EKWATEUR – STEVE – Affichage – Internet – Plainte fondée

Avis publié le 6 décembre 2021
EKWATEUR – 786/21
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • la demande de mise en œuvre de la procédure d’urgence prévue à l’article 18 du règlement intérieur ayant été rejetée,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants des sociétés EDF et EKWATEUR, par visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 22 septembre 2021, d’une plainte émanant de la société EDF, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire de la société Ekwateur, diffusée en affichage et sur les réseaux sociaux, en faveur de son offre d’électricité.

La vidéo publicitaire en cause met en scène des personnes déguisées en dinosaures dans des décors de bureaux ayant des comportements ou tenues vestimentaires en contradiction avec les revendications exprimées par la voix-off (jouant au mini-golf avec des barils jaunes de déchets, port d’une casquette rouge sur laquelle est écrit « MAKE FOSSIL GREAT AGAIN », amoncellement de feuilles de papier sur lesquelles est imprimé le texte « SAUVONS LES ARBRES », présentation d’usines ou centrales de laquelle s’échappent des fumées…).

Le texte qui accompagne ces images est : « Chez les dinosaures de l’énergie, nous prenons le défi écologique très au sérieux, nous agissons au quotidien et sans relâche pour la planète, nous nous engageons à mieux consommer, à innover et à nous investir totalement dans l’énergie renouvelable. C’est notre top priorité. C’est ça l’esprit : les dinosaures de l’énergie ».

Le film conclut par une voix énonçant « Franchement, qui miserait sur eux pour changer les choses ? », « Electricité verte, bois de chauffage, gaz vert, auto-consommation. Ekwateur – Changeons d’ère, changeons d’énergie ».

Les affiches critiquées montrent :

  • La première, un dinosaure utilisant une imprimante à côté de laquelle sont présentés plusieurs tas de feuilles de papier sur lesquelles est imprimé le texte : « sauvons les arbres ». Le texte accompagnant cette image est : « Pour changer le monde, qui miserait sur les dinosaures de l’énergie ? ».
  • La deuxième, un dinosaure effectuant une présentation devant deux autres dinosaures dans une salle de réunion. Devant eux sont positionnés des bouteilles et des verres en plastique. Sur l’écran, sont projetées plusieurs images de déforestation, de centrales nucléaires et de cheminées d’usines desquelles s’échappent des fumées. Le texte accompagnant cette image est : « Evoluez plus en 3 clics avec nous, qu’en 100 ans avec les dinosaures de l’énergie ».
  • La troisième, un dinosaure se tenant devant des boîtes d’archives et piles de dossiers papiers. Il tient une feuille de papier volante ainsi qu’un classeur vide portant l’inscription « bilan ». Le texte accompagnant cette image est : « Chers dinosaures de l’énergie, il est temps de passer du Jurassique à l’éthique ».
  • La quatrième, deux dinosaures dans un open space, déplaçant sur un planisphère des figurines représentant des centrales nucléaires et des barils jaunes sur lesquelles sont dessinées des têtes de mort à l’intérieur d’un triangle noir. Le texte accompagnant cette image est : « Les dinosaures on les préfère dans les films plutôt qu’en fournisseurs d’énergie ».

Enfin, est également en cause un tweet montrant une image de dinosaure avec la légende : « Quand tu fais tomber « par erreur » le rapport du GIEC ».

2. Les arguments échangés

La société EDF, plaignante, explique que EkWateur est un nouveau fournisseur d’énergie qui propose des offres « électricité verte, gaz vert, bois de chauffage, auto-consommation ».

Le 23 août 2021, EkWateur a lancé une campagne publicitaire ainsi dénommée : « Changeons d’ère, changeons d’énergie ».

Elle est réalisée par voie d’affiches dans les métros et abribus de plusieurs villes françaises et notamment à Paris, Toulouse, Nantes, Montpellier et Lyon ainsi que par la diffusion d’une vidéo de 43 secondes sur son site internet et les réseaux sociaux. Des images de ces affiches ont d’ailleurs été publiées sur les comptes Twitter et Instagram d’EkWateur. EkWateur a ensuite diffusé une vidéo sur son site internet, ainsi que sur plusieurs réseaux (YouTube, Twitter, LinkedIn, Facebook, Instagram). Le 6 septembre 2021, la vidéo avait été visionnée plus d’un million de fois sur YouTube et 22.007 fois sur LinkedIn.

