’une plainte émanant de l’association Vétérinaires pour la Biodiversité (VPB), tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité de l’Etablissement français du sang, pour promouvoir le don de sang.

La publicité en cause, diffusée sur le réseau social Linkedin, montre l’image d’un aileron de requin visible à la surface de la mer.

Le texte accompagnant cette image est : « Cet été, donnez votre sang » suivi d’une goutte de sang « mais pas à n’importe qui ».

La publication précise en entête : « Les réserves de sang baissent pendant l’été, mais les besoins, eux, restent constants. Accidents, opérations, urgences : chaque jour, des milliers de vies dépendant du don de sang. Si vous le pouvez, prenez un moment avant ou pendant vos congés pour faire un donc. Prenez rendez-vous partout en France !… ».

  1. Les arguments échangés

L’association plaignante, Vétérinaires pour la Biodiversité indique déposer plainte par l’intermédiaire de son groupe de travail « Requins et raies ».

Elle énonce que, au moment où de nombreux citoyens sont en villégiature en bord de mer, cette communication, qui relance la phobie et la diabolisation des requins à un niveau qui n’avait pas été atteint depuis le film « Les dents de la Mer », est inadaptée, même dangereuse car scientifiquement inepte et néfaste à leur image :

  • L’homme ne fait pas partie du régime alimentaire des requins, et le sang humain n’est pas particulièrement recherché ni attractif pour le requin ;
  • Elle installe les personnes avec une connaissance superficielle de la mer dans l’idée que les requins ne méritent pas forcément d’être protégés car ils représenteraient un danger réel et insupportable pour l’humain ;
  • Elle est en complète contradiction avec le combat de nombreux scientifiques, collectifs et associations de protection animale qui se battent contre l’extinction inexorable de ces animaux, indispensables aux écosystèmes marins. La sensibilisation et l’éducation du public reste essentielle dans ce combat, en permettant d’orienter les choix de consommation et électoraux. (Cf. le rapport de VPB « Requins : arrêtons le massacre : vpbiodiv.com/rapport-requin);
  • Elle est à l’opposé de la politique française actuelle et de la politique de développement durable de l’ONU en matière de protection de la biodiversité marine en général, et des requins et raies en particulier, comme cela a été présenté à l’UNOC de Nice par le président E. Macron (« la France montre l’exemple en augmentant drastiquement la surface de ses Aires Marines Protégées ») et par la ministre de la transition écologique Pannier-Runacher qui a lancé la création d’une coalition mondiale de protection des Requins et Raies à l’occasion de l’UNOC de Nice (« un tiers(37,5%) des espèces de requins sont en danger d’extinction : cela est insupportable » a-t-elle annoncé.)

En tant qu’elle est constituée de membres scientifiques et soignants, VPB est d’accord sur le fait que les réserves de sang sont essentielles pour le système de santé, et les campagnes de communication appelant à donner son sang sont indispensables et doivent être pertinentes. Mais l’EFS, par l’intermédiaire de ses prestataires de communication (agence 4 août et agence Bastille) se trompe d’argumentaire et renforce cette image trompeuse que l’on colle aux requins (qui tuent entre 5 et 8 personnes par an dans le monde) : utiliser un autre animal réellement friand de sang humain et responsable de milliers de morts chaque année dans le monde comme le moustique (qui tue autour de 750.000 personnes par an dans le monde) serait bien plus pertinent. Ce serait de plus scientifiquement valable et bien moins néfaste pour l’image du requin, animal essentiel aux équilibres océaniques, en train de disparaître dans l’indifférence générale, voire avec la bénédiction des autorités ou des lobbys de la pêche, du tourisme et du surf dans certains de nos TOM (Nouvelle Calédonie) et DOM (Réunion), qui entretiennent la psychose par les mêmes notions (le requin mangeur d’homme) pour légitimer la pêche subventionnée.

L’Etablissement français du sang a été informé, par courriel avec accusé de réception du 12 août 2025, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son Président précise tout d’abord que la campagne n’a pas été réalisée par l’agence Bastille/4 août, contrairement à ce qui est mentionné dans la plainte.

Il fait valoir que l’Etablissement français du sang doit collecter quotidiennement près de 10000 dons en France pour répondre aux besoins sanitaires et assurer l’autosuffisance du pays en produits sanguins labiles, indispensables aux patients. L’été est, pour l’EFS, une période tendue, marquée par une chute de la fréquentation des collectes liées à une moindre disponibilité des donneurs.

Il expose que l’enjeu de la campagne estivale 2025 était de sensibiliser les donneurs afin de les mobiliser pour répondre à ce besoin. La campagne visait donc à assurer la continuité des soins, ce qui constitue un

objectif de santé publique et n’a jamais eu, en aucune façon, pour objet de nuire à un animal, le requin ayant été choisi comme une figure de l’imaginaire collectif et non comme une cible de stigmatisation.

L’intention était de créer un décalage humoristique et destiné à attirer l’attention du public avec le slogan « Donner son sang mais pas à n’importe qui ». La mer constituant un décor naturel pour une campagne estivale, la symbolique de cet animal marin s’inscrivait dans ce contexte.

