DOCUSIGN – Internet – Plainte fondée – Demande de révision rejetée

Avis publié le 14 décembre 2022
DOCUSIGN – 867/22
Plainte fondée
Demande de révision rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le représentant de l’association plaignante Two Sides France, d’une part, et la représentante de la société Docusign et son conseil, d’autre part, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 30 juin 2022, d’une plainte émanant de l’association Two Sides France, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de publicités digitales en faveur de la société Docusign, pour promouvoir son offre de service de signature électronique de documents.

La publicité diffusée sous la forme d’un tweet comporte :

  • le texte suivant : « #WorldEnvironmentDay Nous avons qu’une seule planète. Prenons-en soin. Rejoignez-nous pour préserver nos forêts, économiser du papier et de l’eau et réduire les émissions carbone». Il est entrecoupé de pictogrammes représentant, l’un, la planète Terre, et l’autre, un sapin ;
  • Et une vidéo représentant un surfeur marchant vers la mer, des vagues s’échouant sur une plage et une forêt. Les textes suivants apparaissent en incrustation : « Ensemble, nous avons un impact positif », « 22 milliards de litres d’eau sauvés », «Plus de 6 millions d’arbres sauvés depuis 2003 » et « 55+ milliards de feuilles de papier sauvées ».

Le plaignant met également en cause un post LinkedIn comportant le même message.

2. Les arguments échangés

Le plaignant énonce que la publicité suggère un impact de l’usage de papier sur la forêt. Il relève que la communication promotionnelle a été faite à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement et vise donc à promouvoir le caractère écologiquement vertueux des services de Docusign par comparaison avec l’usage du papier, en contravention aux règles édictées dans les Recommandations de l’ARPP.

Il considère que, concernant la Recommandation « Mentions et renvois », la publicité ne procède à aucune mention ou renvoi permettant d’identifier les sources à l’appui de ces chiffres.

Concernant la Recommandation « Développement durable », il relève que Docusign ne présente pas les impacts de ses produits. L’entreprise minimise ainsi les conséquences de la consommation de ses produits susceptibles d’affecter l’environnement en suggérant de fait qu’ils n’en auraient pas, ou moins que l’utilisation de papier, sans justifier ce propos.

Selon le plaignant, en ne présentant pas les impacts environnementaux du produit vendu par Docusign, cette publicité induit le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ainsi que sur les propriétés de ses produits en matière environnementale.

Il considère que le message publicitaire n’exprime pas avec justesse les propriétés des produits de l’annonceur, dans la mesure où cette publicité ne présente que des éléments critiques d’un moyen de communication concurrent et n’évoque à aucun moment les impacts environnementaux de ses propres produits :

  • Les sources à l’appui des impacts écologiques allégués pour le papier ne sont pas mentionnées. Elles ne sont donc ni claires ni lisibles.
  • En évoquant les impacts du papier et en suggérant que le recours à son produit permet
    « d’avoir un impact positif », Docusign établit clairement une comparaison sans en indiquer la base.
  • Les termes, expressions ou préfixes utilisés laissent entendre indûment par défaut et par comparaison au papier une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur.
  • L’emploi d’éléments visuels évoquant la nature induit en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur.
  • Par le rapprochement visuel et direct fait entre les arbres et le papier, Docusign assimile ce dernier directement à un élément naturel sur lequel il aurait un impact négatif.
  • Après avoir effectué une recherche, il apparaît qu’une page du site de Docusign fournit des éléments à l’appui d’une partie de ces allégations environnementales (https://www.docusign.fr/forests). Outre que cette page n’est pas mentionnée dans les publicités faisant l’objet de cette plainte et n’est pas directement et facilement identifiable sur le site internet de l’entreprise, les sources mises en avant confirment que les éléments chiffrés reposent sur des bases inappropriées. Docusign indique ainsi :
    • « DocuSign utilise la calculatrice de papier consommé (version 4.0) fournie par l’Environmental Paper Network », sans pour autant que puisse être connu le détail des hypothèses retenues, qui peuvent fortement influer sur le résultat d’un calcul d’impact environnemental.
    • « Le calculateur de papier consommé de l’Environmental Paper Network utilise des données provenant d’Amérique du Nord. », confirmant que les bases de référence de son calcul reposent sur des hypothèses inadaptées au marché européen et français, où des paramètres essentiels diffèrent (types d’énergie, origine des matières premières, taux de recyclage etc.)
    • « DocuSign reconnaît que ses opérations ont un impact environnemental, comme les émissions de CO2 de ses centres de données et les déplacements de ses employés. L’environnement est une préoccupation majeure de notre entreprise, et nous continuerons à donner la priorité aux activités visant à réduire l’impact environnemental de notre activité, afin de maximiser les avantages de l’utilisation de DocuSign par rapport aux alternatives papier. »

