EPSON – Internet – Plainte fondée

Avis publié le 1er juillet 2022
EPSON – 843/22
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société Epson France lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 6 avril 2022, d’une plainte d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société Epson France, pour promouvoir son offre d’imprimantes avec technologie « Zéro chaleur ».

La publication en cause, diffusée sous forme de post sur le réseau social Linkedin, montre un bloc de glace qui fond et fait monter le niveau de l’eau située en-dessous, jusqu’à ce que la mention « turn down the heat » (« baisser la température ») apparaisse.

Le texte accompagnant ces images est « En Arctique, la fonte des glaces s’accélère bien plus vite que ce que les modèles climatiques avaient envisagé. Le niveau des mers et océans pourrait donc monter plus haut que prévu au cours de ce siècle. En optant pour une imprimante à jet d’encre Epson dotée de la technologie Zéro chaleur, vous pouvez contribuer, à votre échelle, à faire baisser la température et à limiter le réchauffement climatique ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant énonce que cette publicité induit le public en erreur à plusieurs titres.

En premier lieu, la fonte des glaces de l’Arctique ne contribue pas à la montée du niveau des mers. En effet, la banquise de l’Arctique est un gros glaçon qui flotte sur l’eau et dont la fonte n’induit pas une augmentation du volume d’eau. C’est avant tout la dilatation thermique des océans sous l’effet de l’augmentation moyenne de la température du globe qui explique la montée des eaux. La fonte des glaciers continentaux (les glaciers de montagne ou ceux en Arctique) contribue également à ce phénomène, mais de façon minoritaire.

En deuxième lieu, l’argument « zéro chaleur » est trompeur. La chaleur générée localement (à proximité d’une imprimante) ne contribue pas directement au réchauffement global de la planète. Ce sont les émissions de gaz à effet de serre générée par la consommation d’énergie de l’appareil (et aussi pendant les phases de fabrication et fin de vie) qui en sont responsables. Avec ce raisonnement, les climatiseurs seraient bons pour le climat !

Il semble qu’Epson propose plusieurs modèles d’imprimantes qui consomment moins d’énergie. Si tel est le cas, il s’agit d’une bonne chose. Mais la vidéo laisse croire à un effet direct et significatif sur la baisse du niveau des océans, ce qui est très exagéré. La consommation d’une imprimante reste faible en comparaison avec d’autres sources de gaz à effet de serre, notamment en France où notre mix énergétique et majoritairement nucléaire. En outre, le propos est incorrect car le niveau des océans va continuer à monter pendant des décennies à cause de l’inertie du système climatique, même si on arrêtait toutes les émissions aujourd’hui.

Le plaignant fait grief à l’annonceur de n’apporter aucun élément chiffré démontrant que les imprimantes consomment moins d’énergie, dans quelles proportions et au regard de quelles références.

Pour toutes ces raisons, il estime que cette publicité méconnaît les points 2, 3, 4 et 8 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

La société Epson France a été informée, par courriel recommandé avec avis de réception du 5 avril 2022, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

En écho au commentaire du plaignant selon lequel « la fonte de la glace arctique ne contribue pas à l’élévation du niveau des mers » n’est correct que si on entend par « glace arctique », la « glace de mer arctique », la société précise que tel n’est pas le propos de la campagne publicitaire. Celle-ci s’intéresse au pergélisol (permafrost), ce qui est différent. Le pergélisol est une épaisse couche de sol gelée que l’on trouve principalement dans les régions polaires et qui contient deux fois plus de carbone que l’atmosphère. Lorsque la glace fond en raison du réchauffement climatique, des lacs arctiques se forment et deviennent des digesteurs naturels qui transforment les microbes du sol en méthane – un gaz à effet de serre bien plus puissant que le dioxyde de carbone. Comprendre les implications du dégel du pergélisol et l’impact de la fonte des lacs arctiques qui libèrent du méthane est devenu essentiel pour comprendre le mécanisme du changement climatique.

La campagne Epson a été menée en collaboration avec Katey Walter Anthony, scientifique du National Geographic et exploratrice de l’Arctique. Cette dernière a étudié l’impact de la fonte du pergélisol arctique et son incidence sur l’environnement, ainsi que le changement climatique qui en résulte.

Lorsqu’elle fait référence à la technologie Zéro Chaleur, la campagne cible spécifiquement la technologie des têtes d’impression qui, contrairement à l’impression laser, ne chauffe pas. Les imprimantes laser et jet d’encre peuvent se ressembler extérieurement, et assurent le même usage, mais les technologies sont très différentes.

