Avis publié le 31 mai 2024
COLORADO – 1004/24
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 20 mars 2024, d’une plainte émanant de l’association KOUMBIT FANM KARAYIB, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de la société Colorado International, pour promouvoir sa marque de boissons Colorado.
La publicité en cause, diffusée sur des panneaux d’affichage à la Guadeloupe, présente la photographie en noir et blanc d’une femme, de dos, dont on n’aperçoit que les cuisses dénudées et le postérieur. Elle est vêtue d’un mini short laissant entrevoir une partie de ses fesses. Elle porte, sur sa hanche, un étui dans lequel est posé une canette de la boisson, à l’instar d’une arme à feu dont serait équipé un cow-boy.
A l’arrière-plan, est représenté un paysage désertique évoquant l’ouest américain, sur lequel apparaît un cactus. Au premier plan, sont présentées deux canettes de la boisson. En haut à droite de l’affiche, le logo de la marque, comportant les termes « Colorado Iced Tea » surmontés du dessin d’un cactus est accompagné de l’accroche « Dégaine ton plaisir ! ».
2. Les arguments échangés
– L’association plaignante énonce que cette publicité est extrêmement choquante et dégradante pour les femmes car elle banalise la soumission et la violence. Elle contribue à véhiculer une image stéréotypée et dégradante des femmes présentées comme objet de plaisir au service des hommes.
Elle estime que l’affiche présente une lecture biaisée du désir féminin et de l’agentivité des femmes. Ainsi la sexualité féminine serait tellement primaire qu’elle serait déclenchée par une boisson. Encore une fois, le corps des femmes est traité comme un objet érotique et marchandisé. Nous sommes encore en présence d’un exemple d’hypersexualisation des corps féminins (noirs peut-être, vu que cette boisson n’est distribuée qu’Outre-Mer), qui par le message implicite et sexuel qu’il véhicule est préjudiciable à la sécurité des femmes. C’est une forme de violence banalisée présentée impunément dans l’espace public qui justifie une pratique sexuelle associée à la violence masculine s’exerçant sur les femmes et qui, de facto, ne fait qu’alimenter les imaginaires des hommes violents et des violeurs. Cette boisson est également consommée par les enfants auxquels on envoie des messages à teneur pornographique insupportables.
Selon la représentante de l’association, plus de la moitié du panneau publicitaire présente les fesses et l’entre-jambes d’une femme en gros plan qui n’aurait donc que ça d’important sur elle. De plus, elle déguste cette boisson par ses fesses et « dégaine ton plaisir » va de pair avec la présentation de ses fesses mises à disposition. Les femmes se résument donc à cette seule partie de leur corps.
Elle relève que :
- la femme porte un short à franges qui peut être interprété comme un short déchiré et de façon subliminale une permission pour le viol ;
- des gouttelettes d’eau ou de sueur sur l’arrière de la cuisse droite évoquent une femme qui a chaud, une femme en chaleur ;
- une ceinture autour de sa taille et un cordon autour de sa cuisse renvoient à des sangles et donc de façon subliminale à une scène de pornographie violente de type sado-masochiste, voire au viol ;
- dans le paysage désertique se dresse un cactus évoquant un phallus (les 2 branches rappelant certainement ici les testicules). De plus, si on regarde la diagonale passant entre les jambes de la femme, celle-ci donne directement sur le cactus. La perspective montre que la taille de ce dernier lui permet de s‘insérer directement dans l’entre-jambes de la femme.
- cinq logos-cactus sont par ailleurs dispersés sur l’affiche. Dans ce contexte, ces cactus stylisés/amusants peuvent rappeler inconsciemment des sex-toys. Le logo-cactus est ainsi répété 5 fois : sur 2 canettes de taille normale en bas à droite, puis sur une énorme canette que la femme va dégainer, le logo-cactus sur la poche droite du jean à hauteur de la moitié de la fesse, et, enfin, un gros logo en haut et à droite de l’affiche.
- la canette portée à la ceinture par la femme s’intitule « Cosmic Peach Mango » : boire cette boisson permet donc d’atteindre une autre dimension, une dimension cosmique, donc de « s’envoyer en l’air » en quelque sorte.
- l’expression « Dégaine ton plaisir » peut signifier lâche toi, laisse-toi aller : ici ton plaisir est aussi celui des phallus dispersés sur la publicité. Mais le mot « dégaine » renvoie aussi à une action violente, renforcée par l’analogie entre la canette et un pistolet. Cette expression peut avoir une interprétation subliminale de permission, voire d’incitation au viol.
- l’expression « Pour votre santé, bougez plus » en bas de l’affiche, bien qu’étant une expression générique dans le domaine publicitaire de l’alimentation, renforce l’idée d’une sexualité offerte et dans laquelle la femme doit bouger pour atteindre ou faire atteindre le plaisir sexuel.
– La société Colorado International a été informée, par courriel avec accusé de réception du 26 mars 2024, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.
La société n’a pas présenté d’observations.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :
- « 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. /……
- 2.1. La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet. / (…) ».
Le Jury relève que la publicité litigieuse a pour objet la promotion d’une boisson.
Elle utilise le corps d’une femme vue de dos et dont on ne distingue que son entrejambe et ses fesses, apparentes sous un short sexy frangé coupé très court de manière à découvrir cette partie de son corps, l’ensemble figurant en gros plan accompagné du slogan « dégaine ton plaisir » indissociable de ces images. Du fait de la propension délibérée qu’a ce message dans son ensemble, à “réduire la personne [représentée] à un objet”, en particulier au regard du lien inexistant entre le produit et la représentation exclusive de cette partie du corps de la femme, le Jury considère que cette image, ainsi réductrice, porte atteinte à la dignité de la femme et contrevient au texte précité.
En conséquence, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît les dispositions précitées de la Recommandation « Image et respect de la personne ».
Avis adopté par voie électronique le 13 mai 2024, par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.