Avis publié le 4 octobre 2022
DIESEL/LELO – 849/22
Plainte non fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu la représentante de la société Diesel et son conseil, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 8 avril 2022, d’une plainte émanant de l’association Les Chiennes de Garde, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée sur Internet, par la société Diesel, pour promouvoir sa collaboration avec la marque de produits érotiques Lelo.
La publicité en cause présente une jeune femme à quatre pattes, vêtue d’un pantalon et d’une chemise en jean, tenant un sex-toy dans la main gauche.
2. La procédure
La société Diesel a, dans un premier temps, été informée, par courriel avec avis de réception du 30 juin 2022, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen par le Jury de Déontologie Publicitaire lors de sa séance du 1er juillet 2022.
Son représentant a fait valoir la réception tardive de l’envoi du Jury et son impossibilité de produire des arguments détaillés dans les délais impartis.
L’examen de cette affaire initialement prévu pour le 1er juillet 2022 a été reporté à la séance du 9 septembre 2022.
La société Lelo, dont le siège social est situé à Stockholm, en Suède, n’a pas pu être contactée directement par le Secrétariat du Jury. Un courriel recommandé avec avis de lecture a été adressé le 1er juillet 2022 à l’adresse sales@lelo.com, sans recevoir en retour d’accusé de lecture ou de message de non remise. La société Diesel n’a pu fournir d’autres éléments d’informations concernant les coordonnées de la société Lelo qui auraient permis de l’informer du dossier de plainte.
3. Les arguments échangés
– La représentante de l’association plaignante énonce que cette image, destinée pourtant aux femmes, semble avoir été prise pour satisfaire l’œil masculin et reprend les codes de la culture du viol et de la culture pornographique.
Il est évident qu’il n’y a pas que la nudité pour reprendre les codes de la culture pornographique et du « male gaze ».
Dans cette image, la femme est en position sexuellement explicite de dominée et dégradante : à quatre pattes, elle regarde tout en se retournant celle ou celui qui la regarde.
Non seulement la position montre ses fesses au premier plan et offertes, mais cette posture semble tout à fait inappropriée quant à l’utilisation du sex-toy dont l’image ferait la promotion. L’avait-elle perdu ou oublié sous un meuble ? Va-t-elle prendre des notes avec le dossier présenté à ses côtés par terre ? Qui regarde-t-elle dans cette position ?
Cette image publicitaire impose à la vue de toutes et tous une position dégradante pour la femme et propose une histoire invraisemblable et incompréhensible.
– La société Diesel fait valoir que la plainte n’est pas fondée. Elle soutient que l’image en cause ne présente aucune nudité. Au contraire, le mannequin y est représenté entièrement habillé.
Selon l’annonceur, le grief soutenant que l’image « reprend les codes de la culture pornographique » doit être écarté dès lors que ces codes sont basés sur la nudité, qui n’est aucunement présente en l’espèce.
En outre, l’annonceur conteste formellement le fait que l’image « semble avoir été prise pour satisfaire l’œil masculin ». Cet argument est totalement subjectif et déconnecté de l’univers dans lequel l’image s’inscrit. En l’espèce, l’image fait la promotion d’un sex-toy féminin, destiné exclusivement à des femmes. Ce sex-toy de couleur rouge est mis en évidence dans la main droite du mannequin et a été conçu pour procurer du plaisir sexuel aux femmes, de manière individuelle.
Il soutient que le caractère légèrement subversif que peut représenter l’image s’inscrit nécessairement dans l’environnement sexy du produit en cause. Il existe donc un lien objectif évident entre le sex-toy promu et l’image. Déconnecter cet environnement dans lequel s’inscrivent l’image et le sex-toy féminin serait dès lors dénier ou limiter significativement aux opérateurs économiques de promouvoir un objet à utilisation aux fins de plaisir sexuel.
En outre, l’image n’a été utilisée par Diesel que sur un site dédié à la vente des sex-toys Lelo et non des vêtements Diesel, site par ailleurs réservé aux personnes majeures et dans le cadre d’un dossier de presse dédié au lancement de la vente des sex-toys. Ceci démontre bien que la photographie du modèle s’inscrit dans un environnement particulier, à savoir, celui des sex-toys et ne doit pas être décorrélé de tout contexte.
Il ajoute que la photographie, composée et réalisée par la photographe renommée Ana Cuba, a été conçue comme une célébration du corps de la femme pour mettre en avant le droit au plaisir sans aucune représentation dégradante ou humiliante pour la femme.
