BIOCOOP

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Plainte non fondée

Avis publié le 8 juin 2023
BIOCOOP – 925/23
Plainte non fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société Biocoop, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de déontologie publicitaire a été saisi, le 2 avril 2023, d’une plainte émanant d’un particulier tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une communication en faveur de la société Biocoop, pour promouvoir son offre de produits biologiques.

Cette communication, diffusée sous forme de post sur les réseaux sociaux, le 1er avril 2023, montre un tracteur réalisant une opération d’épandage dans un champ.

Les textes accompagnant cette image sont :

  • en très gros caractères, en lettres majuscules « POISON D’AVRIL » ;
  • en caractères plus petits « Aujourd’hui, comme tout au long de l’année, les pesticides chimiques de synthèse continuent de nous empoisonner. Et malheureusement, ce n’est pas une blague. Biocoop, du bon sens et rien d’autre ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant estime que, par ce message sans nuance, Biocoop oppose les entreprises qui utiliseraient des pesticides chimiques de synthèse et celles qui recourent à ses propres produits. Ce faisant, cette publicité viole plusieurs règles déontologiques.

D’une part, la formulation de Biocoop est sans équivoque et sans nuance par l’utilisation du terme « empoisonner ». Il est uniquement fait appel à la peur des consommateurs. Le terme empoisonner est défini comme « Tuer ou mettre en péril de mort en faisant absorber du poison ». Il n’est nullement question de risque ou de pathologies possibles, mais uniquement de mort. Cette présentation est contraire au point 1.1. de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

D’autre part, cette publicité méconnaît les principes généraux suivants issus du code ICC :

  • Le point 5 (Véracité) : en déclarant que les pesticides chimiques de synthèse sont des
    « poisons », Biocoop ne précise pas à quelles doses, selon quels usages (professionnels exposés ou consommateurs de produits alimentaires ?), dans quels pays, sous le contrôle de quelle autorité sanitaire… Il s’agit donc uniquement d’une exagération destinée à frapper le public.
  • Le point 11 (Comparaisons) : en utilisant le terme « nous », c’est-à-dire toute la population, Biocoop fait preuve de déloyauté en amalgamant les risques pour les professionnels qui manipulent ces pesticides et les consommateurs.
  • Le point 12 (Dénigrement) : Biocoop dénigre les entreprises qui utiliseraient des pesticides chimiques de synthèse.
  • Le point D1 (Présentation honnête et véridique) : Biocoop abuse de la méconnaissance du grand public pour les études de l’INSERM, beaucoup plus nuancées que son message simpliste, tout en s’appuyant comme un argument d’autorité sur le nom et l’étude de l’INSERM à laquelle il est renvoyé en bas de page, pour crédibiliser son message anxiogène. En effet, il est indiqué par cet institut, au niveau mondial, que « L’expertise souligne l’importance de réévaluer périodiquement les connaissances dans ce domaine. La confirmation et la mise en évidence de présomptions fortes de liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides doivent orienter les actions publiques vers une meilleure protection des populations. Ces questions relatives aux liens entre une exposition aux pesticides et la survenue de certaines pathologies s’inscrivent dans une complexité croissante, la littérature faisant apparaître une préoccupation concernant les effets indirects de certains pesticides sur la santé humaine par le biais des effets sur les écosystèmes. L’interdépendance en jeu mériterait d’être davantage étudiée et intégrée, au même titre que les aspects sociaux et économiques afin d’éclairer les prises de décisions lors de l’élaboration des politiques publiques. »
  • Le point D3 (supériorité et allégations comparatives) : en opposant les pesticides de synthèse et ses produits, Biocoop ne démontre pas que les produits qu’il vend seraient sans le moindre danger et donc qu’ils présenteraient un avantage substantiel en termes de santé. D’ailleurs, les produits vendus chez Biocoop font très régulièrement l’objet de rappels sanitaires en raison de la présence de pesticides interdits en France.

