Avis JDP n°634/20 – ÉNERGIE

Avis publié le 4 mai 2020
Plainte partiellement fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire, 

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte, 
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations, 
  • après avoir entendu les représentants de l’annonceur, de la régie publicitaire et des associations Greenpeace et Réseau Sortir du Nucléaire, 
  • et après en avoir débattu, 

 rend l’avis suivant : 

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 20 décembre 2019, d’une plainte conjointe émanant des associations Greenpeace France et Réseau Sortir du Nucléaire, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de publicités en faveur de l’offre d’énergie nucléaire de l’annonceur, diffusées en presse, sur le site internet de la société ainsi que dans son rapport annuel. 

La première publicité en cause, diffusée dans une revue entre le 25 novembre et le 1er décembre 2019, montre le dessin stylisé de trois containers à ordures, portant respectivement des logos représentant un carton, un symbole de radioactivité (un disque entouré de trois sixièmes de disque), et une bouteille. En haut du visuel, apparaît en gros caractères le texte « nucléaire : eh non, tout n’est pas à jeter » puis, sous le dessin, « La preuve : aujourd’hui, près d’1 ampoule sur 10 en France s’allume grâce à du combustible nucléaire recyclé », « Et si on voyait le nucléaire autrement ? ». Au bas de l’image apparaissent le nom de l’annonceur et le renvoi vers plusieurs réseaux sociaux ainsi que vers la page du site. 

La deuxième publicité, diffusée sur le site Internet de la société, s’intitule « Idées reçues » et présente, sur plusieurs pages du site, les réponses apportées par la société à ces idées reçues. Un encadré indique que « 96% du combustible nucléaire usé est recyclable », accompagné de l’image de trois conteneurs à recyclage intitulés « combustible nucléaire », « verre » et « plastique ».    

Le troisième document visé par la plainte est le Rapport annuel d’activité 2018 de la société, qui porte sur l’économie circulaire. 

2. La procédure

La société et le diffuseur de presse ont été informés, par courrier recommandé avec avis de réception du 10 janvier 2020, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. 

Ils ont été informés que cette affaire ferait l’objet d’un examen par le Jury le 7 février 2020, reporté à la séance du 6 mars 2020.  

L’annonceur a présenté des arguments au secrétariat du Jury de déontologie le 28 février 2020, le diffuseur de presse les 23 et 31 janvier 2020.   

Lors de la séance du 6 mars 2020, les associations plaignantes ont indiqué ne pas avoir reçu certains documents de l’annonceur. Avec l’accord des parties, qui ont souhaité éviter un nouveau report de séance, tous les documents ont été circularisés en séance et ont pu être discutés. 

3. Les arguments échangés 

Les associations, qui arguent de ce que leur plainte est recevable et de ce qu’elles ont qualité pour agir, se plaignent tout d’abord du visuel présent sur le site internet. Elles relèvent que les trois conteneurs sont personnifiés, le personnage symbolisant le recyclage des combustibles nucléaires énonçant avec un air narquois « ça fait 50 ans que je recycle… », tandis que celui symbolisant le recyclage du verre lui répond « Tiens… le plus ancien du club… ». L’illustration est commentée par le dessinateur d’un « Na! ».  

Elles estiment que cette illustration vise à démontrer que le recyclage des combustibles nucléaires usés est comparable en termes de résultat au recyclage du verre et du plastique ; qu’en indiquant que les combustibles nucléaires usés auraient beaucoup plus d’expérience dans le domaine du recyclage, elle sous-entend qu’ils seraient meilleurs que le verre et le plastique sur ce sujet ; que, combinée avec l’encadré « 96% du combustible nucléaire usé est recyclable », cette page vise à véhiculer une image propre du secteur électronucléaire, qui ne produirait presque pas de déchets et ne laisserait quasiment pas de traces pour les générations futures.  

Elles relèvent par ailleurs que les publicités parues dans la presse papier visent aussi à imager la prétendue importante part de recyclage dans le secteur électronucléaire français en l’illustrant par un fait compréhensible et concret pour tous les lecteurs : une ampoule sur dix fonctionnerait grâce à ce combustible recyclé, le combustible MOX.  

