Avis publié le 6 septembre 2021
CASTALIE – 742/21
Plainte fondée
Demande de révision rejetée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu les représentants de la Fédération Nationale des Eaux Conditionnées et Embouteillées (FNECE), plaignante, et la société Castalie,
- après en avoir débattu,
- l’avis délibéré ayant été adressé à la fédération plaignante et à la société Castalie, laquelle a introduit une demande de révision rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie ci-dessous, annexée au présent avis,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 20 janvier 2021, d’une plainte émanant de la Fédération Nationale des Eaux Conditionnées et Embouteillées (FNECE), tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une vidéo publicitaire de la société Castalie, pour promouvoir sa fontaine à eau micro-filtrée.
La publicité en cause, diffusée notamment sur le site internet de la société Castalie, présente successivement des images de personnalités, notamment politiques, s’exprimant dans les médias, de scènes de pollution (bouteilles plastiques, oiseaux englués…), de paysages de nature ainsi que le dessin de la planète Terre.
Ces visuels sont accompagnés des textes suivants : « On pourrait vous faire un grand discours alarmiste sur l’écologie, on pourrait aussi vous dire qu’il est déjà trop tard, on pourrait vous dire qu’il serait plus facile que tout parte d’en haut, on pourrait vous dire qu’un continent de plastique dérive dans le pacifique, on pourrait vous dire tout ça puisque tout est vrai, mais on peut aussi voir la gourde à moitié pleine, on peut vous dire qu’il n’est jamais trop tard, on peut aussi vous dire que les petits ruisseaux font les grandes rivières, on peut aussi vous dire que Castalie est un moyen pour lutter contre la folie du plastique, on peut aussi vous dire tout ça puisque tout est également vrai, depuis le début du projet Castalie, nous avons déjà évité 83 856 425 bouteilles en plastique, alors ça vous dit de rejoindre le mouvement ? – Castalie, eau d’ici et d’aujourd’hui ».
La fédération plaignante met également en cause l’allégation, figurant sur le site internet de la société, selon laquelle : « L’impact carbone de nos fontaines est 88% moins élevé que pour une bouteille en plastique (en gCO₂/L). ».
2. Les arguments échangés
– La fédération plaignante considère que le film publicitaire en cause est alarmiste et dénigrant pour les bouteilles d’eau en plastique. L’affirmation d’un impact carbone des fontaines « 88 % moins élevé que pour une bouteille en plastique » est dénuée de justification scientifique et l’étude mentionnée pour étayer cette allégation n’est pas disponible. En outre, cette publicité passe sous silence le fait qu’en France, toutes les bouteilles d’eau sont en PET, recyclables et majoritairement recyclées, et ne viennent donc pas alimenter « le continent de plastique » évoqué dans le film. Cet amalgame est contraire au point 7.4 de la Recommandation Développement durable.
La fédération reproche également à cette vidéo de taire le fait que la fabrication des fontaines à eau, pour partie à l’étranger, leur transport et leur fonctionnement ont également un impact environnemental, alors que ces fontaines sont totalement inutiles puisqu’il s’agit de filtrer une eau du réseau qui a déjà été traitée et notamment filtrée, de même que l’épuration et la mise à disposition de l’eau du robinet suppose la création d’infrastructures lourdes qui ont une incidence écologique.
La plainte conteste la prétention de la société Castalie à afficher une supériorité environnementale absolue de ses appareils sans justifier et nuancer ses engagements en matière de développement durable.
Enfin, la fédération plaignante estime que le décompte des bouteilles en plastique « évitées » qui figure dans la vidéo ne constitue pas une présentation honnête et véridique car elle ne peut être justifiée. En effet, la majorité des clients, à savoir les restaurateurs et hôtels haut de gamme qui se sont équipés en appareils Castalie, n’ont pas « évité » des bouteilles en plastique puisqu’ils proposaient exclusivement (ou en grande majorité) des bouteilles en verre comme celles de Castalie. En outre, les entreprises qui proposent de l’eau à leurs salariés utilisent presque toutes des fontaines à eau (bonbonnes) dont les contenants sont repris, recyclés ou réutilisés par les fournisseurs.
La plainte soutient en conséquence que cette publicité méconnaît l’article 11 et l’article D1 du code ICC sur la publicité et le marketing, ainsi que les dispositions des Recommandations de l’ARPP « Développement durable » et « Traitement de l’eau » de l’ARPP.