Enfin, le plaignant estime que cette publicité méconnaît le point 2 de la Recommandation « Communication publicitaire numérique » en ce qu’elle ne joue que sur la peur de la mort.

Concernant la phrase « Biocoop, du bon sens et rien d’autre », Biocoop, au titre notamment des articles précités, induit en erreur de consommateur de manière déloyale en lui faisant croire que ces produits sont sans danger puisqu’ils ne comportent, en creux, pas de pesticides de synthèse, ce qui a été démontré supra comme erroné, mais aussi en ne mentionnant pas que les rappels sanitaires, nombreux, des produits qui sont distribués dans les magasins Biocoop ont pour cause, notamment, la présence de listérias et de salmonelles.

La société Biocoop a été informée, par courriel avec avis de réception du 7 avril 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle explique que Biocoop est un acteur militant depuis sa création en 1986 et s’est toujours exprimée avec conviction, engagement et militantisme sur des sujets en rapport notamment avec la préservation de l’environnement, la biodiversité et la santé humaine.

La fonction de base des pesticides chimiques de synthèse est d’empoisonner. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreuses actions ont été initiées par les pouvoirs publics afin de maîtriser les risques liés à une exposition à ces produits. Ces quelques exemples d’actions reflètent la prise de conscience collective sur la question des pesticides chimiques de synthèse.

Ce contexte a mené à la production et la publication du message objet de la plainte, qui a notamment pour objectif d’encourager les pouvoirs publics à aller plus loin.

Biocoop tient tout d’abord à souligner que le message objet de la plainte ne constitue pas une publicité, notamment en ce qu’il ne relève pas de la définition que le code ICC donne à une publicité ou à une communication commerciale à savoir, « dans un sens large, toute forme de communication produite directement par un professionnel ou en son nom et destinée principalement à promouvoir un produit ou à influencer le comportement des consommateurs ».

En l’espèce, la société ne promeut pas, ni ne met en avant un de ses produits à travers le visuel ou le message incriminé. Par ailleurs, le message incriminé ne peut influencer (notamment à l’achat) le comportement des consommateurs, dans le sens où il fait littéralement état de la dangerosité des pesticides chimiques de synthèse, laquelle dangerosité ne constitue pas une information pour les consommateurs mais un simple rappel. Ce faisant, cette communication ne fait que relayer des faits scientifiques et connus du grand public, et surtout partagés par bon nombre d’associations reconnues d’utilité publique mais aussi par les pouvoirs publics. Par conséquent, à travers le message incriminé, il ne peut y avoir une quelconque influence du consommateur déjà averti et bien informé sur le danger des pesticides chimiques de synthèse.

Le message de Biocoop objet de la plainte ne remplit donc pas les critères d’une communication commerciale au regard du code ICC. Le message de Biocoop relève de la liberté d’expression, dans le respect de ses droits fondamentaux et de la réglementation pour défendre le combat contre l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse et ses conséquences désastreuses sur la biodiversité et la santé humaine, pour ne citer que celles-ci. Elle dresse simplement des constats, sans prétention de promouvoir un produit en parallèle. Ainsi, le message objet de la plainte doit être considéré comme un manifeste ou encore un plaidoyer en faveur du combat susvisé. Biocoop émet donc des réserves quant à la recevabilité de la saisine du Jury.

Néanmoins, la société tient à répondre aux différents griefs qui lui sont adressés.

Sur les prétendues craintes irrationnelles ou infondées pouvant être causées par le verbe
« empoisonner », et sur la véracité du message incriminé, Biocoop indique que les pesticides chimiques de synthèse tuent par empoisonnement, c’est là leur fonction de base. Le plaignant prétend que l’utilisation du verbe « empoisonner » ferait appel à la peur des consommateurs, ce mot étant assimilé à la mort. Pour appuyer ses propos, le plaignant renvoie à la définition du verbe « empoisonner » établie par le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) à savoir « tuer ou mettre en péril de mort ». « Mettre en péril de mort », en d’autres termes « faire courir un risque/une menace de mort » c’est bien de cela qu’il s’agit.  Un rapport de 2021 de l’Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM) rappelle d’ailleurs l’origine du mot pesticide qui est dérivé du latin « pestis » (fléau) et « caedere » (tuer) – sa fonction de base est donc de tuer.