La technologie Zéro Chaleur d’Epson ne nécessite pas de chaleur dans le processus d’éjection de l’encre et il s’agit d’une technologie froide. Une pression est appliquée à l’élément piézoélectrique qui se fléchit d’avant en arrière pour éjecter l’encre de la tête d’impression. A titre de comparaison, la technologie d’impression laser peut nécessiter des températures allant jusqu’à 350 degrés centigrades (= 350° Celsius). Ne pas avoir besoin de chaleur pour l’impression signifie ne pas avoir besoin d’énergie pour chauffer les pièces de l’imprimante – au contraire de l’impression laser qui nécessite beaucoup d’énergie pour chauffer les pièces.

Dire qu’Epson exagère les avantages environnementaux du passage au jet d’encre en termes d’impact et de contribution à la réduction du réchauffement climatique est donc faux. Epson peut citer des recherches indépendantes menées par des tiers qui quantifient les avantages du passage de l’impression laser à la technologie jet d’encre en matière de réduction des émissions de carbone et de la consommation d’énergie.

Il est rappelé que la consommation d’énergie mondiale des appareils électroniques contribue au changement climatique. Elle augmente chaque année en raison de l’expansion des populations et de l’augmentation du nombre d’équipements connectés au réseau. Pour 2019, on estime que plus de 25 850 TWh (térawattheures) d’électricité ont été consommés dans le monde, dont l’utilisation des appareils électroniques a contribué à hauteur de 3 250 TWh. Les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) en 2019 ont dépassé les valeurs enregistrées précédemment à 33,4 GtCO2 (Gigatonnes de dioxyde de carbone). Ces chiffres ont légèrement baissé en 2020, soit 31,4 GtCO2 dont 2,8 GtCO2 pour la construction d’appareils électroniques.

Pour atteindre l’objectif crucial de zéro émission nette de carbone à l’échelle mondiale d’ici 2050, des changements profonds sont nécessaires pour créer de l’énergie propre, pour consommer moins d’énergie en sensibilisant davantage les utilisateurs et en améliorant les normes technologiques d’efficacité énergétique dans chaque industrie, secteur et activité.

On estime que les imprimantes et les équipements d’imagerie, une sous-catégorie du secteur des appareils ménagers, consomment environ 4 516 GWh (gigawattheures) d’électricité par an, ce qui entraîne l’émission de 2,5 MtCO2 (mégatonnes de dioxyde de carbone).

Deux technologies d’impression distinctes sont généralement disponibles sur le marché, à savoir les imprimantes laser et les imprimantes jet d’encre. Sur la base de la spécification de produit Energy Star TEC3 pour les normes d’efficacité des équipements d’imagerie, les imprimantes jet d’encre consomment généralement moins d’énergie par tâche d’impression – jusqu’à 90 % selon le format, la couleur et la vitesse du modèle d’imprimante. Le cycle de vie indicatif généralement accepté des imprimantes modernes est estimé entre 3 et 4 ans.

Après une analyse détaillée de la consommation d’énergie des imprimantes à l’échelle mondiale et régionale, il a été estimé qu’un passage à 100 % aux imprimantes jet d’encre d’ici 2025 pourrait entraîner une réduction de la consommation annuelle d’énergie des imprimantes allant jusqu’à 2 240 GWh. Selon une étude d’Epson menée avec l’Université de Cambridge, après examen de l’intensité de carbone pour chaque région, un passage aux imprimantes jet d’encre à compter du prochain cycle de vie du produit pourrait atténuer jusqu’à 1,3 tonne de CO2, chaque année, soit une réduction de 52 % des émissions d’exploitation actuelles du secteur des imprimantes et l’équivalent de 280.000 automobiles en moins sur les routes.

L’un des objectifs d’Epson dans le cadre de sa campagne « Turn Down the Heat » est d’informer le marché et de persuader les entreprises de passer à l’impression jet d’encre, cette dernière étant bien meilleure pour l’environnement.

Des recherches menées par des tiers ont montré que la technologie jet d’encre peut être jusqu’à 90 % plus économe en énergie que la technologie laser, selon le type d’imprimante et les habitudes d’utilisation. Dans le segment de l’impression professionnelle, par exemple, Epson a obtenu la validation d’organisations indépendantes qui montre que la technologie jet d’encre est 83 % plus économe en énergie que la technologie laser.

Epson est farouchement engagée dans le développement de technologies permettant d’économiser de l’énergie et de réduire les impacts environnementaux.

Le plaignant déclare qu’en France, la question de la réduction de la consommation d’électricité n’est pas pertinente car la France utilise de l’énergie nucléaire et non des combustibles fossiles. Or il s’agit d’une campagne mondiale et l’impact a été examiné à l’échelle mondiale, et pas uniquement en France.

Certes, la menace socio-écologique du changement climatique ne sera pas uniquement éradiquée grâce à des améliorations progressives de la consommation d’énergie des parcs d’impression. Cependant, l’efficacité énergétique de ces appareils contribuera à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050.

