Avis JDP n°297/14 – FOURNITURES  DE MATÉRIELS D’ENERGIE – Plainte fondée

Décision publiée le 02.04.2014
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants des sociétés annonceur et plaignante, et le directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP),

– et, après en avoir délibéré hors la présence des parties et de l’ARPP,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 13 décembre 2013, d’une plainte d’une société concurrente, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en télévision en faveur d’une marque de piles.

La publicité mise en cause présente, sous forme de dessin animé, le lapin, personnage récurrent de la marque, et un petit garçon faisant fonctionner leur hélicoptère télécommandé respectif. L’hélicoptère du garçon ralentit et tombe, contrairement à celui du lapin. Ce dernier récupère alors la pile de sa télécommande, constate qu’elle est encore chargée, l’insère dans un ventilateur et profite avec le garçon de l’air ainsi brassé.

La voix accompagnant ces images énonce notamment : « la nouvelle pile X (…) elle ne dure pas seulement plus longtemps que les autres piles (…) aucune pile ne dure aussi longtemps ».

2.Les arguments des parties

La société plaignante fait valoir que, depuis octobre 2013 et encore au jour de sa plainte, la société concurrente fait la promotion pour le marché français d’un nouveau produit, par la diffusion d’un spot TV sur les chaînes nationales en France métropolitaine.

Le spot TV litigieux allègue notamment qu’aucune autre pile ne dure aussi longtemps et indique par un renvoi rectificatif fugace que cette allégation porte sur les piles de format AA LR6 et pour tout usage, sans autre précision.

La plaignante précise que selon les normes internationales de la Commission Electrotechnique Internationale le terme LR6 signifie techniquement une « pile bâton de type R6 au zinc-hydroxyde de potassium et dioxyde de managèse », plus communément dénommées « piles alcalines ». Le terme AA en est l’équivalent américain.

Cette notion, bien que couramment utilisée par les professionnels, n’est pas aisément compréhensible par le consommateur moyen. De plus, de même taille et de même aspect, les piles alcalines et les piles au lithium sont très similaires et peuvent être utilisées indifféremment dans les mêmes appareils. Dès lors, la seule représentation graphique d’une pile LR6 ne permet pas de distinguer immédiatement et facilement une pile alcaline d’une pile au lithium.

Elle estime que compte tenu de ces ressemblances, à défaut de précision, les consommateurs ne peuvent pas faire par eux-mêmes la différence et sont amenés à penser que ces produits sont parfaitement équivalents, alors que tel n’est pas le cas, les piles lithium étant plus adaptées à certaines utilisations et durant généralement beaucoup plus longtemps que les piles alcalines. Elle fait valoir qu’il ressort d’un ensemble de tests réalisés par elle en août 2013 sur différentes gammes de piles (alcalines et lithium), dont les piles alcalines de sa marque et les piles lithium de sa marque, que ce sont ces dernières qui durent en moyenne plus longtemps et pour quasiment tous les appareils et que les piles AA LR6 alcalines durent quant à elle aussi longtemps que les piles concurrentes pour plusieurs appareils.

La plaignante ajoute que le renvoi rectificatif mentionnant « en moyenne » et les « piles de format AA LR6 » est trop rapide et insuffisamment explicite pour le grand public, et qu’elle ne lève donc pas l’ambiguïté. Selon elle, la position dominante de l’annonceur sur ce marché lui impose une obligation particulière d’intelligibilité, à laquelle l’ajout de la mention « Alcaline » ne suffirait pas à satisfaire.

Enfin, elle fait valoir qu’il ne fait aucun doute qu’elle peut être aisément identifiée comme distributeur important de piles LR6 sur le marché français. La publicité mise en cause abuse d’une rhétorique comparative.

La société plaignante considère donc que les allégations « elle ne dure pas seulement plus longtemps que les autres piles » et « aucune pile ne dure aussi longtemps » ne sont conformes ni aux dispositions de la directive 2006/114/CE du 12 décembre 2006 et du code de la consommation en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, ni  aux règles déontologiques résultant des articles 1 et 11 du Code de la Chambre de Commerce Internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale.

La société annonceur  oppose que, dans sa version critiquée par la société plaignante, le film litigieux a cessé d’être diffusé dès le 5 novembre 2013, soit un mois avant le dépôt de la plainte, sans que la société plaignante ait introduit une autre plainte contre la nouvelle version, qui précise dans la mention rectificative qu’il s’agit d’une comparaison entre piles alcalines, afin de lever toute ambiguïté.

Elle indique en outre que la démarche de la société plaignante constitue une forme d’extension du champ de compétence du Jury de déontologie publicitaire, qui n’est pas outillé pour se prononcer sur des sujets d’une grande technicité relevant normalement des juridictions nationales.

