Décision publiée le 14.10.2009
Plainte rejetée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu successivement l’organisme plaignant, le Comité National des Pêches
Maritimes et des Elevages Marins, et le représentant de l’annonceur,
– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi d’une plainte, le 19 juin 2009, émanant du Comité National des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CNPMEM) afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne de publicité diffusée notamment par voie d’affichage.
Les publicités en cause sont constituées de 3 visuels intitulés « Pouvez-vous imaginer un futur sans poissons ?» et montrent un homme en tenue de pêcheur s’apprêtant à attraper soit une vache avec un filet, soit un cochon avec une canne à pêche, soit encore, une poule avec une épuisette.
Les publicités visées par la plainte comportent tout ou partie des allégations suivantes : «100% des poissons X sont issus d’un approvisionnement responsable », « X a été le premier à développer, depuis 2002, un programme pour participer à la préservation du poisson pour les générations futures. Dans le cadre de cet engagement, X utilise désormais pour ses fameux bâtonnets de poisson, du Colin d’Alaska ayant répondu au référentiel environnemental de l’organisme de certification pour une pêche durable et bien gérée. Découvrez les 10 principes X pour le respect des ressources marines sur www.xxx.fr ».
Ces publicités ont fait l’objet d’une campagne diffusée par voie de presse en 2007. Cette campagne a été reprise en 2009 par affichage du 27 mai au 2 juin; seule l’affiche représentant un pêcheur capturant une vache a alors été diffusée. Les autres affiches sont présentes sur le site Internet de l’annonceur.
2.Les arguments des parties
Le Comité National des Pêches Maritimes et des Elevages Marins considère que cette campagne d’une part, porte atteinte à l’image du pêcheur et donc à l’image de la personne humaine et d’autre part, viole les principes de loyauté et de véracité établis par l’ARPP, principalement les règles déontologiques relatives à l’emploi d’arguments écologiques et au respect du développement durable.
Sur le premier point, le plaignant fait valoir que l’annonceur insinue par sa publicité que s’étant montré irresponsable, le pêcheur aurait vidé la mer et n’aurait plus comme seule ressource pour survivre, que d’attraper des vaches ou de voler des poules et des cochons avec des méthodes qui laissent aussi à penser que son coefficient intellectuel serait des plus limités et qu’à force d’avoir pêché, il ne lui reste plus que le choix de voler pour survivre, c’est à dire d’adopter des comportements illicites.
Cette campagne lui apparaît d’autant plus préjudiciable à la profession qu’elle a été lancée pendant le Grenelle de la Mer au cours duquel certaines organisations non gouvernementales ont très fortement attaqué la profession des pêcheurs.
Sur le second point, le plaignant relève en premier lieu que cette publicité fait référence à la notion de développement durable laquelle concerne l’ensemble des pratiques des entreprises dans trois domaines : environnemental, social et économique. Or, pour se prévaloir d’un comportement s’inscrivant dans une politique de développement durable, et donc pour utiliser l’emploi de ce vocable dans une campagne publicitaire, l’annonceur doit être en mesure de se justifier dans ces trois domaines.
Le CNPMEM indique que l’organisme de certification est une organisation indépendante, à but non lucratif, qui a pour mission d’utiliser son écolabel et son programme de certification des pêcheries pour contribuer à améliorer la santé des océans, en reconnaissant et en récompensant les pratiques de pêche durable et en guidant le consommateur dans ses choix. Le label ne comprend donc pas de dimension sociale.
En deuxième lieu, un principe général, énoncé en la matière, est que toute publicité doit respecter les principes généraux de véracité, d’objectivité et de loyauté.
Selon le plaignant, l’annonceur laisse entendre par son message que seul l’organisme de certification serait garant d’une situation de non surexploitation des ressources de la mer. Faire l’apologie d’un écolabel en sous entendant que sans celui-ci, point de comportement responsable, lui semble être partial et tromper les consommateurs sur les réalités du développement durable dans le domaine des pêches.
Enfin, le plaignant estime que le renvoi aux «10 principes pour un approvisionnement responsable en poisson et la promotion du respect des ressources marines » dont le principe I est que l’annonceur ne traite qu’avec des fournisseurs respectant les réglementations internationales et nationales en vigueur, sous entend que les produits vendus par d’autres marques ne seraient pas le produit d’une activité licite et contrevient à la recommandation relative à la loyauté, selon laquelle « un annonceur ne peut se prévaloir de certaines actions à titre exclusif alors que celles-ci seraient imposées à tous par la réglementation en vigueur ».
Par ailleurs, si l’annonceur considère que pour être « responsable », il convient de commercialiser des produits éco labellisés par l’organisme, alors la campagne contrevient à la règle selon laquelle : «l’ampleur de la revendication d’une action en faveur du développement durable doit être proportionnée à l’étendue des actions réellement entreprises. Si l’effort de l’annonceur ne porte que sur un produit, la publicité ne peut exprimer un engagement global». Ainsi, l’annonceur avance que «100 % de ses produits sont issus d’un approvisionnement responsable », alors qu’il n’a que 13 produits labellisés par l’organisme.
L’annonceur, qui est un des premiers acheteurs de produits de la mer dans le monde, indique vouloir influer sur le comportement des intervenants économiques de la chaîne de production pour une exploitation responsable des ressources halieutiques. Elle est également soucieuse de mobiliser le public en faveur d’une consommation responsable qui contribue à la préservation de la biodiversité et des ressources aquatiques.
Après cinq années de mise au point de sa politique d’approvisionnement responsable, l’annonceur a pris l’initiative de communiquer sur son programme auprès des consommateurs. C’est dans ce contexte que la société a, en 2007, initié une campagne diffusée par voie de presse destinée à sensibiliser les consommateurs sur les risques d’une surexploitation des stocks halieutiques.
Adepte de campagnes publicitaires sur un ton humoristique et décalé, l’annonceur a, pour communiquer sur sa démarche globale et volontaire, adopté le même ton humoristique et décalé ainsi que des visuels exagérant de manière excessive la réalité des choses pour renforcer l’impact sur les consommateurs. C’est ainsi qu’elle a opté pour une hyperbole par l’absurde.
Par ailleurs, afin de rappeler le thème de la mer et des poissons, elle a employé l’iconographie de la pêche. C’est pourquoi, les visuels reprennent les accessoires de pêche, à savoir une épuisette et une canne à pêche, ainsi que les vêtements de pêche tels un ciré et un gilet multi-poches de pêche. Toutefois, les visuels en cause ne comportent aucune représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine.
L’annonceur indique également avoir fait procéder à une étude auprès d’un panel de consommateurs afin d’évaluer l’impact de sa communication. Cette étude comporte notamment des questions relatives à l’impact de la campagne publicitaire dont il résulte que pour 76 % des personnes interrogées, la publicité n’a pas modifié l’opinion sur les pêcheurs, et que pour 18 %, elle l’a même améliorée.
Enfin, la campagne de l’annonceur a spontanément été citée pour recevoir le Prix de la Campagne citoyenne, co-organisé par l’Assemblée Nationale et l’Association des Agences Conseils en Communication (AACC).
S’agissant de la recommandation sur le développement durable, l’annonceur fait remarquer que la campagne publicitaire incriminée ne comporte pas la notion de développement durable, ni sur l’affiche diffusée en 2009, ni sur les parutions en presse de 2007. Seul le référentiel environnemental de l’organisme de certification pour une pêche durable et bien gérée était cité. Or, l’organisme de certification est précisément une organisation indépendante, à but non lucratif, ayant élaboré un programme de certification des pêcheries pour une pêche durable et bien gérée.
Selon l’annonceur, il résulte de la Recommandation Développement durable qu’un annonceur peut communiquer sur l’une des composantes (environnementale, sociale, économique) du développement durable. Tel est le cas de l’annonceur et il n’y a, par conséquent, pas lieu de justifier de la dimension sociale.
D’autre part, l’annonceur communique sur son programme suivant 10 principes que les consommateurs sont invités à consulter sur son site Internet. L’annonceur ne met pas en avant l’organisme de certification, mais son engagement. Contrairement à ce que le CNPMEM voudrait faire croire, à aucun moment l’annonceur n’a affirmé, ni même sous-entendu que le label délivré par l’organisme de certification était le seul garant d’une situation de non surexploitation des stocks marins.
