Avis JDP n°272/13 – AUTOMOBILE – Plainte fondée

Décision publiée le 18.09.2013
Plainte fondée                           

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des transports, de l’annonceur et de l’agence de communication,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi d’une plainte de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des transports (FNAUT), en date du 15 juillet 2013, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une bannière publicitaire diffusée sur le site internet d’un constructeur automobile, en faveur de son modèle de moto.

Cette publicité montre le véhicule circulant sur une voie bordée d’une rambarde de sécurité, cette image étant accompagnée du texte « Jeunes faites du BRUIT », le mot bruit semblant sortir d’un porte-voix.

2.Les arguments des parties

L’association plaignante indique que la publicité en question a été mise en ligne sur le site internet de la société dans la catégorie « Motocycles » et que l’utilisateur doit cliquer sur ce message qui s’affiche, avant de pouvoir accéder aux informations concernant le produit commercialisé, une motocyclette moyenne cylindrée.

Elle fait valoir que selon diverses enquêtes d’opinion, les français attribuent une valeur importante et croissante au droit à la tranquillité sonore dans leur cadre de vie et que la lutte contre le bruit est aussi une préoccupation importante pour les pouvoirs publics.

Elle rappelle que les principes déontologiques de l’ARPP comprennent celui selon lequel la publicité ne peut « inciter à reproduire des comportements nocifs » et, selon elle, le message diffusé incite les motards à « faire du bruit », c’est-à-dire à reproduire un type de comportement dont se plaint fréquemment la population. Elle cite à ce sujet un sondage de la TNS SOFRES de 2010, selon lequel il apparaît qu’aux yeux des français, les deux roues à moteur constituent la première source de gêne parmi les bruits liés aux comportements.

Elle ajoute que le message incite aussi les personnes à adopter un comportement contraire aux règles du code de la route, ceci en contradiction avec la Recommandation sectorielle « deux roues à moteur » de l’ARPP qui précise que la publicité « ne peut pas mettre en scène des deux roues à moteur en contravention avec les règles du code de la route, ou les impératifs de sécurité » (article 5.4). Or, rappelle-t-elle, l’article R 318-3 du code de la route dispose clairement que « les véhicules à moteur ne doivent pas émettre de bruits susceptibles de causer une gêne aux usagers de la route ou aux riverains ».

Elle fait observer que l’invitation à faire du bruit impliquerait que les motards prennent de la vitesse en conduisant leur véhicule, alors que la vitesse est une cause majeure d’accidents, souvent mortels, des jeunes conducteurs de ce type de deux roues.

L’association plaignante soutient aussi que selon la Recommandation « Développement durable », « la publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et a fortiori valoriser, des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable », et à titre d’exemple, elle ne saurait « inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessives (…). Elle ne saurait suggérer ou cautionner des agissements manifestement inconséquents ou irresponsables ».

Selon elle, la publicité litigieuse suggère très précisément des comportements irresponsables.

Elle invoque aussi la Recommandation « deux roues à moteur » qui dispose que « la publicité ne doit pas susciter chez le conducteur un comportement agressif, violent, ou portant atteinte aux autres usagers de la route » (article. 5.5).

En conclusion, la FNAUT estime que la publicité qu’elle critique cristallise de manière irresponsable un certain imaginaire du conducteur moyen, selon lequel la motocyclette est faite pour produire du bruit, sans tenir compte du problème que pose le bruit aujourd’hui pour la population, et notamment celui du fait des véhicules deux roues à moteur ; de plus, pour un conducteur de moto, « faire du bruit » implique de prendre de la vitesse, alors que les accidents de la route des 20-30 ans est alarmante.

L’annonceur fait valoir que l’accroche « Jeunes, faites du bruit » est une référence à l’expression largement utilisée dans le monde de la musique pour exprimer l’idée d’acclamer une arrivée, comme celle d’un artiste. Le message n’était donc qu’une invitation à fêter la sortie des 500cc qui sont des motocyclettes de la catégorie des petites cylindrées.

L’annonceur estime que l’interprétation de l’association  plaignante est partisane et qu’elle manque d’objectivité. Elle précise qu’elle a toujours été soucieuse de respecter la réglementation en vigueur et les principes de la sécurité routière.

La société fait également valoir que l’affirmation du plaignant selon laquelle les véhicules de sa marque pourraient émettre des bruits susceptibles de causer une gêne aux usagers de la route n’est pas fondée, puisque ses véhicules sont homologués et respectent les normes les plus exigeantes en terme d’émission de décibels, d’autant plus que le véhicule mis en avant est de petite cylindrée.