Le plaignant également à Docusign d’admettre que ses produits ont des impacts environnementaux et de ne pas fournir d’informations à ce sujet. Pourtant, une étude réalisée récemment par La Poste dans les règles de l’art de l’ACV et applicable au marché français établit qu’« une facture envoyée par courrier adressé comparée à une facture électronique accessible en ligne sur un site web avec notification par mail présente un bilan plus favorable que le numérique pour 9 indicateurs environnementaux étudiés sur 16, et notamment le changement climatique ».

Le plaignant considère que le bénéfice environnemental du numérique face au papier n’est pas acquis et que les éléments fournis sont incomplets se concentrant sur les émissions de CO2 et l’eau, Docusign ne fournissant aucune justification concernant les arbres qui seraient sauvés par une économie de papier.

Il ajoute que les statistiques professionnelles (COPACEL en France, CEPI en Europe) indiquent que le bois utilisé pour produire le papier provient soit du recyclage, soit de produits connexes de la filière bois (chute de scieries, bois d’éclaircies) : en pratique, les arbres seront coupés pour d’autres raisons (entretien des parcelles sylvicoles, production de bois d’œuvre), l’économie de papier par conséquent n’ayant pas l’effet allégué par Docusign de sauver des arbres.

Le plaignant souligne que Docusign ne mentionne à aucun moment cet aspect de la production du papier et rappelle que, dans un cas similaire, le JDP avait précédemment statué en indiquant que l’annonceur concerné « [laissait] entendre que la production de papier de cellulose impose la coupe d’arbres, sans justifier son propos ni prendre en considération la récupération de chutes de bois de scieries ou l’entretien nécessaire à la bonne gestion de la forêt. »

Enfin, il conteste les chiffres avancés par Docusign (55 milliards de feuilles économisées permettant de sauver 2,5 millions d’arbres) qui conduisent au chiffre fantaisiste de moins de 40 kg pour le poids moyen d’un arbre, soit le poids d’un labrador.

Le représentant de la société Docusign relève que la vidéo critiquée n’est pas communiquée en support de la plainte, ce qui est un motif d’irrecevabilité de celle-ci au titre du 4° de l’article 11.1 du règlement intérieur du JDP et contraire au principe du contradictoire auquel le Jury est particulièrement attaché.

Il fait valoir que cette communication temporaire publiée sur Twitter pour la journée de l’environnement le 5 juin 2022 s’inscrit dans le cadre d’une démarche beaucoup plus large de Docusign en faveur de la protection des forêts au niveau mondial, en cohérence avec son activité économique et son principal produit de signature électronique DocuSign eSignature.

A cet égard, il soutient que Two Sides ne saurait contester que la signature de documents de manière électronique permet de faire l’économie de l’impression d’importantes quantités de papier.

Docusign a estimé que sa solution aurait aidé des centaines de millions de personnes dans le monde à remplacer plus de 20 milliards de feuilles de papier par des processus numériques. Ces estimations en date de janvier 2020 sont basées sur le nombre total de transactions via DocuSign eSignature depuis la création de la société en 2003 et reposent sur le postulat prudent que les destinataires d’un document l’impriment une fois en moyenne.