L’objectif de cette campagne publicitaire est de dénigrer les fournisseurs « historiques » d’énergie et, en particulier, EDF. Même si cette dernière n’a pas été nommément désignée, EkWateur qualifie EDF et ENGIE d’« acteurs historiques » sur son site internet.

La campagne insiste en outre sur le fait que ces « dinosaures » réalisent des présentations sur des centrales de production, évoquant pour certaines des centrales nucléaires compte tenu de la présence d’aéro-réfrigérants caractéristiques de ces installations.

Le public ne s’y est pas trompé. On a pu ainsi lire sur Twitter, le commentaire suivant : « Les mecs de @EDFofficiel dans les costumes…on vous a reconnu ! ».

EDF considère que cette campagne publicitaire méconnaît les règles déontologiques issues du code de la Chambre de commerce internationale, notamment ses articles 11 et 12, lesquels prévoient que la communication commerciale doit être loyale et ne dénigrer ni une quelconque personne ni une catégorie de personnes.

Le Jury de Déontologie Publicitaire a rappelé ces exigences à plusieurs reprises, notamment pour ce qui concerne l’énergie nucléaire (Avis « ENERCOOP » du 16 juin 2021, Avis « SYNADIS BIO » du 4 mai 2020).

En l’espèce, le dénigrement résulte du procédé consistant à mettre en opposition des slogans vertueux avec ce que serait la réalité des produits et services des dinosaures ou fournisseurs anciens, dont évidemment EDF, qui le seraient beaucoup moins.

Il en est ainsi de :

– l’affiche ayant pour slogan « Pour changer le monde, qui miserait sur les dinosaures de l’énergie ? » qui remet en cause les actions des fournisseurs historiques d’énergie. En effet, l’affiche présente un dinosaure imprimant des feuilles « sauvons les arbres » sur un nombre colossal de feuilles, empilées à côté de l’imprimante. La contradiction entre le souhait de vouloir sauver les arbres et une surconsommation de papier est d’ailleurs reprise dans la vidéo publicitaire. Pour renforcer cette contradiction, le « dinosaure de l’énergie » est présenté comme « souriant » et ayant dans sa main un verre en plastique, symbole de pollution.

– l’affiche ayant pour slogan « Evoluez plus en 3 clics avec nous qu’en 100 ans avec les dinosaures de l’énergie » renforce le contraste entre EkWateur et les fournisseurs historiques d’énergie en utilisant le terme « 3 clics » qui se réfèrent non seulement à la vitesse de l’avancée chez les nouveaux concurrents tels qu’EkWateur, mais également à l’innovation technologique qu’EkWateur serait la seule à offrir à ses clients. Par cette affiche, EkWateur stigmatise également le fonctionnement présenté comme obsolète d’EDF et des autres fournisseurs historiques ainsi que de leurs salariés, en représentant une salle de réunion dans laquelle un dinosaure fait une présentation avec pour support des images de déforestation, de centrales nucléaires et des fumées qui en émanent. L’« éthique » même de ces opérateurs est remise en cause par la représentation de dinosaures qui rient de ces images et semblent donc satisfaits de la pollution qu’ils provoquent. Par ailleurs, des bouteilles d’eau et des verres en plastique sont posées sur la table de réunion.

– l’affiche ayant pour slogan : « Chers dinosaures de l’énergie, il est temps de passer du Jurassique à l’éthique » présente un dinosaure entouré de piles de dizaines de dossiers papiers ainsi que des cartons d’archives. Encore une fois, EkWateur insiste sur l’aspect obsolète du fonctionnement et de l’organisation des entreprises telles qu’EDF du fait de leur ancienneté et leur manque d’innovation. L’image présente un dinosaure tenant une seule feuille de papier ainsi qu’un classeur étiqueté « bilan » vide. L’allusion faite ici est renforcée par le slogan de l’affiche qui souligne l’absence d’éthique des fournisseurs visés.