Les associations se plaignent ensuite de différentes allégations de participation active à l’économie circulaire dans le Rapport annuel d’activité 2018 de l’annonceur publié sur son site internet le 22 juillet 2019, notamment l’allégation figurant en ouverture du point « 4.3.2. Prévention et maîtrise des risques environnementaux » de ce Rapport annuel (page 72) selon laquelle « … contribue activement à l’économie circulaire en recyclant les combustibles nucléaires usés dans ses usines … ». Elles relèvent que le choix de l’expression « économie circulaire » n’est pas neutre puisque ces termes renvoient à un modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et les gaspillages de ressources ainsi que la production des déchets (cf. les définitions données par la ministère de la transition écologique et solidaire et par l’ADEME). Cette assertion vise à présenter le secteur électronucléaire comme une filière qui ne produirait presque pas de déchets car ils seraient en très grande majorité recyclés.  

Ces publicités contreviennent, selon les associations plaignantes, à plusieurs points de la Recommandation « Développement durable » de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité et à plusieurs principes contenus dans le Code ICC. 

Sur le caractère publicitaire des publications contestées, les associations font valoir que le Rapport annuel, document prévu à l’article L. 225-100 du Code de commerce et initialement destiné à informer les actionnaires sur les résultats financiers de la société durant l’exercice social passé, est devenu au fil des années un véritable outil de communication où se multiplient les présentations qualitatives des activités menées. Le Code de commerce impose d’ailleurs désormais d’y présenter des informations extra-financières ainsi qu’un plan de vigilance comprenant une cartographie des risques liés aux droits de l’homme et à l’environnement ainsi que les actions mises en œuvre par la société pour réduire ces risques, et prévoit en outre que « ces informations font l’objet d’une publication librement accessible sur le site internet de la société ». Ce document, en libre accès sur le site Internet de l’annonceur est donc destiné à la société civile, clients et consommateurs, d’autant plus que la société met en avant sa transparence sur les informations sociétales, environnementales… en communiquant une série de « publications de référence » parmi lesquelles le Rapport annuel d’activité. Dès lors, ce document, et tout particulièrement l’allégation contestée, sont des publicités susceptibles d’être déférées devant le Jury de Déontologie Publicitaire.  

Les associations soulignent que, alors que les différents avis précédemment rendus par le Jury auraient dû sensibiliser les industriels du nucléaire à une communication plus responsable autour de leurs activités, cette dernière campagne publicitaire, émanant de l’agence de communication, fait une nouvelle fois fi des règles déontologiques publicitaires.  

Les associations plaignantes estiment que cette campagne contrevient à quatre points de la Recommandation « Développement durable » : défaut de véracité des actions (point 1), défaut de proportionnalité du message (point 2), défaut de vocabulaire approprié (point 6), défaut de présentation visuelle adéquate (point 7).  

Elles estiment que cette campagne méconnaît également l’article 22 du Code ICC prévoyant que la publicité doit, notamment, « respecter les principes énoncés au chapitre E, Allégations environnementales dans la communication commerciale » – chapitre qui précise ce que doit être un comportement environnemental en publicité.  

Or, les publicités contestées de l’annonceur méconnaissent deux de ces caractères : leur présentation n’est pas honnête et véridique notamment en ce qu’elles induisent le consommateur en erreur en n’étant pas précises sur la qualité environnementale du service (article E1) et n’est pas conforme aux règles sur la supériorité et les allégations comparatives (article E3).  

Les associations plaignantes estiment ainsi que l’illustration sur le recyclage crée volontairement une confusion dans l’esprit du consommateur et induit le public en erreur lorsqu’elle présente, à un même niveau, le recyclage des combustibles nucléaires usés et le recyclage du verre et du plastique. En effet, si le consommateur moyen est conscient que, pour des raisons évidentes de logistique, de sécurité et de sûreté, dans la réalité, les conteneurs en libre accès recueillant des combustibles nucléaires usés (comme il en existe pour recueillir le verre et le plastique usés) n’existent pas, l’illustration en cause, par la comparaison qu’elle opère et les commentaires qui y sont attachés sur l’expérience du recyclage des déchets radioactifs, pourrait laisser croire que le recyclage de ces déchets spécifiques est tout aussi répandu que celui des déchets plastiques ou en verre. Cette confusion est accentuée par la mention, juste à côté de l’illustration, selon laquelle « 96% du combustible nucléaire usé est recyclable » et par l’allégation sur le taux d’ampoule en France fonctionnant au combustible nucléaire recyclé. 