– La société Castalie a été informée, par courriel avec accusé de réception du 8 avril 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Après une présentation du parcours de son président et de son intérêt pour l’accès à l’eau potable dans les pays en voie de développement et le commerce équitable, la société indique que ce dernier, inspiré par le modèle de Sodastream, a décidé de créer la société Castalie, qui commercialise des fontaines à eau, afin d’offrir aux professionnels une alternative à l’eau en bouteille en plastique, qui soit respectueuse de l’environnement et durable.
Sur la prétendue absence de justification scientifique, la société Castalie fait valoir que l’impact environnemental comparé de la solution qu’elle commercialise et des bouteilles d’eau en plastique doit s’apprécier au regard des émissions de carbone. Elle fait valoir que son impact carbone a été mesuré par un cabinet externe reconnu, EKODEV. Il ressort du rapport établi par cette entreprise que l’impact carbone des fontaines à eau Castalie est « 88 % moins élevé que pour une bouteille en plastique ». Ce calcul est effectué sur la base d’une synthèse comparative de l’impact carbone en gCO²e/l (mesure en grammes de CO² émise par litre). Les produits comparés, pour cette étude, sont les fontaines à eau Castalie, deux autres fontaines à eau de marque WATERLOGIC et EDEN, une bonbonne en matière plastique, une bouteille en verre et une bouteille en plastique.
La société renvoie par ailleurs aux sources publiquement accessibles qu’elle mentionne, dont il ressort que les bouteilles en plastique, en raison de leur composition et leur processus de fabrication, à savoir notamment 100 mL de pétrole et 80 grammes de charbon pour une bouteille d’un litre, contribue à un désastre écologique et environnemental. Une fois utilisées, les 25 millions de bouteilles d’eau en plastique consommées en France, quotidiennement, sont acheminées vers des décharges, et pour la plupart incinérées, ce qui produit des fumées toxiques qui sont, en grande partie, à l’origine du problème de pollution de l’air.
La société Castalie convient que ce désastre environnemental n’est pas, exclusivement, provoqué par les bouteilles en plastique destinées à contenir de l’eau, mais soutient que ce sont elles qui sont, majoritairement, retrouvées lors des collectes sur le littoral (53,18 % des bouteilles en plastique d’eau, retrouvées sur le littoral en 2016 contre 24,58 % de bouteilles en plastique de soda ou thé glacé).
Elle fait aussi valoir qu’en plus de leurs conséquences environnementales, les bouteilles en plastique ont une incidence sanitaire directe. De nombreuses études scientifiques ont prouvé que la simple ouverture d’une bouteille d’eau en plastique est à l’origine de la libération de milliers de microparticules en plastique que le consommateur ingère, à l’occasion de cette ouverture. Ces études scientifiques ont également conclu que « boire uniquement de l’eau en bouteille apporte 90 000 microparticules de plastique en plus chaque année – soit plus du double que ceux qui boivent au robinet » et ont alerté sur l’accumulation dans le temps de tous ces résidus dont les effets sont, pour la plupart, encore inconnus. Ainsi, si l’eau en bouteille peut être présentée comme une alternative saine à l’eau du robinet, il n’en demeure pas moins que les particules présentes dans ces bouteilles, sont composées de nombreux « ingrédients invisibles » dont les conséquences sur notre santé (puisqu’inconnues) peuvent être potentiellement dangereuses.
Au total, la société estime que sa publicité ne méconnaît aucune des règles déontologiques invoquées, notamment l’article D1 du code ICC, dès lors qu’elle présente de manière honnête et véridique les effets de la consommation d’eau en bouteille plastique et les vertus de ses propres produites.
– Par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs, la fédération plaignante et la société CASTALIE ont produit, respectivement le 11 mai et le 2 juin 2021 – soit postérieurement à la séance – des observations complémentaires, qui ont été communiquées à l’autre partie, concernant la comparaison de l’empreinte carbone respective des bouteilles en plastique et des fontaines à eau Castalie. Eu égard aux éléments qu’elle comporte, le Jury estime qu’il n’y a pas lieu d’inscrire l’affaire à l’ordre du jour d’une nouvelle séance en vue d’en débattre oralement.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :
- en son point 1 (Impacts éco-citoyens) que « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité » et qu’elle doit « éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de produits susceptibles d’affecter l’environnement » ;
- en son point 2, relatif à la véracité des actions, que : « 2.1 La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable. /
2.2 Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées. /
2.3 L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments objectifs, fiables, véridiques et vérifiables au moment de la publicité. / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus. ».