– l’affiche ayant pour slogan « Les dinosaures on les préfère dans les films plutôt qu’en fournisseurs d’énergie » représente deux dinosaures dans des bureaux déserts qui s’esclaffent. A l’instar des personnages malveillants dans les films en question, les dinosaures ont étalé sur une table devant eux un planisphère sur lequel sont placées cinq maquettes évoquant des centrales nucléaires et trois maquettes de barils jaunes avec une tête de mort à l’intérieur d’un triangle noir, ce qui figure donc des barils contenant des déchets toxiques. Un des dinosaures a dans sa main un quatrième baril jaune et est sur le point de le placer sur la carte, tout en riant. EkWateur remet une nouvelle fois en cause l’éthique des fournisseurs d’énergie nucléaire.

Comme le Jury l’a déjà dit, pour une campagne comparable, cette présentation « ne correspond à aucune réalité alors que le stockage souterrain de tels déchets [toxiques] obéit à des normes extrêmement strictes sous la supervision de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs ».

Les mêmes griefs peuvent être formulés à l’encontre de la vidéo publicitaire qui présente les dinosaures, donc les fournisseurs d’énergie historiques, comme dénués d’éthique, paresseux, obsolètes, sans innovation et se moquant du développement durable.

La vidéo diffuse une voix off, qui est celle d’un homme « âgé » employant la première personne du pluriel, dont les affirmations sont contredites par les images qui apparaissent au même moment. La voix off affirme ainsi : « nous prenons le défi écologique très au sérieux », alors qu’apparaît l’image de dinosaures en T-shirt vert siglé « I LOVE24 BIO » en train de se prendre en selfie sur un fond d’image de nature, faire du mini-golf avec plusieurs barils jaunes de déchets toxiques siglés de tête de mort ou décider en riant de l’emplacement sur la carte du monde des déchets toxiques.

La voix off affirme : « Nous agissons au quotidien et sans relâche pour la planète », alors qu’apparaît l’image d’un dinosaure affalé dans sa chaise lisant un journal, les pieds sur le bureau. On aperçoit d’ailleurs sur son bureau une casquette rouge sur laquelle est écrit « MAKE FOSSIL GREAT AGAIN », ce qui est une explicite référence au slogan de Donald Trump, qui a retiré les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat. L’assimilation politique est renforcée par l’image suivante dans laquelle un dinosaure joue au (mini) golf rappelant le sport favori de l’ancien président des Etats-Unis. Le tapis de golf est d’ailleurs recouvert des mêmes barils jaunes de déchets toxiques représentés sur l’une des affiches de la campagne publicitaire, laissant penser que les dinosaures jouent toute la journée et que, s’ils travaillent, c’est bien pour jouer avec l’avenir de ces déchets toxiques et donc l’avenir de la planète. Et, aux déchets toxiques s’ajoutent les feuilles de papier sur le sol sur lesquelles ont été imprimées le texte ironique : « SAUVONS LES ARBRES ».

Le dinosaure qui tient un gobelet en plastique avec une paille est de nouveau représenté près de l’imprimante. A ce même moment de la vidéo, le narrateur affirme « Nous nous engageons à mieux consommer ». La voix off affirme que les « dinosaures de l’énergie » s’engagent « à innover » lorsqu’apparait l’image d’un dinosaure endormi dans un fauteuil avec un livre intitulé « le renouvelable pour les dinos » dont la couverture jaune et noire évoque la collection « pour les nuls », à côté d’un minitel « 3615 DINO ». La voix off affirme que les
« dinosaures de l’énergie » s’engagent à s’« investir totalement dans l’énergie renouvelable », alors qu’un dinosaure répond au téléphone tout en admirant ce qui semble être une tour réfrigérante de centrale nucléaire de laquelle émanent des fumées.

La voix off précise en outre que l’ensemble de ces engagements sont leur « top priorité », alors qu’apparaissent plusieurs dinosaures dans une salle de réunion. Les participants rient, de manière machiavélique au regard de la gestuelle du dinosaure en tête de table.

