DECATHLON – Internet – Plainte fondée

Avis publié le 27 janvier 2020
DECATHLON – 613/19
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de l’association France Nature Environnement,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 20 avril 2018, d’une plainte émanant de l’association France Nature Environnement, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un courriel publicitaire en faveur de la société Décathlon, pour promouvoir ses articles de chasse.

Le message publicitaire en cause présente un homme en tenue de chasseur, accroupi dans un champ, accompagné du texte « Du 21 février au 11 mars, régulez les corvidés ! Bonjour Frédéric, la fermeture de la chasse approche. La chasse du corvidé est un des moyens de continuer à chasser hors saison de chasse. Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cette chasse et toutes les raisons de la pratiquer ».

2. La procédure

La société Décathlon a été informée, par courrier du 18 mai 2018, puis par courrier de relance du 6 juin 2019, de la plainte dont copie lui a été transmise et conviée à apporter tous éléments d’explication concernant ses allégations publicitaires.

En l’absence de retour, la société Décathlon a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 6 novembre 2019, que la plainte ferait l’objet d’un examen en séance par les membres du Jury de Déontologie Publicitaire.

3. Les arguments échangés

Le plaignant indique que, dans le cadre d’une campagne publicitaire nationale, déclinée dans chaque département, un courriel adressé aux clients dans le département des Alpes, mentionne l’invitation suivante : « Du 21 février au 11 mars, régulez les corvidés ! ».

Ce courriel informe le destinataire qu’il peut continuer de chasser les corvidés, alors même que la période légale d’ouverture générale de la chasse est bientôt terminée, lui proposant également une sélection de produits destinés à la chasse.

Le client est ensuite invité à cliquer sur un lien pour lire un article qui renvoie vers un site de la marque Solognac, marque dont les produits se vendent exclusivement chez Decathlon.

Cet article cherche à rassurer le client en lui faisant croire qu’il a la possibilité légale de chasser les corvidés hors période de chasse, mais les informations données sont en fait très imprécises et juridiquement fausses, faisant courir au chasseur le risque de se retrouver dans une situation d’illégalité.

Le plaignant estime que ce courriel publicitaire méconnaît, de ce fait, les points 6.2 et 9.1 de la Recommandation « Développement durable » et le point 4 de la Recommandation « Communication publicitaire digitale » de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité.

Il souligne plusieurs choses.

Tout d’abord, le message publicitaire de la société Decathlon et l’article de la marque Solognac dont il est fait mention dans ledit message publicitaire, sont en contradiction avec la réglementation en vigueur en matière de chasse, sur plusieurs points:

  • au-delà de la date de fermeture de la chasse, seuls les tirs de destruction sont possibles pour les corvidés. Or, la destruction n’est pas un acte de chasse, elle s’effectue selon des modalités distinctes (article R. 427-611 du code de l’environnement). La société Decathlon ne fait pas la distinction entre les notions de « chasse » et de « destruction » dans son message publicitaire ;
  • dans le département des Alpes-Maritimes, le corbeau freux et la corneille noire, espèces appartenant à la famille des corvidés, ne sont pas classés sur la liste des espèces pouvant être détruites à tir après la fermeture de la chasse (arrêté ministériel du 30 juin 2015 fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces d’animaux classées nuisibles). Ces espèces ne peuvent dès lors pas faire l’objet de destruction dans ce département et leur tir après la date de fermeture de la chasse est donc strictement interdit et constitue un acte de braconnage ;
  • de plus, en utilisant le terme générique de « corvidé », ce message laisse entendre que tous les corvidés seraient chassables, alors que quatre espèces seulement figurent sut la liste des espèces chassables en France, toutes les autres étant protégées.

En outre, le message publicitaire se contredit : il affirme dans le mail publicitaire que la régulation des corvidés peut avoir lieu du « 21 février au 11 mars », puis il est énoncé dans l’article que le corbeau freux et la corneille noire peuvent être détruits à tir jusqu’au 31 mars au plus tard. Dès lors, le message publicitaire est en contradiction avec le point n° 6.2 de la Recommandation « Développement durable » et la Recommandation « Communication publicitaire digitale » en tant qu’il diffuse une information non-conforme aux définitions et régimes juridiques légaux, au droit positif, et induit nécessairement le client en erreur.

Enfin, s’il ne relève pas des missions de l’ARPP de bannir toute publicité promouvant l’activité de la chasse, une telle publicité doit être sanctionnée si elle contrevient au principe de développement durable. En promouvant une activité extensive de la chasse, en dehors des cadres légaux, faisant croire aux clients chasseurs qu’ils pourraient pratiquer librement le tir des corvidés, la société Decathlon rompt l’équilibre entre le pilier économique et environnemental du développement durable. En effet, si une telle pratique de la chasse était effective, elle aurait pour conséquence d’accroître l’activité économique des distributeurs d’articles de chasse, au prix d’une très forte pression sur la biodiversité. Or la Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable 2015-2020 considère la perte de biodiversité comme un enjeu majeur, or la Recommandation « Développement durable » pose comme objectif aux professionnels de ne pas véhiculer de messages contraires aux principes du développement durable, définis notamment par la SNTEDD.

La société Décathlon fait part de ses interrogations quant aux motivations réelles de cette plainte. En effet, s’il est incontestable que l’association requérante fait un travail remarquable pour la préservation de la nature et de l’environnement, il paraît important de rappeler que celle-ci a ouvertement pris position – à de multiples reprises – contre toutes formes de chasse et, par conséquent, contre tous les acteurs associés à ces pratiques (chasseurs et commerçants).