Aussi, il est constaté qu’en présence de pesticides chimiques de synthèse, les visuels systématiquement et obligatoirement apposés représentent des têtes de mort et autres pictogrammes pour illustrer le danger de mort attaché à ces substances. Le visuel représentant une « tête de mort » est également utilisé par les fabricants de ces substances dans les mentions de sécurité de certains pesticides chimiques de synthèse. Pour d’autres, les fabricants mentionnent expressément le risque de cancer. Une note publiée en 2014 par l’Institut National du Cancer révèle que « l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a estimé, en 1990, que le nombre de décès dus à l’empoisonnement par des pesticides s’élevait à 220.000 chaque année dans le monde ». Le terme « empoisonner » utilisé par Biocoop est donc bien justifié et également utilisé par des acteurs publics éminents de la santé.

L’association Agronome et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF) – reconnue d’utilité publique – a également eu, dans son combat contre l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse, à partager au public un visuel de campagne mentionnant « les pesticides ça tue ». Cette campagne n’a pas fait l’objet d’une plainte à notre connaissance, ce qui témoigne d’une idée communément admise selon laquelle pesticides chimiques de synthèse et mort vont de pair. Des mairies ont également mené des campagnes « zéro pesticides » dans l’objectif de
« préserver l’eau, notre santé et la biodiversité ».

Au regard de tout ce qui précède, le message de Biocoop ne saurait être considéré comme un appel à la peur des consommateurs, dans la mesure où, d’une part, ce type de message, faisant état du risque de l’exposition aux pesticides, est porté régulièrement par des associations d’utilité publique et même par l’Etat ; et d’autre part, les visuels normalisés qui illustrent la présence de pesticides chimiques de synthèse renvoient à la mort.

Et quand bien même une crainte du consommateur pourrait naître du message de Biocoop, celle-ci serait bien fondée eu égard aux données scientifiques édifiantes ci-après exposées.

Les pesticides chimiques de synthèse ont un impact avéré sur le vivant. Le plaignant prétend que le message de Biocoop ne serait pas véridique et induirait en erreur le consommateur. Que ce soit la faune et la flore, les agriculteurs, les populations à proximité des cultures, voire les consommateurs, les pesticides chimiques de synthèse nous empoisonnent.

Des études et de la documentation abondante viennent conforter le message de Biocoop. Dans l’Union Européenne, une espèce (abeilles, papillons, syrphes) sur trois est en déclin, alors que 80 % des terres agricoles dépendent de la pollinisation animale. Face à ce constat alarmant une pétition d’initiative citoyenne intitulée « Sauvons les abeilles et les agriculteurs ! » a récolté plus d’un million de signature. Cette pétition réclamait à la Commission européenne la suppression progressive des pesticides chimiques de synthèse d’ici à 2035, la restauration de la biodiversité dans les paysages agricoles et un soutien aux agriculteurs dans leur transition vers une agriculture durable. La Commission s’est félicitée de l’initiative et a reconnu que « la menace qui pèse sur l’existence des pollinisateurs constitue une menace pour la sécurité alimentaire et la vie sur la planète », et a demandé aux députés européens, le 5 avril dernier, d’avancer sur les propositions législatives qui contribueront à remédier à la problématique. D’ici à 2030, la Commission a proposé de « réduire de 50 % l’utilisation des pesticides chimiques, et les risques qui y sont associés, dans l’agriculture de l’UE ».

Par ailleurs, un dossier très récent du journal Libération est paru pour nous édifier sur la menace qui pèse sur l’espèce humaine, et ce en conséquence directe de l’extinction des insectes. Cela a été démontré par le britannique Dave Goulson, qui, dans son livre Terre silencieuse donne l’alerte en ces termes : « En trente ans, 75 % des insectes ont déjà disparu, entraînant avec eux une chute vertigineuse d’oiseaux. En Angleterre par exemple, entre 1967 et 2016, le nombre de gobemouches gris a chuté de 93 %. D’autres oiseaux très communs ont subi le même sort, comme la perdrix grise (-92 %), le rossignol (-93 %) ou le coucou (-77 %). 3 à 5 % de la production mondiale de fruits, légumes et noix sont perdus dans le monde à cause de la baisse du nombre de pollinisateurs, menant à une surmortalité de 427 000 personnes par an. ».

Indépendamment des conséquences à terme de la disparition des insectes du fait des pesticides chimiques de synthèse, s’agissant de la santé humaine, une présomption – parfois forte – de lien entre certaines maladies graves, pouvant conduire à la mort, et l’exposition aux pesticides chimiques de synthèse est établie par l’INSERM.

L’INSERM a mené deux expertises sur « Les Pesticides : Effets sur la santé » en 2013 puis en 2021. Les deux rapports, basés notamment sur des données issues de la littérature scientifique et issus des travaux d’un groupe d’experts réunis à cet effet, démontrent l’existence d’une présomption, parfois forte, de lien entre la survenue de maladies graves (maladie de Parkinson, cancers) et l’exposition professionnelle ou non professionnelle aux pesticides chimiques de synthèse. Ces expertises ont par exemple démontré une présomption forte de lien entre l’exposition aux pesticides chimiques de synthèse de la mère pendant la grossesse ou chez l’enfant et le risque de certains cancers, en particulier les leucémies et les tumeurs au cerveau.

Les risques de cancers et d’autres maladies graves de populations exposées aux pesticides chimiques de synthèse sont bien en lien avec des risques de mortalité. Depuis 2004, les cancers sont devenus la cause de décès la plus fréquente en France. Ils représentent la première cause de mortalité chez l’homme (un décès sur trois), et la deuxième chez la femme (un décès sur quatre) selon une étude de l’Institut national du Cancer. Les risques liés à l’exposition du vivant aux pesticides chimiques de synthèse étant établis, l’utilisation du terme « empoisonner » par Biocoop est donc bien mesurée et proportionnée au regard de la dangerosité de ces substances.

Par ailleurs, le plaignant estime que Biocoop induirait en erreur le consommateur en faisant dans l’exagération et en ne précisant pas à quelle dose l’exposition aux pesticides chimiques de synthèse pourrait être dangereuse pour la santé.

Pourtant, selon le rapport de l’INSERM, les effets de l’exposition aux pesticides chimiques de synthèse sur la santé humaine peuvent être la conséquence d’une exposition passée, généralement intense (exposition aiguë), ou bien d’expositions de plus faible intensité mais répétées dans le temps. Les études sur les effets potentiels des pesticides chimiques de synthèse sur la santé font l’objet d’une littérature abondante qui ne pourrait être citée de manière exhaustive. Parmi celles-ci, on peut citer l’étude menée en 2018 par Nutri Net Santé intitulé « Association of Frequency of Organic Food Consumption With Cancer Risk ». Aussi, plus récemment, en octobre 2022, la toxicité d’un des pesticides chimiques de synthèse très largement utilisé, à savoir la phosphine, a été reconnue par l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES) qui avait pris la décision de ne pas prolonger l’autorisation de son l’utilisation à partir du 25 avril 2023. Selon l’ancien chercheur à l’INRAE, Francis Fleurat-Lessard, ce pesticide chimique de synthèse est « en cas d’exposition directe et prolongée ou d’inhalation (…) toxique pour l’homme ».

