Avis publié le 5 octobre 2017
Plaintes fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu les représentantes des associations « Les Chiennes de garde » et « Brigade antisexiste »,
- et, après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. Les plaintes
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, d’une part, entre les 29 juin et 1er juillet 2017, de onze plaintes émanant de particuliers, d’autre part, de deux plaintes du 30 juin 2017 des associations Les Chiennes de garde et La Brigade antisexiste, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une vidéo publicitaire diffusée sur la page Facebook et sur le site internet de l’annonceur, pour promouvoir un jacuzzi gonflable.
Ce film met en scène l’animateur de télévision Benjamin Castaldi et Mme Loana Petrucciani, connue sous le pseudonyme de Loana, candidate de l’émission de télé-réalité « Loft story », diffusée au début des années 2000, s’apprêtant à tourner un film publicitaire pour promouvoir un jacuzzi gonflable disposé dans un jardin. Benjamin Castaldi, jouant le rôle du réalisateur, explique à Loana qu’il a pensé à elle, en « clin d’œil » précisément à l’émission « Loft Story » et l’invite à entrer dans le jacuzzi. Dès qu’elle met son pied dans l’eau, elle se transforme en jeune femme blonde platine en maillot de bain rouge, beaucoup plus jeune et plus mince. L’effet cesse sitôt qu’elle ressort son pied du jacuzzi. Etonné, l’animateur lui fait recommencer la scène deux fois, avant de sortir du champ de la caméra en s’écriant « Chérie, on va chez X ! ».
2. Les arguments échangés
– Les plaignants particuliers considèrent que cette publicité véhicule une image humiliante et dégradante de la femme et qu’elle est sexiste. Certains plaignants ajoutent que cette mise en scène présente un caractère humiliant pour les personnes en surpoids et est, à ce titre, de nature à choquer les femmes qui seraient dans la même situation. Il est aussi relevé que la représentation de la femme donnée par cette publicité, en transformant Loana en « super canon bimbo » prenant des poses sexualisées, est également sexiste, de même que le fait de faire apparaître une jeune femme pour vendre un jacuzzi et de sous-entendre que Loana était plus belle lorsqu’elle était plus mince.
– L’association Les Chiennes de Garde indique que cette publicité est sexiste, « grossophobe », dégradante pour l’image de Loana et des femmes qu’elle représenterait.
– L’association La Brigade antisexiste considère que cette campagne porte atteinte à la dignité de la femme. Elle fait comprendre à Loana que son physique actuel et son poids ne correspondent pas à ce que devrait être la beauté, reflétant ainsi les injonctions que la société martèle aux femmes. Cette publicité est sexiste et « grossophobe ». Elle participe à dégrader l’image de Loana et des femmes en général qui ne répondent pas aux critères de beauté établis. L’association demande le retrait de cette publicité.
– La société annonceur a été informée des plaintes, dont copies lui ont été transmises, et des dispositions dont la violation est invoquée, par courrier recommandé avec avis de réception du 10 juillet 2017.
Elle explique que la métamorphose de Loana en naïade, sous les traits d’un sosie de Pamela Anderson, personnage central de la série culte « Alerte à Malibu » traitée de façon onirique, est répétée plusieurs fois pour produire un effet comique quant au côté « bain de jouvence » procuré par le spa. On peut y voir aussi, pour ceux qui feraient le lien avec l’épisode de la piscine de l’émission Loft Story, et avec un brin de malice, un regain de libido que procurerait le spa pour ses utilisateurs.
Elle fait valoir, s’agissant des allégations sur le caractère « grossophobe » de la publicité, que celle-ci ne comporte aucun propos formellement malveillant ou dénigrant à l’égard des personnes en surpoids, que Loana, bien que ronde, n’est pas caricaturale de l’obésité. D’ailleurs, elle assume son poids, s’amuse même pleinement de son changement d’apparence et fait valoir l’autodérision à laquelle elle s’est volontairement prêtée (cf. sa déclaration sur Twitter). Enfin, en jouant son propre rôle, elle ne représente qu’elle-même et, contrairement à ce qui est dénoncé, il ne s’infère de son image aucune discrimination vis-à-vis des femmes en surpoids. L’appréciation aurait pu être différente si à la place de Loana avait été choisi une personne obèse mais anonyme, dont le surpoids aurait alors été le seul ressort du sketch.
Elle rappelle que la représentation opposant une femme ronde à une femme plus mince n’a pas été considérée comme contraire à la Recommandation « Image et respect de la personne » par le Jury, en raison de l’approche humoristique non-fondée sur la stigmatisation des personnes en surpoids dans un avis publié le 20 avril 2016, Centre 16, n° 408/16. Elle estime que, de la même manière, sa publicité n’est en rien stigmatisante de ces personnes. Le rajeunissement éclair permis par le spa et la métamorphose physique qui en découlent se situent dans un registre auto-parodique et de second degré.
La société annonceur ajoute que cette publicité ne porte pas atteinte à la dignité et à la décence, dès lors qu’elle ne comprend aucune nudité, les deux personnages féminins revêtant des tenues qui ne dévoilent pas de manière provocante une partie de leur corps, n’adoptant aucune position ou attitude à connotation sexuelle renvoyant à une représentation dégradante ou humiliante. Certes, on peut voir dans la mimique de la jeune femme une attitude aguicheuse mais qui reste dans un registre « plus kitsch que trash » et certainement pas indécent. Quant au sous-entendu « coquin » à la scène de la piscine de Loft Story, il n’a pas été perçu de prime abord par une large partie du public et relève plus de l’allusion grivoise qu’autre chose.