- en son point 3, relatif à la proportionnalité du message, que : « 3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. (…) » et que « 3.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. ».
- et en son point 7 que : « 7.4. Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur ».
Ces règles déontologiques reprennent en substance celles qui figurent à l’article D. 1 du code ICC publicité et marketing, relatif à la présentation honnête et véridique des allégations environnementales dans la communication commerciale.
En outre, l’article 11 du même code, relatif aux « Comparaisons », dispose que : « La communication commerciale contenant une comparaison doit être conçue de telle sorte que la comparaison ne soit pas de nature à induire en erreur le consommateur et elle doit respecter les principes de la concurrence loyale. Les éléments de comparaison doivent s’appuyer sur des faits objectivement vérifiables et qui doivent être choisis loyalement ».
Le Jury rappelle d’autre part que la Recommandation « Traitement de l’eau » de l’ARPP dispose :
- en son point 2, relatif au vocabulaire, que : « Lorsque les termes et expressions utilisés font l’objet d’une définition fixée par une norme ou une réglementation, ils doivent être employés dans un sens qui correspond à cette définition.
Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit, appareil ou des actions de l’annonceur.
Tout annonceur doit s’assurer, préalablement à la diffusion de sa publicité, de la possibilité de faire référence et d’utiliser des mots, adjectifs et concepts précis tel que « eau minérale », « minéralisée », « de source », « potable », « traitée », « pour biberon », « nature », « naturelle », « stérilisée », « désinfectée », etc.
Le terme « pur », et/ou ses dérivés, ne peut en aucun cas s’appliquer seul, sans qualificatif, à une eau ayant fait l’objet d’un traitement physique ou chimique, aucune eau n’étant chimiquement « pure » (composée uniquement de molécules d’eau).
Par exemple, l’utilisation des termes « plus pur », et / ou ses dérivés, est tolérée dans la mesure où leur utilisation vise à démontrer une amélioration de l’eau du robinet ou des bénéfices de confort apportés via l’utilisation d’un traitement de l’eau au point d’utilisation.
L’utilisation de qualificatifs tels que « optimisée », « améliorée », visant à mettre en avant les propriétés de confort pour le consommateur de l’usage d’un traitement de l’eau au point d’utilisation est possible sous réserve de ne pas induire de confusion dans l’esprit de ce dernier sur les propriétés de l’eau filtrée, ou une assimilation avec d’autres types d’eaux réglementées (cf. supra Loyauté).
- en son point 3, relatif à la loyauté, que : « La publicité ne doit pas attribuer à un produit, un appareil ou à un annonceur l’exclusivité de vertus qui existent également chez les concurrents alors que celles des concurrents seraient analogues ou similaires.
Un annonceur ne peut se prévaloir de certaines actions à titre exclusif, alors que celles-ci seraient imposées à tous par la réglementation en vigueur. Ce principe n’exclut pas que, dans un but pédagogique, une publicité puisse informer de l’existence d’une réglementation, afin d’en promouvoir la mise en œuvre ou d’inciter le public à y souscrire.
Afin de respecter les principes d’une concurrence loyale, les comparaisons effectuées avec les eaux minérales ou de source, ne doivent pas porter sur les propriétés intrinsèques des eaux présentées.
- En son point 4 relatif à la véracité, que : « Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées.
L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments utilisés dans la communication publicitaire, au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables.
Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits ou appareils, en adéquation avec les éléments justificatifs dont il dispose.
- et en son point 7 relatif au développement durable, que « Constitue une promesse environnementale : toute revendication, indication ou présentation, sous quelque forme que ce soit, utilisée à titre principal ou accessoire, établissant un lien entre les marques, produits, appareils ou actions d’un annonceur, et le respect de l’environnement.
Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument environnemental et aux éléments justificatifs qui l’appuient.
L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités, produits ou appareils, présentent les qualités revendiquées.
Dans les cas où cette explicitation est trop longue pour pouvoir être insérée dans la publicité, l’information essentielle doit y figurer, accompagnée d’un renvoi à tout moyen de communication permettant au public de prendre connaissance des autres informations.
Les signes ou logos ne peuvent être utilisés que si leur origine est clairement indiquée et s’il n’existe aucun risque de confusion quant à leur signification.
Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.
Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit, appareil ou de l’activité de l’annonceur.
Le Jury relève que le film publicitaire litigieux est construit en deux parties. La première dresse un tableau sombre de l’état de l’environnement dans le monde, en raison des dégâts occasionnés par les activités humaines sur la faune, la flore, la qualité de l’air ou l’eau, et d’un volontarisme politique jugé insuffisant de la part des Etats. Le propos est illustré par des extraits de vidéos représentant des dirigeants, actuels ou passés, et des personnalités politiques connues, par des scènes de manifestations en faveur de la défense de l’environnement, l’effondrement d’un morceau de la banquise, le cheminement pénible d’un ours polaire sur des plaques de glace parsemant une étendue d’eau fondue, et l’accumulation de déchets en plastique dans l’océan. Dans un second temps, la publicité, recourant aux images d’une nature belle et préservée, entretient l’espoir d’une amélioration de la situation, en mettant en exergue les vertus des appareils de traitement d’eau commercialisés par la société Castalie, qui auraient permis d’éviter la consommation de plusieurs dizaines de millions de bouteilles d’eau en plastique et de lutter contre la « folie du plastique ». Elle invite enfin le spectateur à « rejoindre le mouvement ».
Il ressort tant du propos de cette vidéo, notamment de cette dernière invitation, que des éléments fournis par la société Castalie quant aux convictions de son fondateur en faveur de la lutte contre l’utilisation des bouteilles en plastique, que cette entreprise entend porter un discours engagé sur les conséquences environnementales de ce mode de consommation des boissons, en particulier de l’eau. Pour autant, ce film doit être analysé comme une communication commerciale en faveur des produits et services commercialisés par cette entreprise.
Le Jury constate que le film litigieux, présenté comme un moyen de lutter contre « la folie du plastique », ne fait état à aucun moment de l’impact environnemental négatif des appareils promus, ni au regard de l’empreinte carbone, ni au regard d’autres facteurs. L’étude Ekodev sur laquelle s’appuie l’annonceur pour comparer l’impact carbone de ses fontaines avec d’autres modes de consommation de l’eau, notamment les bouteilles en plastique, indique d’ailleurs elle-même qu’elle « ne prend en compte que les impacts liés aux émissions de gaz à effet de serre (CO₂e) et ne tient pas compte des impacts sur la consommation d’eau, la pollution des sols ou autre écotoxicité… ».
Or cette vidéo ne se borne pas à faire référence à l’empreinte carbone respective des bouteilles en plastique et des appareils de traitement de l’eau. Elle comporte une promesse globale en matière environnementale, notamment par la diversité des situations reproduites ou mises en scènes, tant dans la première que la seconde partie du film, qui montre une nature préservée et sans pollution apparente. Le recours aux fontaines à eau commercialisées par Castalie peut ainsi être perçue comme une façon de résoudre l’ensemble des défis écologiques auxquels le monde est confronté. Le léger tempérament apporté par la mention « ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières » n’invalide pas cette analyse, dès lors qu’elle ne fait référence qu’à la modestie de la contribution alléguée de l’annonceur à la préservation de la planète, sans à aucun moment faire apparaître les inconvénients, sur le plan environnemental, de la fabrication, du transport, de l’utilisation et de la gestion de la fin de vie de ses produits. Cette présentation, appuyée par la référence récurrente au globe terrestre et par la force des images qui évoquent une campagne d’associations de défense de l’environnement, traduit indûment l’absence d’impact négatif des produits et actions de l’annonceur, en méconnaissance des points 1, 2 et 7.4 de la Recommandation « Développement durable », ainsi que l’exigence de proportionnalité découlant de son point 3 et du point 7 de la Recommandation « Traitement de l’eau ».
En outre, ce film laisse entendre que les bouteilles en plastique utilisées en France viendraient abonder les déchets plastiques se trouvant dans l’océan Pacifique. Or d’une part, une partie significative de ces bouteilles en PET font l’objet d’un recyclage. D’autre part, il apparaît peu vraisemblable que leur utilisation par les consommateurs français se traduise par une pollution de l’océan Pacifique. Si la pollution qui résulte de ces bouteilles ne saurait être sous-estimée, d’autant qu’environ 40 % des bouteilles en plastique consommées en France ne sont pas recyclées, la comparaison à laquelle se livre la publicité litigieuse est susceptible d’entretenir une confusion dans l’esprit du consommateur et de l’induire en erreur quant aux mérites comparés des deux solutions, en méconnaissance du principe général figurant à l’article 11 du code ICC.
