Avis JDP n°52/10 – ASSOCIATION DE LUTTE CONTRE LE TABAGISME – Plaintes fondées

Décision publiée le 19.03.2010
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu successivement le représentant de la Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques, de l’ARPP, de l’association de lutte contre le tabagisme, de l’agence de communication et  de la société de cartes postales ayant diffusé la campagne, présents à la séance ;

– et après en avoir délibéré, hors la présence de l’ARPP et des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi par plusieurs plaintes de particuliers les 23, 24 et 25 février 2010, auxquelles se sont associées l’association Familles de France, le 23 février, et la Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques CNACF, le 24 février 2010, portant sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire, diffusée par voie de cartes postales distribuées dans certains bars ou discothèques par l’association de lutte contre le tabagisme, qui vise à sensibiliser le public des jeunes sur les dangers du tabagisme.

Cette campagne comporte 2 visuels présentant pour l’un une adolescente, pour l’autre, un adolescent, les jeunes gens paraissant agenouillés devant un homme, le regard tourné vers lui, une cigarette à la bouche, la main de l’homme posée sur leur tête. Le texte précise « Fumer, c’est être l’esclave du tabac ».

2.La procédure

Les plaintes ont donné lieu à la mise en œuvre de la procédure d’urgence  prévue par l’article 17 du règlement intérieur du JDP qui prévoit que, à la suite d’une intervention du Président ou du Directeur général de l’ARPP en cessation de diffusion d’une publicité  regardée comme constituant un manquement grave ou sérieux qu’il convient de faire cesser rapidement, s’il y a une plainte, « le cas est présenté pour délibération au jury lors de la séance qui suit cette intervention .. Sa décision fait l’objet d’une publication aux conditions prévues à l’article 21. ».

Les plaintes ont été communiquées à l’annonceur, à l’agence et à la société de cartes postales ayant diffusé la campagne le 26 février 2010. Ils ont été informés par lettre RAR du 26 février 2010 de la date de la séance.

3.Les arguments des parties

Les plaignants considèrent cette campagne publicitaire comme indécente et choquante en ce qu’elle évoque, pour symboliser la soumission, une fellation contrainte qui est une violence sexuelle.

La CNACF fait valoir que la diffusion de cette campagne transgresse les Recommandations  déontologiques de l’ARPP, notamment « Image de la personne humaine », « Enfant » et « Identification de la publicité » et contrevient aux règles générales du Code de la CCI.

Pour l’association Familles de France, si on comprend bien l’objet du message, la soumission au tabac des fumeurs, il est évident que les images utilisées reposent sur deux thèmes : l’un de la soumission à l’adulte, l’autre, plus subliminal, de l’acte sexuel. Le résultat d’une telle publicité ne peut atteindre son but qui serait la prévention du tabagisme.

En effet, cette  publicité, illisible et provocante, ne respecte pas les jeunes dans la construction de leur liberté face au tabac et la construction de leur vision de la sexualité. Même si on comprend l’objectif de choquer le jeune et de le faire réagir, il semble qu’il y a aussi un jugement de valeur posé sur le sexe: sexe et tabac seraient deux façons de devenir esclave ? Cela semble de nouveau très éloigné des efforts faits par de nombreuses associations pour redonner du sens à la relation sexuelle, en faire un acte noble et respecté; enfin, dans le domaine sexuel, il ne faudrait pas faire croire au jeune, cible de cette campagne, que le sexe par lui-même conduit à la soumission. Ce sont les hommes et les femmes qui lui donnent son sens.

Cette campagne ne semble donc pas respecter plusieurs règles déontologiques : elle est indécente (Code international de pratiques loyales en matière de publicité de la CCI, article 2 ; Règles déontologiques de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, Image de la personne humaine, 1-1, 1-3) ; elle présente une image ambiguë sur la soumission (Image de la personne humaine 3) ; elle porte un jugement de valeur sur des comportements humains et est proche du dénigrement et de la discrimination.