Or, cette présentation constitue une simplification considérable de la réalité. En vérité, moins de 1% des combustibles nucléaires usés sont aujourd’hui recyclés, c’est-à-dire réutilisés pour fabriquer du nouveau combustible. Ces 1% correspondent à la part de plutonium présente dans le combustible nucléaire usé que la technologie actuelle est capable d’extraire, de purifier, de réassembler avec de l’oxyde d’uranium et d’accueillir dans des réacteurs spécifiques. Les 95% restant pour atteindre le chiffre avancé par l’annonceur dans son encadré représentent de l’uranium, qui est lui aussi extrait des combustibles usés, mais qui n’est pas recyclé. En effet, la technologie actuelle ne permet pas de valoriser ces matières nucléaires qui sont stockées sans perspective concrète de réutilisation, dans l’espoir de résultats concluants de la recherche scientifique.  

Pour rappel, la plupart des pays nucléarisés ont arrêté, commencé à arrêter ou n’ont jamais commencé le retraitement des combustibles usés en raison du coût de cette recherche et de l’absence totale de piste crédible : seules la France et la Russie soutiennent encore la recherche dans le retraitement des combustibles usés. En conséquence, plus de 11 500 tonnes de combustibles nucléaires usés étaient en attente de retraitement fin 2017 sur le territoire français, selon les chiffres de l’Andra datant de 2019. De plus, ce stockage fait peser sur la société de très lourds problèmes logistiques, économiques et environnementaux, comme le détaille Greenpeace France dans un récent rapport paru en septembre 2019.  

En outre, il existe d’importants stocks de plutonium et d’uranium appauvri dont la réutilisation était principalement envisagée dans la perspective du développement des réacteurs de 4ème génération. L’abandon d’Astrid, acronyme de l’anglais Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, compromet aujourd’hui clairement cette perspective.  

Par ailleurs, le combustible MOX (combustible nucléaire créé à partir de combustibles nucléaires usés), est lui-même composé, d’une part, de plutonium recyclé depuis des combustibles usés et d’autre part, d’uranium neuf qui n’est donc pas recyclé. La part de plutonium recyclé présente dans le combustible MOX n’est que de 8 %, les 92 % de matière restante étant l’uranium neuf/non recyclé. Ainsi, le combustible MOX n’est pas un combustible conçu dans une logique de cycle fermé et ne se situe pas dans le cadre de la définition de l’économie circulaire du ministère de la transition écologique et solidaire, de l’ADEME ou de ou la Commission européenne, qui implique une « boucle bouclée ». Enfin, l’étape de fabrication du combustible MOX implique elle-même la création de nouveaux déchets nucléaires et, une fois usé, le combustible MOX n’est pas recyclé.  

Or, selon les associations plaignantes, le consommateur moyen n’est pas forcément au fait de tous ces éléments et peut être induit en erreur par la présentation faite par l’annonceur sur sa page internet « Idées reçues : recyclage ». Dès lors, cette présentation leur paraît contraire au point 1.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP 

De plus, au vu du très faible pourcentage de combustibles usés qui est effectivement réutilisé, la mise en avant du recyclage des combustibles nucléaires par cette illustration et l’affirmation du Rapport annuel selon laquelle l’annonceur « participe activement à l’économie circulaire » est, selon les associations, contraires au point 1.3. de la Recommandation « Développement durable » prévoyant que  les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées.  