La publicité répond donc bien aux critères de la Recommandation ARPP tant dans la véracité des actions qu’au regard de la proportionnalité et de la clarté du message, ainsi que de la présentation visuelle.

Lors de la séance, les représentants de la société ont repris en substance leur argumentation. Ils ont précisé que le post litigieux renvoyait au site internet de la société. Ils ont rappelé que le propos de la publicité n’était pas de lier la chaleur émise par une imprimante et le réchauffement climatique, mais de promouvoir une technologie qui consomme beaucoup moins d’énergie, les têtes d’impression fonctionnant à froid.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :
    • 1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :

(…)

b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) /

c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».

 

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
    • 2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
    • 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) »
  • au titre de la proportionnalité (point 3) :
    • « 1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
    • 2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
  • au titre de la « clarté du message » (point 4) :
    • « 1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées».
    • « 4.6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée».
  • au titre de la « présentation visuelle ou sonore » (point 8) :
    • « 8.1 Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient. »

Le Jury relève que la publicité critiquée part du constat que la fonte des glaces en Arctique est nettement plus rapide que les prévisions et que, par conséquent (« ainsi »), le niveau des mers et océans pourra « monter plus haut que prévu » au cours du XXIème siècle. S’il est vrai que la fonte des glaciers de montagne et des calottes polaires contribue à ce phénomène, comme l’indiquent notamment les travaux du GIEC, au même titre que la dilatation thermique de l’eau sous l’effet du réchauffement climatique, tel n’est pas le cas de la fonte de la banquise arctique, comme le reconnaît l’annonceur. En outre, la fonte du permafrost qu’évoque la société Epson dans ses observations ne présente pas de lien avec les mentions de la publicité critiquée, laquelle est ainsi, d’emblée, de nature à induire en erreur le public.

Surtout, cette communication commerciale apparaît de nature à entretenir une confusion dans l’esprit d’un consommateur moyen entre le réchauffement climatique mondial, d’une part, et la chaleur émise localement par l’imprimante, d’autre part. Elle induit l’idée qu’en recourant à la technologie dite « Zéro chaleur » d’Epson, il pourrait « à [son] échelle » (chez lui), contribuer à faire « baisser la température », ce qui concourrait à lutter contre le réchauffement climatique à l’échelle mondiale et à ralentir la fonte des glaces. Or il n’existe pas de lien entre ce dernier phénomène et la production de chaleur au niveau local, notamment au niveau des têtes d’impression. Si, selon les observations de l’annonceur, cette publicité entend faire référence à la réduction de la consommation d’électricité nécessaire au fonctionnement de l’imprimante jet d’encre qu’il commercialise, par comparaison avec les imprimantes laser, ce dont il résulte de moindres émissions de gaz à effet de serre, sa lecture ne permet pas de le comprendre, en dépit du renvoi au site internet d’Epson.

En tout état de cause, à supposer que le consommateur ne soit pas induit en erreur sur ce dernier point et qu’il comprenne, en parcourant le site internet de l’annonceur, qu’en recourant aux imprimantes commercialisées par Epson, il contribuera, par une moindre consommation d’électricité, à limiter le réchauffement climatique, le Jury observe que la publicité n’indique pas dans quelle mesure, et, en particulier, ne comporte aucune précision chiffrée ni base de comparaison précise, en méconnaissance du point 4.6. de la même Recommandation. En outre, il considère que l’allégation selon laquelle la technologie « Zéro chaleur » contribuera à faire « baisser la température » mondiale n’est pas conforme à l’exigence de véracité résultant du point 2 de la Recommandation, alors que son utilisation, même massive, en lieu et place d’imprimantes laser n’est en aucun cas de nature à inverser l’évolution du climat telle qu’elle est prévue par les spécialistes. Enfin, l’allégation, d’ailleurs contradictoire avec la précédente, selon laquelle cette technologie contribuera à « limiter le réchauffement climatique », appuyée par la vidéo établissant un lien direct entre le produit offert et le niveau de la mer, donne à penser au consommateur qu’en achetant une imprimante dotée de la technologie « Zéro chaleur », il apportera une contribution significative à la lutte contre le dérèglement climatique. Or l’utilisation des imprimantes, même dotées des têtes d’impression promues par la publicité, concourt directement (par l’électricité nécessaire à sa fabrication, à sa distribution et à son fonctionnement) et indirectement (à travers la consommation du papier et de l’encre) à l’émission de gaz à effet de serre et au phénomène que l’annonceur prétend enrayer. Cette publicité est de nature à induire en erreur le public sur les propriétés du produit promu et les conséquences qui s’attacheraient à son achat.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît dans cette mesure les règles déontologiques précitées.

Avis adopté le 3 juin 2022 par M. Lallet, Président, Mmes Lenain et Boissier, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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