L’ARPP qui n’a pas été consultée sur cette campagne, a décidé de mettre en œuvre l’article 17, Urgence, du règlement intérieur du JDP qui énonce que :  « Dans le cas d’un manquement manifestement grave et sérieux, qu’il convient de faire cesser rapidement , le Président de l’ARPP ou, par délégation, son Directeur Général, peut, conformément à la procédure d’urgence prévue par le règlement intérieur de l’ARPP, prendre sur le champ les mesures qui s’imposent, notamment en adressant une demande de cessation de diffusion aux professionnels concernés (annonceurs, agence, médias). Il en informe le Président du Jury. »

L’ARPP considère en effet que cette campagne est de nature à choquer gravement une partie du public ; les nombreuses et violentes réactions qui ont suivi sa diffusion en attestent. Suggérant des scènes d’agression sexuelle (du fait de la différence d’âge notoire entre les individus, du visage innocent des adolescents, de la main de l’homme sur leurs têtes) elle les banalise, proposant à un jeune public un message très ambigu.

Le slogan, très bref ne délivre pas un message explicite permettant de comprendre le parallèle présenté, seule l’agressivité des illustrations est évidente.

Cette campagne contrevient en ce sens aux règles de décence et de dignité posées par la Recommandation « Image de la personne humaine », en particulier les points 1.1 et 1.3 ainsi qu’aux règles prohibant la soumission et la dépendance figurant dans les articles 3.1 et 3.2 de cette même recommandation. De surcroît, l’article 18 du Code de la CCI rappelle qu’un soin particulier doit être mis en œuvre dans la communication ciblant les adolescents et stipule que la publicité ne doit comporter aucun traitement visuel qui risquerait de causer aux adolescents un dommage sur le plan mental.

Elle précise qu’il ne lui a pas échappé que cette campagne a pour objectif de diffuser un message d’intérêt général en alertant les populations jeunes sur le risque de dépendance au tabac ; mais, comme l’a rappelé le Conseil de l’Ethique en Publicité, dans un de ses derniers avis, il faut respecter un principe de proportionnalité entre les moyens publicitaires employés et l’objectif poursuivi même s’il est d’intérêt général .

En conséquence, l’ARPP a demandé à l’agence de communication responsable de cette campagne d’en cesser la diffusion et de renoncer à toute nouvelle diffusion et à toute insertion (presse ou affichage) ultérieure éventuellement prévue qui  utiliserait ces visuels.

L’agence de communication, auteur de la campagne, et la société de diffusion font valoir que celle-ci a été réalisée pour un organisme non marchand dans le but de sensibiliser la jeunesse au fléau que constitue le tabagisme. Son plan média a été conçu pour atteindre un public ciblé et restreint par la voie de supports qui pour la quasi-totalité sont hors média. Prenant en considération l’imperméabilité des adolescents au discours moralisateur et consensuel, son concept créatif répond à la nécessité de capter leur attention et de toucher leur conscience et utilise dès lors un ton et un registre qui sont immédiatement accessible à la jeunesse.

A titre principal, l’agence et la société de diffusion invoquent l’irrecevabilité des plaintes au regard des articles 3 et 11 du règlement intérieur car la campagne visée par les plaintes n’est pas la Campagne de l’association de lutte contre le tabagisme conçue par l’Agence.

En effet, les diffusions visées par les plaintes résultent du contenu éditorial des journaux qui ont commenté la campagne publicitaire. Mais, les plaintes ne visent pas cette campagne elle-même qui a essentiellement consisté dans la distribution, le 17 février 2010, de quelques milliers de cartes postales dans des établissements, bars ou boîtes de nuit, qui ne pouvaient être fréquentés que par des jeunes de plus de 16 ans.  Elles n’ont été reprises que dans  deux revues de presse à sensation publiées le 28 février 2010.

Or, aucune des plaintes, objets de la présente procédure, ne se fonde sur la publication des visuels dans le cadre de ce plan média ni n’émane du public visé par ce plan média.

Elles visent en effet toutes des supports dans lesquels des journalistes ont relayé la campagne dans le cadre de leur indépendance et de leur liberté éditoriale, c’est à dire hors de la volonté et du contrôle de l’Agence et de son client l’association de lutte contre le tabagisme.

De surcroît, à l’exception de la plainte portant le numéro d’identifiant 484 et de celles émanant de la CNAFC Consommateurs et de l’association Familles de France (identifiant n° 485) qui citent la recommandation « Image de la personne humaine », les plaintes soumises au JDP n’indiquent pas en quoi les visuels de la Campagne de l’association de lutte contre le tabagisme constitueraient une atteinte à une des recommandations déontologiques de l’ARPP et ne sont pas toutes motivées.

Il ressort de la lecture de ces plaintes, que celles-ci se fondent en réalité sur un ressenti et l’expression de sentiments très subjectifs dès lors qu’ils ont été forgés au travers des commentaires émis par certains médias. La lecture polémique et erronée de ces visuels par la presse en a perverti la perception.

En effet, la lecture de la campagne de l’association de lutte contre le tabagisme n’est pas celle d’un acte forcé mais celle de l’addiction c’est-à-dire de la soumission au plaisir procuré par la drogue que constitue le tabac et la main posée sur la tête est le signe, non d’une violence, mais de la gratitude de celui qui en tire profit, c’est-à-dire les industriels du tabac. C’est d’ailleurs la lecture qu’en a faite le public ciblé.

Ces plaintes reposent sur la crainte suscitée par l’idée que la campagne de l’association de lutte contre le tabagisme fasse l’objet d’une exposition auprès de tous les publics notamment des enfants alors que précisément la campagne n’a atteint que la partie spécifique de la population qui en était la cible et qu’elle n’a aucunement vocation a être élargie à un autre public.

A titre subsidiaire, sur le fond, l’agence et la société de diffusion font valoir que la campagne respecte les Recommandations de l’ARPP en tant qu’elles s’appliquent aux grandes causes.

D’une part, à la lecture des décisions du JDP, notamment celle du 18 mars 2009 n°5/09 ou celle du 17 février 2010 n°44/10, il est aisé de constater que les principes de la recommandation « Image de la personne humaine » reçoivent une exception par nature pour les campagnes dont le but est précisément de choquer pour interpeller l’opinion publique sur les grandes causes nationales.

D’autre part, il ressort de la jurisprudence du JDP que celui-ci reconnaît que dans le cas des grandes causes, les principes de dignité et de décence doivent être appréciés au regard de la capacité du public ciblé à être confronté à des images choquantes, violentes ou dérangeantes.

En l’espèce, le plan média de la campagne de l’association de lutte contre le tabagisme, démontre que l’annonceur a pris un soin tout particulier de ne viser qu’une partie restreinte et très ciblée du public qui ne peut être qualifié de jeune public au sens de la jurisprudence puisque ne sont visés que :

  • les jeunes adultes fréquentant les bars, café et boîtes de nuit : lieux dont l’entrée est réglementée et inaccessible aux enfants non accompagnés ;
  • le lectorat avisé des revues.

De surcroît, le support de diffusion par cartes postales est un média non-intrusif dans la mesure où il n’est pas d’accès immédiat au public et ne s’offre pas non plus à la vue du public sans une action de ce dernier : les cartes ne sont pas remises en main propre, elles doivent être prises sur un présentoir. L’accès aux visuels de l’association de lutte contre le tabagisme par une grande partie du public n’est donc en aucun cas le fait de l’annonceur, mais bien des médias qui ont commenté cette campagne. Le JDP ne pourra pas condamner l’annonceur du fait de cette surexposition médiatique que l’association de lutte contre le tabagisme a précisément voulu éviter en sélectionnant un plan média confidentiel.

L’agence relève encore que le JDP prend également en considération l’évolution des mœurs et de l’imagerie à laquelle le public visé est confronté dans son univers habituel (Internet, jeux vidéos, télévision…). La prise en compte de « l’évolution sociale » est évoquée également dans la décision antérieure n°19/09 du JDP en date du 16/07/2009 tout comme le droit à l’interprétation.

En l’espèce, l’acte sexuel n’est pas suffisamment explicite et n’utilise pas de codes (comme des personnages de dessins animés) destinés à la jeunesse de sorte que la référence à la fellation ne peut être comprise que par de jeunes adultes ou adolescents. Le jeune public et les enfants ne peuvent percevoir d’emblée l’image, sauf à ce que ces derniers aient été exposés auparavant à d’autres visuels explicites et réalistes leur permettant d’y faire référence, mais alors force est de constater dans ce cas que cet état de fait ne relèverait pas de la responsabilité de l’agence mais d’un défaut de vigilance parentale.

