Avis JDP n°95/11 – DISTRIBUTION VENTE EN LIGNE – Plaintes rejetées

Décision publiée le 23.02.2011
Plaintes rejetées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu la société annonceur, propriétaire du site en cause,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi les 7, 13 et 15décembre 2010, de trois plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une annonce presse pour la promotion d’un site internet de vente en ligne de préservatifs.

Le visuel représente un homme habillé et souriant, assis sur un canapé, tenant des feuilles de papier dans les mains. Sur la table basse devant lui sont disposés divers livres et documents. Face à lui, de dos, se tient une femme dont la tête n’apparaît pas, vêtue d’un bustier, de bas et de porte-jarretelles et qui tient une paire de menottes dans la main gauche.

L’accroche publicitaire est « Allez-y, on vous couvre ».

2.Les arguments des parties

– Les plaignants considèrent que le visuel est sexiste et porte atteinte à l’image de la femme, présentée comme un objet sexuel.

Par ailleurs, le support de diffusion étant destiné à des étudiants, cette publicité donne une image déplorable de la sexualité et par ailleurs n’inciterait pas les jeunes filles à se protéger.

L’un des plaignants ajoute que le visuel présente un caractère pornographique, attentatoire à la dignité de la femme, réduite à un rôle d’objet sexuel. Cette publicité contrevient donc aux recommandations de l’ARPP en ce qu’elle présente en gros plan les fesses très dénudées d’une femme dont la tête est tronquée. La photo est indécente surtout pour une diffusion dans un journal gratuit destiné à des populations lycéennes et étudiantes.

De plus, la nudité est utilisée de façon sexuellement provocante, la paire de menottes qu’elle exhibe la suggérant consentante par avance à toutes sortes de jeux sexuels même les plus dégradants et humiliants, impliquant des relations dominant/dominé.

Selon le plaignant, ce message va à contre-courant des efforts que mène l’Etat pour promouvoir l’égalité des droits entre hommes et femmes. Comment en effet inciter les jeunes filles à entreprendre des études si les journaux pour lycéens et étudiants leur proposent une image dégradante d’elles-mêmes ?

Cette photo représente de plus sans ambiguïté la femme comme un objet sexuel, pervers et dangereux pour la santé, dont il faut se protéger, accentué par le texte « Allez-y on vous couvre » : la femme est le danger, l’annonceur veille sur l’homme.

Selon le plaignant, le sado masochisme est présenté ici sous un jour anodin et banal, en modèle de relations amoureuses pour les jeunes, certains pouvant y voir une justification de la violence à l’encontre des femmes.

Le plaignant pose la question de la légalité d’une telle image exposée à la vue de mineurs.

Il considère enfin qu’elle suggère aux jeunes que les garçons sont studieux et que les femmes les détournent de leurs études.

Un autre plaignant relève que cette publicité contrevient à la plupart des recommandations sur l’image de la personne humaine de l’ARPP. Or, elle s’adresse à un public de jeunes, qui peuvent être mineurs, dans un journal gratuit, exposé hors de tout acte volontaire : cette publicité présente en effet une image de jeune femme, dont la tête est tronquée, très déshabillée, avec une paire de menottes, réactivant le symbole de la tentatrice, éternelle fille d’Eve, responsable de tous les maux et dont il faut se protéger. Elle porte donc atteinte à la dignité de la femme, ici diabolisée comme source de dangers. Le texte « allez-y,, on vous couvre » accentue encore le message visuel : il y a bien danger mais on vous protège, quoi qu’il arrive. Il est la phrase utilisée par la police lors d’assauts contre le banditisme, c’est dire le danger ! et les violences autorisées.

Par ailleurs, la nudité des fesses participe à l’avilissement de la femme présentée comme objet sexuel et de consommation. La posture de la femme est sans équivoque et dégradante avec la paire de menottes symbole d’enchainement et de sadisme, tout en la présentant comme consentante à toutes les dérives dégradantes et humiliantes que l’image suggère.

De plus, le message véhiculé réduit la jeune femme à un objet de consommation sexuelle. Il va à contre courant des valeurs d’une société où les femmes prouvent qu’elles ont une tête pensante, qu’elles sont des étudiantes compétentes et qu’elles entreprennent des formations exigeantes afin de développer leurs atouts pour des carrières professionnelles valorisantes.

La femme est ici présentée comme tentatrice : détournant le jeune homme de son devoir, lui étudiant sérieux, tout à fait correctement habillé, entouré de livres et qui va être interrompu dans sa tâche ô combien utile. Son sourire montre comme il s’en réjouit à l’avance, mais c’est la femme qui est responsable et elle qui est la porteuse potentielle du virus du sida.  

Cette scène banalise l’utilisation de menottes et un code de soumission issu de la pornographie dans la sexualité adolescente ou jeune adulte et donc la violence dans les comportements sexuels.

Le message est doublement pervers : la jeune femme détient la paire de menottes symbole d’enchainement (pour lui, pour elle ?). Elle est représentée ainsi potentiellement consentante à toutes les dérives et violences dégradantes et humiliantes que la posture sadomasochiste présente et ce, alors que tant de violences s’exercent contre les femmes et que pour l’année 2010 la lutte contre les violences faites aux femmes a été instituée Grande cause nationale.