Enfin, les plaignantes estiment l’allégation d’après laquelle « Près d’1 ampoule sur 10 fonctionne grâce au combustible MOX », tirée de la même page Internet et réitérée avec une formulation très proche dans la publicité parue dans le magazine hebdomadaire, est entachée d’un défaut de véracité : l’ensemble des ampoules en France ne fonctionnent pas grâce à l’électricité nucléaire, puisque d’après les chiffres du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, l’électricité en France provient pour 72% du secteur électronucléaire et pour 28% d’autres sources d’énergie. Dès lors, l’annonceur devrait préciser qu’il s’agit de près d’1 ampoule sur 10 fonctionnant à l’électricité nucléaire qui s’allume grâce au combustible MOX.  

Elles soutiennent que, par conséquent, cette allégation susvisée ainsi que la publicité diffusée dans le magazine hebdomadaire sont contraires au point 1.1 de la Recommandation et à l’article E1, alinéa 1, du Code ICC 

Enfin, le fait d’inclure, dans la part de combustibles usés qui est recyclable, les 95% de combustibles usés qui sont stockés dans l’attente de possibilité de retraitement est également contraire à l’Article E1 du Code ICC en ce qu’il prévoit que « aussi longtemps qu’il n’existe aucune méthode définitive généralement acceptée pour mesurer la durabilité ou confirmer son accomplissement, aucune allégation ne doit être formulée sur sa réalisation ».  

Par ailleurs, en ce qui concerne la proportionnalité du message, dès lors qu’en réalité, seul 1% des combustibles nucléaires usés est effectivement recyclé et, dans le combustible nucléaire recyclé lui-même, seul 8% de la matière est issue du recyclage, tant l’illustration et l’encadré issus de la page Internet « Idées reçues : recyclage » que l’assertion de « participation active » à l’économie circulaire issue du Rapport annuel d’activité 2018 sont contraires au point 2.2 de la Recommandation 

De plus, comme précédemment expliqué, les 95% de combustibles usés que l’annonceur inclut dans la part de matières recyclables sont en réalité stockés dans l’attente de résultats concluants dans la recherche scientifique en cours depuis plusieurs décennies. Dès lors, en présentant comme acquis leur caractère effectivement recyclable, l’annonceur méconnaît également le point 2.3 c) de la Recommandation « Développement durable ».  

Sur le vocabulaire (point 6 de la Recommandation), il est reproché à la société d’écrire dans son Rapport annuel d’activité qu’elle « contribue activement à l’économie circulaire en recyclant les combustibles nucléaires usés dans ses usines de la … ». En affirmant qu’elle y contribue « activement », elle emploie un vocabulaire qui induit les consommateurs, clients, investisseurs et actionnaires en erreur, laissant croire que la part de recyclage est significative alors qu’elle est minime. Dès lors, elle méconnaît le point 6.1 de la Recommandation. 

Sur la présentation visuelle (point 7 de la Recommandation), il est reproché à l’annonceur d’avoir publié une illustration qui met sur le même niveau le recyclage des déchets radioactifs et celui des déchets en verre et en plastique – et même de sous-entendre par cette illustration que le recyclage des déchets radioactifs serait plus performant. Ce faisant, elle fait usage d’éléments visuels disproportionnés à l’argument écologique qu’elle invoque, à savoir que l’industrie nucléaire serait écologique grâce au recyclage de ses déchets. Dès lors, elle méconnaît le point 7.1 de la Recommandation 

Sur la supériorité et les allégations comparatives (article E3 du Code ICC), l’illustration issue de la page Internet « Idées reçues : recyclage » opère très clairement une comparaison entre, d’une part, le recyclage des déchets radioactifs et, d’autre part, le recyclage des déchets en verre et en plastique. Or, les combustibles nucléaires et les produits en verre et en plastique ne répondent pas aux mêmes enjeux : bien que très nocifs pour l’environnement lorsqu’ils sont non collectés et déversés dans la nature, les déchets en plastique et en verre ne présentent pas un danger similaire à celui que présentent les déchets radioactifs. Ces derniers, qui demeurent hautement radioactifs durant de nombreux siècles depuis l’instant où ils sortent des réacteurs, doivent impérativement être refroidis, immergés et isolés dans des enceintes dédiées. Il est impératif d’empêcher le contact avec les populations : toute exposition excessive à la radioactivité peut avoir des conséquences désastreuses que les associations détaillent longuement. Par conséquent, la récolte des combustibles usés et leur sort sont très strictement encadrés par des textes internationaux, européens et nationaux. Bien entendu, la contrainte opposée aux déchets plastiques et en verre est bien moindre. De plus, le recyclage des déchets en verre et plastique repose directement sur le consommateur tandis que le retraitement des déchets radioactifs repose sur l’annonceur, strictement encadrée dans cette activité par des lois et décrets.  