Sur la prétendue contravention aux règles de comparaison et de dénigrement, le message critiqué n’induit nullement en erreur les consommateurs dans la mesure où il est fondé sur des éléments scientifiques et vérifiables. Le plaignant estime que Biocoop ferait preuve de déloyauté en amalgamant les risques pour les professionnels et ceux pour les consommateurs.

Encore une fois, les études mentionnées précédemment viennent contredire les allégations du plaignant. En effet, ces études ont démontré que l’exposition aux pesticides chimiques de synthèse et ses conséquences sur la santé humaine ne concernent pas que les professionnels mais aussi les consommateurs, par l’alimentation ou l’habitation à proximité des cultures.

Biocoop ne revient pas par ailleurs sur le fait que ces substances empoisonnent de manière large le vivant (ce que le plaignant omet de préciser) et que c’est là leur fonction de base.

Il convient de préciser, contrairement aux propos du plaignant, qu’aucune opposition entre agriculteurs utilisant les pesticides chimiques de synthèse et les produits Biocoop ne peut être relevée dans le message incriminé. Cette opposition aurait pu être constatée si Biocoop avait mis en avant ses pratiques en matière d’agriculture ou ses produits par rapport à ceux des autres agriculteurs, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Aussi, la mention du « Bon sens et rien d’autre » apposée sur le visuel n’est rien d’autre que le slogan de Biocoop déposé à l’INPI le 19 octobre 2022 et enregistré sous le numéro 4906363. Ce slogan est utilisé par la société sur ses supports de communication, comme ce fut le cas avec le slogan « La Bio nous rassemble ». Ce slogan ne saurait donc être interprété en l’espèce comme une promotion des produits de la société, comme le prétend le plaignant.

S’agissant enfin du caractère prétendument dénigrant du message, il convient de souligner que ce dernier ne vise expressément, ni implicitement, aucun des acteurs cités par l’article 12 du Code ICC et par conséquent ne saurait être interprété comme un dénigrement. Comment Biocoop pourrait-elle dénigrer les agriculteurs qui sont les principales victimes des pesticides chimiques de synthèse qu’elle combat ? Le message rappelle les effets nocifs de l’exposition aux pesticides chimiques de synthèse et en fil rouge interpelle les pouvoirs publics pour une meilleure protection des populations et de la biodiversité.

Lors de la séance, la société Biocoop a rappelé que cette publication n’avait pas de vocation commerciale, et que chaque phrase était exacte. Elle considère qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre les pesticides chimiques de synthèse, la littérature scientifique ne distinguant pas toujours entre ces produits, qui sont d’ailleurs utilisés en combinaison en agriculture. Elle rappelle que l’objet même des pesticides est de tuer du vivant. Le « nous » utilisé par la publicité renvoie à l’ensemble du vivant, pas seulement aux humains. Il englobe notamment les insectes décimés et champignons détruits par ces produits, les agriculteurs eux-mêmes qui en sont les premières victimes humaines, et les personnes vivant à proximité, y compris celles qui consomment l’eau polluée par ces pesticides.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la compétence du Jury

Le Jury rappelle que, selon le point 2.1. de son règlement intérieur, il lui appartient de se prononcer sur le respect des règles déontologiques par tout « message publicitaire », commercial ou non commercial, à l’exclusion de la propagande électorale et des documents de nature politique ou syndicale.

Constitue un message publicitaire tout contenu porté à la connaissance du public par une personne publique ou privée ou pour son compte, et qui a pour objet principal d’assurer la promotion d’une marque que celle-ci exploite, d’un produit ou d’un service qu’elle propose, de cette personne elle-même, notamment son image de marque auprès du public, ou d’une personne qui lui est liée, ou encore d’une action qu’elle mène ou d’une cause qu’elle défend. Le caractère promotionnel de l’objet de la communication s’apprécie sur la base d’un faisceau d’indices incluant principalement son contenu propre, en particulier le caractère éventuellement valorisant, laudatif, incitatif, emphatique, percutant et/ou ramassé du message, la mise en scène ou la mise en forme et les éléments visuels utilisés, qui peuvent contribuer à conférer à la communication une forme publicitaire, ainsi que les modalités et le contexte de sa diffusion. Le message publicitaire peut présenter ou non un caractère commercial.