Si le Jury ne transposait pas sa jurisprudence à la campagne de l’association de lutte contre le tabagisme, il effectuerait alors une gradation, un classement, entre les différentes causes de santé publique : la prévention de l’alcool au volant ou la lutte contre le SIDA bénéficieraient donc d’un recours plus large à des messages chocs et seraient ainsi considérés comme des fléaux plus graves que le tabagisme des jeunes alors même qu’il constitue une des principales causes de mortalité chez les jeunes.

Enfin, la campagne anti-tabac de l’association de lutte contre le tabagisme se situe dans la continuité de la lutte anti-tabac nationale et européenne.

Après l’interdiction générale de fumer dans les lieux publics, les messages sur les paquets de cigarettes, les différentes campagnes anti-tabac de ces dernières années, la campagne de l’association relaie cette lutte sans que les visuels créés par l’agence de communication ne détonent par rapport à la radicalisation du message transmis. Il faut noter que les campagnes anti-tabac moralisatrices n’ont eu qu’un effet très atténué chez les jeunes. Les adolescents se montrent en effet imperméables aux discours tièdes et consensuels. Cette inertie nécessite le recours à des campagnes plus radicales et à des codes (notamment sexuels) ayant plus de retentissement chez cette catégorie de la population.

La société de diffusion par cartes postales reprend les arguments de l’agence de communication.

L’association de lutte contre le tabagisme précise en préambule qu’elle intervient quotidiennement depuis plus de 36 ans pour défendre les victimes du tabagisme. Son action consiste à sensibiliser aux dangers du tabagisme,  à agir sur la prise de conscience des risques du tabagisme, à assurer le droit des non-fumeurs à respirer un air sain et à informer sur les mesures anti-tabac. Elle rappelle qu’elle a une mission d’utilité publique en France métropolitaine, en France d’Outremer, dans l’Union européenne et à l’International dans le cadre de son partenariat avec l’organisme mondial pour la santé pour la mise en application de la convention cadre de lutte anti-tabac.

Elle indique que sa campagne de publicité « fumer, c’est être l’esclave du tabac » a lancé un débat sur le tabagisme des jeunes et a suscité de nombreuses réactions polémiques quant à la métaphore employée. Ce débat est une victoire pour tous ceux qui pensent qu’il est urgent de se donner les moyens appropriés pour combattre ce fléau. Le mode de diffusion initialement choisi pour ces visuels était très sélectif et très limité, essentiellement circonscrit aux lieux de sorties des jeunes.

Elle ajoute que cette campagne n’a notamment jamais été destinée à faire l’objet d’un plan de diffusion massif auprès du grand public. C’est le bruit médiatique et la reprise de ces visuels par l’ensemble des médias nationaux qui l’ont exposée à un public aussi large. Sa visibilité doit beaucoup à ceux qui en ont fait un sujet de polémique.

Pour ne plus alimenter cette polémique, et parce que la campagne n’a plus besoin d’être exposée davantage, l’association de lutte contre le tabagisme et son agence confirment que la diffusion des visuels de la campagne sera limitée aux actions très ponctuelles déjà réalisées ou lancées.

Elle précise qu’elle poursuivra son action par ce qui constitue le cœur de la campagne, à savoir un film TV/cinéma.

4.Les motifs de la décision du Jury

Sur la recevabilité des plaintes

En premier lieu, selon l’article 11 du règlement du Jury, « Le jury peut être saisi d’une plainte par toute personne physique ou morale  …Une plainte pour être prise en compte doit être clairement motivée… » . Par suite, la seule circonstance que certaines des plaintes ne soient pas clairement motivées n’est pas de nature à faire obstacle à l’examen par le Jury de la campagne de l’association de lutte contre le tabagisme, dès lors que d’autres le sont.

En second lieu, le fait qu’une publicité à diffusion restreinte fasse l’objet d’une importante exploitation médiatique qui accroît son audience au-delà de ce que prévoyait le plan média, fait partie des éléments qui doivent normalement être pris en considération au moment de l’élaboration de ce plan média et ne saurait conduire à rejeter les plaintes des personnes qui ont pris connaissance de ces publicités par la relation qu’en ont faite les médias  dès lors qu’il n’est pas contesté que les cartes postales en cause sont des documents publicitaires et ont fait l’objet d’une  diffusion auprès d’un public de jeunes .