Enfin, selon les associations, la comparaison entre le recyclage de ces différents déchets est malvenue car le recyclage des combustibles nucléaires est loin d’avoir les mêmes résultats que le recyclage du verre et du plastique. À l’heure actuelle, seul moins de 1% de la matière présente dans les combustibles nucléaires usés est réutilisée pour créer du combustible MOX. À l’inverse, les matières présentes dans un produit en verre ou en plastique ont un taux de recyclabilité plus important (par exemple, 26% des emballages plastiques sont aujourd’hui recyclés en France ; ce taux est de 100% pour les bouteilles en PET, celui-ci pouvant être recyclé cinq à sept fois avant que la matière ne soit trop dégradée). Alors que le combustible « MOX » usé, pour sa part, n’est pas réutilisé.  

Pour toutes ces raisons, l’argument publicitaire consistant à comparer, d’une part, recyclage des déchets radioactifs et, d’autre part, recyclage des déchets en verre et plastique est contraire à l’article E3, alinéa 1er du Code ICC 

La société fait valoir qu’elle est un groupe international, acteur majeur de l’énergie nucléaire, qui valorise les matières nucléaires de manière à répondre aux besoins énergétiques de nos sociétés. Pour ce faire, l’annonceur propose des produits et services à forte valeur ajoutée sur l’ensemble du cycle du combustible nucléaire. 

Elle expliquer qu’elle a souhaité interroger les Français sur leurs connaissances et leurs perceptions de l’énergie nucléaire par le biais d’une enquête, réalisée par téléphone du 4 au 27 avril 2019, auprès d’un échantillon de 3 008 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatif de la population française, tant au niveau national que local. Les résultats de cette enquête, menée par l’Institut BVA, révèlent un certain nombre de perceptions sur les différents impacts de cette énergie, notamment en matière de recyclage. Ainsi, seuls 61% des personnes sondées savent que le combustible utilisé dans les centrales nucléaires pour produire de l’électricité peut être recyclé. 

Au niveau national, l’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 2405 personnes, répartis dans les 12 régions métropolitaines. L’enquête a été dupliquée au niveau local, autour des sites (301 répondants et 302 répondants). Sur le recyclage du combustible nucléaire, il en ressort que :  

– l’impact du recyclage du combustible nucléaire est bien, identifié dans la mesure où il doit permettre en priorité, selon les sondés, de réduire la dangerosité des déchets et d’en réduire le volume ;  

– mais il ressort de l’enquête que la production de déchets non recyclables arrive en tête des arguments les plus convaincants pour s’opposer à l’énergie nucléaire selon les sondés. 

C’est donc à la fois pour confirmer les impressions des français sur les capacités de recyclage de la filière nucléaire et pour attirer l’attention sur les vertus et points positifs de ces opérations que l’annonceur, en qualité d’acteur responsable et majeur de la filière, a initié une campagne publicitaire au travers d’un visuel publié par le magazine et par le biais de la création un site internet dédié à combattre des idées reçues. 

Dans sa plainte du 20 décembre, Greenpeace allègue la non-conformité à la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP ainsi qu’aux dispositions du code 1CC sur la publicité et les communications commerciales. 

A titre liminaire, l’annonceur demande que l’examen du rapport annuel d’activité de l’annonceur pour l’année 2078 soit écarté car ce n’est pas un document publicitaire et ne relève, de ce fait, pas des prérogatives du Jury. Elle indique notamment que ce Rapport annuel, dont la publication est une obligation légale imposée par l’article L. 225-37 du Code de commerce, n’a pas été communiqué par le biais d’un média contre un paiement ou une quelconque contrepartie, il a, bien au contraire, été directement placé en accès libre sur le site internet de l’annonceur. 