Two Sides ne saurait davantage sérieusement contester le fait que le papier économisé par la solution de signature électronique de DOCUSIGN provient en partie d’arbres abattus. Comme expliqué par Docusign sur son site internet, en utilisant la calculatrice de papier consommé (version 4.0) fournie par l’Environmental Paper Network pour estimer les économies réalisées Confidentiel 2 grâce à la réduction de la consommation de papier, il est possible d’estimer que l’économie de 20 milliards de feuilles de papier correspond à l’abattage d’environ 2,5 millions d’arbres.

Cette estimation repose sur l’hypothèse prudente que 10% du papier produit dans le monde provient de contenu recyclé, alors que le rapport établi en 2018 par l’Environmental Paper Network sur l’état de l’industrie papetière mondiale évoquait un chiffre plus faible de 8% (p. 4 du rapport), comme cela est précisément documenté par Docusign sur son site internet.

L’annonceur relève que, contrairement à ce qu’allègue Two Sides, dont la vision reste limitée à la France, la circonstance que le calculateur de papier consommé de l’Environmental Paper Network utilise des données reconstituées en Amérique du Nord est totalement indifférent. En effet, les chiffres mentionnés par Docusign concernent l’ensemble de la planète et non uniquement la France ou l’Europe. Les problématiques liées à l’environnement ne se cantonnent pas aux frontières des Etats ou même des continents.

L’annonceur estime que l’opportunisme de la plainte de Two Sides est illustré par les points de la Recommandation « Développement durable » prétendument méconnus. Par exemple, il semble évident que les points 1.1 c), 3.1, 8.3 ou 8.4 de la Recommandation visés par la plainte ont vocation à s’appliquer à une publicité vantant des produits notoirement polluants. Or le produit commercialisé par Docusign n’est qu’une solution permettant de faire l’économie de l’impression de feuilles de papier. En ce sens, l’analogie faite par la plainte avec l’étude réalisée par la Poste n’a, selon lui, aucun sens : la solution proposée par Docusign ne remplace pas les documents papier par un envoi par email, elle offre seulement une solution sécurisée pour éviter l’impression de papier inutile.

L’assimilation faite par Two Sides du papier comme un « moyen de communication concurrent » de la solution proposée par Docusign révèle à cet égard sa totale incompréhension de ce qu’elle critique : de nouveau, Docusign ne propose pas un service d’envoi d’emails ni un « moyen de communication ».

Lors de la séance, le représentant de l’annonceur a insisté sur le fait que Two Sides est connue pour son activisme intense consistant à critiquer tout organisme qui évoquerait l’impact de l’industrie du papier sur l’environnement.

Il a rappelé que les communications en cause, diffusées le Jour de la terre sur différents supports (Twitter, LinkedIn…), étaient temporaires et avaient été retirées en juillet après seulement quelques semaines de diffusion. Elles résultaient d’une action isolée d’un salarié de DOCUSIGN en France qui n’avait pas reçu l’aval des services juridique et de communication de l’entreprise. Elles n’ont eu qu’une audience très limitée et ne seront pas rediffusées. L’annonceur récuse l’idée qu’elle aurait entendu porter préjudice à l’industrie du papier. L’objectif est de valoriser l’intérêt des processus numériques. Il a conclu que la communication de Docusign contre la déforestation était conforme en tous points à la Recommandation « Développement durable » et respectueuse de l’ensemble de ses points cardinaux que sont les principes de véracité, de proportionnalité, de clarté et de loyauté.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur l’identification des publicités en cause

Il résulte du 4° de l’article 11-1 du règlement intérieur du Jury de déontologie publicitaire que la plainte doit comporter une copie ou une reproduction de la publicité mise en cause ou, à défaut, indiquer le plus précisément possible où et quand cette publicité a été diffusée. Cette condition de recevabilité doit être regardée comme remplie dès l’instant que le Jury est en mesure d’identifier avec certitude la publicité critiquée.

Le Jury relève que la plainte comporte un lien vers le tweet et le post LinkedIn critiqués, qui sont par ailleurs décrits de façon précise. Les publicités en cause sont donc clairement identifiées, même si les liens hypertextes ne sont désormais plus fonctionnels.