La société relève ensuite que, selon les plaintes, cette publicité véhiculerait également une image de la femme-objet et serait sexiste. L’utilisation de l’image de la femme-objet dans la publicité est dénoncée lorsqu’aucun rapport ne peut être fait entre la présence d’une femme dévêtue, renvoyant une image sexy ou de femme fatale et le produit objet de la publicité. Or, les deux femmes qui apparaissent dans la publicité sont habillées dans des tenues légères mais qui ne sont pas choquantes ou renvoyant une image d’objet de désir. De plus, le spa reste au
centre de la publicité et la transformation qu’il entraîne sur Loana permet simplement de provoquer une réminiscence, dans l’esprit du public, de l’époque de cette téléréalité, que l’on retrouve aussi dans les dialogues. Concernant le grief du sexisme, cette publicité met en scène une femme pouvant profiter d’un spa, équipement de confort et de détente dont l’usage n’a aucune connotation sexiste, y compris dans la mise en scène qui en est faite.
La société souligne enfin qu’aucune Recommandation de I’ARPP n’interdit le mauvais goût ni la fatuité des annonces publicitaires et commerciales. Si d’aucuns considèrent cette publicité comme telle, les réactions véhémentes qu’elle a entraînées n’étaient pas à ce point prévisibles pour elle, s’agissant d’une publicité en forme de clin d’œil aux années 2000 (Loft story, Alerte à Malibu), à prendre au second degré. D’ailleurs, comme l’a précisé Loana elle-même, il s’agit simplement d’autodérision. Toute la mise en scène, y compris l’interprétation assez médiocre des acteurs, amène à regarder la publicité avec, justement, une certaine distance.
Elle rappelle enfin que le Jury de déontologie publicitaire a déjà eu l’occasion d’apprécier la limite entre l’atteinte à l’image de la personne humaine et le message exploitant l’humour, dans un avis publié le 22 septembre 2009, aff. 22/09). L’annonceur ne doute pas que, même si le côté potache de cette publicité n’est pas du goût de tous, il saura considérer que cette limite n’a pas été dépassée par l’annonceur.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :
« 1. Dignité, décence
1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.
1.3 D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine ».
« 2. Stéréotypes
2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.
2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.
2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».
En outre, les dispositions du point 1-6, a) de la Recommandation « Comportements alimentaires », dans sa partie valeurs sociales, qui s’inspirent de la charte sur l’image du corps du 9 avril 2008 signée par les professionnels des médias et de la communication sous l’égide du ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, prévoient que :
« La publicité doit éviter toute forme de stigmatisation des personnes en raison de leur taille, de leur corpulence ou de leur maigreur ».
Le Jury relève que la vidéo publicitaire en cause met en scène l’animateur de télévision Benjamin Castaldi, dans le rôle d’un réalisateur de film publicitaire, qui s’émerveille de la transformation de Loana, ancienne candidate de l’émission de télé-réalité « Loft story », dont les problèmes de poids sont connus du grand public, en jeune femme blonde et mince, dont le maillot rouge rappelle celui des héroïnes de la série télévisée « Alerte à Malibu», dès qu’elle pose un pied dans le jacuzzi, objet de la promotion. Son émerveillement est tel qu’il appelle sa femme en indiquant vouloir aller chez l’annonceur.
Cette publicité, qui repose entièrement sur la transformation de Loana en jeune femme sexy, véhicule l’idée qu’une femme ronde doit, pour plaire, transformer son corps. Ce faisant, elle stigmatise les femmes rondes ou en surpoids et véhicule, par ailleurs, une image sexiste, les mêmes exigences n’étant pas imposées au personnage masculin de la scénette. Il importe peu sur ce point que l’actrice de la publicité n’entre pas dans les caractéristiques de l’obésité et qu’aucun propos directement discriminant ou ouvertement désagréable ne soit énoncé.
La circonstance que Loana ait indiqué avoir sciemment voulu se prêter à l’autodérision et ne représenter qu’elle-même, ne peut être prise en compte dans l’appréciation portée par le Jury, car s’agissant du respect de la déontologie, seule importe la façon dont la publicité apparaît au public, sans que l’intention des auteurs de la publicité ou des acteurs puisse influer sur l’analyse menée au regard des principes déontologiques.
En outre, cette vidéo publicitaire en stigmatisant ainsi les personnes en surpoids comme ne correspondant pas aux canons de la séduction et en valorisant, au contraire, un personnage minaudant par des attitudes à connotation érotique renvoie au stéréotype de la femme objet sexuel, portant ainsi atteinte à sa dignité. Il importe peu à ce sujet que les actrices soient habillées de maillots de bain, les postures adoptées par le personnage « jeune » étant suffisamment évocatrices, sans qu’il soit nécessaire qu’elles atteignent ce que l’annonceur désigne sous le terme de « trash ».
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que, sans que soit en cause la question du bon ou du mauvais goût, ce qu’il ne lui appartient pas d’apprécier, la publicité en cause méconnaît les points 2-1 et 2-3, ainsi que 4-1 de la Recommandation Image de la personne de l’ARPP, de même que le point 1-6, a) de la Recommandation Comportements alimentaires.
Avis adopté le 8 septembre 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.