Sur la sémantique du mailing et son incitation à la chasse « hors saison », et sur le reproche que lui fait France Nature Environnement d’avoir utilisé le terme « chasse » et non « destruction », l’annonceur fait valoir :

  • que l’objet et le titre principal du mail incriminé faisaient clairement référence à une action de « régulation » (terme désignant le prélèvement et/ou la destruction d’animaux qualifiés de « nuisibles ») ;
  • qu’à sa connaissance, tous les dictionnaires de la langue française abordent la définition de la « chasse » par sa finalité (capturer ou tuer un animal) et non par son état d’esprit (loisir) ou sa période de pratique. En d’autres termes, la régulation (comprenant la destruction) est un bien un acte de chasse ;
  • que l’article L. 427-6 du code de l’environnement indique clairement que les opérations de destruction « peuvent consister en des chasses, des battues générales ou particulières et des opérations de piégeage » ;
  • que le mailing comprenait deux liens hypertextes renvoyant à des explications didactiques relatives aux actions de régulation, ne pouvant créer aucune ambiguïté sur le type de chasse mise en avant (régulation et rien d’autre) ;
  • que le mailing s’adressait à un public très averti (exclusivement à de pratiquants de chasse) sachant parfaitement faire la distinction entre une chasse en période légale et une chasse de régulation.

Ces éléments paraissent suffisamment factuels pour écarter une quelconque volonté de Décathlon d’inciter au braconnage (chasse hors période légale et/ou chasse d’une espèce protégée). D’ailleurs, est-il vraiment raisonnable de penser qu’une entreprise comme Décathlon ait envie d’associer son image à de telles pratiques?…

Néanmoins, fort des remarques de France Nature Environnement, la société Décathlon a décidé dès 2018 :

  • de supprimer les termes « chasse aux corvidés » de ses mailings pour ne garder que les termes « régulez les corvidés »,
  • de modifier le contenu de son article « Régulez les corvidés en toute légalité » (accessible depuis le mailing) pour y inclure notamment des informations issues de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS), un renvoi vers le site de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) listant les espèces considérées comme nuisibles département par département et des avertissements sans ambiguïté sur la nécessité de respecter la réglementation, notamment en ce qui concerne les espèces et les dates de régulation.

Sur le reproche fait par l’Association France Nature Environnement d’avoir envoyé le mailing à des habitants du département des Alpes maritimes, dans lequel la régulation des corvidés n’est pas autorisée, l’annonceur précise qu’il est d’usage, dans le milieu de la chasse, de chasser en dehors de son département. C’est d’ailleurs pour répondre à ce besoin qu’a été instauré le permis de chasse national (et non uniquement départemental). Ainsi, lors de l’envoi du mailing, il a été considéré qu’un habitant des Alpes maritimes pouvait parfaitement avoir envie de chasser dans les départements limitrophes, dans lesquels certains corvidés sont considérés comme des nuisibles (Var ou des Alpes de haute Provence). Néanmoins, avant même que l’association soumette sa plainte, il a été décidé de renoncer à l’envoi de ce mailing dans les Alpes maritimes, aussi longtemps que ce département considère les corvidés comme des oiseaux non nuisibles.

Décathlon comprend parfaitement que la chasse (sous toutes ses formes) est un sujet qui ne peut laisser indifférente une association telle que France Nature Environnement. Néanmoins, elle tient à rappeler que la chasse, qu’elle soit de loisir ou de régulation, est, à ce jour, une activité parfaitement légale en France.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle qu’aux termes des dispositions de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP :

« 6.2 Lorsque les termes et expressions utilisés font l’objet d’une définition fixée par une norme, ils doivent être employés dans un sens qui correspond à cette définition. »

« 3.3. Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP. »

« 3.4. Dans les cas où cette explicitation est trop longue pour pouvoir être insérée dans la publicité, l’information essentielle doit y figurer, accompagnée d’un renvoi à tout moyen de communication permettant au public de prendre connaissance des autres informations. »

« 9.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et a fortiori valoriser, des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple : a/ La publicité doit bannir toute évocation ou représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles (gaspillage ou dégradation des ressources naturelles, endommagement de la biodiversité, pollution de l’air, de l’eau ou des sols, changement climatique, etc.), sauf dans le cas où il s’agit de le dénoncer. »

Le Jury relève que le message publicitaire en cause, diffusé par voie de mails personnalisés, présente un homme en tenue de chasseur, accroupi dans un champ, accompagné du texte « Du 21 février au 11 mars, régulez les corvidés ! Bonjour Frédéric, la fermeture de la chasse approche. La chasse du corvidé est un des moyens de continuer à chasser hors saison de chasse. Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cette chasse et toutes les raisons de la pratiquer ».

Il prend note qu’un renvoi est effectué vers le site du fabricant des vêtements promus. Le lien vers les éléments disponibles au moment de la plainte n’est cependant plus actif et ne permet donc pas de vérifier si les informations figurant alors sur ce site permettaient de préciser les affirmations contenues dans le message publicitaire.

Le Jury estime cependant que, même avec un renvoi vers un site plus détaillé, la phrase « la chasse du corvidé est un des moyens de continuer à chasser hors saison de chasse » est, quoiqu’il en soit, trop ambiguë et générale, alors que la période de la chasse est réglementée, que les périodes et modes selon lesquels certains corvidés peuvent être régulés sont strictement encadrés, que tous les corvidés ne sont pas chassables et que, dans certains endroits (Alpes-Maritimes), ils ne peuvent, en l’état actuel de la réglementation, jamais l’être.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la campagne de publicité en cause méconnaît les points précités de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP. Il prend acte toutefois de ce que les messages publicitaires ont été modifiés à la suite de la plainte.

Avis adopté le 13 décembre 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Lacan, Leers et Lucas-Boursier.

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