Cette campagne, mise en œuvre durant l’été 2024 dans la région Occitanie, n’avait alors fait l’objet d’aucune retombée négative significative.

Selon le président de l’établissement français du sang, la campagne ne véhicule pas de message de peur ou d’incitation à la violence envers les requins. S’appuyant sur un détournement humoristique, elle est clairement identifiable comme telle. Le visuel reste suggestif en ne montrant que l’aileron et non le requin dans son entièreté. Le public sait qu’aucun don de sang ne peut être fait à un animal, la lecture se fait donc uniquement au second degré.

Il ajoute que l’objectif de collecte de l’Etablissement français du sang a été atteint : l’EFS n’a pas rencontré, au cours de l’été 2025, de diminution des stocks ou de baisse significative de la fréquentation des lieux de don et cela, grâce en grande partie à cette campagne. Le recours à l’humour est une manière d’émerger dans un univers publicitaire très concurrentiel, au service d’un enjeu vital : sauver des vies.

En conclusion, pour l’EFS, la campagne a atteint son objectif et a permis d’assurer l’autosuffisance en produits sanguins tout au long de l’été. Bien que l’humour ait été utilisé pour attirer l’attention sur un enjeu vital, l’EFS est pleinement conscient des sensibilités exprimées.

L’EFS regrette que la campagne ait pu heurter certaines personnes et s’engage à être particulièrement vigilant sur l’utilisation de visuels pouvant recourir à l’image de certains animaux dans ses futures communications, afin de garantir que son message, exclusivement tourné vers la solidarité et la santé publique, soit toujours perçu avec bienveillance.

  1. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle qu’il résulte des dispositions déontologiques, notamment celles contenues dans le code ICC sur la publicité et la communication commerciale que :

  • Article 1 – Principes de base

« Toutes les communications commerciales doivent être légales, décentes, honnêtes et véridiques.

Toutes les communications commerciales doivent être préparées avec un sens aigu de la responsabilité sociale…

Aucune communication ne doit, par son contenu et ses modalités, saper la confiance du public dans les communications commerciales. »

  • Article 2 – Responsabilité sociale et environnementale

« … Les communications commerciales ne doivent pas :

sans raison valable, jouer sur la peur ou exploiter le malheur ou la souffrance…»

  • Article 4 – Honnêteté

« Les communications commerciales doivent être structurées de manière à ne pas profiter de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter leur inexpérience ou leur compréhension limitée.

Les facteurs pertinents susceptibles d’influer sur les décisions des consommateurs doivent être communiqués d’une manière et à un moment qui leur permettent de les prendre en considération de manière efficace.

Les communications commerciales ne doivent pas abuser de la confiance des consommateurs en recourant à des pratiques trompeuses ou en diffusant de la désinformation à l’aide d’éléments tels que de faux témoignages ou endossements, des théories du complot, comme l’appât et l’échange ou le piège à clics. … ».

  • Article 5 – Véracité

« Les communications commerciales doivent être véridiques et non trompeuses.

Les communications commerciales ne doivent contenir aucune allégation susceptible d’induire le consommateur en erreur, quelle que soit la manière dont elle est véhiculée – par le texte, le son, les éléments visuels ou toute combinaison de ces éléments – et quelle que soit la manière dont l’effet trompeur se produit – directement ou par implication, ommission, ambiguïté ou exagération. La combinaison des éléments utilisés dans une communication commerciale contribue à l’interprétation d’une allégation….»

Le Jury rappelle également que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1) :

« La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :

  • La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. »

Le Jury relève que la publicité visée par l’association plaignante est un appel au don de sang par l’établissement français du sang : « Cet été, donnez votre sangmais pas [écrit en plus petit] …à n’importe qui », le tout inscrit sur un paysage stylisé de flots marins, d’où émerge, sous un beau soleil et quelques nuages, un aileron de requin.

Le Jury relève que la publicité s’inscrit très nettement dans un registre de second degré afin de susciter une réaction du public non pas pour appeler à une chasse au requin mais bien, plutôt, pour encourager le don du sang dont la fonction est essentielle et même vitale.

Ainsi, d’abord, le message par sa dimension dans l’affiche et par son texte est sans ambiguïté sur l’objectif de santé publique.

Ensuite, tant ce registre de l’humour et du second degré immédiatement perceptible, que le visuel lui-même qui n’est en rien réaliste (représentation des flots, du soleil et des nuages, choix des couleurs), créent une distance qui neutralise la crainte que pourrait éventuellement susciter la présence d’un requin dans la mer, ce dernier n’étant utilisé qu’à des fins purement humoristique.

Au total, le Jury estime que l’affiche n’est donc pas de nature à relancer ou même entretenir la phobie, ni la diabolisation des requins.

En conséquence, le Jury considère que la publicité en cause ne méconnaît pas les dispositions précitées.

Avis adopté le 12 septembre 2025 par M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


Publicité ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG