Avis JDP n° 507/18 – RESTAURATION RAPIDE – Plaintes fondées

Avis publié le 16 avril 2018
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants des sociétés annonceur et agence et de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 22 et 28 janvier 2018, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité télévisée, en faveur d’un hamburger.

Le film publicitaire en cause met en scène un prisonnier condamné à mort qui s’apprête à manger pour « dernier repas » un hamburger que lui apporte un surveillant. Un autre surveillant ne pouvant résister, échange sa place avec le condamné qui en profite pour s’évader.

Le texte utilisé en signature finale est « Rien n’arrête une envie de X ».

2. Les arguments échangés

– Les plaignants particuliers considèrent que ce film traite de la peine de mort à la légère, dans un pays qui a constitutionnalisé son interdiction, et méconnaît la dignité humaine en laissant entendre que l’on peut souhaiter prendre la place d’un condamné à mort pour un burger.

– La société annonceur a, par courrier recommandé avec avis de réception du 14 février 2018, été informée des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

La société expose oralement que ce film doit être compris dans la ligne des promotions précédentes qui sont toujours fondées sur l’humour. Le caractère irréaliste et absurde de la situation est poussé à l’extrême. Aucune idée de violence n’a présidé à l’élaboration de cette campagne publicitaire.

– L’agence de communication fait valoir que le film critiqué est la parodie d’une scène de prison, assez classique dans l’univers du cinéma et notamment du cinéma américain : le concept du film est que le gardien de prison, voyant que l’on sert un burger au condamné à mort, préfère échanger sa place avec ce dernier tant l’envie du burger est irrésistible.

Ce scénario, dont la vocation humoristique n’est pas contestable, joue sur l’absurdité et chacun comprend qu’il ne prétend à aucun réalisme et qu’il ne doit pas être vu au premier degré.

A aucun moment, le téléspectateur, qui comprend l’absurdité de la situation, ne peut penser que c’est de manière réaliste qu’un gardien de prison pourrait véritablement vouloir échanger sa place avec un condamné à mort pour manger un burger. Il sait parfaitement qu’il est possible pour le gardien, comme pour tout consommateur, de consommer un burger dans un restaurant de la marque sans avoir à risquer la peine de mort dans ce but. Affirmer le contraire reviendrait à nier la dimension parodique et humoristique du film qui est pourtant évidente. Le but du film est de faire sourire, non de débattre de la peine de mort.

L’agence souligne que le message parodique et humoristique du film est de faire valoir que rien n’arrête une envie de burger, le sandwich emblématique de l’enseigne américaine, sans prendre à aucun moment position sur les problématiques liées à la peine de mort.

Cette dimension parodique n’a pas échappé à l’ARPP qui a accordé deux visas de diffusion pour les deux versions (25 et 30 secondes) de ce film.

Il est souligné que le Jury n’a été saisi que par des plaintes isolées émanant de particuliers. Aucune association contre la peine de mort ou de protection du statut des détenus ne s’est saisie du sujet.

L’agence analyse ensuite la recommandation “Image et respect de la personne”, qui comporte 5 chapitres. Il lui semble possible d’écarter tout grief reposant sur l’emploi de stéréotypes, de références ethniques ou religieuses ou encore de l’utilisation de l’image et autres attributs d’une personne.

Pour ce qui concerne le chapitre “Soumission, Dépendance, Violence”, elle estime que le film ne s’inscrit pas dans le cadre de la notion de violence prévue par la Recommandation, puisqu’il ne donne lieu à aucune scène de violence, étant dans son principe comme dans son traité à l’opposé de toute notion de violence directe ou suggérée.

Par ailleurs, le comportement du gardien n’est pas valorisé, ni même traité dans des conditions qui le rendraient particulièrement sympathique. A défaut de toute illustration violente ou de toute promotion de la violence, la simple utilisation de ce comportement dans des conditions à la fois parodiques et irréalistes ne saurait constituer un manquement à cette Recommandation.

Depuis toujours la publicité a mis en scène des situations dangereuses ou objectivement illicites de manière parodique ou manifestement humoristique. C’est le cas par exemple d’un film dans lequel un membre du clergé est ligoté et retenu captif par un parrain de la mafia qui le menace de le jeter dans une marmite d’eau bouillante s’il ne lui donne pas la recette de ses pâtes ; La marque a pu, dans un registre quasi identique à celui de la publicité critiquée, mettre en scène un condamné à mort sur le point d’être exécuté et qui a la possibilité d’échapper à sa condamnation s’il parvient à se souvenir du nom de la marque.

De manière générale, les comportements répréhensibles et punis par la loi sont des sujets très largement exploités par les publicitaires pour la promotion de tous types de produits ou services.

C’est le cas par exemple de la très récente campagne publicitaire pour des voitures illustrant une investigation policière au sujet d’un braquage d’oeuvre d’art ; ou encore de la publicité pour la chaîne de télévision mettant en scène un policier quittant les lieux d’une scène de crime pour aller chez elle.

Les thèmes et procédés utilisés dans ces publicités sont identiques à ceux que l’on retrouve dans la publicité litigieuse, sans qu’elles aient fait l’objet d’interdictions particulières ou qu’elles aient apparemment soulevé un émoi particulier.

Il appartient au JDP d’apprécier de manière objective si la représentation de la personne humaine est effectivement dégradante ou humiliante, portant atteinte à sa dignité et à la décence, ce qui n’est pas le cas lorsque la référence “est énoncée sans stigmatisation, ni dévalorisation de la personne” (Avis JDP 214-12 du 26 septembre 2012).

On pourrait concevoir que des références à la peine de mort fassent appel à des représentations telles qu’évoquées dans la Recommandation. Il en serait ainsi par exemple de celle montrant l’exécution elle-même ou encore de l’exploitation des sentiments humains manifestés par le condamné ou par d’autres personnages (anxiété, terreur, remords, sadisme, cruauté…). Aucun de ces éléments ne figure dans le film qui ne porte à aucun moment atteinte à la dignité de ses personnages et qui d’ailleurs ne vise ni à légitimer, ni à valoriser, ni à regretter la peine de mort. Ainsi, le film publicitaire n’entend ni se moquer de la peine de mort, ni se moquer d’un condamné à mort, ni se moquer de l’abolition de la peine de mort, ni se moquer des abolitionnistes, ni remettre en cause l’abolition de la peine de mort, ni promouvoir la peine de mort, et il ne porte pas non plus atteinte aux sentiments des abolitionnistes (qui au demeurant ne sont pas un groupe ethnique ou religieux). L’agence en conclut que ce film ne contient aucune atteinte à la dignité humaine.

Elle indique par ailleurs que s’il est acquis que l’humour ne peut suffire à justifier toute transgression d’un principe fondamental, pour autant, l’utilisation de l’humour, dès lors qu’elle s’inscrit dans une situation déconnectée de la réalité, peut permettre d’aborder des questions sensibles.

Le traitement manifestement humoristique d’une situation dans une publicité permet d’atténuer la gravité du thème abordé, ce que le JDP a pu retenir au sujet d’un spot publicitaire mettant en scène un homme utilisant un gel douche sur une plage et ayant pour effet de voir les femmes reproduire ses gestes les amenant à se déshabiller, le Jury retenant en l’espèce qu’il “s’agit d’une mise en scène humoristique” et qu’”une telle représentation ne peut par elle-même, compte tenu de son traitement, être regardée comme portant atteinte à l’image de la femme ou comme induisant une idée de soumission” (Avis JDP 130-11 du 28 juillet 2011).

Une solution identique s’impose vis-à-vis du film dont le traitement parodique et l’intention humoristique du film ne sont pas contestables. Chaque spectateur comprendra qu’il doit être vu au second degré et seule une vision déformée permet de considérer que l’humour serait ici utilisé pour remettre en cause un principe portant atteinte à la dignité humaine. Dans la perception du public, ce film est apprécié en référence à la communication habituelle de la marque qui est systématiquement bâtie sur l’humour et le second degré.

Si le Jury a pu sanctionner une publicité à caractère humoristique (Avis JDP n °112-11 du 2 mai 2011) dans laquelle un super héros renonçait à sauver une femme en détresse car il ne disposait plus de sa boisson énergétique, c’est en relevant que “cette publicité n’est pas conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale sans que puisse être retenue, compte tenu de la gravité du manquement mis en scène, l’excuse de l’autodérision, de l’humour au second degré”.

En l’occurrence, le comportement du gardien de prison en ce qu’il est absolument irréaliste ne constitue pas un manquement d’une particulière gravité. Il ne saurait lui être reproché, comme dans la décision précédente, d’être une caution ou un encouragement à un comportement illicite ou répréhensible. Son comportement ne peut être reproduit par les consommateurs, a fortiori dans un pays ayant aboli la peine de mort.

Lors de la séance, les représentants de la société soulignent que le film ne traite pas de la peine de mort et ne cherche aucunement à heurter la sensibilité des téléspectateurs.

– Le Syndicat National de la Publicité télévisée (SNPTV) fait valoir que, conformément à la procédure d’avis préalable dans le cadre de l’autodiscipline mise en place depuis 1990 par l’interprofession publicitaire sur délégation du CSA, ce film a été diffusé dans la mesure où il a reçu un avis favorable de l’ARPP sans commentaire.

– L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) rappelle que, de façon générale, elle est particulièrement vigilante quant à l’exploitation de l’image de la personne en publicité.

Il s’agit d’un sujet auquel les professionnels accordent une grande attention, notamment pour tout ce qui touche au respect de la dignité et de la décence qui sont des principes fondamentaux de la déontologie publicitaire.

Ces principes sont contenus essentiellement dans le préambule du Code ICC sur les pratiques de publicité auquel renvoie la Recommandation de l’ARPP « Image et respect de la personne».

Au quotidien, l’ARPP veille à ce que les messages publicitaires ne contiennent pas de visuels ou d’allégations pouvant être perçus comme véhiculant des atteintes à la dignité humaine.

En l’espèce, l’ARPP a été interrogée en amont de la diffusion de cette campagne par l’agence de communication, son adhérent, sur ce projet de film, dès le mois de septembre 2017.

L’Autorité a relevé que le projet présenté devait mettre en scène un prisonnier s’apprêtant à manger pour « dernier repas » un hamburger que lui apporte un surveillant. Ce dernier ne pouvant résister, choisit de prendre la place du condamné qui en profite pour s’évader.

Cette idée publicitaire lui est apparue acceptable, dans son principe, en raison du caractère invraisemblable de la situation et du contexte : le message se déroulant en effet dans un univers carcéral de type américain, s’inspirant des codes cinématographiques et des séries télévisées US.

La première ébauche n’a cependant pas été retenue, d’un commun accord avec l’agence, en raison d’une proposition de mise en scène trop réaliste et de l’emploi de l’allégation « une viande grillée à la flamme » accompagnant le visuel de la chaise électrique, immédiatement abandonnés dans la version finalisée.

En revanche, le spot définitif, réalisé conformément aux échanges avec l’agence Buzzman, et qui a été soumis pour avis avant diffusion, a pu être considéré comme conforme aux règles en vigueur et validé, la mise en scène relevant de l’absurde permettant, selon l’ARPP, de rendre acceptable pour la majorité du public et dans ce contexte précis et scénarisé, la référence à la peine de mort.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose :

– d’une part, dans son point 1, que :

« 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence» ;

– d’autre part, dans son point 4, que :

« 4.3 La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique ».

La notion de violence recouvre au minimum l’ensemble des actes illégaux, illicites et répréhensibles visés par la législation en vigueur.

La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; la violence suggérée s’entend par une ambiance, un contexte voire par le résultat de l’acte de violence ; la violence morale comprend notamment les comportements de domination, le harcèlement (moral et sexuel) ».

Par ailleurs, le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose, à son article 1er, que « Toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle » et à son article 4, que « La communication commerciale doit respecter la dignité humaine (…) La communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux ».

Le Jury relève que la publicité en cause présente une scène, en plusieurs plans, qui se déroule dans les couloirs de la mort d’un centre de détention américain (un panneau « Department of correction » est visible à la fin du film). Un agent pousse un chariot sur lequel est posé le dernier repas du condamné et circule au sein de la prison en passant devant plusieurs cellules où l’on aperçoit l’ombre de prisonniers en cellules individuelles. Il passe ensuite devant une salle où un membre de l’administration pénitentiaire prépare une chaise électrique vide, clairement visible à l’écran. La caméra zoome sur la chaise électrique et le surveillant, qui semble ajuster un lien sur l’accoudoir gauche. L’agent et le chariot arrivent ensuite dans la cellule du condamné qui attend son repas, gardé par un autre surveillant. Une voix annonce « last meal » (traduit à l’écrit par « Ton dernier repas ! »). Le film montre un échange de regards entre le surveillant et le condamné, puis suit une personne de dos, portant les vêtements du surveillant, qui referme à clef la cellule avant de se diriger vers le parking de la prison pour prendre place dans un véhicule de fonction. La caméra montre alors qu’il s’agit du condamné, tandis que le surveillant, ayant revêtu l’uniforme des prisonniers, mord dans le burger en souriant. Une voix off indique « rien n’arrête une envie de X », puis « préparé à la commande avec sa viande grillée à la flamme et ses ingrédients frais – Hmm, … ».

Le Jury relève tout d’abord que, si le scénario présente un caractère absurde, parodique et à visée humoristique, les images du film publicitaire donnent à voir un univers carcéral américain classique et réaliste, tel qu’il est souvent présenté dans les documentaires ou les films de fiction. A cet égard, il peut être relevé que le film publicitaire est particulièrement cohérent : les uniformes des personnels pénitentiaires et des condamnés, l’architecture carcérale, la chaise électrique, la musique et l’utilisation de la langue américaine permettent de situer l’action dans un Etat des Etats-Unis d’Amérique où la peine de mort est en vigueur.

Or, si la peine de mort est légale dans certains de ces Etats, elle a été abolie en France par la loi n° 81-809 du 9 mai 1981 et son interdiction figure, depuis la loi constitutionnelle n°2007-239 du 23 février 2007, à l’article 66-1 de la Constitution qui dispose que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ». L’interdiction de la peine de mort a donc été élevée au niveau constitutionnel en France depuis plus de dix ans.

Dans ce contexte, la peine de mort est un acte illégal au sens du deuxième alinéa du point 4.3 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP précitée.

Le réalisme de la représentation de la chaise électrique, sur laquelle la caméra zoome un instant, en fait un élément central du film publicitaire, avant l’annonce « Ton dernier repas ! », qui explicite le sens du scénario. En exposant une chaise électrique en cours de préparation pour une exécution imminente et le « dernier repas » d’un condamné qui va mourir, la publicité met en scène les préparatifs de cet acte et suggère ainsi un climat de violence. La mise à distance que permet le scénario humoristique n’enlève rien à la violence suggérée par ces images qui, en banalisant la peine de mort et l’exécution d’un condamné, sont de nature à porter atteinte à la dignité des personnes et à heurter la sensibilité du public français.

L’évocation, à des fins commerciales, de l’exécution capitale n’est pas conçue, en l’espèce, avec un juste sens de la responsabilité sociale, sans que puisse être retenue l’excuse de la parodie, compte tenu d’une part, du caractère réaliste des images, d’autre part, de la gravité du thème abordé et de la nature constitutionnelle de l’interdiction de la peine de mort.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions des points 1.1 et 4.3 de la Recommandation « Image et respect de la personne humaine » précitée ainsi que des articles 1 et 4 du code ICC.

Avis adopté le 16 mars 2018 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, MM. Lacan, Leers et Lucas-Boursier.