Avis publié le 3 août 2022
COMPAGNIE DU PONANT – 864/22
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu les représentants de la société Compagnie du Ponant, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
- La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 26 décembre 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la Compagnie du Ponant, pour promouvoir son offre de croisières en Arctique et en Antarctique, à bord du navire Le Commandant Charcot.
La publicité en cause, diffusée sur Internet, utilise l’allégation « Le Commandant Charcot, Une exploration des Pôles responsable grâce à sa propulsion hybride ».
Le site Internet de la société présentant les croisières à bord du navire utilise notamment les allégations « tourisme durable » et « préservation de l’environnement ».
- La procédure
La société Compagnie du Ponant a, dans un premier temps, été contactée par le Secrétariat du Jury, par courriel avec accusé de réception du 18 janvier 2022, afin de l’informer de la plainte et recueillir toutes précisions utiles à son examen.
Compte tenu des éléments de réponse transmis par l’annonceur, le plaignant a été informé de la possibilité de mettre en œuvre la procédure de règlement amiable prévue à l’article 15 du règlement intérieur du Jury de Déontologie Publicitaire. Il n’a cependant pas souhaité donner une suite favorable à cette possibilité de règlement amiable et a maintenu sa plainte.
Par suite, la société Compagnie du Ponant a, par courriel avec accusé de réception, avec avis de réception du 1er juin 2022, été informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen par le Jury de Déontologie Publicitaire, lors de sa séance du 1er juillet 2022.
- Les arguments échangés
– Le plaignant énonce que les termes « Exploration des pôles responsable » dans la publicité et « tourisme durable », mis en avant sur la page de destination, et même « préservation de l’environnement », en bas de cette même page, semblent inappropriés pour le produit final qui est vendu aux consommateurs : les offres packagées à destination des pôles, en partie à bord du Commandant Charcot.
La communication « responsable » est principalement axée autour de la conception du navire Le commandant Charcot, « propulsé au gaz naturel liquéfié (GNL), un navire d’exploration polaire équipé des dernières technologies en matière de préservation de l’environnement », comme on peut lire sur le site.
Le plaignant relève que le GNL reste une énergie fossile, et, même si elle émet moins de CO2, elle en émet quand même. Des comparaisons précises avec d’autres navires n’utilisant pas cette technologie devraient être précisées. Le GNL émet également plus de méthane, un puissant gaz à effet de serre (GES).
De plus, selon le plaignant, le produit final vendu aux consommateurs est une prestation de service comprenant, entre autres, une croisière dans les pôles, à bord du Commandant Charcot, mais aussi des vols en avion. Ces prestations émettent de fortes quantités de GES, dont le CO2, ce qui semble donc enfreindre le point 5.3 de la Recommandation « Développement durable » (la publicité ne doit pas créer de lien abusif entre les actions générales d’un annonceur en matière de développement durable et les propriétés propres à un produit).
Nous sommes sur un site en .fr, qui s’adresse donc principalement à des consommateurs français, majoritairement en métropole, mais l’embarquement ne se fera ni au port du Havre, ni à celui de Marseille. Dans le cadre des croisières en Antarctique, l’embarquement à bord du navire le Commandant Charcot se fait à Ushuaia ou Punta Arenas au Chili et la prestation de service du Ponant commence à Santiago.
Dans le cadre des croisières en Arctique, l’embarquement se fait depuis Reykjavík ou Longyearbyen. La prestation de service du Ponant commence à Paris.
Que ce soit pour les destinations Antarctique ou Arctique, il y a donc des émissions de CO2 et de GES liées au vol jusqu’à l’embarquement au sein du navire le commandant Charcot.
Le plaignant prend l’exemple de la prestation « Mer de Weddell et plateformes de glace de Larsen – croisière jour de l’an » : Inclus: Nuit à Santiago + vol Santiago/Punta Arenas + transferts + vol Punta Arenas/Santiago
Le plaignant précise que, selon le site https://www.distancede.com/cl/distance-de-vol-entre-et-punta-arenas/VolHistoire/2270291.aspx, la distance de vol entre Santiago du Chili et Punta Arenas au Chili est de 2200 km et, selon https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/autres-trajets, sur les vols entre 2000 à 5000 km, un avion mixte émet en moyenne 80 g de CO2/peq/km par passager équivalent (c’est-à-dire pour un passager ou 100 kg de fret ou de poste) pendant la phase de vol, soit une émission de 176 kg de CO2 ( et environ 350 kg en A/R).
Il ajoute que pour bénéficier de cette prestation, le consommateur français devra se rendre par ses propres moyens jusqu’à Santiago.
Selon le site https://eco-calculateur.dta.aviation-civile.gouv.fr/, la distance de vol entre l’aéroport de départ de Paris-Charles de Gaulle et l’aéroport de destination de Santiago du Chili est de 11 686 km. Les émissions de CO2 associées au vol s’élèvent à 890.7 kg, soit 1,7 tonnes en A/R.
En tout, 2 tonnes de CO2 sont émises en avion par un passager dans le cadre de la prestation « Mer de Weddell et plateformes de glace de Larsen – croisière jour de l’an », soit ce que prévoit l’accord de Paris par habitant pour un an, et sans prendre en compte les émissions liées à la croisière en elle-même à bord du commandant Charcot.
Ainsi la mise en avant de la conception moderne du navire Le Commandant Charcot, et non celle de l’impact global de la croisière à bord de celui-ci, a un impact éco-citoyen qui fait passer l’idée qu’il est responsable de faire une croisière avec le Ponant jusqu’aux pôles. Cette situation enfreint notamment le point 1.1 de la Recommandation « Développement durable ».
Le plaignant ajoute qu’il est très difficile d’obtenir des éléments chiffrés sur les performances du navire, contrairement à ce que préconise le point 4.6 de la Recommandation « Développement durable ». Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée. On ne trouve que des informations générales sur le site https://www.le-commandant-charcot.com/fr#voyage-responsable : « C’est le premier navire de croisière de haute exploration polaire équipé d’une propulsion hybride au Gaz Naturel Liquéfié, soit l’énergie la plus propre à ce jour, et d’un pack de batteries électriques de grande capacité. Cette motorisation inédite s’accompagne des dernières technologies écologiques disponibles. Une approche globale et innovante pensée dans un seul but : minimiser l’impact de votre odyssée sur la planète et apporter une contribution positive aux peuples et territoires rencontrés ».
S’agissant de la propulsion hybride au GNL, dans une vidéo YouTube non présente sur le site, mais sur le blog https://escalecroisiere.com/2021/10/02/le-commandant-charcot-navire-dexploration-polaire/ , Hugues Decamus, chef machine sur le Commandant Charcot, précise que le combustible de sécurité du bateau est le diesel. Il y a 4000m3 de diesel à bord du bateau et 4500 m3 de GNL.
Selon le plaignant, les cas de figure de l’utilisation du diesel devraient aussi être indiqués, car potentiellement, leur navire d’exploration polaire hybride électrique propulsé au gaz naturel liquéfié, utilise du diesel à chaque voyage.
De plus, à aucun endroit il n’est mentionné l’utilité de l’hélicoptère que l’on peut voir parfois sur la webcam dès la page d’arrivée. Si celui-ci n’est apparemment pas à but touristique, il sert à la reconnaissance des glaces, selon Wikipedia, et permet de naviguer vers les chenaux d’eaux libres pour ne pas briser la glace inutilement et fait certainement partie de ce qu’ils appellent les « dernières technologies en matière de préservation de l’environnement ».
En conclusion, le plaignant estime qu’avant de parler d’une « Exploration des pôles responsable » dans la publicité et de « tourisme durable » mis en avant sur la page de destination, et même de « préservation de l’environnement », le Ponant devrait faire encore plus d’efforts pour trouver des moyens de transport moins émetteurs de GES et des prestations moins dépendantes d’autres modes de transports très émetteurs de GES également.
– La société Compagnie du Ponant fait valoir qu’elle est une entreprise française spécialisée dans les croisières de luxe, créée en 1988.
Le Groupe propose des croisières d’exception de très haute qualité, et est présent sur toutes les mers du globe. Il se démarque par la taille de ses navires, qu’il restreint à 330 passagers maximum, et par son engagement pour un tourisme durable.
En 2018, le Groupe s’est orienté vers le marché des croisières d’expédition à destination des pôles et se place désormais comme le leader de ce type de voyage.
Aujourd’hui, l’entreprise compte une flotte de 13 navires, dont 6 navires d’expédition et un navire de haute exploration polaire.
Depuis sa création, la société Compagnie du Ponant indique qu’elle a placé la protection de l’environnement au cœur de sa stratégie en recourant à :
- Des navires à taille humaine dont un voilier,
- Une capacité limitée,
- Les meilleures technologies installées à bord (traitement des eaux, des déchets, des rejets atmosphériques …),
- L’obtention du label Cleanship de Bureau Veritas obtenu par l’ensemble de la flotte,
- De bonnes pratiques pour la préparation des croisières (études d’impact environnemental et social, concertation avec les populations locales, etc.).
La compagnie précise qu’en 2019 elle a mis un coup d’accélérateur à sa démarche de développement durable par :
- la création de la Fondation PONANT pour soutenir des initiatives relatives à la préservation des régions polaires et des océans et au rapprochement des peuples de la mer : biodiversité en Nouvelle Calédonie, Etude des baleines à bosse en Antarctique, Plastic Odyssey, Ecole des Bijagos, CleanUp Aldabra, Cercle Polaire.
- le choix des meilleurs carburants disponibles (LS MGO, GNL)
- l’utilisation des Selective Catalytic Reduction SCR à temps plein pour l’élimination des Oxydes d’Azote NOx
- la traçabilité et la valorisation des déchets
- la certification Green Marine. En 2020, PONANT a été classé première compagnie de croisière la plus respectueuse de l’environnement par l’ONG NABU. Un classement tout à fait indépendant qui confirme son engagement environnemental.
En 2020 et 2021, l’entreprise indique avoir subi de plein fouet l’impact de la crise sanitaire due au COVID-19. Les activités de PONANT ont été fortement perturbées. Toutefois, la compagnie a maintenu ses engagements RSE pendant cette période.
En 2022, PONANT annonce 5 engagements stratégiques de la compagnie en faveur de la protection des océans :
- Réduire ses émissions de CO2 de 15% en 2026 et 30% en 2030 par rapport à 2019,
- Considérer le monde entier comme une « zone à émissions d’oxydes de soufre et d’azote contrôlée » pour l’ensemble de la flotte, avant 2025,
- Éliminer totalement le plastique à usage unique, à bord comme à terre dès 2022,
- Assurer la valorisation et la traçabilité de tous les déchets d’ici à 2025,
- Embarquer des équipes de recherche scientifique à bord du Commandant Charcot, navire de haute exploration polaire.
La société fait valoir qu’elle adopte la définition des Nations Unies pour un tourisme durable, à savoir « un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ».
Le tourisme durable ne se limite pas à un mode de transport bas carbone.
Il s’agit surtout de :
- Participer à l’épanouissement des populations locales. Pour cela, elle s’engage à participer à l’économie du pays visité, à assurer une rémunération juste aux prestataires et à promouvoir de meilleures conditions de travail ;
- Préserver la nature : réduire au maximum l’impact du tourisme sur l’environnement, l’objectif étant de préserver les ressources naturelles locales, notamment en privilégiant des destinations respectueuses de la nature et de leur écosystème ;
- Rencontrer la population locale : le but est de garantir des rencontres authentiques, afin notamment de découvrir la culture du pays visité. Cette démarche est tout à fait conforme avec l’esprit des croisières du Commandant Charcot.