Le plaignant relève également que ce journal gratuit, se présente comme destiné aux jeunes, garçons et filles, lycéens et étudiants. Les messages sont donc censés s’adresser aussi bien aux filles qu’aux garçons. Or cette publicité véhicule le message selon lequel les hommes doivent se protéger mais qu’en est-il des filles ? Comme si le préservatif ne concernait pas les filles alors que la contamination frappe tellement les femmes que le rapport femme/homme de personnes contaminées est passé de 1 femme pour 8 hommes il y a 10 ans, à 1 femme pour 2,7 hommes actuellement, et que toutes les instances sanitaires sont en alerte sur cette progression.

D’autre part, les jeunes filles aussi font des études, lisent des livres, préparent des mémoires et des thèses. Les statistiques ont montré qu’elles réussissaient même mieux que les garçons dans les lycées et étaient plus nombreuses à faire des études supérieures.

Aussi pourquoi montrer le jeune homme dans le rôle de l’étudiant sérieux et la jeune femme dans le rôle de l’objet sexuel détournant de l’étude ?

Cette publicité montre une vision ringarde des relations hommes-femmes, inégalitaire et dans un rapport dominant-dominée. Ne pourrait-on montrer une image de relation amoureuse et sexuelle sincère et égalitaire entre deux étudiants  pour vendre des préservatifs ?

– La société responsable du site internet et de la publicité incriminée, précise que le visuel a été publié dans le numéro de novembre 2010 de la revue et qu’aucune autre parution n’est prévue dans la presse à ce jour.

La société fait valoir ensuite que :

Sur la difficulté de sensibiliser les jeunes aux risques du SIDA

L’annonceur a notamment pour activité la vente de préservatifs en ligne via son site Internet.

Depuis sa création, elle est partenaire des institutions publiques dans le cadre de la lutte contre le SIDA laquelle, conformément aux conclusions et aux recommandations des 3 derniers congrès mondiaux de l’Agence Internationale de l’ONU doit à l’échelon mondial constituer une priorité de santé publique indiscutable.

L’annonceur  note qu’afin d’atteindre le public, aucune campagne officielle n’a convaincu en 20 ans, des études marketing ayant montré que le seul registre capable d’attirer l’attention des populations à risque est celui de l’humour et de la dérision. C’est la raison pour laquelle la publicité en cause véhicule de manière volontaire une saynette burlesque. Il est important de montrer à ces jeunes adultes que l’usage du préservatif est drôle  et qu’il peut être intégré à un jeu entre partenaires responsables.

L’annonceur souhaite ainsi relever que l’image d’une femme en lingerie face à son partenaire est nécessaire pour décomplexer de jeunes adultes dans l’usage du préservatif mais également adaptée aux produits vendus sur son site.

Sur le visuel en cause

Une étude attentive de la publicité permet de constater que la paire de menottes est tenue non par l’homme mais par la femme ce qui tend à montrer qu’elle exhibe son ascendant sur son compagnon et non l’inverse et c’est donc l’homme qui est en position d’infériorité. L’image ne véhicule aucune violence : l’homme sourit, d’un air complice ; il n’a  l’air ni agressif, ni agressé, ni anxieux ; il n’est question que d’un jeu librement consenti dans un couple sans que rien ne laisse penser que la femme est une prostituée.

De manière plus générale, la pose de la femme en sous-vêtements est similaire à celle utilisée pour d’autres publicités existantes.

– Le support de diffusion pour sa part, indique avoir mis fin à tout contrat avec l’annonceur et stoppé toute publication de cette publicité dans ses supports. Il précise en outre que le magazine est destiné aux étudiants de plus de 18 ans et non aux lycéens et que cette publicité avait pour seul but d’encourager le port du préservatif auprès des étudiants.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’ARPP dispose :

– dans le point 1-1 du paragraphe « Dignité, décence » que « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. ».

–  dans le point 2-1 du paragraphe relatif aux « stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux » que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

Le Jury constate que la publicité s’adresse tant aux hommes qu’aux femmes dans la mesure où le site internet commercialise des préservatifs masculins mais également féminins, ce qui est mentionné dans la publicité, que la scène qu’elle expose, si elle repose sur certains stéréotypes, est en relation avec les qualités et l’usage des produits qu’elle commercialise, qu’elle ne met pas en scène des personnages dans des postures indécentes, qu’on ne peut en déduire aucune conclusion quant à un rapport dominant-dominé, qu’elle ne constitue pas une incitation à la violence et enfin, qu’elle a été diffusée sur un support destiné aux étudiants.

En conséquence, le Jury considère que la représentation en cause ne contrevient pas aux règles déontologiques rappelées ci-dessus.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont rejetées ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants et aux sociétés Pandora Corp et Campus groupe ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le 4 février 2011, par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, Mme Drecq, et MM Benhaim, Carlo, Lacan, Leers et Raffin .