3.2. Sur la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP

La Recommandation « Mentions et renvois » prévoit en son point 2.4 : « Pour la communication publicitaire digitale, qu’« Une attention particulière sera portée à la durée d’exposition et à la taille de caractères des mentions compte tenu de la diversité des formats, des techniques et des supports publicitaires existants. Dans les messages publicitaires faisant apparaître des mentions au sein d’un texte défilant, une attention particulière sera également portée à sa vitesse de déroulement et à son bon contraste par rapport à la couleur de fond. / Lorsque le format, la technique ou le support publicitaire ne permet pas d’inscrire les mentions sur la publicité elle-même, elles seront rendues directement accessibles par tout autre moyen ».

Le Jury observe que cette dernière Recommandation ne s’applique qu’en présence d’une mention ou d’un renvoi, dont elle vise à garantir l’intelligibilité et l’accessibilité. Or le tweet litigieux n’en comporte pas s’agissant des sources utilisées à l’appui des chiffres cités, ce que le plaignant lui reproche, précisément. Par suite, ce grief ne peut être retenu.

3.3. Sur la Recommandation « Développement durable »

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, prévoit que :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :

« 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ; / (…) 2.3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (…) »

  • au titre de la proportionnalité du message (point 3) :

« 3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. (…) /

3.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. (…) ».

  • au titre de la clarté du message (point 4) :

« 4.1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ; (…) / (…) / 4.6 Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée.

  • au titre du vocabulaire (point 7) :

« 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.

(…)

7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.

7.4 Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur.

  • au titre de la présentation visuelle ou sonore (point 8) :

« 8.1 Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient.

8.3 Sans exclure leur utilisation, l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur. »

En premier lieu, le Jury constate que les allégations chiffrées « 22 milliards de litres d’eau sauvés », « Plus de 6 millions d’arbres sauvés depuis 2003 », « 55+ milliards de feuilles de papier sauvées Docusign », qui constituent des arguments de réduction d’impact au sens du point 4.6 de la Recommandation, ne sont assorties d’aucune précision et d’aucun renvoi, notamment au site internet de l’annonceur, permettant d’expliciter ces chiffres et de connaître tant la période considérée que la base de comparaison utilisée. Cette imprécision ne permet pas de comprendre en quoi les services proposés présentent les qualités revendiquées. De même, l’allégation globale « réduire les émissions carbone » n’est pas accompagnée de précisions chiffrées, contrairement à ce que prévoit le même point 4.6.

En deuxième lieu, le Jury considère que l’allégation : « ensemble nous avons un impact positif » induit l’idée que l’activité de Docusign aurait pour effet, par elle-même, de protéger l’environnement. A tout le moins, elle minimise l’incidence écologique des solutions numériques qu’elle propose, qui n’est d’ailleurs pas rappelée. La portée et la généralité du message sont, à cet égard, renforcées par la référence au « jour de la Terre », date à laquelle le tweet a été publié, par les pictogrammes « planète » et « sapin », et par les paysages représentés dans la vidéo, dont certains (plage et mer) n’entretiennent qu’un lien distendu avec le propos de la publicité. Cette présentation globale revêt un caractère disproportionné au regard de la réalité de l’impact environnemental des activités de l’annonceur et est susceptible d’induire en erreur le public à cet égard.

En troisième et dernier lieu, le Jury relève que, sur son site Internet et dans les observations présentées par l’annonceur, ce dernier explicite les modalités de calcul des chiffres critiqués ayant figuré sur les réseaux sociaux. Il est notamment indiqué, d’une part, que la société a fait appel au calculateur de papier de l’Environmental Paper Network (« Paper Calculator 4.0 »), dont il est précisé qu’il utilise des données provenant d’Amérique du Nord et dont les modalités de fonctionnement sont expliquées sur le site du calculateur auquel il est renvoyé ; d’autre part, qu’elle s’est fondée sur le nombre total de transactions effectuées via DocuSign eSignature depuis la création de la société en 2003 ; et, enfin, qu’elle a utilisé les hypothèses suivantes : les destinataires d’un document ne l’imprimeront qu’une fois, en moyenne ; « étant donné que tout le papier ne provient pas de fibres d’arbres vierges, l’estimation de l’impact environnemental de la réduction de l’utilisation du papier suppose un pourcentage de contenu recyclé de 10 %, légèrement supérieur et plus prudent que l’estimation de 8 % contenue dans le rapport 2018 State of the Global Paper Industry Report ».