L’annonceur indique toutefois, que dans une volonté d’apaisement et pour attester de sa bonne foi, il a retiré cette campagne de son site internet.

L’agence auteur de la publicité a indiqué lors de la séance que l’expression « faites du bruit » ne doit pas s’interpréter de façon littérale mais doit s’entendre dans son sens actuel comme étant une invitation à l’acclamation de la sortie de la nouvelle moto et que ce sens est parfaitement intelligible pour le public de jeunes gens auxquels s’adresse la publicité.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation « 2 roues à moteur » précise en son article 4 que la publicité ne peut pas « mettre en scène des deux roues à moteur en contravention avec les règles du code de la route, ou les impératifs de sécurité (…) » et en son article 5 qu’elle «ne doit pas susciter chez le conducteur un comportement agressif, volent ou portant atteinte aux autres usagers de la route ».

Par ailleurs la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose en son article 9/1 que : « La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et à fortiori valoriser, des pratiques, ou idées contraires aux objectifs  du développement durable » et précise à titre d’exemple qu’elle ne doit pas « inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessives (…) » et qu’elle « ne saurait suggérer ou cautionner des agissements manifestement inconséquents ou irresponsables ».

La publicité en cause présente le modèle promu en circulation sur un espace routier bordé par une barrière de sécurité, surmonté de la phrase « Jeunes faites du bruit » en  accroche. Si, comme le soutiennent l’annonceur et son agence, cette phrase est susceptible d’être comprise dans son sens détourné d’une invitation à exprimer la joie, à acclamer, elle ne peut, néanmoins, être détachée de son sens littéral, produire du bruit.

L’accroche « Jeunes faites du bruit » est calligraphiée de façon à ce que le mot « Bruit » apparaisse de façon immédiate, prioritaire et frappante par rapport aux trois autres mots qui sont calligraphiés en caractères beaucoup plus petits et moins visibles.

Cet ensemble donne à l’accroche la portée d’une prescription d’ordre général.

Une telle invitation dans une publicité concernant une moto destinée aux plus jeunes conducteurs joue ainsi sur ce double sens de clameur festive et de bruit spécifique à l’accélération de ce type de véhicule, ce que ne saurait sérieusement contester le constructeur.

Il n’apparaît ni objectivement, ni clairement que le message de l’accroche constitue une incitation à conduire à une grande vitesse et, en tout état de cause, en dehors des accélérations admises par le code de la route. En effet, la représentation du véhicule devant une barrière de sécurité le situe sur une zone d’autoroute ou de voie rapide, où la vitesse est, dans une certaine mesure, permise.

Dès lors, il ne peut être affirmé, comme le fait l’association plaignante, que par l’invitation à « faire du bruit », la société Honda inciterait les jeunes conducteurs à une conduite imprudente, à une vitesse excessive, constitutive d’une mise en danger, voire à des comportements violents ou agressifs.

Par conséquent, la plainte en ce qu’elle invoque une incitation à la vitesse n’est pas fondée.

En revanche, il est indéniable que le bruit produit par les véhicules à moteur constitue une pollution sonore, source de désagréments et de troubles divers sur la santé des personnes, particulièrement celles vivant en zones urbaines.

Le code de la route prévoit à cet égard, ainsi que le rappelle la FNAUT, à l’article R. 318-3 que « les véhicules à moteur ne doivent pas émettre de bruits susceptibles de causer une gêne aux usagers de la route ou aux riverains ».

Si la moto représentée n’est entourée d’aucun autre véhicule ni d’aucun bâtiment, l’invitation à « faire du bruit » qui a, comme il a été dit précédemment, valeur de prescription générale, doit être regardée comme une incitation à adopter un comportement contraire à cette disposition.

La publicité en cause ne respecte donc pas les dispositions de l’article 4 de la Recommandation « deux roues à moteur », ni celles de l’article 9/1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

4.La décision du Jury

– La plainte est  fondée ;

– La publicité en cause contrevient aux dispositions des articles 4 de la Recommandation « Deux roues à moteur » et 9/1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre les mesures nécessaires au non renouvellement de cette campagne publicitaire ;

– La présente décision sera communiquée à la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des transports, à l’annonceur et à l’agence de communication;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 6 septembre 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M Lallet, Vice-Président, Mme Moggio, MM Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.