Décision publiée le 18.09.2013
Plaintes non fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu les représentants de l’agence de communication, des supports de diffusion et l’intervention de l’ARPP,
– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi de trois plaintes de particuliers, en date des 29 juin, 1er et 2 juillet 2013, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée en affichage au plan national, en faveur d’un produit alimentaire halal au poulet.
Cette publicité juxtapose une représentation du produit et la photographie d’un coq blanc.
Ce visuel est accompagné du texte « Qualité. Fierté. Halalité », souligné par un liseré bleu, blanc et rouge.
2.Les arguments des parties
Les plaignants considèrent que cette campagne est choquante par l’utilisation des couleurs du drapeau français et le détournement de la devise nationale « Liberté, égalité, fraternité ».
L’un des plaignants ajoute qu’il s’agit de propagande, de provocation et d’atteinte aux valeurs de la République, en particulier à celle de la laïcité.
L’agence de communication précise que la marque a délibérément opté pour une présentation visuelle différente de celle, « arabisante », habituellement utilisée pour la promotion de produits halals. Le choix a été fait de s’adresser aux millions de consommateurs qui se sentent tout autant français que musulmans. Il s’agit de défendre l’idée que, de même que l’islam est tout à fait compatible avec la République, le halal se concilie sans difficulté avec la tradition française.
La référence aux emblèmes nationaux se justifie également par la provenance des produits, fabriqués en France.
Elle précise que le triptyque employé, s’il rappelle celui de la devise nationale, ne vise pas à s’y substituer terme à terme. Ainsi, la fierté mise en avant, qui fait écho à la devise de la société (« Fièrement halal »), est celle de l’entreprise, qui fabrique des produits de qualité dans le respect de la certification halal, et la fierté des consommateurs visés d’appartenir tout à la fois à la société française et à la communauté musulmane.
Le terme « halalité » n’a, quant à lui, nullement vocation à remplacer celui de « fraternité ».
L’agence ajoute que cette publicité ne fait pas appel au sectarisme ou au racisme, mais s’inscrit dans une perspective d’intégration, sans aucune connotation péjorative à l’égard d’une ethnie ou d’une religion, ni emploi d’un stéréotype.
Elle ne comporte en outre aucune représentation de rite ou de textes religieux.
L’un des afficheurs estime que cette campagne n’est contraire à aucune disposition du code pénal et ne dénigre en rien les valeurs de la République, mais a au contraire pour but, grâce aux termes et aux visuel utilisés, de promouvoir un produit français et d’informer la communauté musulmane du caractère halal de ce produit.
S’il s’attendait à ce que la publicité suscite des réactions du public, il note que, hormis les plaintes adressées au Jury, il n’a reçu aucune réclamation et n’a eu à déplorer aucune dégradation d’affiches, contrairement à d’autres campagnes publicitaires portant sur des produits halals.
L’autre afficheur concerné considère que cette publicité, purement humoristique, ne contrevient à aucune règle déontologique.
L’ARPP indique avoir été saisie d’une demande de conseil avant la diffusion de la campagne par l’agence de communication. Elle n’a émis, dans ce cadre, aucune objection au regard des règles déontologiques, tout en appelant l’attention de l’agence sur les réactions qu’une telle publicité pourrait susciter au sein de l’opinion publique.
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury de déontologie publicitaire rappelle qu’en vertu de l’article 4 du code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, « La communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux ».
L’article 12 du même code interdit par ailleurs toute communication commerciale dénigrante à l’égard d’une personne ou d’une catégorie de personnes.
En outre, la Recommandation « Races, religions, ethnies » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose que :
« La publicité, sous quelque forme que ce soit, doit éviter toute forme de discrimination fondée sur les races, religions ou ethnies et doit donc respecter les règles déontologiques suivantes :…. / 1- La publicité doit éviter avec le plus grand soin de faire appel, même indirectement, au sectarisme ou au racisme./ 2- Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie. (…) ».
Le Jury relève à titre liminaire qu’aucune règle déontologique en vigueur ne prohibe l’utilisation, par une publicité commerciale, des emblèmes et symboles de la République, pour autant que cette référence n’ait pas pour effet d’entretenir la confusion dans l’esprit du public quant au caractère officiel de la publicité ou son éventuelle « certification » par une autorité administrative, ce qui n’est, à l’évidence, pas le cas ici.
Il considère toutefois qu’une communication commerciale qui serait outrageante à l’égard de ces emblèmes et symboles devrait être regardée comme dénigrante à l’égard de ceux qui s’en réclament, c’est-à-dire des personnes de nationalité française, donc contraire à l’article 12 du code ICC précité.
En l’espèce, le Jury considère que la publicité litigieuse ne présente nullement un caractère outrageant ou dénigrant. Outre que le coq, dont la représentation est en lien direct avec le produit, ne constitue pas un symbole officiel, même s’il est traditionnellement associé à la France, et que les couleurs de la République n’apparaissent que dans un fin liseré discret, sans représentation du drapeau tricolore lui-même, cette double référence, ainsi que celle qui est faite à la devise nationale, ne peut être regardée par elle-même comme un outrage ou une incitation à bafouer ou à tourner en dérision les valeurs de la République, notamment le principe de laïcité évoqué par les plaignants. Ce principe, qui ne trouve d’ailleurs application que dans le champ du service public, ne proscrit pas l’expression religieuse dans l’espace public, notamment dans la communication commerciale.
Le Jury prend note en outre des explications de l’agence selon lesquelles, loin de véhiculer l’idée que les valeurs de l’islam devraient supplanter celles de la République, cette publicité vise à mettre en évidence que la pratique de l’abattage rituel et, plus largement, du culte musulman n’est pas incompatible avec les valeurs de la République et ne fait pas obstacle à l’intégration de ceux qui le pratiquent dans la société française.
Par ailleurs, le Jury estime que cette publicité ne saurait être regardée, par le seul emploi du terme « fierté », comme faisant appel au sectarisme ou au racisme, dès lors qu’elle n’induit aucune idée de supériorité des consommateurs de produits halal ni ne dénigre les autres produits, mais se borne à promouvoir la qualité de la viande vendue et le respect des règles de certification halal.
Enfin, contrairement à ce qui est soutenu par l’une des plaintes, cette publicité ne cautionne ni n’encourage aucun comportement violent, illicite ou antisocial.
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les plaintes doivent être rejetées.
4.La décision du Jury
– Les plaintes sont rejetées ;
– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, à l’agence de communication, et aux supports de diffusion;
– Elle sera diffusée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.
Délibéré le vendredi 6 septembre 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.