Au demeurant, l’agence de communication a adressé, le lundi 22 février, un communiqué de presse annonçant le lancement d’une « campagne choc auprès des jeunes » pour l’association de lutte contre le tabagisme, qui, elle-même, dans un communiqué de presse du 24 février, a relevé que « la campagne a suscité de nombreuses réactions polémiques quant à la métaphore employée. Ce débat est une victoire pour ceux qui pensent qu’il est urgent de se donner les moyens appropriés pour combattre ce fléau…Sa visibilité doit beaucoup à ceux qui en ont fait un sujet de polémique ».

Sur le bien fondé des plaintes

Les règles déontologiques de l’ARPP, notamment la Recommandation Image de la personne humaine disposent dans ses points 1.1, 1.3, 3.1 et 3.2 que:

« La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. »,

« D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite,  est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. »,

« La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes. »

et « Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue. »

Le Jury relève que la campagne publicitaire en cause émane d’une association sans but lucratif et qu’elle est diffusée dans le cadre d’une campagne qui a pour objet la défense de la santé publique et concerne un fléau particulièrement grave, le tabagisme, notamment en ce qu’il concerne les jeunes.

Il relève également que le mode de diffusion initialement retenu pour cette campagne, à savoir la distribution dans les bars et les discothèques, visait un public bien déterminé, celui des jeunes de plus de 16 ans qui est précisément la cible que cette campagne cherchait à atteindre. Il note enfin que les cartes en cause qui comportaient au recto des images qui ont choqué une partie du public, délivraient également au verso, il est vrai en toutes petites lettres, un message attirant l’attention sur les dangers graves entraînés par l’accoutumance au tabac.

Toutefois, s’il est admis que de telles campagnes peuvent être soumises à une appréciation plus tolérante quant aux représentations, aux slogans ou aux images qu’elles utilisent pour attirer l’attention sur de graves problèmes sociétaux ou de santé publique, elles ne sont pas pour autant exemptées du respect des règles fondamentales de l’éthique publicitaire, notamment, de celles qui leur imposent de respecter le public .

Ainsi que l’a relevé le Conseil de l’éthique publicitaire dans son avis relatif aux campagnes d’opinion et de publicité non commerciale : « Le problème éthique soulevé par cette catégorie de publicité non commerciale est celui de la proportionnalité entre les moyens utilisés…et la finalité d’intérêt général poursuivie ».

Le respect de ces règles implique que les moyens employés par la campagne publicitaire servent la cohérence et la pertinence du message délivré au regard de la fin recherchée.

En l’espèce, le Jury observe que, bien que l’agence le conteste [p.3], le visuel des deux cartes qui présente un adolescent agenouillé devant un homme visiblement plus âgé que lui, et qui appuie sa main sur sa tête, mettent implicitement, mais clairement, en scène un acte imposé, ce qui est d’ailleurs parfaitement en concordance avec la référence à l’esclavage utilisée dans le slogan.

En illustrant les méfaits de l’addiction au tabac par l’évocation d’une scène de relation sexuelle imposée, qui est un crime, la campagne de l’association de lutte contre le tabagisme mêle deux registres distincts qui font appel à des ressorts émotionnels différents sans qu’existe entre les situations évoquées une quelconque relation d’évidence ou de nécessité et au risque de banaliser l’une et l’autre.

Par suite, et quelque louable que soit la fin poursuivie par ses auteurs, cette campagne présente un caractère ambigu qui nuit à sa lisibilité et à sa cohérence.

Elle apparaît donc comme inutilement choquante et contrevient en conséquence aux règles de la Recommandation Image de la personne humaine rappelées ci-dessus.

5.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées.

– La campagne de l’association de lutte contre le tabagisme réalisée par l’agence de communication et la société de diffusion sur cartes postales  décrite ci-dessus contrevient aux points 1.1, 1.3 ,3.1 et 3.2 de la Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP.

– La décision du Jury sera communiquée aux plaignants, à l’association de lutte contre le tabagisme, à l’agence de communication et à la société de diffusion; elle sera diffusée sur le site internet du JDP.

– Il est demandé au Directeur Général de l’ARPP, d’une part, de faire en sorte que cette campagne, qui a pris fin, ne soit pas renouvelée, d’autre part, de publier un communiqué de presse faisant connaître la teneur de la présente décision

Délibéré le vendredi 12 Mars 2009 par Mme Hagelsteen, Présidente, et Ms Benhaïm, Lacan, Leers et Raffin.