S’agissant du décompte des bouteilles en plastique que le recours aux fontaines à eau Castalie aurait permis d’éviter, le dossier ne fait pas ressortir qu’il tiendrait compte des solutions alternatives, comme les bonbonnes à eau, les bouteilles en verre, les appareils de traitement de l’eau concurrents de l’annonceur ou encore, tout simplement, la consommation directe et sans filtrage supplémentaire de l’eau du robinet. Le lien entre l’utilisation des produits de la société Castalie et la réduction de celle des bouteilles en plastique n’apparaît pas suffisamment direct pour justifier une telle allégation.
Les développements de l’annonceur relatifs aux impacts sanitaires directs des bouteilles en plastique apparaissent quant à eux dénués de rapport avec le film publicitaire en cause, qui ne traite que de leur impact environnemental.
S’agissant enfin de l’allégation « L’impact carbone de nos fontaines est 88% moins élevé que pour une bouteille en plastique (en gCO₂/L). », l’annonceur précise qu’elle est appuyée sur un rapport de la société Ekodev intitulé « Note méthodologique empreinte carbone fontaine », réalisé à sa demande. Le graphique figurant en page 21 fait état d’un impact carbone de 47,1 gCO²e/L pour la fontaine « Pure Meca Castalie » et de 393 gCO₂e/L pour une bouteille en plastique PET – soit un différentiel de 88 %.
Le Jury relève à titre liminaire que le tableau récapitulatif qui figure en page 22 fait état d’une « réduction potentielle engendrée par le choix de Castalie » comprise entre 66 et 73 % par litre en cas d’abandon de la solution des bouteilles en PET, ce qui ne semble pas cohérent avec le différentiel de 88 % figurant à la page précédente. Cet écart n’a pas été expliqué.
Le Jury observe, surtout, que la même note précise, en page 22 : « Attention aux comparaisons avec les autres systèmes, elles ne sont qu’informatives puisque les détails méthodologiques ne sont pas forcément connus ». En outre, la comparaison figurant dans cette étude ne porte que sur l’une des fontaines commercialisées par Castalie (Pure Meca) alors que l’allégation publicitaire en cause se réfère à la totalité des modèles mis en vente par celle-ci (« nos fontaines »). Il ressort par ailleurs de la page 5 du rapport que l’impact carbone de la fontaine Pure Meca ne tient pas compte de l’énergie nécessaire au process d’assemblage, faute d’informations disponibles, et de la page 24 qu’Ekodev n’a pu estimer la qualité de fluide rechargée « lorsque le groupe froid est vide » et qu’il doit être changé chez un prestataire externe, alors que le fluide est « très émetteur de gaz à effet de serre ». Enfin, ainsi que l’indique la société Castalie elle-même, le calcul figurant dans l’étude Ekodev de 2018, basé sur des données de 201, ne tient pas compte de l’utilisation du PET recyclé – les données fournies par la fédération, qui dates de 2020, n’étant donc pas prises en compte.
En l’état des éléments qui lui ont été soumis et sans qu’il soit besoin de prendre parti sur la pertinence de la durée d’amortissement retenue dans l’étude Ekodev ni sur le choix d’utiliser une bouteille de 50 cl plutôt qu’un litre comme point de comparaison, le Jury considère que, compte tenu des limites méthodologiques de cette étude dont elle fait elle-même état et qui ne sont pas contestées, le chiffre de 88 % figurant sur la page critiquée du site internet de l’annonceur, qui ne comporte d’ailleurs aucun renvoi au rapport Ekodev ni aucune mention rectificative ou explicative, ne pouvait être utilisé dans la publicité sans méconnaître le principe de véracité.
En conséquence, et tout en soulignant l’importance de la réduction du recours au plastique et l’objectif gouvernemental d’une réduction de 50 % du nombre de bouteilles en plastique à usage unique d’ici 2030, le Jury est d’avis que le film publicitaire, ainsi que cette dernière allégation, méconnaissent les dispositions citées ci-dessus des Recommandations « Développement durable » et « Traitement de l’eau » de l’ARPP ainsi que les principes généraux issus des articles du code ICC « Publicité et marketing » précédemment mentionnés.
Avis adopté le 7 mai 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Leers, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.