Le Jury estime que ces éléments permettent de comprendre l’équivalence avancée par la publicité entre une certaine consommation de feuilles de papier et le nombre d’arbres et le volume d’eau nécessaires à leur production, en tenant compte de ce qu’une part du papier consommé provient du recyclage. Toutefois, d’une part, les feuilles de papier peuvent être produites grâce à la récupération de chutes de bois de scieries ou avec des arbres qui ont été abattus dans un autre but que cette production, notamment au titre de l’entretien nécessaire à la bonne gestion de la forêt. Devant le Jury, la société Docusign n’apporte à cet égard que des explications approximatives en indiquant pas exemple que « le papier économisé par la solution de signature électronique de DOCUSIGN provient en partie d’arbres abattus. ». Il ne saurait dès lors être prétendu que les 55 milliards de feuilles de papier économisées grâce à la signature électronique Docusign représenteraient 2,5 millions d’arbres « sauvés » – c’est-à-dire des arbres qui auraient été abattus spécialement dans le but de produire les feuilles de papier si la solution proposée par cet annonceur n’avait pas existé. D’autre part, aucun élément justificatif n’est produit en ce qui concerne l’allégation générale « réduire les émissions carbone », alors que le recours au numérique ne constitue pas en soi une garantie en la matière et que, de surcroît, l’abattage d’arbres peut s’accompagner d’une replantation permettant le captage du CO2.

Il résulte de ce qui précède que le Jury est d’avis que la campagne publicitaire critiquée méconnaît les points 2.1, 2.3, 3.1., 3.2., 4.1., 4.6, 7.1. 7.3., 8.1. et 8.3 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Avis adopté le 9 septembre 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


La société Docusign, à laquelle l’avis du JDP a été communiqué le 15 septembre 2022, a adressé, par courriels des 26 et 30 septembre, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du règlement intérieur du Jury. Celle-ci a été rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis, laquelle a été communiquée aux parties le 9 décembre 2022.

DECISION DU REVISEUR DE LA DEONTOLOGIE PUBLICITAIRE

A) Procédure :

1) Le Jury de Déontologie Publicitaire est saisi, le 30 juin 2022, d’une plainte émanant de l’association Two Sides France, afin de se prononcer sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de plusieurs publicités digitales en faveur de la société Docusign, pour promouvoir l’offre de service de celle-ci pour la signature électronique de documents.

La publicité diffusée sous la forme d’un tweet comporte :

  • le texte suivant : « #WorldEnvironmentDay Nous avons qu’une seule planète. Prenons-en soin. Rejoignez-nous pour préserver nos forêts, économiser du papier et de l’eau et réduire les émissions carbone». Il est entrecoupé de pictogrammes représentant, l’un, la planète Terre, et l’autre, un sapin ;
  • une vidéo représentant un surfeur marchant vers la mer, des vagues s’échouant sur une plage et une forêt. Les textes suivants apparaissent en incrustation : « Ensemble, nous avons un impact positif », « 22 milliards de litres d’eau sauvés », «Plus de 6 millions d’arbres sauvés depuis 2003 » et « 55+ milliards de feuilles de papier sauvées ».

Le plaignant met également en cause un post LinkedIn comportant le même message.

2) Par un avis délibéré le 9 septembre 2022, le JDP estime que la campagne publicitaire critiquée méconnaît les points 2.1, 2.3, 3.1, 3.2, 4.1., 4.6, 7.1, 7.3, 8.1. et 8.3 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Par courriels des 26 et 30 septembre (soit dans les délais), l’annonceur, par l’intermédiaire de son avocat, introduit une demande de Révision de cet avis.