Enfin, la voix off de l’homme âgé affirme : « C’est ça l’esprit : les dinosaures de l’énergie » alors qu’on voit qu’aucun ne travaille et tous font la fête. Pour finir on entend une deuxième voix off d’une jeune femme (mise en contraste avec celle de l’homme âgé représentant les dinosaures) qui affirme « Franchement, qui miserait sur eux pour changer les choses ? ».

Les produits fournis par EkWateur ne sont mentionnés qu’à partir de la 35ème seconde.

Au total, sous couvert d’humour, le message que porte cette vidéo est sans équivoque : EDF y est présentée comme un fournisseur d’énergie qui promet de s’engager dans le développement durable, et qui en réalité trompe les consommateurs.

Concernant enfin le tweet « Quand tu fais tomber « par erreur » le rapport du GIEC », les guillemets entourant la précision « par erreur » témoignent de ce que ce serait justement intentionnel de la part des dinosaures d’ignorer les recommandations du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat, qui a rendu un nouveau rapport, le 10 août 2021, particulièrement alarmant sur les conséquences irréversibles du réchauffement climatique.

« Faire tomber » ce rapport signifie clairement : ne pas en tenir compte, voire s’en moquer. Il s’agit donc d’une nouvelle phrase dénigrante. L’agence Steve, qui en est l’auteur, présente la campagne publicitaire d’EkWateur dans les termes suivants : « On y découvre le quotidien d’énergéticiens préhistoriques, occupés à engranger toujours plus de bénéfices plutôt qu’à changer pour véritablement aider la planète ».

Le message est clair : EDF est présentée, avec les autres acteurs historiques de l’énergie, comme étant davantage intéressée par ses profits qu’au bien-être de la planète, notamment via les commentaires qu’elle publie en réponse à ceux des internautes. Et il est bien reçu comme tel par le public. Sur Instagram, un internaute commente par exemple une de ses publications du 26 août 2021 : « Ça rapporte l’énergie … ». EkWateur répond : « […] les dinos en savent quelque chose ! ».

En réponse à une lettre officielle adressée par la société Ekwateur, EDF précise :

  • qu’elle est incontestablement désignée par l’image du dinosaure, ce que confirme le site internet de la société Blackpizza, webdesigner en charge de la refonte des interfaces d’Ekwateur, et un commentaire de la vidéo sur LinkedIn
  • qu’il est logique qu’EDF se sente plus concerné qu’Engie puisqu’Ekwateur se positionne essentiellement sur les offres d’électricité ;
  • que le droit à la caricature n’est pas exclusif du dénigrement, comme le juge la Cour de cassation ;
  • que le préjudice causé à EDF est considérable eu égard à la gravité des accusations et à la période de diffusion.

EDF précise avoir tenté de régler le litige à l’amiable et d’avoir mis en demeure Ekwateur de mettre fin à la diffusion de cette campagne, sans succès. Elle a sollicité la mise en œuvre de la procédure d’urgence.

La société Ekwateur a été informée, par courriel avec accusé de réception du 12 octobre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir tout d’abord que, au regard du principe d’égalité des armes, l’autorisation donnée à Ekwateur de ne développer ses arguments que sur « 2 pages maximum » est singulière, alors que le demandeur peut étaler les siens sur 9 pages et produire 33 pièces pour les appuyer.

La campagne, objet de la plainte, présente Ekwateur comme une entreprise éthique et innovante qui cherche des solutions face aux problèmes du réchauffement climatique, à la différence d’un concurrent fictif, la « Dino Worldwide Company » (DWC), qui emploie des marionnettes de dinosaures.

Sur un ton humoristique, celles-ci sont mises en scène dans un univers bio. Puis elles agissent soi-disant « sans relâche pour la planète » alors qu’elles lisent le journal ou jouent au golf. Elles consomment mieux mais gâchent des ramettes de papier « sauvons les arbres ». Elles innovent mais s’endorment sur « le renouvelable pour les nuls ». La vidéo est relayée par quatre affiches publicitaires.