Le Jury constate que la communication en litige prend la forme d’un post diffusé à partir du compte de la société Biocoop, dont la marque et les signes distinctifs sont repris, ainsi que le slogan (« Du bon sens et rien d’autre »), à deux reprises. Cette communication a pour objet d’alerter le public sur les risques sanitaires liés à l’utilisation de pesticides chimiques de synthèse. Il s’en déduit en creux, dans l’esprit d’un consommateur moyen, que Biocoop ne commercialise ni produit de cette nature, ni produit alimentaire issu d’une agriculture y ayant recours, et ce au nom du « bon sens » qu’elle revendique. Le message a donc aussi pour finalité de promouvoir tant l’image de Biocoop que les produits que cette entreprise vend et qui lui permet de se démarquer d’un certain nombre de ses concurrents. Il s’agit donc d’une publicité, quand bien même aucun de ces produits n’est représenté ou évoqué explicitement.

Le Jury est donc compétent pour se prononcer sur cette plainte.

3.2. Sur les règles déontologiques applicables

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) prévoit au point 1 (Impacts éco-citoyens) que : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité. / Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit : / 1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple : (…) / g/ La publicité doit proscrire toutes les déclarations ou les représentations visuelles susceptibles de générer des craintes irrationnelles ou infondées ».

Cette règle déontologique est applicable à la publicité critiquée dès lors que celle-ci établit un lien entre l’annonceur et le respect de l’environnement, en dénonçant l’usage des pesticides chimiques de synthèse épandus dans les champs.

Le Code « Publicité et Marketing » de la Chambre de commerce internationale (dit code ICC) reprend en outre les principes généraux suivants, lesquels s’appliquent, conformément au point 2.2. du règlement intérieur du Jury, à toute publicité, commerciale ou non :

« Article 5 – Véracité

La communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse.

La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur (…). »

« Article 11 – Comparaisons

La communication commerciale contenant une comparaison doit être conçue de telle sorte que la comparaison ne soit pas de nature à induire en erreur le consommateur et elle doit respecter les principes de la concurrence loyale. Les éléments de comparaison doivent s’appuyer sur des faits objectivement vérifiables et qui doivent être choisis loyalement ».

« Article 12 – Dénigrement

La communication commerciale ne doit pas dénigrer une quelconque personne ou catégorie de personnes, une entreprise, une organisation, une activité industrielle ou commerciale, une profession ou un produit, ou tenter de lui attirer le mépris ou le ridicule public ».

« Article D1 – Présentation honnête et véridique

La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas profiter abusivement de l’intérêt des consommateurs pour l’environnement ou exploiter leur éventuel manque de connaissance sur l’environnement.

La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation ou aucun traitement visuel de nature à induire en erreur les consommateurs de quelque manière que ce soit quant aux aspects ou aux avantages environnementaux de produits ou quant à des actions entreprises par le professionnel en faveur de l’environnement.

Parmi ces pratiques figurent en particulier l’exagération d’attributs environnementaux, en présentant une amélioration marginale comme un gain majeur, par exemple, ou l’utilisation trompeuse de statistiques (« nous avons doublé le contenu recyclable de notre produit », alors que ce contenu ne représentait au départ qu’un faible pourcentage du produit). … »

« Article D3 – Supériorité et allégations comparatives

Toute allégation comparative doit être spécifique et la base de la comparaison doit être claire. Une supériorité environnementale par rapport à la concurrence doit uniquement être alléguée lorsqu’un avantage substantiel peut être démontré. Les produits comparés doivent répondre aux mêmes besoins et être destinés à la même finalité. / Les allégations comparatives, que la comparaison concerne un processus ou un produit antérieur du même professionnel ou bien ceux d’un concurrent, doivent être formulées de manière à faire clairement apparaître si l’avantage allégué est absolu ou relatif. / Les améliorations apportées à un produit et à son emballage doivent être présentées séparément et ne doivent pas être fusionnées conformément au principe selon lequel les allégations doivent être spécifiques et se rapporter clairement au produit, à son emballage ou à l’un de leurs ingrédients ».