La société annonceur soutient que le renvoi auquel il est procédé, en caractères clairement lisibles et pendant une durée suffisamment longue et, au demeurant, supérieure à celle de publicités de la société plaignante, permet au consommateur de comprendre que la comparaison est limitée aux piles LR6, c’est-à-dire alcalines. La publicité ne saurait d’ailleurs entretenir la moindre ambiguïté sur les termes de comparaison, alors que les piles lithium ne représentent que 0,1 % du marché en France.

L’annonceur fait observer qu’en outre, il est précisé que l’évaluation des performances s’entend « en moyenne sur tous les appareils », alors que les performances des piles varient fortement d’un appareil à l’autre. Elle ajoute qu’elle dispose de tests démontrant que les performances globales des piles sont en moyenne supérieures à celle des autres piles alcalines du marché et que la société plaignante ne rapporte  pas la preuve du caractère trompeur du message, même au vu des utilisations qui seraient selon elle en sa faveur.

La société annonceur rappelle en outre que la réglementation française sur la publicité trompeuse doit aujourd’hui tenir compte des règles de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales. Il en résulte notamment qu’une publicité ne peut être trompeuse que si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et cumulativement susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique des consommateurs. Dans la mesure où cette directive interdit aux Etats membres d’adopter des règles plus strictes, les règles déontologiques ne peuvent elles-mêmes être interprétées dans un sens plus restrictif que la directive.

Selon elle, il est manifeste que cette publicité, d’une relative banalité, est très habituelle pour les consommateurs et respecte les exigences de la diligence professionnelle. Elle n’est en aucun cas susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique des consommateurs, compte tenu notamment de la portion infime des piles au lithium présentes sur le marché français.

Enfin, elle soutient que la publicité mise en cause ne présente aucun caractère comparatif, dès lors que la société plaignante n’est nullement visée.

La régie publicitaire des chaînes de télévision publique expose qu’elle n’a pas diffusé de campagne en faveur de ce produit depuis 2011. En conséquence, elle n’est pas concernée par cette plainte.

Le SNPTV indique que le film a été diffusé dans la mesure où il a reçu un avis favorable de l’ARPP, sans commentaire.

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) explique qu’elle est intervenue dans le cadre d’un premier conseil préalable délivré à l’agence, en septembre 2013. Elle a alerté son adhérent sur le fait que l’annonceur devait être en mesure de justifier les affirmations selon lesquelles « les nouvelles piles X ne durent pas seulement plus longtemps que les autres piles » et que « aucune pile ne dure aussi longtemps ».

De façon générale, l’ARPP affirme être particulièrement vigilante au respect des dispositions relatives à la loyauté et la véracité en publicité. Elle n’est cependant pas qualifiée pour se prononcer sur les caractéristiques techniques d’un produit, la responsabilité de ce type de positionnement relevant de la seule compétence de l’annonceur en fonction des éléments objectifs dont il dispose.

Lors de l’examen du spot, qui a été soumis pour avis définitif avant diffusion, il a été constaté que la présentation de l’information rectificative apportée, à savoir « pour le  format AA LR6 en moyenne sur tous les appareils » était conforme aux dispositions de la Recommandation « Mentions et renvois ».

Dès lors, ce film publicitaire, a pu être validé sans restriction, en septembre 2013, tout comme la version suivante en novembre 2013 comportant une surimpression modifiée « pour le format AA LR6 alcaline en moyenne sur tous les appareils ».

3.Les motifs de la décision du Jury

Le champ de compétence du Jury

Le Jury rappelle à titre liminaire qu’en vertu de l’article 3 de son règlement intérieur, il n’est compétent que pour connaître des questions relatives au non-respect des règles de déontologie publicitaire, et statue exclusivement sur la conformité, ou la non-conformité, des messages publicitaires contestés avec les règles professionnelles publiées par l’ARPP, les principes généraux contenus dans le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, ainsi que les engagements publiés, pris par l’interprofession, à l’égard des pouvoirs publics en ce qui concerne le contenu de la publicité et dont l’ARPP est cosignataire.

Il en résulte que, hors le cas où une règle déontologique y renvoie expressément, le Jury n’a pas, en principe, à examiner la conformité des publicités dont il est saisi aux dispositions législatives et réglementaires ou au droit de l’Union européenne. Un tel examen relève de la seule compétence des juridictions, auxquelles il ne saurait se substituer, ses décisions ne présentant d’ailleurs elles-mêmes aucun caractère juridictionnel.

L’invocation des règles européennes ou nationales relatives à la publicité mensongère ou à la publicité comparative par la société plaignante est donc inopérante. En revanche, le Jury est pleinement compétent pour apprécier le respect, par la publicité litigieuse, des principes de loyauté et de véracité résultant du code ICC et de la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP, invoqués par la société plaignante.

Les règles applicables

Selon l’article 1er du code ICC, toute communication commerciale doit être « loyale et véridique ». L’article 5 du même code précise que « la communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse. / [Elle] ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui concerne : / – des caractéristiques du produit qui sont essentielles, ou en d’autres termes, de nature à influencer le choix du consommateur, telles que (…) l’efficacité et les performances (…) ».