Si par extraordinaire le Jury devait porter à son examen le rapport d’activité, il devra en conclure que ce document n’induit nullement en erreur. En investissant chaque année des centaines de millions d’euros dans ses activités de recyclage et tout particulièrement dans son usine … (300 millions d’euros en moyenne chaque année pour cette seule usine) et de …, l’annonceur contribue effectivement de manière active au recyclage du combustible. A titre d’exemple, en 2018, 1009 tonnes de combustible usés ont été traités sur le site et plus de 36 000 tonnes depuis le début de l’exploitation du site. 

Sur l’image publicitaire publiée dans le magazine : celle-ci est composée, d’abord, de l’annonce « nucléaire: eh non, tout n’est pas à jeter », ensuite, d’un visuel montrant trois poubelles de tri sélectif, dont une portant un logo assimilable à la radioactivité, et enfin d’une mention explicative « La preuve: aujourd’hui, près d’1 ampoule sur 10 en France s’allume grâce à du combustible nucléaire recyclé. » 

De manière analogue, l’annonceur a diffusé sur son site internet un visuel montrant trois poubelles de tri sélectif dont une portant la mention « combustible nucléaire » et indiquant « ça fait 50 ans que je recycle », accompagné d’une mention explicative : « En France près d’1 ampoule sur 10 fonctionne grâce au combustible MOX ». 

Le grief selon lequel ces publicités contreviennent au point 7.1 de la Recommandation ne lui apparaît pas fondé. 

Les visuels choisis par l’agence de communication ont pour but de conforter la perception des Français, identifiée par l’étude BVA, qui assimilent, à juste titre, le combustible nucléaire à de la matière recyclable. Ce faisant, ces visuels indiquent au consommateur que la matière nucléaire se recycle, au même titre que le verre ou le plastique sans préjuger des proportions effectivement recyclées pour chacune de ces filières. Par ailleurs, si le visuel publié sur internet indique effectivement, de manière humoristique, que les opérations de recyclage du combustible nucléaire sont anciennes, aucune référence n’est faite quant à leurs performances. De plus, l’ancienneté des opérations de recyclage du combustible nucléaire ne fait pas débat dans la mesure où elles ont débuté dans les années 1960. 

Au surplus, le visuel publié dans la presse s’accompagne de la mention : « nucléaire : eh non, tout n’est pas à jeter ». L’annonceur communique donc avec mesure en indiquant qu’une partie de la matière nucléaire n’est pas recyclable. L’exigence de proportionnalité visée par le point 7.1 de la Recommandation DD est donc remplie. 

L’annonceur ajoute que les visuels publiés sur internet et dans le magazine se conforment au point 9.1 de la Recommandation, en attirant justement l’attention du consommateur sur l’importance du recyclage, sur tous les terrains qui s’y prêtent, au cas d’espèce, le combustible nucléaire. 

Sur les références à « 1 ampoule sur 10… » qui contreviendraient, selon les plaignantes au point 1.1 de la Recommandation, l’annonceur souligne qu’il communique sur la base d’éléments factuels véridiques et précis. Effectivement, le document de référence EDF pour l’année 2018 précise que les 1200 tonnes de combustibles, utilisés chaque année par les réacteurs du parc nucléaire EDF français, comprennent 120 tonnes de combustibles qui peuvent être considérés comme « recyclés », soit 10%. Dans la perspective d’une communication pédagogique et accessible, l’agence de communication a souhaité procéder par analogie en utilisant la référence de l’ampoule qui s’allume soit l’image la plus à même de représenter la production d’électricité. 

Concernant le site Internet « idées reçues », l’allégation selon laquelle « 96% du combustible nucléaire usé est recyclable » ne fait pas référence à l’absence d’impact ou à l’impact positif du combustible nucléaire sur l’environnement. Il s’agit pour l’annonceur d’informer sur les possibilités techniques qui doivent être prise en compte par la société civile à l’aune de choix décisifs pour décarboniser la production d’électricité. Les volumes potentiellement recyclables du combustible nucléaire doivent être mis en avant pour la bonne information des citoyens. 

