Décision publiée le 16.01.2013
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 12 novembre 2012 d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un film publicitaire diffusé sur internet en faveur du service de restauration à domicile.
Ce film publicitaire met en scène une jeune femme du nom de Katsuni, qui se présente comme actrice professionnelle et indique avoir exercé dans ce cadre de nombreux métiers.
Elle est alors mise en scène dans différentes situations professionnelles : en tant que secrétaire, puis femme de ménage, et enfin médecin.
Dans la première saynète, son corsage ouvert laisse apparaître son soutien-gorge. Son supérieur hiérarchique, debout près d’elle, lui demande d’accomplir une tâche relative aux « liquidités de l’entreprise » en défaisant sa cravate. Elle accepte de mauvaise grâce avant de se lever.
Dans la deuxième saynète, elle est en tenue de « soubrette », se tenant sur un escabeau, en train d’épousseter les livres d’une bibliothèque avec un plumeau. Un homme âgé, que l’on imagine être son employeur, est assis en contrebas et lui ordonne de se pencher, ce qui lui permet de regarder ses fesses.
La troisième saynète représente l’intéressée en médecin qui s’apprête à quitter l’hôpital. Elle est toutefois retenue par une infirmière, en mini-blouse ouverte dévoilant un soutien gorge rouge et portant des escarpins à talons aiguilles rouges, qui l’alerte sur le fait qu’un patient présente une « rigidité suspecte » à l’aine.
A l’issue de ces trois saynètes, elle explique qu’en raison de ses contraintes professionnelles, elle n’a pas le temps de cuisiner et apprécie de pouvoir faire appel à la société annonceur.
2.Les arguments des parties
Le plaignant considère que cette publicité porte atteinte à l’image de la femme et à sa dignité par des attitudes, postures et situations qui la représentent de façon dégradante et humiliante. La femme y est réduite à la fonction d’objet, de faire-valoir, au service d’hommes concupiscents et dominateurs. La première saynète suggère en outre une violence morale exercée par le supérieur hiérarchique sur la femme, contrainte d’exécuter une tâche qui lui déplaît, le cas échéant à connotation sexuelle.
L’annonceur estime que la publicité litigieuse revêt manifestement un caractère parodique et humoristique, qu’elle ne suggère pas l’accomplissement d’actes sexuels et qu’elle ne porte aucune atteinte à la dignité de la femme, habillée de vêtements communs et non stéréotypés. Elle ajoute que toute relation de subordination hiérarchique ne saurait être regardée comme dégradante ou avilissante, et encore moins comme empreinte d’un sous-entendu sexuel.
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury rappelle qu’en vertu du point 1.1 de la Recommandation « Image de la personne humaine» de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité :
« La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. ».
Le point 2.1 du paragraphe relatif aux « stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux » précise que :
« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».
Selon le point 3-2 de la même Recommandation :
« Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue. ».
Le Jury constate que la plainte met uniquement en cause l’image de la femme que véhiculent les trois saynètes que comporte la publicité litigieuse. Il relève certes que ces passages, qui ne peuvent être analysés en-dehors de leur contexte, visent à décrire la charge de travail de l’actrice, connue pour sa participation à des films pornographiques, à travers les différents rôles qu’elle peut jouer dans ce cadre, et dont la publicité offre une vision caricaturale et parodique.
Pour autant, le Jury considère que, sous couvert de cette construction scénaristique décalée, la publicité exploite, dans deux des trois saynètes (secrétaire et femme de ménage), les stéréotypes de la femme soumise à son supérieur hiérarchique et contrainte de se livrer à des actes de nature sexuelle dans le cadre de son activité.
Il ne peut à cet égard être sérieusement soutenu, comme le fait la société, que la tenue de l’actrice, en particulier dans la deuxième saynète, serait « portée par de nombreuses françaises au quotidien ».
La troisième saynète (médecin) fait quant à elle apparaître une infirmière dont la tenue vestimentaire très légère et les propos revêtent une connotation sexuelle manifeste et la réduisent à la fonction d’objet.
Si ces trois passages visent à illustrer le quotidien chargé de l’actrice qui s’exprime et qui justifie qu’elle ait recours aux services de la société, ils n’entretiennent par eux-mêmes aucun rapport avec ces services.
Dans ces conditions, le Jury estime que cette publicité propage une image de la femme portant atteinte à sa dignité et à la décence et la réduisant à la fonction d’objet.
Elle présente en outre pour partie des situations de domination et d’exploitation d’une personne par une autre de manière complaisante.
Elle méconnaît ainsi les points 1.1, 2.1 et 3.2 de la Recommandation « Image de la personne humaine de l’ARPP ».
4.La décision du Jury
– La plainte est fondée ;
– La publicité en cause contrevient aux points 1.1., 2.1. et 3.2. de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP ;
– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à faire cesser la diffusion de cette publicité ;
– La présente décision sera communiquée au plaignant et à l’annonceur ;
– Elle sera diffusée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.
Délibéré le vendredi 4 janvier 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Drecq et MM Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.