- La réduction des émissions de gaz à effet de serre est une priorité majeure de la compagnie et du secteur maritime d’une manière générale. C’est pour cela que plus de 20 millions d’euros ont été investis pour équiper Le Commandant Charcot de la propulsion hybride Gaz Naturel Liquéfié /Diesel/Electrique. C’est le premier navire de croisière doté de ce système de propulsion qui permet une réduction allant jusqu’à 25% des émissions de CO2.
Aussi, tout est mis en œuvre pour la recherche d’alternatives possibles aux combustibles fossiles. Toutefois, la protection de l’environnement ne se limite pas à l’aspect « émissions de gaz à effet de serre ».
Les pratiques mises en avant sur Internet ne sont pas contraires aux objectifs du développement durable.
La communication est basée à la fois sur :
- Les caractéristiques techniques du navire Le Commandant Charcot
- Le modèle de navigation polaire
- La sécurité en zone polaire
- Des protocoles de débarquement respectueux des écosystèmes naturels et humains
Tous ces éléments sont détaillés sur le site Internet.
Le Commandant Charcot est un navire d’exploration polaire équipé des dernières technologies pour la préservation de l’environnement. L’utilisation de GNL fossile permet dès à présent de limiter les émissions comme nul autre combustible disponible aujourd’hui sur le marché et permet également l’utilisation à venir de Bio GNL et de e-GNL permettant d’atteindre la neutralité carbone, dès que ces combustibles seront disponibles sur le marché.
Les moteurs de propulsion du Commandant Charcot fonctionnent avec l’électricité fournie par six groupes électrogènes alimentés, essentiellement, par du GNL (Gaz Naturel Liquéfié) et, au besoin, par du LS MGO (Low Sulfur Marine Gasoil).
L’électricité produite est aussi stockée dans des batteries d’une capacité totale élevée de 4500 kW. Ces batteries d’une durée de vie de 10 ans seront reprises par le fournisseur pour être valorisées en fin de vie.
En milieu polaire, le navire a des besoins d’énergie variables, selon l’épaisseur de la glace. Les batteries chargées fonctionnent comme un groupe électrogène supplémentaire, en apportant un surplus de puissance dans certaines zones. La propulsion hybride assure ainsi la sécurité de la navigation.
Sont ainsi utilisés une propulsion hybride au GNL, un pack de batteries, zéro émission en mode électrique, un logiciel de routage, des systèmes de gestion de l’énergie et de limitation de la vitesse pour maintenir et optimiser la consommation au plus bas. La combustion du GNL n’émet ni oxydes de soufre, ni suie, ni poussière, ni fumée. Comparé aux carburants traditionnels, le GNL permet de réduire jusqu’à : – 25 % des émissions de dioxyde de carbone (C02), – 80 % des émissions d’oxydes d’azote (NOx), – 99 % d’oxydes de soufre (SOx).
Le GNL ne produit quasiment pas de particules fines mesurées à ce jour. Enfin, grâce au recours aux batteries, les moteurs du Commandant Charcot peuvent être utilisés en charge optimale (80% et plus). Cela permet d’optimiser au maximum la combustion du GNL.
Le Commandant Charcot est équipé de moteurs « Dual Fuel Wärtsila 31DF. ». Ils offrent d’excellents résultats sur la consommation de carburant, qu’il soit GNL ou LS MGO. Ce dernier reste indispensable à bord pour satisfaire à la réglementation SRTP (Safe Return To Port) si une avarie du navire impose un retour au port le plus proche.
Les émissions de méthane sont prises en compte dès la conception du Commandant Charcot. Toutefois, ces émissions ne sont pas comptabilisées, selon les règles de l’Organisation Maritime Internationale. Les émissions de méthane sont estimées à 10% des émissions de gaz à effet de serre.