La société Castalie, à laquelle l’avis du JDP a été communiqué le 15 juin 2021, a adressé, le 30 juin suivant, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du Règlement intérieur du Jury. Celle-ci a été rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis, laquelle a été communiquée aux parties le 1er septembre 2021.
Pour visualiser la publicité Castalie, cliquez ici.
DECISION DU REVISEUR DE LA DEONTOLOGIE PUBLICITAIRE
Au nom et pour le compte de la société Castalie (désignée ci-après comme « l’annonceur »), le Réviseur de la Déontologie Publicitaire a été saisi d’un recours en Révision de l’avis délibéré le 7 mai 2021 par le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP).
Cet avis fait droit à la plainte de la Fédération Nationale des Eaux Conditionnées et Embouteillées (FNECE) contre une publicité de Castalie en faveur de la fontaine à eau micro-filtrée commercialisée par cette société.
Cette demande de Révision de Castalie a été introduite dans les délais requis.
Sur le fond, elle formule une critique sérieuse et légitime de l’avis en cause, relative à l’application ou à l’interprétation d’une règle déontologique, et portant sur le sens de cet avis (fondé ou non) et/ou sur la nature des griefs retenus ou écartés par le Jury.
Par suite, le Réviseur de la déontologie publicitaire s’est rapproché du Président de la séance du JDP qui a élaboré l’avis dont la révision est demandée et il a procédé avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le JDP a fondé son avis.
Le Réviseur est dès lors en mesure d’apporter les réponses suivantes aux moyens et griefs soutenus à l’appui de la demande en Révision.
1) A aucun moment, le Jury – contrairement à ce que soutient la demande de Révision – n’a fait reproche à Castalie d’utiliser « l’écologie pour vendre un produit commercial ».
L’avis contesté se borne à mentionner que le film publicitaire de Castalie qui est en litige « doit être analysé comme une communication commerciale en faveur des produits et services commercialisés par cette entreprise » – ce qui n’est ni contestable ni critiquable.
2) Toujours à titre liminaire, l’annonceur fait valoir, de manière développée et détaillée, que Castalie est une « société commerciale de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) » et qu’elle « bénéficie de l’agrément d’Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale (ESUS) ».
Il convient de remarquer que ces éléments, d’une part ne sont nulle part mis en cause dans l’avis en débat, et que d’autre part ils sont sans influence sur la conformité de la publicité à la déontologie en vigueur.
De manière plus précise, il convient – pour répondre aux longues allégations contenues dans la demande de Révision – de rappeler que ni le statut juridique ou la qualité de société commerciale de l’Économie Sociale et Solidaire que revendique Castalie, ni son objet social, ni les buts qu’elle poursuit, ni son mode de gouvernance ou de fonctionnement, ni sa politique salariale, ni ses obligations financières ou comptables, ni les distinctions reçues par son fondateur, ne peuvent, entre autres éléments, avoir la moindre influence sur la conformité du film publicitaire en litige à la déontologie en vigueur – ce dernier point constituant la seule question posée par ce dossier au JDP et au Réviseur.
Ces préliminaires étant achevés, on peut entrer dans le vif du sujet.
3) Sur le point 1 de la Recommandation Développement durable de l’ARPP, le Jury n’a nullement contesté l’importance ou l’urgence du problème environnemental auquel la publicité Castalie entend apporter remède – ce qui serait largement excéder le rôle ou la mission du JDP.
Ce dernier s’est borné à estimer que la publicité en cause ne mentionne aucun impact négatif des produits ou actions de l’annonceur (en méconnaissance des articles 1, 2 et 7.4 de la Recommandation Développement durable) et qu’elle méconnait l’exigence de proportionnalité découlant des points 3 et 7 de la Recommandation Traitement de l’eau de l’ARPP.
Au surplus, il ressort des termes mêmes de la demande en Révision que celle-ci ne conteste pas formellement les constatations du Jury sur ces points.
4) Sur le point 2 de la Recommandation Développement durable, l’annonceur produit un très long et très complexe exposé pour démontrer la réalité du pourcentage de 88 % dont le Jury a mis en cause l’exactitude.
Il convient de regretter que, pour permettre de respecter l’absolue exigence de contradictoire qui soutient les procédures devant le Jury, ces informations n’aient été produites que dans une « note en délibéré » du 2 juin, soit après la séance publique au cours de laquelle ce débat aurait gagné à être ouvert.