L’objectif est d’interpeller les consommateurs sur l’urgence climatique et de les inviter à s’interroger sur leurs choix de sources d’énergie et l’incidence de ceux-ci. A cette fin, les personnages « dinos », aussi caricaturaux que provocateurs, représentent un concurrent putatif affichant une posture de communication en parfaite contrariété avec ses actions. Il n’est autre chose que le miroir de ce que ne devrait pas être un fournisseur d’énergie et, par opposition, renvoie aux valeurs de notre cliente.

EDF, entreprise de 70 MM€ de chiffre d’affaires, ancien monopole, résiste à l’émergence d’une nouvelle concurrence, celle des fournisseurs alternatifs, micro-entreprises par rapport à ce géant. Ekwateur, 0,1 MM€ de chiffre d’affaires, est victime d’une manœuvre visant à la priver du bénéfice d’une campagne aussi créative que licite.

La société Ekwateur rappelle que l’ARPP, saisie pour avis par l’Agence Steve, au vu d’un premier projet, avait attiré l’attention de l’Agence sur un risque de dénigrement résultant d’un visuel de plate-forme pétrolière (on voit à cet égard qu’EDF n’était pas visée), craignant qu’elle permette d’identifier un concurrent. Elle a approuvé la campagne d’affichage, dont elle ne demandait que des modifications de détail et la version finale du film publicitaire, qu’elle estimait conforme aux dispositions déontologiques et juridiques en vigueur. L’avis de l’ARPP ne peut qu’être approuvé.

Le dénigrement prohibé par le code ICC doit porter sur « une quelconque personne ou catégorie de personnes ». Il faut rechercher si « dans l’esprit des consommateurs » concernés, la publicité litigieuse vise, explicitement ou implicitement, la personne, les produits ou services qui constituent la cible de la publicité. Il faut pouvoir identifier un ou plusieurs concurrents, ou les produits ou services d’un ou plusieurs concurrents comme étant
« concrètement » visés par le message publicitaire. Le critère d’évaluation est « le consommateur moyen qui est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques ».

On sait que « L’humour créé « une distance » entre les consommateurs et le monde marchand car il met en scène la réalité plus qu’il ne la montre. Le décalage, l’outrance, l’hyperbole que l’humour installe, permet au consommateur de « gérer » le message, son contenu et sa crédibilité ».

Le consommateur, raisonnablement avisé, pourra donc analyser avec recul une publicité à l’« humour décalé » ainsi qu’apprécier « l’appel au registre humoristique de l’absurde ».

En l’espèce, le simple ton de la campagne suffit à ce que le consommateur ne puisse voir dans la « DWC » ni un concurrent réel, ni les entreprises du secteur, ni un produit spécifique (scénario humoristique, emploi de maquette, caractères caricaturaux). Il comprend à l’évidence qu’il s’agit d’un univers totalement imaginaire.

Le marché de l’énergie est divers dans les produits qui y sont offerts, de plus en plus substituables, les acteurs de l’énergie fossile sont internationaux, comme le deviennent les fournisseurs d’électricité. Le marché compte un nombre infini d’entreprises « historiques » dont la plupart sont bien plus anciennes qu’EDF. Le nombre d’entreprises concurrentes d’Ewateur est telle qu’il dissuadera encore plus le consommateur de voir, dans la campagne, une entreprise déterminée.

La campagne a pour thème l’action pour le climat qui vise d’autant moins EDF que le consommateur normalement informé sait que l’électricité d’origine nucléaire n’émet pas de gaz à effet de serre. De plus, cette entreprise investit dans le secteur renouvelable, à l’inverse de la « DWC », et le fait savoir, à grand renfort de communication. Paradoxalement, EDF en arrive à produire des pièces qui ne font un parallèle qu’avec l’énergie fossile.

La « DWC » est, encore, une entreprise internationale qui pousse ses pions sur l’échiquier du monde (vidéo 28’’), là où EDF est, pour le consommateur normalement informé, une entreprise dont les activités sont majoritairement nationales.