La démarche de la Compagnie repose également sur le choix d’itinéraires réfléchis, la rédaction d’un cahier des charges environnemental spécifique à chacune des zones sensibles, un code de conduite pour les passagers, et, bien sûr, sur une tolérance zéro pour l’impact laissé après le passage.
La compagnie indique être membre de l’IAATO (Association internationale des Tour-Opérateurs en Antarctique) et de l’AECO, (Association Internationale des Croisiéristes d’Expédition pour un tourisme responsable, respectueux de l’environnement et sûr), deux associations qui régissent les activités touristiques en Antarctique et en Arctique. Dans les régions polaires, les itinéraires et protocoles sont conçus dans le respect de leurs directives, qui définissent le nombre de passagers pouvant débarquer et les conduites spécifiques à suivre (distances maximales d’approche de la faune, briefings des passagers, des membres d’équipage et du personnel d’expédition, expérience Antarctique du personnel d’expédition, plans d’urgence et d’évacuation médicale).
L’annonceur fait valoir ses actions :
-En Arctique, ravitaillement des zones éloignées, co-construction des itinéraires avec les communautés locales, échanges culturels ou encore soutien à des projets de développement ou de protection de l’environnement grâce à la Fondation PONANT.
- Détecteurs de fonds et d’animaux marins, système de positionnement électronique sans ancrage dans les zones préservées, traitement des eaux de ballast et antifouling de la coque, zéro fracturation de glace millénaire, bruits et vibrations réduits, zéro particule fine.
- Ravitaillement auprès des producteurs locaux dans les ports d’embarquements, selon les disponibilités des produits.
Elle ajoute que l’hélicoptère est seulement utilisé pour des aspects de sécurité. Il représente une aide à la navigation dans les zones polaires où les données cartographiques ne sont pas fiables et plus rarement permet le rapatriement sanitaire. Les sorties d’hélicoptères sont donc très limitées et leur impact est négligeable. Au contraire, le repérage fait par hélicoptère participe à l’économie d’énergie, puisqu’il permet de choisir le meilleur routage pour le navire.
La société indique que le navire Commandant Charcot opère ses croisières antarctiques à partir de Punta Arenas au Chili et ses croisières arctiques à partir de Longyearbyen ou Reykjavik en Islande. La Compagnie est consciente que cela rajoute un impact carbone supplémentaire. Néanmoins, à ce jour, il n’existe pas de moyens de transport alternatif à l’avion pour rejoindre ces destinations. Par ailleurs, un voyage responsable ne signifie pas seulement un voyage faible en carbone mais également la prise en considération d’éléments socio-économiques comme la société s’engage à le faire.
Lors de la séance, les représentant de la société ont repris en substance les mêmes arguments et précisé qu’ils avaient, après la plainte, pris conscience des enjeux de la publicité environnementale. La compagnie a notamment sollicité les conseils d’une agence spécialisée sur les biais du greenwashing, va publier dans les prochain jours un rapport sur le développement durable et développer sa stratégie de décarbonation avec un engagement de réduction des émissions carbone de 15 % entre 2019 et 2026 et de 30 % entre 2019 et 2030.
- L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, prévoit que :
- au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1 ) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :
- 1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple : (…)
- b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) /
- c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».
- au titre de la véracité des actions (point 2) :
- « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
- 2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
- 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) »
- au titre de la proportionnalité (point 3) :
- « 1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
- 2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
- au titre de la « clarté du message » (point 4) :
- « 6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée».
- au titre de la « loyauté » (point 5) :
- « 1. La publicité ne doit pas attribuer à un produit ou à un annonceur l’exclusivité de vertus au regard du développement durable alors que celles des concurrents seraient analogues ou similaires.
- 5.3 La publicité ne doit pas créer de lien abusif entre les actions générales d’un annonceur en matière de développement durable et les propriétés propres à un produit. »
- au titre du « vocabulaire » (point 7) :
- « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable /
- 7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”».
