BELIN – BETC – Télévision – Plaintes fondées

Avis publié le 3 décembre 2020
BELIN – 685/20
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le premier plaignant, les représentants de la société Mondelez ainsi que ceux de l’agence BETC, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 18 septembre et le 2 octobre 2020, de plusieurs plaintes émanant de particuliers, ainsi que, le 28 septembre 2020, d’une plainte de la station de radio Occitania, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de biscuits apéritifs de la marque Belin.

La publicité en cause, diffusée en télévision, montre deux personnages en forme de biscuits pour apéritif de la marque Belin, un « monaco » et un « chipster ». Le monaco déclame une tirade (« Vivre d’amour et de blé français ! ») devant un miroir comme s’il passait une audition, avec un accent méridional. Il est alors interrompu par le chipster qui fait irruption dans la pièce en lui disant : « Coupez, c’est quoi c’t’accent ? ». Le monaco reprend alors avec un accent d’origine savoyarde. Un autre biscuit lui dit : « tu veux vraiment te faire virer, toi ! ». Il prononce alors la même phrase avec un accent neutre. Le chipster manifeste sa satisfaction par ces mots : « Ah bein, voilà, quand tu veux ! ». La publicité se clôt par : « Crackers de Belin – fabriqués en France, avec du blé français ».

2. Les arguments échangés

Les plaignants considèrent que cette mise en scène relève de la « glottophobie », c’est-à-dire du dénigrement des accents régionaux. Elle part de la double idée que s’exprimer avec un accent régional revient à ne pas parler français et qu’on ne peut vanter de manière crédible un produit « fabriqué en France avec du blé français » avec un tel accent. Ils estiment que cette publicité est dévalorisante et discriminatoire à l’égard de tous les Français qui parlent avec un accent particulier.

La société Mondelez a été informée, par courriel avec accusé de réception du 8 octobre 2020, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir que l’objectif de la campagne est de faire savoir au plus grand nombre que les crackers Belin sont fabriqués en France, en utilisant un ressort humoristique et absurde et en humanisant les biscuits pour apéritif, présentés comme des personnages excentriques. Son intention n’a pas été de tourner en dérision les accents de nos régions mais de valoriser la production française des biscuits apéritifs Belin avec un ancrage local qui fait leur fierté. Elle rappelle que les crackers Belin sont fabriqués près de Nantes.

La marque souhaite être représentative de tous les Français, ce qui explique ce jeu avec les accents locaux. L’analogie est faite entre un metteur en scène capricieux et excessif et un comédien un peu trop sûr de lui qui s’applique à obtenir le meilleur de lui-même en s’entraînant devant le miroir avec des tentatives d’interprétation différentes, comme par exemple les interprétations de Marius ou Jean de Florette de Marcel Pagnol.

L’annonceur regrette que cette publicité ait pu être perçue comme discriminante ou dénigrante. Afin d’éviter toute mauvaise interprétation et incompréhension, il a décidé de mettre fin à cette campagne publicitaire, alors même qu’elle a reçu un avis favorable de l’ARPP et qu’elle n’a suscité aucune plainte entre sa première diffusion en février et le mois de septembre.

L’agence de communication BETC explique que l’engagement du principal plaignant et sa sensibilité exacerbée à la « glottophobie » expliquent sa lecture erronée de la publicité en cause, très éloignée de l’intention de ses concepteurs.

Depuis une vingtaine d’années, la marque Belin met en scène avec humour et décalage les biscuits de sa gamme apéritive. Ce film, diffusé depuis février 2020, s’inscrit dans une saga mettant en scène les différents biscuits de la gamme dans les rôles d’acteurs et de réalisateurs. En l’espèce, Monaco dans la loge fait des « essais » devant son miroir avec successivement un accent méridional puis un accent du savoyard, très sûr de lui, dans une parodie d’acteur qui se prend un peu trop au sérieux.

L’agence indique que la publicité en cause, qui relève du registre théâtral, joue sur les accents pour mettre en avant l’origine française du produit et refléter ainsi la diversité de la population française. La société n’a en effet aucun intérêt à mécontenter une partie de cette population qui forme aussi sa clientèle. Cette publicité ne dénigre ni ne discrimine personne. Le message n’est pas de dire que l’on n’est pas français si l’on a un accent.

Elle rappelle que l’usage des accents est un procédé classique aussi bien dans le cinéma qu’en publicité, sans que cet usage ait forcément pour résultat d’avilir les personnes en cause au point de les rendre ridicules.

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) indique que, comme toute publicité télévisée, elle a examiné ce spot pour avis avant diffusion sur les chaines. De plus, dans le cadre de sa mission de conseil préalable, elle a eu également des échanges avec son adhérent, l’agence Betc, sur ce projet, en septembre 2020.

De manière générale, l’ARPP est particulièrement vigilante au respect des principes déontologiques visant à la protection de l’image de la personne. La Recommandation « Image et respect de la personne » renvoie, dans son préambule, aux principes généraux contenus dans le Code ICC et prescrit de ne pas utiliser de stéréotypes dégradants.

En l’espèce, l’ARPP a attiré l’attention de son adhérent sur le fait que les scènes dans lesquelles l’un des personnages emploie un accent méridional à l’occasion de la répétition d’une pièce de théâtre, ne devaient pas constituer un stéréotype dégradant. Il a souligné que la possibilité qu’une telle présentation soit susceptible d’entrainer des réactions d’une partie du public ne pouvait toutefois pas être écartée.