En vertu de l’article 11 du même code, « la communication commerciale contenant une comparaison doit être conçue de telle sorte que la comparaison ne soit pas de nature à induire en erreur le consommateur et elle doit respecter les principes de la concurrence loyale. Les éléments de comparaison doivent s’appuyer sur des faits objectivement vérifiables et qui doivent être choisis loyalement. »

En outre, la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP dispose en son point 1 que « les mentions rectificatives et informatives doivent être lisibles dans des conditions normales de lecture » et que, à cette fin, les mentions doivent figurer à l’horizontale et utiliser des caractères d’une taille suffisante,  normalement espacés, d’une police permettant une lecture aisée, d’une couleur qui contraste par rapport à celle utilisée pour le fond de la publicité.

Selon le point 2.1. de la même Recommandation, propre à la publicité télévisée : « Pour les mentions qui apparaissent en surimpression de manière fixe à l’écran ou au sein d’un texte défilant (qu’un bandeau soit ou non matérialisé), la durée d’exposition ou la vitesse de déroulement du texte doit permettre au consommateur de lire l’intégralité des informations sans attendre une nouvelle diffusion du message publicitaire. »

Enfin, en vertu du point 3 de cette Recommandation, « La clarté d’une publicité impose que les mentions soient intelligibles. / L’intelligibilité des mentions suppose, notamment, une formulation permettant d’en appréhender le sens sans difficulté et de manière non erronée. »

Application

Le Jury relève que la publicité litigieuse allègue que la durée de vie des piles promues est supérieure à celle des autres piles. Le renvoi rectificatif précise toutefois que cette comparaison ne vaut que « pour le format AA LR6 » et « en moyenne sur tous les appareils ».

Ce renvoi, dont la taille et la présentation en assurent une lisibilité suffisante, est visible pendant 7 secondes, en deux séquences de 3 puis 4 secondes, et peut, compte tenu de la brièveté de son contenu, être lu intégralement par le consommateur. Il ne méconnaît donc pas les prescriptions des points 1 et 2.1 de la Recommandation « Mentions et renvois ».

Le Jury constate que, selon les indications des sociétés annonceur et plaignante, le code « LR6 » issu des normes de la Commission électrotechnique internationale, qui trouverait son équivalent américain dans le code « AA », renvoie aux seules piles alcalines. La mention rectificative litigieuse permettrait ainsi, selon la société annonceur, de comprendre que la supériorité alléguée des piles en termes de durée de vie ne vaut qu’à l’égard des piles alcalines, et non des piles au lithium. Le Jury estime toutefois, d’une part, qu’un consommateur moyen n’est pas à même de comprendre directement la signification de ces termes techniques. D’autre part, la référence faite par le spot litigieux au « format » AA LR6 laisse entendre que ce code se référerait en l’occurrence non à la composition de la pile (alcaline ou lithium), mais à sa taille. Il ressort à cet égard des sites Internet de fabricants de pile, dont ceux concernés, que ceux-ci commercialisent des piles au lithium comportant la mention « AA », en référence au format de la pile. De même, le tableau de tests joint à la plainte compare, sous l’intitulé commun « LR6 », les performances de piles alcalines et lithium.

Compte tenu de l’importance que revêt, dans le choix du consommateur, le critère de la durée de vie des piles, et de la différence qui existe à cet égard dans les performances moyennes respectives des piles alcalines et des piles au lithium, au profit de ces dernières, le Jury considère que la publicité mise en cause est de nature à introduire une ambiguïté dans l’esprit d’un consommateur moyen sur ces performances. A cet égard, il précise que la circonstance que les piles au lithium ne représentent à ce jour qu’une part très limitée du marché français ne saurait justifier qu’un annonceur qui entend promouvoir les piles alcalines minore indûment, ne serait-ce qu’indirectement, les performances des piles au lithium.

Dans ces conditions, le Jury considère que la publicité litigieuse méconnaît les articles 5 et 11 du code ICC, ainsi que l’article 3 de la Recommandation de l’ARPP « Mentions et Renvois ».

Il prend note, toutefois, de ce que l’annonceur a modifié sa publicité dès le 15 novembre 2013 afin de lever toute ambiguïté, en précisant que la comparaison à laquelle elle procède ne porte que sur les piles « alcalines » et que, depuis lors, cette publicité satisfait aux exigences des dispositions précitées.

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– La publicité en cause, dans sa version antérieure au 15 novembre 2013, méconnaît les dispositions des articles 5 et 11 du code ICC et de l’article 3 de la Recommandation de l’ARPP « Mentions et Renvois » ;

– La décision sera communiquée aux sociétés annonceur, plaignante et aux chaînes de télévision ;

– Elle sera publiée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 14 mars 2014, par M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, et MM. Benhaïm et Depincé.