Les moyens avancés par EDF n’établissent pas que la campagne l’identifie.

Le terme « dinosaure » ne signifie pas, en français, dans son sens imagé, « historique ». Une entreprise « historique » n’est pas nécessairement un « dinosaure », qualificatif dont personne n’affublerait des entreprises bien plus anciennes qu’EDF comme Saint-Gobain (1665), Michelin (1832), Hermès (1880), Renault (1899), ou L’Oréal (1909). Selon Ekwateur, il n’y a rien d’autre qu’une fraude intellectuelle, montée pour les seuls besoins de l’argumentation, à associer « dinosaure » à Engie ou EDF, au motif que l’une est l’ancien monopole du gaz et l’autre celui de l’électricité. ENGIE ne s’est d’ailleurs pas reconnue dans la campagne, ni ne s’est manifestée auprès d’Ekwateur ou du JDP. La société Ekwateur ajoute que le dinosaure est un symbole universel d’extinction que l’ONU a choisi pour illustrer sa campagne avant la COP26.

D’ailleurs, alors que la vidéo des « dinosaures de l’énergie » a fait plus de 2 millions de vues, EDF parvient avec peine à produire un unique « tweet » dans lequel un usager, opportunément anonyme et derrière lequel on ne sait qui se dissimule, reconnaîtrait
« @EDFofficiel ». 1 / 2.000.000ème est une identification ni quantifiable, ni raisonnable d’EdF. La presse, abondamment citée par EdF, ne l’a d’ailleurs jamais identifiée comme la « DWC ». De même, le commentaire posté sur le réseau LinkedIn est isolé et non représentatif eu égard à la profession de son auteur.

EDF prétend qu’on devrait l’identifier parce que la vidéo, à la 28ème seconde, montrerait des miniatures de prétendues centrales nucléaires. Ces miniatures représentent n’importe quel site industriel, avec des cheminées thermiques que n’ont pas les centrales nucléaires et des tours aéroréfrigérantes dont elles n’ont pas le monopole. Pour le consommateur moyen, les miniatures, peu reconnaissables, ne représentent pas des centrales nucléaires mais un complexe pétrochimique. De même, les bidons toxiques ne comportent pas le symbole de la radioactivité, mais plus généralement du danger (tête de mort avec deux tibias croisés).

Les arrêts cités par EDF n’entretiennent aucun rapport avec le débat élevé devant le Jury.

Aucun élément de la campagne publicitaire ne permet donc de considérer que le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques, assimilerait les dinosaures à EDF.

En conséquence, il n’y a aucun intérêt à ce qu’EDF développe, à longueur de pages, que les messages véhiculés par la campagne seraient dénigrants. Dénigrer la « DWC », par des messages caricaturaux et humoristiques, n’est pas, au sens de l’article 12 ICC, du dénigrement, faute qu’une entreprise soit identifiée.

La société d’affichage Médiatransports a également été informée, par courriel avec accusé de réception du 12 octobre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle indique que les visuels en cause ont été affichés sur les réseaux de la RATP et de la SNCF du 26 août 2021 au 8 septembre 2021 sans faire l’objet d’une validation juridique à la suite de l’interrogation de l’ARPP par le service « Conformité des visuels ».

L’ARPP a émis des remarques au regard de la Recommandation « Développement durable » mais n’a relevé aucun manquement au Code ICC, et plus particulièrement à ses articles 11 et 12. Ces remarques ont été remontées à l’annonceur qui a effectué les modifications nécessaires pour la mise en conformité de ces visuels avec le conseil de l’ARPP.

L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) indique que, quel que soit le secteur d’activité, elle veille au respect des principes déontologiques essentiels applicables à toute publicité qui visent à préserver une publicité loyale et véridique. Il en va ainsi, notamment, des articles 11 et 12 du Code ICC sur la publicité et les communications commerciales invoqué dans le présent dossier.

Concernant la campagne litigieuse, le conseil de l’ARPP a été sollicité, dès le mois de juin 2021, par l’agence de communication STEVE, puis par l’afficheur Médiatransports, tous deux adhérents.