Une fois finalisé, l’ARPP a relevé que le spot reprend les codes habituellement utilisés par la marque, à savoir, la mise en scène de ses produits qui sont des biscuits apéritifs et non pas des humains. En outre, le recours à un ton humoristique et au décalage de la réalité est évident car les biscuits personnifiés sont présentés dans des situations souvent burlesques. Si le personnage « Craker » change d’accent, il le fait comme s’il se trouvait lors d’une répétition avant une audition, comme le ferait un acteur qui s’exerce sur différentes façons de déclamer un texte. Aucune mise en situation n’est susceptible de porter préjudice ou stigmatiser une catégorie de personnes, la seule interruption et la réprimande par le personnage « Chipster » ne pouvant être considérée comme entérinant un stéréotype dégradant au sens de la Recommandation.

Compte tenu de ces éléments l’ARPP a considéré que cette publicité n’était pas contraire aux dispositions déontologiques et juridiques en vigueur et l’a validée sans réserve lors de sa soumission pour avis avant diffusion.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose en son point 2.2. que « la publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. ».

Le Jury considère, en premier lieu, que l’accent régional dans la prononciation du français constitue, sinon un élément d’appartenance à un groupe social ou un ensemble de groupes sociaux, au moins un critère de discrimination au sens de cette Recommandation. Il est en effet susceptible de pénaliser ceux qui l’utilisent, notamment dans l’accès aux postes à responsabilités et, plus largement, dans la sphère professionnelle. Une proposition de loi visant à promouvoir la France des accents, qui vise à ajouter l’accent à la liste des facteurs de discrimination énumérés à l’article 225-1 du code pénal, a d’ailleurs été présentée par soixante députés en décembre 2019.

Le Jury relève, en deuxième lieu, que la publicité litigieuse représente, fût-ce sous la forme d’un biscuit, un personnage qui est réprimandé puis menacé de licenciement ou d’éviction après avoir prononcé une phrase en français avec deux accents régionaux différents, avant d’être félicité pour avoir finalement adopté un accent dit « standard ». Il n’est pas convaincu par les observations présentées devant lui selon lesquelles le biscuit « monaco » serait critiqué en raison d’une mauvaise interprétation des accents régionaux eux-mêmes. Il lui apparaît que pèse sur ce personnage l’exigence de déclamer la phrase « Vivre d’amour et de blé français ! » sans accent régional, à peine de sanction. L’accent régional est perçu ici comme déviant, comme l’atteste la phrase assénée par le chipster : « C’est quoi c’t’accent ? ».

Le Jury estime, en troisième lieu, que l’exigence d’une prononciation du français avec l’accent dit « standard » peut être parfaitement acceptable dans certaines situations. A titre d’exemple, un metteur en scène peut tout à fait exiger d’un acteur qu’il prononce son texte sans accent régional dès l’instant que l’œuvre ne le prévoit pas et qu’il n’entend pas la « revisiter » sous cet angle. Toutefois, en l’espèce, la tirade en cause n’est manifestement pas extraite d’une pièce de théâtre, mais créée pour les besoins de la publicité. Surtout, l’insistance du propos concernant l’origine française du blé et la fabrication des produits en France, qui constituent le message central de la publicité, donnent à penser que l’accent régional constituerait en réalité une autre langue que le français, assimilant d’une certaine manière l’accent régional à une langue régionale, et que son locuteur ne serait pas tout à fait français ou, à tout le moins, « aussi français » qu’un compatriote ayant un accent « standard ». Dans ces conditions, le Jury est d’avis que cette publicité cautionne l’idée d’infériorité d’une personne prononçant le français avec un accent régional, sans que le ressort humoristique utilisé permette d’admettre cette méconnaissance du point 2.2. de la Recommandation « Image et respect de la personne ».

Le Jury prend note que l’annonceur et l’agence ont déclaré que leur intention n’a jamais été de dénigrer les personnes ayant un accent régional, mais au contraire de valoriser la diversité de la France. Il souligne qu’il n’a jamais été amené, jusqu’à présent, à se prononcer sur une telle problématique, ce qui peut expliquer le manquement litigieux, en dépit de l’alerte émise par l’ARPP auprès des responsables de la publicité. Si, comme le premier plaignant l’a indiqué lui-même dans ses observations en séance, la question des accents régionaux ne présente assurément pas la même sensibilité que d’autres problématiques de discrimination, notamment à raison du sexe, de l’origine ethnique ou des convictions religieuses, le présent avis invite néanmoins les professionnels de la publicité à faire preuve d’une certaine vigilance à cet égard.

Le Jury regrette enfin que, sans même s’enquérir des intentions de ses concepteurs, le premier plaignant ait entendu brandir publiquement cette publicité comme symbole de la « glottophobie » de la société française et ait appelé à se détourner des produits de la marque, ce qui apparaît très excessif. Le Jury de déontologie publicitaire est précisément conçu comme l’instance privilégiée de règlement des différends entre particuliers et publicitaires et comme une enceinte permettant de favoriser un dialogue entre eux, ce qui permet très souvent de dissiper des incompréhensions ou, comme ici, à la lumière des observations présentées, de mettre en évidence que la méconnaissance des règles déontologiques procède d’une simple inadvertance et non d’un manquement délibéré. 

Avis adopté le 6 novembre 2020 par M Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot, Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.

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