CIFOG – Radio – Plaintes non fondées

Avis publié le 18 février 2021
CIFOG – 702/21
Plaintes non fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plaintes,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu la représentante de l’association Les Chiennes de Garde, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 9 novembre 2020, d’une plainte émanant d’un particulier et, le 12 novembre 2020, d’une plainte émanant de l’association Les Chiennes de Garde, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en radio, par le Comité Interprofessionnel du Foie Gras (CIFOG), pour promouvoir ses produits de confit de canard.

La campagne publicitaire en cause se compose de trois spots :

Dans le premier, une voix de femme énonce : « Alors, si je récapitule, on ne peut plus se faire appeler Mademoiselle, on ne peut plus faire de blague sur les gens, on ne peut plus faire la fête après 10h ! Dieu merci, il nous reste le confit de canard. Un bon confit de canard entre copines avec des figues rôties bien dodues en papotant jusqu’à pas d’heure. Encore que si ça se trouve, y’a bien un illuminé qui réfléchit à interdire les papotages. Faut se dépêcher les filles ! Le confit de canard, le bonheur peinard. »

Dans le deuxième, une voix d’homme énonce : « Alors, on ne peut plus utiliser sa voiture sans culpabiliser, on ne peut plus tenir la porte aux dames sans passer pour un dragueur, bientôt on ne pourra plus s’assoir sur l’herbe sinon on écrase les insectes rares ! Heureusement qu’il nous reste le confit de canard. Un bon confit de canard vite fait au four sans chichis accompagné de patates sautées à l’ail en refaisant le monde dans la cuisine avec les potes ! Hein, on ne va pas nous le piquer ça ! Le confit de canard, le bonheur peinard. »

Dans le dernier, une voix de femme énonce : « Alors, faut faire attention à ce qu’on dit dans l’ascenseur du bureau, faut faire attention à ce qu’on écrit sur les réseaux sociaux, et puis maintenant il faut faire attention aux photos qu’on envoie avec son téléphone ! Heureusement qu’il nous reste le confit de canard. Un bon confit de canard bien préparé au four pour que ça embaume dans toute la maison, avec une petite salade roquette, des pommes-noisettes, quelques bons copains, c’est pas interdit les copains, hein ? Confit de canard, le bonheur peinard. »

2. Les arguments échangés

Le plaignant particulier relève que les phrases sont prononcées sur un ton dédaigneux, qui le heurte. Les raccourcis sont très maladroits et évoquent de la part de l’annonceur une posture condescendante à l’égard des femmes ainsi que des personnes ayant des convictions écologiques.

Il ajoute que cette campagne repose des stéréotypes ayant trait à des avancées sociétales majeures telles que le combat pour le respect des femmes et de leurs corps et la lutte contre le changement climatique et l’érosion de la biodiversité.

La campagne discrédite notamment les efforts de sensibilisation et les gestions d’action menés pour limiter et s’adapter au changement climatique. Elle tente d’assigner aux partisans de cette lutte des valeurs rétrogrades qu’elle ridiculise.

Il ajoute que les propos à teneur machiste des différents spots propagent une image toxique de la masculinité et qu’il s’agit d’une campagne publicitaire au mauvais goût du « c’était mieux avant ».

L’association Les Chiennes de garde relève que ces spots font passer l’écologie, le féminisme et les mesures anti-Covid pour des actes d’illuminés qui entrainent des interdits douloureux et des concessions. Selon l’association, les textes sont réactionnaires, sexistes, machistes, anti-écologistes et irrespectueux du bien-être animal.

Le Comité Interprofessionnel du Foie Gras a été informé des plaintes, dont copies lui ont été transmises, et des dispositions dont la violation est invoquée, par courriel recommandé avec avis de réception du 7 décembre 2020.

Il n’a pas présenté d’observations.

Lors de la séance du 8 janvier 2021, à laquelle les parties avaient été invitées à participer sous la forme d’une visioconférence, seule la représentante de l’association Les Chiennes de garde a souhaité s’exprimer sans pouvoir y parvenir en raison d’un dysfonctionnement technique. Elle a été invitée à présenter ses observations le 14 janvier, lors d’une nouvelle séance du Jury.

L’Association Les chiennes de garde a fait valoir que cette campagne publicitaire avait provoqué de nombreuses réactions, y compris dans les médias. Elle confirme les termes de sa plainte. Elle insiste sur le fait que cette publicité présente la consommation de confit de canard comme un acte de résistance contre une atteinte aux libertés. Elle ajoute que le texte est sans lien avec le produit promu.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle, d’une part, que selon les principes généraux issus du Code ICC consolidé sur la publicité et les communications commerciales, la publicité doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale, ce qui implique qu’elle ne semble pas cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux.