L’ARPP les a alertés sur le respect de ces règles, compte tenu de l’axe de communication choisi. En particulier, elle a attiré l’attention de l’agence sur le choix des allégations et présentations visuelles afin de ne pas, justement, être constitutif d’un dénigrement, ni revendiquer des actions en matière environnementale qui seraient impossibles à démontrer.

Certaines allégations relatives, par exemple, à la critique du nucléaire ou la présentation de comportements inciviques ou contraires aux objectifs de développement durable ont été relevées. Il a été rappelé la nécessité de veiller à ce qu’aucun lieu ne soit identifiable afin qu’aucun concurrent ne soit susceptible d’être visé explicitement par le discours de la publicité. En outre, concernant le propos lié à l’environnement, et conformément à la Recommandation « Développement durable », l’ARPP a souligné l’importance de tenir un discours proportionné aux actions menées par l’annonceur en matière de développement durable et conseillé, à ce titre, d’atténuer certaines allégations ou d’éviter le recours à des illustrations visuelles pouvant induire à tort une innocuité environnementale de l’activité de l’annonceur. Au final, les modifications suggérées par l’ARPP ont été apportées.

Dans son analyse, l’ARPP a tenu compte des points suivants :

  • la mise en scène est très caricaturale et décalée et repose clairement sur un ressort humoristique ;
  • elle ne permet pas de cibler précisément un fournisseur d’énergie (il existait 55 marques commerciales de fournisseurs actifs d’électricité au 30 juin 2021, dont 4 fournisseurs historiques) ;
  • le propos met l’accent sur l’impérieuse nécessité de changer de modèle énergétique et de sensibiliser l’opinion à ce sujet ;
  • Ekwateur est effectivement un nouvel acteur du secteur depuis cinq ans, proposant exclusivement des offres d’énergies renouvelables participant pleinement à la transition énergétique ;
  • la promotion des énergies renouvelables fait partie des politiques environnementales et va dans le sens des attentes de consommateurs.

Cette campagne a ainsi pu être considérée comme respectant les dispositions déontologiques en vigueur et la campagne a donc été validée en août 2021.

3. L’analyse du Jury

Sur la régularité de la procédure

Le Jury prend note que, dans les premières observations qu’elle a produites, la société Ekwateur se plaint de ne pouvoir formuler une réponse de plus de deux pages. Toutefois, d’une part, le courrier électronique du secrétariat du Jury l’invitant à produire ses observations se borne à lui demander de le faire, « si possible », en deux pages, et il était loisible à la société de solliciter la possibilité de produire une réponse plus développée. D’autre part, et en tout état de cause, la société a produit des observations complémentaires, en réponse à celles d’EDF. Enfin, elle a pu exprimer de nouveau l’ensemble de ses arguments au cours de la séance.

Par suite, le caractère contradictoire de la procédure a été pleinement respecté.

Sur la conformité de la campagne publicitaire aux règles déontologiques

Le Jury rappelle que le Code de la chambre de commerce internationale « Publicité et marketing », dit code ICC, prévoit :

  • en son article 11 – Comparaisons, que :

« La communication commerciale contenant une comparaison doit être conçue de telle sorte que la comparaison ne soit pas de nature à induire en erreur le consommateur et elle doit respecter les principes de la concurrence loyale. Les éléments de comparaison doivent s’appuyer sur des faits objectivement vérifiables et qui doivent être choisis loyalement. »

  • et en son article 12 – Dénigrement, que :

« La communication commerciale ne doit pas dénigrer une quelconque personne ou catégorie de personnes, une entreprise, une organisation, une activité industrielle ou commerciale, une profession ou un produit, ou tenter de lui attirer le mépris ou le ridicule public. »

Le Jury relève que la campagne publicitaire litigieuse, dont la consistance précise est décrite aux points 1 et 2 ci-dessus, met en scène de faux dinosaures dans des environnements de travail, adoptant des comportements radicalement contraires aux objectifs, principes et solutions du développement durable, qu’ils tournent en dérision. Le propos général est d’inciter le public à opter pour les offres d’énergie de la société Ekwateur, présentées comme plus vertueuses sur le plan écologique, et à se détourner des « dinosaures de l’énergie » dont la seule préoccupation serait d’engranger des profits, fût-ce en détruisant la planète par un comportement irresponsable et non éthique.