Enfin, le point 2 de la Recommandation « Communication publicitaire numérique » prévoit que la communication publicitaire numérique ne doit pas exploiter le sentiment de peur.

3.3. Sur l’application de ces règles à la publicité critiquée

Le Jury observe que la publicité en cause, diffusée le 1er avril 2023, consiste en une critique de l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse en agriculture, qu’elle assimile à un « empoisonnement » – idée qu’on retrouve dans l’encadré « Poison d’avril ». Comme il a été dit au point 3.1., cette publicité a aussi pour objet de valoriser le choix de la société Biocoop de ne pas se fournir auprès d’exploitants agricoles utilisant de telles substances.

L’expression « nous empoisonner » est explicitée par un renvoi, en bas de page, aux « travaux réalisés par un groupe d’experts réunis par l’INSERM dans le cadre du rapport d’expertise collective « Pesticides et effets sur la santé » de 2021. Ce rapport d’expertise collective, dénommé plus précisément « Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données », est l’actualisation d’une étude publiée en 2013 sur la base de plusieurs milliers de documents analysant l’impact des pesticides autorisés ou utilisés par le passé sur la santé humaine et plus largement sur l’environnement. Elle conclut, s’agissant de l’exposition en milieu professionnel, à l’existence d’une présomption forte de lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies et d’une présomption moyenne avec d’autres pathologies ; s’agissant de l’exposition pendant la grossesse ou l’enfance, à l’existence de présomptions fortes entre l’exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse ou chez l’enfant et le risque de certains cancers, ainsi qu’entre certaines familles chimiques de pesticides et des troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant ; et s’agissant de l’exposition des riverains des zones agricoles, à une présomption faible de lien entre celle-ci et des pathologies développées par les habitants, compte tenu des limites méthodologiques des études existantes.

Le Jury observe en premier lieu que, ainsi que le rappelle d’ailleurs cette étude, l’utilisation de pesticides autorisés, ou utilisés par le passé mais dont certains ont des effets rémanents, suscitent, dans l’opinion publique, des inquiétudes concernant leurs effets possibles sur la santé humaine et plus largement sur l’environnement. L’étude fait notamment état de ce que « l’accumulation de données scientifiques probantes sur les liens entre pesticides et santé humaine exacerbent les conflits sociaux et politiques autour des pesticides et des modalités de leur contrôle ». Plus récemment, l’Agence européenne de l’environnement a alerté l’opinion publique sur le fait que l’utilisation généralisée des pesticides chimiques « a un impact sur la santé humaine » et appelé à la réduction de leur utilisation (note d’information du 26 avril 2023). Compte tenu de ce débat public connu du consommateur moyen, du renvoi à l’étude scientifique qu’opère la publicité, qui permet à chacun de discuter la lecture qu’en fait l’annonceur, de ce que le terme « poison », utilisé ici par substitution au mot « poisson » dans le cadre d’un jeu de mots, désigne une substance nocive pour la santé mais n’implique pas nécessairement des décès, et de l’absence de visuel ou d’ambiance anxiogène, le Jury estime que cette publicité n’est pas susceptible de générer des craintes irrationnelles ou infondées. En outre, dans la mesure où les risques sanitaires dénoncés ne portent pas sur les produits alimentaires eux-mêmes mais sur les conditions de leur production, il considère que cette communication n’exploite pas le sentiment de peur du consommateur pour sa propre santé, mais vise à le dissuader d’encourager le recours aux pesticides, qui nuit aux personnes qui y sont directement exposées, en achetant des produits ayant fait l’objet de tels traitements phytosanitaires.