De plus, l’annonceur n’a pas publié « 96% du combustible nucléaire usé est recyclé » mais bien « est recyclable ». Il s’ensuit que l’annonceur n’induit pas en erreur sur la réalité de ses actions mais informe sur les capacités maximales de recyclage du combustible nucléaire. En tout état de cause, ce chiffre est parfaitement corroboré par le CEA qui met à disposition du public les mêmes informations sur son site internet, notamment par le biais d’une vidéo pédagogique. En conséquence, l’annonceur se conforme au point 1.1 de la Recommandation et ne contrevient pas au Code ICC. 

Il résulte de ce qui précède que les publicités diffusées sur internet et par le biais du mgazine ne portent pas plus atteinte à la Recommandation Développement Durable de I’ARPP qu’au Code 1CC sur la publicité et les communications commerciales. 

La société de diffusion de presse fait valoir l’imprécision de la plainte des associations et les nuances apportées dans le document diffusé qui donne l’indication que « presque » une ampoule sur dix en France s’allume grâce à du combustible nucléaire recyclé.

Elle estime que le texte est mesuré et rappelle que le contrôle exercé par le diffuseur avait pour objet de vérifier que le contenu de la publicité n’était pas manifestement excessif.  

Il s’agit de confronter les obligations des recommandations de l’ARPP aux principes de l’hyperbole acceptable en publicité. Dans cette appréciation de l’équilibre, la publication dans le magazine a été jugée acceptable, dès lors que les mentions conduisaient à considérer que « tout n’est pas à jeter ». 

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle qu’aux termes des dispositions de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP : 

  • « 1.1 La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable.  
  • 1.3 Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées.  
  • 2.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. 
  • 2.3 (…) c/ La présentation d’action(s), de produit(s) à un stade expérimental ou de projet (prototype, R&D, investissement…) doit clairement les présenter comme tels et ne pas en exagérer la portée.  
  • 6.1 Les termes et expressions utilisées ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.  
  • 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable. ».  

Aux termes de l’article D1 « Présentation honnête et véridique » du code ICC, qui reprend les dispositions de l’ancien article E1 de ce code : 

« La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas profiter abusivement de l’intérêt des consommateurs pour l’environnement ou exploiter leur éventuel manque de connaissance sur l’environnement. 

La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation ou aucun traitement visuel de nature à induire en erreur les consommateurs de quelque manière que ce soit quant aux aspects ou aux avantages environnementaux de produits ou quant à des actions entreprises par le professionnel en faveur de l’environnement. Parmi ces pratiques figurent en particulier l’exagération d’attributs environnementaux (…). 

Toute allégation environnementale doit être pertinente pour le produit spécifique faisant l’objet de la promotion et se rapporter uniquement à des aspects qui existent déjà ou sont susceptibles d’être réalisés au cours de la vie du produit, y compris son élimination. Il convient d’établir clairement ce à quoi l’allégation se rapporte, par exemple le produit ou son emballage, ou l’un de leurs ingrédients spécifiques. 

Un aspect existant préalablement, mais non divulgué par le passé, ne doit pas être présenté comme une nouveauté. Les allégations environnementales doivent être à jour et, le cas échéant, elles doivent être réexaminées au regard de l’évolution pertinente. (…) 

Enfin, aux termes de l’article D3 « Supériorité et allégations comparatives » du code ICC, qui reprend les dispositions de l’ancien article E3 de ce code : 

« Toute allégation comparative doit être spécifique et la base de la comparaison doit être claire. Une supériorité environnementale par rapport à la concurrence doit uniquement être alléguée lorsqu’un avantage substantiel peut être démontré. Les produits comparés doivent répondre aux mêmes besoins et être destinés à la même finalité (…) ». 

Le Jury relève que la première publicité en cause, diffusée dans la revue entre le 25 novembre et le 1er décembre 2019, montre le dessin stylisé de trois containers à ordures, portant respectivement des logos représentant un carton, un symbole de radioactivité (un disque entouré de trois sixièmes de disque), et une bouteille. En haut du visuel, apparaît en gros caractères le texte « nucléaire : eh non, tout n’est pas à jeter » puis, sous le dessin « La preuve : aujourd’hui, près d’1 ampoule sur 10 en France s’allume grâce à du combustible nucléaire recyclé », « Et si on voyait le nucléaire autrement ? ». Au bas de l’image apparaissent le nom de l’annonceur et le renvoi vers plusieurs réseaux sociaux ainsi que vers la page du site. 