Le Jury estime que les principes généraux issus des articles 11 et 12 du code ICC font obstacle à une publicité qui procèderait à une comparaison trompeuse avec une offre ou une entité clairement identifiée, ou se livrerait à une critique malveillante et tendancieuse d’une entreprise nommément désignée ou identifiable. Ils ne sauraient en revanche s’interpréter comme prohibant la critique légitime d’une pratique commerciale réelle ou potentielle.

En l’espèce, le Jury constate que la société EDF n’est citée à aucun moment dans cette campagne publicitaire, pas plus que sur les pages de son site internet la reprenant. En outre, si certaines installations de production d’électricité représentées dans la campagne publicitaire en cause sont susceptibles d’évoquer des centrales nucléaires dans l’esprit d’une partie du public, le Jury estime que cette association prête à discussion et que ces visuels ne peuvent donc s’analyser comme désignant EDF.

Toutefois, le Jury relève que, si la société Ekwateur a indiqué devant lui que l’objectif de cette campagne a été de stigmatiser une entité fictive, la « Dino Worldwide Company », celle-ci n’apparaît à aucun moment dans le film ni dans les affiches. En outre, ces publicités incitent clairement les clients à changer de fournisseur d’électricité ou de gaz et à abandonner ainsi les « dinosaures de l’énergie », ce qui suppose intuitivement que cette métaphore désigne une ou des entreprises réellement présentes sur le marché. Dans l’esprit du consommateur moyen s’interrogeant sur l’identité de ce ou de ces opérateurs, cette notion renvoie spontanément aux « opérateurs historiques », c’est-à-dire ceux qui se trouvaient en situation de monopole avant l’ouverture à la concurrence, en particulier EDF et GDF, devenue Engie, et qui sont aussi ceux dont les parts de marché sont particulièrement convoitées par les opérateurs dits « alternatifs » comme la société Ekwateur. Cette dernière n’a du reste fait état d’aucune autre entreprise qui correspondrait mieux, aux yeux du consommateur, à cette désignation.

A cet égard, le Jury estime impossible de considérer que la notion de « dinosaures de l’énergie » ferait référence à l’énergie fossile en général, comme le suggère également l’annonceur. En effet, l’ensemble des opérateurs du marché, y compris ceux qui ne proposent que des offres dites « vertes », fournissent leurs clients en électricité dont la composition correspond à celle du bouquet (mix) énergétique français, lequel comprend une part d’énergie fossile, fût-elle très minoritaire. En outre, la très forte personnification des « dinosaures de l’énergie » et l’incitation à les quitter au profit de la société Ekwateur démontrent clairement qu’il s’agit de désigner et stigmatiser une ou des entités commerciales, et non une source d’énergie.

Enfin, le Jury relève que l’une des affiches propose aux clients d’évoluer « plus en 3 clics avec nous qu’en 100 ans avec les dinosaures de l’énergie », ce qui montre qu’il est ainsi fait référence à un ou des opérateurs présents de très longue date sur le marché de l’électricité. En dépit de l’exagération que comporte l’allégation, notamment dans la référence à un siècle d’existence, une telle formule ne peut désigner que les opérateurs historiques, en particulier le groupe EDF.

La campagne litigieuse, qui reproche sans justification solide aux « dinosaures de l’énergie » des pratiques grossièrement contraires aux objectifs et solutions communément admises en matière de développement durable et un comportement non éthique (« Jurassique » étant ici opposé à éthique »), procède ainsi au dénigrement d’une catégorie de personnes morales – les opérateurs historiques – identifiables derrière la métaphore animalière (en particulier grâce à la référence aux « 100 ans »), et se livre à une comparaison de nature à induire en erreur le public.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que la campagne publicitaire en cause méconnaît les règles déontologiques invoquées.

Avis adopté le 5 novembre 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Boissier, Charlot et Lenain ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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