Ces amples et minutieuses explications techniques ne sont en effet pas fondées sur des faits apparus entre la séance d’examen de la plainte initiale et la demande en Révision ; elles pouvaient donc aisément être produites devant le Jury.
Par suite, le Réviseur ne peut que faire usage de l’art 21.1 du Règlement du Jury pour écarter « les arguments, faits ou circonstances (…) soulevés pour la première fois au soutien de la demande de Révision, mais qui manifestement auraient pu sans difficulté être soumis à l’appréciation du Jury lors de l’examen de la plainte initiale ».
5) Sur le point 3 de la Recommandation Développement durable, à nouveau l’annonceur, plutôt que de justifier précisément en quoi est erronée l’analyse du Jury qu’il critique, se borne à rappeler les caractéristiques d’entreprise sociale et solidaire de Castalie – ce qui, encore une fois, demeure sans rapport avec les obligations déontologiques de cette dernière en matière publicitaire.
6) Sur le point 7 de la Recommandation Développement durable : pour contester l’appréciation du Jury selon laquelle la publicité en cause « traduit indûment l’absence d’impact négatif des produits et actions de l’annonceur », ce dernier se borne à rappeler (et répéter deux fois) que « l’impact carbone de nos fontaines est moins élevé que pour une bouteille d’eau en plastique (en g/CO 2/ L) » – ajoutant qu’il s’agit là « d’une réalité scientifique et mathématique ».
Le problème est que cette réalité mathématique semble grandement variable – et devient donc questionnable – puisqu’on constate que d’un paragraphe du mémoire en Révision au suivant (page 13 : §§ 1 et 2), ce chiffre passe, sans explications ni justifications, de 88 % à 8 %…
7) Sur la « méconnaissance des articles D 1 et 11 du Code ICC Publicité et marketing » :
Dans sa demande en Révision, l’annonceur – hormis la reprise des affirmations générales répétées au long de son mémoire sur « sa politique engagée et assumée » – ne justifie aucunement, de manière argumentée, en quoi le Jury aurait fait une inexacte appréciation des dispositions déontologiques en cause.
8) Sur l’appréciation subjective du film litigieux :
Pour contester l’appréciation portée par le Jury selon lequel « le lien entre l’utilisation des produits de la société Castalie et la réduction de celle des bouteilles en plastique n’apparait pas suffisamment direct pour justifier une telle allégation », l’annonceur indique notamment que « ce lien direct est appuyé et relayé dans la presse (…) ».
Il va de soi que des appréciations extérieures, et au surplus « subjectives », telles que celles de la presse entre autres, ne sauraient à elles seules établir la conformité d’une publicité à la déontologie en vigueur – conformité qu’il appartient au JDP (et au Réviseur s’il est saisi) d’apprécier, à partir de données à la fois solides et débattues contradictoirement entre les parties.
9) Castalie, enfin, critique l’avis pour avoir relativisé le fait que l’utilisation de bouteilles en plastique par des consommateurs français « se traduise par une pollution de l’océan Pacifique ». Toutefois, non seulement l’annonceur ne conteste pas formellement l’avis sur ce point, mais encore admet-il que « pour le marché français » [auquel s’adresse la publicité en cause], « la société Castalie aurait pu représenter la Mer Méditerranée ».
Pour conclure, et sans mettre en cause la noblesse ou l’importance du combat écologique qu’entend mener la société Castalie, il ressort des considérations qui précèdent que l’annonceur n’établit pas que, par l’avis en cause, le JDP aurait méconnu le sens ou la portée des règles et principes de la déontologie publicitaire qu’il a pour mission d’appliquer.
10) Des analyses qui précèdent il résulte que :
- la demande de Révision de Castalie est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
- l’Avis critiqué n’est entaché d’aucune critique sérieuse et légitime (au sens de l’Article 21.1 du Règlement).
Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à une seconde délibération de l’affaire en cause ni de réformer l’Avis contesté (sauf pour y mentionner la demande de Révision comme indiqué ci-dessus).
Dès lors et pour conclure, l’Avis en cause (mentionnant en outre le recours en Révision et la présente réponse) deviendra définitif et il sera publié – accompagné du présent courrier, lequel constitue la réponse du Réviseur de la Déontologie Publicitaire à la demande de Castalie.
Alain GRANGE-CABANE
Maître des Requêtes au Conseil d’État (H.)
Réviseur de la Déontologie Publicitaire