La deuxième publicité, diffusée sur le site Internet de la société, s’intitule « Idées reçues » et présente, sur plusieurs pages du site, les réponses apportées par la société à ces idées reçues. Un encadré indique que « 96% du combustible nucléaire usé est recyclable », accompagné de l’image de trois conteneurs à recyclage intitulés « combustible nucléaire », « verre » et « plastique ».    

Le troisième document visé par la plainte est le Rapport annuel d’activité 2018 de la société, qui porte sur l’économie circulaire. 

Le Jury constate, en premier lieu, que le Rapport annuel d’activité 2018 a pour objet de rendre compte de l’activité de la société, non de la promouvoir. Un tel document ne présente pas un caractère publicitaire et le Jury n’est donc pas compétent pour statuer sur les éléments des plaintes portant sur ce Rapport. 

Le Jury constate, en second lieu, que les deux autres visuels mis en cause renvoient au recyclage des déchets résultant de la production d’énergie nucléaire. Le Jury relève que les visuels diffusés par voie de presse renvoient expressément, par la mention vers la page du site internet de la société qui présente les réponses apportées par l’annonceur à des « idées reçues », d’une part sur l’impact de l’énergie nucléaire en matière de gaz à effet de serre et d’autre part sur les possibilités de recyclage du combustible nucléaire. Le Jury considère que cette page fait partie de la publicité et qu’il est compétent pour se prononcer sur son contenu.  

Le Jury rappelle que la publicité en faveur de l’énergie nucléaire doit veiller à ne comporter aucune ambiguïté quant à ses incidences environnementales. 

Le Jury constate, tout d’abord, que le visuel présentant des bacs de recyclage place au même niveau les containers destinés aux verres, cartons ou plastiques, et ceux supposés recueillir les déchets nucléaires. Il opère ainsi une comparaison suggérant que le recyclage des déchets résultant de la production d’énergie nucléaire est aussi aisé et répandu que les autres.   

Le Jury considère qu’une telle comparaison crée une ambiguïté au regard de la réalité du recyclage effectif, qui, selon les éléments produits au dossier, ne porte que sur environ 1% des combustibles nucléaires usés, la possibilité de recyclage des déchets nucléaires faisant encore l’objet de recherches qui n’ont pas abouti à ce jour, et demande une technologie beaucoup complexe que celle nécessaire au recyclage du verre et du plastique. Dans ces conditions, le Jury estime que ce visuel méconnaît les dispositions précitées du point E3 (devenu D3) du Code ICC et des points 2.2 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.  

Le Jury relève, enfin, que la phrase figurant sous le dessin « La preuve : aujourd’hui, près d’1 ampoule sur 10 en France s’allume grâce à du combustible nucléaire recyclé » vise à illustrer le fait que 10% environ du combustible utilisé par EDF pour produire de l’électricité d’origine nucléaire provient de combustible recyclé. Or les ampoules n’étant pas alimentées uniquement par de l’électricité d’origine nucléaire, le chiffre d’1 ampoule sur 10 est nécessairement surestimé, la société ayant admis lors de l’audience qu’il s’agit plutôt d’1 ampoule sur 12. Si le Jury retient que la formule « près d’1 ampoule sur 10 » permet de relativiser les éléments chiffrés de la formulation retenue par l’annonceur, il estime cependant que, pris dans sa globalité, le visuel assorti des mentions précitées est de nature à induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur en matière de recyclage et de développement durable, méconnaissant ainsi les dispositions précitées des points E1 du code ICC d’une part, 1.1 et 2.2. de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP d’autre part. 

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la campagne de publicité en cause méconnaît les points 1.1, 2.2, 7.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP ainsi que les points E1 et E.3 du code ICC. 

Avis adopté le 6 mars 2020 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain et Drecq, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.