En troisième lieu, l’annonceur relève que le grief soutenant que l’image « reprend les codes de la culture du viol » n’est pas admissible pour trois raisons :
- D’une part, l’image n’est adressée qu’à des femmes et ne laisse apparaître aucune représentation de violence ou de domination. Elle n’encourage et ne fait aucunement référence à une quelconque contrainte sexuelle, physique ou psychologique. Le mannequin y est représenté seule, entièrement habillée, avec un sex-toy destiné à une utilisation individuelle et avec une posture sensuelle et déterminée.
- D’autre part, en laissant entendre qu’il serait impossible de représenter une femme dans une posture sensuelle dans le cadre de la mise en avant d’un sex-toy féminin sans que cela ne constitue en substance de la pornographie et un appel au viol, la plainte nie le droit de représenter l’idée de la liberté sexuelle des femmes.
- Enfin, l’image s’inscrit dans un mouvement de liberté sexuelle, à travers lequel la pratique sexuelle individuelle relève de la liberté individuelle. A l’opposé total de la reprise des « codes de la culture du viol », l’image a pour finalité de donner aux femmes les moyens d’explorer leur sexualité et d’encourager l’indépendance sexuelle des femmes.
La société Diesel a repris cette analyse lors de la séance et en a conclu que selon elle l’image est donc en conformité avec la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP, notamment avec les règles déontologiques relatives à la dignité, la décence, les stéréotypes, la soumission et la violence.
4. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :
« 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. /
1.2 Lorsque la publicité utilise la nudité, il convient de veiller à ce que sa représentation ne puisse être considérée comme avilissante et aliénante et a fortiori ne réduise pas la personne à un objet. / (…)
2.1. La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet. / (…)
4.1 La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes. »
Le Jury estime légitime qu’un annonceur mette en valeur les produits qu’il commercialise en recourant au registre de la séduction voire de l’érotisme et en valorisant les formes des modèles qui les portent afin d’accroître l’envie de les acheter. Pour autant, il doit veiller à ce que la représentation du corps humain et, en particulier, celui de la femme, ne le ou la réduise pas à la fonction d’objet, en tenant compte de la nature du ou des produits dont il s’agit de faire la promotion. En outre, même lorsqu’un produit a trait à l’intimité corporelle ou à une activité de nature sexuelle, la publicité qui le promeut ne doit pas, en particulier par le recours à une nudité excessive, des postures trop suggestives ou une mise en scène inappropriée, être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence
Le Jury relève que la publicité en cause consiste en la photographie d’une jeune femme « à quatre pattes » sur une table, regardant le photographe, vêtue d’un pantalon en jean, d’une chemise et de chaussures à talons argentées, et tenant un sex-toy rouge dans la main gauche.
Il n’est ni contestable ni contesté que ce visuel doit être considéré comme un support de promotion des produits de la marque Lelo, fabricant suédois de jouets pour adultes, partenaire de Diesel, et que la représentation d’un sex-toy sur cette photographie a un rapport direct avec ces produits, dont le commerce est parfaitement légal. La société Diesel, sans critiquer le caractère publicitaire du visuel, soutient d’ailleurs que cette publicité a été diffusée sur un site dédié à la vente des sex-toys et réservé aux personnes majeures.
Le Jury considère que si le cadrage de l’image et la posture de la femme sont érotisés et provocateurs, rien ne donne à penser que cette femme serait soumise ou exploitée puisque c’est elle-même qui présente un jouet sexuel destiné à favoriser le plaisir féminin, dont elle semble être la propre actrice. La mise en scène n’implique ainsi nullement la présence d’un tiers, ni la projection du « spectateur » comme acteur de la scène.
Dans ces conditions, et dès lors que l’objet de la campagne publicitaire est de valoriser le partenariat entre une ligne de jeans moulants et des sex-toys, le Jury estime que ce visuel ne réduit pas la femme à la fonction d’objet et ne valorise pas en lui-même des comportements sexistes ou une idée de soumission ou de dépendance.
Par ailleurs, eu égard au lien qui existe entre les sex-toys promus et la posture du mannequin, laquelle est entièrement habillée et se contente de tenir le produit dans la main sans en faire usage, cette publicité ne propage pas une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence, en dépit du caractère particulièrement suggestif de cette pose.
Il résulte de ce qui précède que le Jury est d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP précitée.
Avis adopté le 9 septembre 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.
Publicité Diesel Lelo