En outre, il ressort du même code que : « La communication commerciale doit proscrire toute déclaration ou tout traitement audio ou visuel contraire aux convenances selon les normes actuellement admises dans le pays ou la culture concernés ».

D’autre part, la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que : « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence ».

Le point 2 de cette Recommandation prévoit également que :

« 2. Stéréotypes.  

2.2. La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2.3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance de sexisme. »

Enfin, le point 1.2. de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose que : « La publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable. (…) ».

Le Jury relève que les trois messages de la campagne publicitaire précités ont en commun de déplorer une évolution sociétale, notamment fondée sur le respect de principes qualifiés de « politiquement corrects », conduisant à restreindre les libertés individuelles, en particulier la liberté d’expression, au nom d’impératifs collectifs et de l’intérêt général. La campagne, qui semble vanter les mérites d’un temps révolu, vise aussi bien des actions dont les conséquences relèvent d’atteintes à la vie privée (« faut faire attention à ce qu’on écrit sur les réseaux sociaux », « il faut faire attention aux photos qu’on envoie avec son téléphone »)), que des comportements jugés inopportuns en raison de leur caractère sexiste (« on ne peut plus se faire appeler Mademoiselle », « on ne peut plus tenir la porte aux dames sans passer pour un dragueur »), désobligeant (« on ne peut plus faire de blague sur les gens ») ou contraire aux principes fondamentaux du développement durable (« on ne peut plus utiliser sa voiture sans culpabiliser », « bientôt on ne pourra plus s’assoir sur l’herbe sinon on écrase les insectes rares »).

Le Jury constate, en premier lieu, que si les messages radiophoniques présentent ces nouveaux interdits sociétaux comme des obstacles à la liberté, ils ne proposent à aucun moment de les transgresser. Au contraire, ils semblent en prendre acte et se consoler à l’idée que les consommateurs conservent encore la liberté de manger du confit de canard. A cet égard, la campagne publicitaire ne saurait être perçue comme cautionnant ou encourageant des comportements antisociaux ou comme contraire aux convenances selon les normes actuellement admises en France.

En second lieu, le Jury constate que les exemples utilisés par cette campagne pour illustrer les contraintes sociales relèvent manifestement d’une exagération. A l’évidence, il est toujours possible, le cas échéant en respectant certaines exigences juridiques, de « faire des blagues sur les gens », de « faire la fête après 22 h », de « tenir la porte aux dames sans passer pour un dragueur », ou encore de « se faire appeler Mademoiselle ». De même, le troisième spot feint de s’offusquer de restrictions qui relèvent pourtant de l’évidence pour la très grande majorité du public (« faire attention à ce qu’on dit dans l’ascenseur du bureau », « faire attention à ce qu’on écrit sur les réseaux sociaux », « faire attention aux photos qu’on envoie avec son téléphone »). Enfin, les exemples de restrictions qui seraient susceptibles d’être imposées à l’avenir sont farfelues (interdire les « papotages », interdire de « s’assoir sur l’herbe pour ne pas écraser les insectes rares » …).

Le Jury retient que ces publicités, tant par les textes que par les voix utilisés, recourent au registre du langage parlé contestataire et à un ressort clairement humoristique, et même absurde, tout en jouant sur le contexte sanitaire marqué par d’importantes restrictions apportées aux libertés individuelles, pour conclure, avec la formule « Heureusement qu’il nous reste le confit de canard », que le produit est associé à un « bonheur peinard », sans interdit. Le propos ne saurait être pris au sérieux alors qu’une telle lecture « au premier degré » aurait pour conséquence de tourner en dérision les adeptes de ce « bonheur peinard », c’est-à-dire les consommateurs du produit promu eux-mêmes, qui seraient sexistes, « écolo-sceptiques » voire anarchistes. Tel n’est sans doute pas l’objectif poursuivi.

Dans ces conditions, le Jury considère que cette campagne n’est pas de nature à valoriser, même indirectement, des comportements d’exclusion, d’intolérance ou de sexisme, à propager une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence, ni à discréditer les principes, les objectifs, les conseils et les solutions communément admis en matière de développement durable.

Par conséquent, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas les règles déontologiques précitées.

Avis adopté le 14 janvier 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, et M. Depincé.

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