Cette demande est communiquée à l’association Two Sides, qui dans sa réponse conclut au rejet de cette demande.

A partir des divers éléments du dossier, le Réviseur de la déontologie publicitaire, conformément au Règlement intérieur du Jury, se rapproche alors du Président de la séance du JDP qui a élaboré l’avis dont la révision est demandée et il procède avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le Jury a fondé son avis.

Sur ces bases, le Réviseur est dès lors en mesure d’apporter les réponses suivantes à la demande de Révision.

B) Révision :

1) Le premier moyen soulevé par Docusign en Révision est ainsi formulé :

“Contrairement à ce qui avait été précisé dans les observations écrites et orales que nous avions présentées devant le JDP, l’Avis ne précise pas que la communication critiquée résultait d’une action isolée d’un salarié de DOCUSIGN en France qui n’avait pas reçu l’aval des services juridique et de communication de l’entreprise, qu’elle avait une vocation temporaire et qu’elle avait été rapidement retirée d’internet.”

“L’Avis omet de préciser que la seule communication « officielle » de DOCUSIGN relative à la protection des forêts est celle qui figure sur son site internet dont copie avait été remise en Annexe 1 des observations écrites transmises pour le compte de DOCUSIGN.”

“Ces éléments sont importants puisqu’ils témoignent de la volonté de DOCUSIGN de se conformer aux recommandations du JDP – et notamment de la Recommandation Développement durable – bien avant la Plainte”.

a) Mais l’annonceur ne fournit, à l’appui des affirmations ci-dessus, aucune précision sur la manière dont ce salarié aurait procédé pour insérer, sans “l’aval des services juridique et communication de l’entreprise Docusign”, son propre message sur les réseaux de l’annonceur.

D’autre part, pour le public atteint par la publicité Docusign, le point de savoir si ce message avait ou non été validé par les services de l’annonceur habilités à le faire est sans influence sur la conformité dudit message à la déontologie en vigueur.

Enfin le fait que cette communication ait “été rapidement retirée d’internet” est sans influence sur le manquement qu’elle a pu constituer à la déontologie publicitaire pendant le temps, même bref, où elle a été diffusée.

Par suite, les circonstances ci-dessus alléguées en Révision par l’annonceur ne sont pas de nature à éluder la responsabilité de ce dernier quant au contenu de la publicité litigieuse, diffusée sous la forme d’un tweet et comportant de nombreuses allégations en faveur de Docusign.

b) Toutefois les échanges entre le Réviseur et le Président du JDP (en application du Règlement du Jury) ont fait apparaître une erreur matérielle que l’avis définitif du Jury ne manquera pas de corriger : il apparaît en effet que, dans la partie de l’avis qui retranscrit l’argumentation de l’annonceur (dans le § 2. Les arguments échangés), un paragraphe a été omis, qui prévoyait de mentionner l’affirmation soulevée en séance par Docusign selon laquelle “la communication critiquée résultait d’une action isolée d’un salarié de DOCUSIGN en France qui n’avait pas reçu l’aval des services juridique et de communication de l’entreprise, qu’elle avait une vocation temporaire et qu’elle avait été rapidement retirée d’internet”.

Cette omission, bien qu’elle n’entache pas le raisonnement du Jury qui sous-tend l’avis critiqué, devra toutefois être réparée à l’occasion de la procédure de Révision.

Au titre de l’Article 22.2 du Règlement du Jury, le Réviseur demande donc au JDP, quand il rédigera son avis définitif, d’apporter cette modification rédactionnelle, étant entendu que cette correction ne modifie pas le sens de l’avis initial, ni ne remet en cause l’analyse de la publicité litigieuse à laquelle a procédé le Jury.