A titre liminaire, le Jury considère que les règles déontologiques précitées ne font pas obligation, de manière générale, à un annonceur qui entend valoriser l’évolution de ses impacts environnementaux, de préciser dans la publicité l’ensembledes effets induits par l’utilisation des produits ou services qu’il propose. Il doit, en revanche, faire preuve d’une particulière vigilance dans sa promotion, afin de ne pas induire en erreur le consommateur sur la portée réelle et les conséquences de ses actions, lorsqu’il fait appel aux services promus par la publicité.
Le Jury constate, en premier lieu, que, dans la publicité en cause, le produit final destiné aux consommateurs consiste en des prestations de service comprenant, entre autres, une croisière dans les pôles, à bord du navire Le Commandant Charcot, incluant parfois les vols en avion, ce qui imposait une prudence particulière dans la formulation des conséquences environnementales de ces prestations. Tout en relevant les efforts récents de la société Compagnie du Ponant pour relativiser les formulations utilisées lors de la promotion des voyages qu’elle propose, le Jury considère qu’en l’absence de mention visant à expliciter ou relativiser les expressions telles que « exploration des pôles responsable», « tourisme durable » ou encore « préservation de l’environnement », ces formules telles que relevées à la date de la plainte, sont disproportionnées, eu égard à l’impact écologique des croisières de cette compagnie et aux nuisances environnementales qui en résultent nécessairement en raison notamment des voyages en avion, de l’utilisation par le navire de gaz naturel liquéfié (GNL) qui demeure une énergie fossile et de l’usage alternatif du diesel. La publicité méconnaît donc à ce titre les points 3.1, 3.2, 7.1 et 7.3 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.
En deuxième lieu, et sans remettre en cause l’importance des efforts consentis par l’annonceur pour réduire l’impact environnemental de ses actions et valoriser des choix d’itinéraires, de ravitaillements et de codes de conduite pour les passagers, le Jury relève que la société ne présentait, dans la publicité en cause sur son site, aucun élément permettant d’expliciter :
- les conditions de mise en œuvre des moteurs GNL et diesel ni d’en comparer les effets avec ceux d’autres navires qui ne présenteraient pas les technologies en question, même si elle évoque en réponse l’investissement de 20 millions d’euros pour équiper Le Commandant Charcot de la propulsion hybride Gaz Naturel Liquéfié /Diesel/Electrique ;
- ses actions en faveur de l’épanouissement des populations locales et de la promotion de meilleures conditions de travail ;
- son mode de préservation des ressources naturelles locales, « en privilégiant des destinations respectueuses de la nature et de leur écosystème » ;
- les conditions d’utilisation de l’hélicoptère présenté en page d’accueil du site.
Le Jury estime donc que les arguments relatifs à la réduction d’impacts environnementaux et d’amélioration en termes de développement durable ou d’augmentation ne sont pas assez précis et ne s’accompagnent pas de précisions chiffrées suffisantes permettant une comparaison au sens des points 2.3 et 4.6 de la Recommandation précitée, de sorte que la publicité ne respecte pas l’exigence de clarté du message.
En troisième lieu, le Jury considère que l’ensemble des allégations analysées ci-dessus conduit à minimiser les conséquences de l’utilisation des services de la compagnie, à induire en erreur le consommateur sur la « préservation de l’environnement » qui en découlerait et à créer un lien abusif entre les actions générales de l’annonceur en matière de développement durable et les propriétés des croisières promues, en méconnaissance des points 1.1, 2.1 et 5 .6 de la même Recommandation.
En conséquence de ce qui précède, tout en prenant acte de l’engagement de l’annonceur de respecter les règles déontologiques de la publicité à l’avenir, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les points précités de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.
Avis adopté le 1er juillet 2022 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Boissier et MM. Depincé et Lucas-Boursier.