En deuxième lieu, le Jury relève que la référence au poison et à l’empoisonnement, appliquée à la généralité des pesticides chimiques sans distinction selon les substances actives et sans référence aux conditions d’utilisation (fréquence d’application, doses…) qui influencent pourtant l’incidence sanitaire de ces produits, revêt un caractère globalisant et approximatif, et ne saurait être justifiée par la circonstance que, comme l’indique l’emballage de ces produits, ces derniers peuvent être dangereux en cas d’ingestion ou d’utilisation sans précaution adéquate. De même, si la société a indiqué que, dans son esprit, l’expression « nous empoisonner » incluait l’ensemble des organismes vivants, y compris ceux dont la destruction est précisément recherchée par l’utilisation de ces pesticides (insectes, champignons…), le consommateur moyen la comprend spontanément comme visant les personnes susceptibles d’entrer en contact avec ces produits.

Toutefois, le Jury observe que, pour certaines pathologies (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, hémopathies malignes de l’enfant, tumeurs du système nerveux central, troubles anxio-dépressifs…), la synthèse de l’étude de l’INSERM à laquelle la publicité renvoie, n’opère elle-même aucune différence entre les pesticides selon la famille chimique à laquelle ils appartiennent. Le site du ministère de la santé indique aussi que « Il est néanmoins difficile par le biais d’études épidémiologiques d’établir un lien de causalité entre l’exposition à une substance précise et l’apparition d’une maladie ». Ainsi que l’indique Biocoop, ces pesticides sont souvent utilisés de façon combinée sans qu’il soit possible d’identifier la contribution de chaque substance aux risques sanitaires détectés. Dans ces conditions, et compte tenu de la portée qui doit être reconnue au terme « poison » dans cette publicité, pour les raisons précédemment indiquées, le Jury considère que le principe général de véracité n’a pas été méconnu, pas plus que les exigences découlant du point D1 du code ICC.

En troisième lieu, l’expression « nous empoisonner » n’établit elle-même aucune comparaison. Le principe général figurant à l’article 11 du code ICC reproduit ci-dessus, dont se prévaut le plaignant, n’est donc pas applicable. Par ailleurs, et en tout état de cause, le visuel utilisé et le renvoi à l’étude de l’INSERM permettent de comprendre que les risques sanitaires dénoncés sont principalement ceux qui sont encourus par les personnes directement exposées aux substances en cause, et non par la généralité des consommateurs de produits alimentaires.

En quatrième lieu, la communication critiquée, qui ne cible nommément aucun producteur agricole, aucun concurrent ni aucun fournisseur de produits phytosanitaires, vise à mettre en valeur le choix de Biocoop de ne pas commercialiser de denrées alimentaires issues d’une agriculture utilisant des pesticides chimiques de synthèse. La critique de ces substances en raison des risques sanitaires qu’elles présentent, fondée sur une étude scientifique à laquelle la publicité fait expressément référence, ne constitue pas un dénigrement prohibé par l’article 12 du code ICC.

En cinquième et dernier lieu, de même qu’elle ne met pas en cause la sécurité sanitaire des aliments produits en recourant aux pesticides chimiques de synthèse, pour ceux qui les consomment, la publicité critiquée n’allègue ni n’induit l’idée que les produits commercialisés par Biocoop présenteraient une totale innocuité sanitaire et ne feraient pas l’objet de rappels par les autorités sanitaires. Elle ne méconnaît donc pas les exigences posées par l’article D3 du code ICC.

Par suite, le Jury est d’avis que cette publicité ne méconnaît pas les règles déontologiques invoquées.

Avis adopté le 12 mai 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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