2) En Révision, l’annonceur expose ensuite le moyen suivant : “De manière générale, l’Avis ne retranscrit pas la volonté qu’a manifestée DOCUSIGN de se conformer en tous points aux recommandations du JDP, ainsi que la bonne foi dont elle a fait preuve dans cette affaire, contrairement à d’autres avis rendus par le JDP”.

On observe d’abord que le fait pour le JDP de mentionner (ou non) dans un de ses avis la décision (ou a fortiori la simple volonté) de l’annonceur de se conformer dans le futur à la déontologie en vigueur est sans influence sur la manière dont le Jury se prononce sur le contenu de la publicité qui lui est déférée au moment où il est saisi.

En outre, on voit mal, au cas particulier Docusign, comment l’annonceur peut faire état de sa “volonté de se conformer en tous points aux recommandations du JDP”, car cette volonté impliquerait qu’il reconnaisse que sa publicité comporte des manquements à ces Recommandations.

Or, dans les observations qu’il a adressées au JDP (en “premier examen” de l’affaire), Docusign oppose au Jury, de manière expresse et ferme, que sa communication est “conforme en tous points à votre Recommandation développement durable et respectueuse de l’ensemble de ses points cardinaux que sont les principes de véracité, de proportionnalité, de clarté et de loyauté”.

De même la “bonne foi” dont se prévaut l’annonceur n’a-t-elle pas à être discutée devant le Jury ou le Réviseur, car elle est sans influence sur la conformité à la déontologie de son message publicitaire.

Docusign n’est donc pas fondée à reprocher à l’avis en débat un quelconque défaut de motivation, alors surtout que, en tout état de cause, la mission du Jury consiste à se prononcer sur le contenu d’une publicité et non sur l’attitude ou les motivations de l’annonceur.

3) Le troisième moyen de Révision est ainsi formulé par l’annonceur :

“Sur le fond, si le JDP a opportunément relevé dans l’Avis que les éléments chiffrés et explications fournis sur le site internet de DOCUSIGN (Annexe 1) « permettent de comprendre l’équivalence avancée par la publicité entre une certaine consommation de feuilles de papier et le nombre d’arbres et le volume d’eau nécessaires à leur production », il a en revanche objecté à DOCUSIGN (i) que « les feuilles de papier peuvent être produites grâce à la récupération de chutes de bois de scieries ou avec des arbres qui ont été abattus dans un autre but que cette production, notamment au titre de l’entretien nécessaire à la bonne gestion de la forêt » et (ii) que, s’agissant de la réduction des émissions carbone, « le recours au numérique ne constitue pas en soi une garantie en la matière et que, de surcroît, l’abattage d’arbres peut s’accompagner d’une replantation permettant le captage du CO2 ».”

S’agissant du contenu de l’argumentation publicitaire Docusign en débat, les nombreux éléments versés au dossier aboutissent aux constatations suivantes.

a) Le Jury n’a pas contesté le mode de calcul utilisé par la société Docusign (résultant de la méthode Environmental Paper Network auquel elle se réfère) pour revendiquer “l’équivalence avancée par la publicité entre une certaine consommation de feuilles de papier et le nombre d’arbres et le volume d’eau nécessaires à leur production” ;

Le JDP a toutefois constaté que :

i} d’une part, toutes les feuilles de papier ainsi “économisées” ne proviennent pas forcément d’arbres tous abattus dans ce seul but, et qu’une partie d’entre elles, soit “peuvent être produites grâce à la récupération de chutes de bois de scieries ou avec des arbres qui ont été abattus dans un autre but que cette production, notamment au titre de l’entretien nécessaire à la bonne gestion de la forêt”, soit peuvent provenir de papier “recyclé” (ces deux “relativisations” étant évoquées à deux points différents de l’avis contesté) ;

ii} d’autre part, les échanges électroniques que propose Docusign peuvent certes “réduire les émissions carbone” dues au papier (comme l’affirme l’annonceur), mais de leur côté ont aussi une certaine “incidence écologique” – qui n’est d’ailleurs pas précisée, ni évaluée dans le message publicitaire en cause.

Le JDP en a conclu que la campagne publicitaire litigieuse méconnait plusieurs des exigences résultant de la Recommandation Développement durable de l’ARPP.

b) En Révision, la société Docusign, à titre principal, rappelle à nouveau le mode de calcul qu’elle utilise pour évaluer l’économie de papier qu’elle affirme être en mesure de permettre ; de ce point de vue, ses arguments, exprimés dans une forme tout à fait semblable à celle présentée devant le Jury lors de l’examen de la plainte initiale” (comme le souligne le plaignant initial dans sa réponse à la demande en Révision), ne peuvent à eux seuls suffire à fonder ladite demande.

En outre, le Jury a explicitement estimé que les chiffres fournis par l’annonceur “permettent de comprendre l’équivalence avancée par la publicité entre une certaine consommation de feuilles de papier et le nombre d’arbres et le volume d’eau nécessaires à leur production”. Il n’y a donc pas de contestation sur ce mode de calcul.

c) En revanche, le débat porte bien sur deux constatations retenues par le Jury pour établir, à l’encontre de la publicité Docusign, ses manquements à la déontologie publicitaire :

  • d’une part le papier ainsi “économisé” par les solutions commercialisées par Docusign ne provient pas en totalité d’arbres “abattus” dans le seul but de produire du papier, de sorte qu’il ne peut être allégué que le recours à ces solutions permet de “sauver” tous ces arbres ;
  • d’autre part la solution de signature électronique que propose l’annonceur n’est pas totalement dépourvue d’incidences écologiques.

S’agissant de ces deux atténuations qui devraient être apportées à ses allégations, Docusign, contrairement à ce que le Jury lui reproche, affirme qu’il ne les méconnait pas ; au contraire même il déclare les admettre et les reconnaître – du moins sur son site Internet (dont il produit des captures d’écrans).

Cependant il ressort du dossier, et des dires mêmes de l’annonceur, que ces atténuations ne figurent pas dans le message publicitaire lui-même qui fait l’objet du litige, mais dans un document différent (savoir le site Internet de Docusign), qui plus est par le biais de deux discrètes notes en bas de page.

Il en résulte un manquement de la publicité litigieuse aux exigences de clarté et de véracité posées notamment par la Recommandation Développement durable de l’ARPP et par suite un risque d’induire en erreur le public visé ou atteint par cette publicité.

Docusign n’est donc pas fondée à soutenir que c’est à tort que l’avis contesté a relevé, à l’encontre de sa publicité en cause, des manquements à la déontologie publicitaire en vigueur.

4) l’annonceur soutient enfin que “la circonstance que [devant le Jury] les parties soient limitées sur la longueur de leurs observations écrites (2 pages) et orales (10 minutes) explique que DOCUSIGN n’a pas pu exposer tout le détail des chiffres communiqués”.

On observera que :

  • ces recommandations du Jury aux parties sur le format de leurs observations n’ont aucun caractère impératif,
  • Docusign a eu toutes facilités pour faire valoir son point de vue sans restrictions.

Aucun vice de procédure ne peut donc être établi au soutien de la Révision demandée.

C) Conclusion :

Des analyses qui précèdent il résulte que :

  • la demande de Révision de Docusign est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
  • ni les défauts de procédure, ni la critique sérieuse ou légitime (au sens de l’Article 22.1 du Règlement) allégués contre l’Avis en litige ne peuvent être considérés comme fondés.

Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à une seconde délibération de l’affaire en cause.

Il n’y a pas lieu non plus de réformer l’Avis contesté, sauf :

  • pour y mentionner la demande de Révision comme indiqué ci-dessus,
  • pour en modifier la rédaction dans le sens des observations qui précèdent,
  • pour y adjoindre en annexe la présente réponse.

Dès lors et pour conclure, l’Avis en cause, complété comme indiqué ci-dessus, deviendra définitif et sera publié sur le site du JDP – accompagné de la présente décision, laquelle constitue la réponse du Réviseur de la Déontologie Publicitaire à la demande de Docusign.

Alain GRANGE-CABANE
Réviseur de la Déontologie Publicitaire


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