L’annonceur fait valoir que, conscient que de nombreuses solutions existent, et que des pêcheries non certifiées par l’organisme peuvent répondre à des critères permettant la préservation des ressources halieutiques, il a mis en place une démarche globale d’approvisionnement en poissons, suivant 10 principes, qu’elle exprime par la mention «100 % des poissons X sont issus d’un approvisionnement responsable ».
Le CNPMEM ne saurait par ailleurs, selon l’annonceur, sérieusement nier l’existence du phénomène de pêche illégale, dès lors qu’il s’était engagé à le combattre en co-signant avec l’annonceur la charte « 3 engagements pour une pêche durable en France », et qu’il le rappelle sur son site Internet.
L’afficheur fait part de sa surprise à l’égard de cette plainte tant l’argumentaire utilisé est outrancier et ne peut être sérieusement retenu.
Sur l’atteinte à la dignité du pêcheur, montrer l’image d’un pêcheur – professionnel certes – mais aussi particulier, sur un des visuels, dans une situation incongrue, n’est pas par principe attentatoire à sa dignité de pêcheur.
L’afficheur précise que si le terme « dérision », utilisé par l’annonceur sur son site Internet, vise certes une attitude moqueuse, elle ne voit pas en quoi la moquerie serait, là encore par principe, attentatoire à la dignité humaine, sauf à estimer qu’un pêcheur reconverti en agriculteur considèrerait sa nouvelle situation comme dégradante.
Sur l’interprétation des notions d’écologie et de développement durable, l’afficheur observe que l’annonceur n’utilise pas le vocable «développement durable ». De surcroît, la Recommandation Développement durable prévoit explicitement le cas où « une publicité utilise une seule des composantes du développement durable mais renvoie au concept général la publicité ne doit pas paraître donner une garantie totale d’innocuité dans le domaine de l’environnement le choix des termes utilisés ainsi que des couleurs associées ne doit pas suggérer des vertus écologiques que le produit ne possèderait pas ». La campagne visée respecte clairement ces prescriptions.
Le plaignant invoque abondamment les principes de véracité, d’objectivité et de loyauté, au risque d’interpréter la campagne de l’annonceur en oubliant tout souci de rigueur.
En avançant que l’annonceur « laisse entendre que seul l »organisme de certification serait garant d’une situation de non surexploitation», le CNPMEM fait dire au texte, inséré en bas de deux des trois visuels mis en cause, quelque chose qui n’y figure pas. La règle de la Recommandation Arguments écologiques de l’ARPP est donc respectée.
En avançant que l’annonceur « sous-entend que les produits vendus par d’autres marques [ne sont pas légaux] » au motif que le Principe X n°1 prévoit qu’il « ne traite qu’avec des fournisseurs respectant les réglementations internationales et nationales en vigueur », le plaignant procède a un raccourci trompeur. Ce Principe n°1 indique également en effet que l’annonceur prend toutes les précautions possibles pour que ses fournisseurs « opèrent de manière transparente et responsable », vocable justement repris par la campagne.
Enfin, en voyant, dans la présence sur une même affiche du slogan « 100% des poissons X sont issus d’un approvisionnement responsable » et de la référence au label délivré par l’organisme de certification, une violation d’une des règles de la Recommandation Arguments écologiques, le plaignant fait une confusion entre, d’une part un annonceur qui « soumet sa gamme de produits à une évaluation régulière pour garantir une utilisation optimale des ressources» (Principe n°4 « Promotion d’une pêche durable») et d’autre part, la promotion d’un produit (XXX) à base de colin d’Alaska bénéficiant du label délivré par l’organisme de certification. L’afficheur fait observer d’ailleurs qu’un des visuels promeut du simple cabillaud et que, dans ce cas, l’annonceur ne revendique pas le label délivré par l’organisme de certification.
3.Les motifs de la décision du Jury
Sur le respect de la recommandation Image de la personne humaine :
Comme l’a reconnu le Directeur marketing et développement de l’annonceur, celle-ci a fait le choix, pour sa campagne publicitaire, « de la voie de la dérision pour sensibiliser les consommateurs aux problèmes posés par la surpêche » et les visuels employés recourent à l’humour décalé et à l’hyperbole.
Toutefois, les images utilisées qui se situent entièrement au niveau de l’imaginaire et de l’irréel, si elles peuvent se prêter à de multiples interprétations, ne représentent pas les pêcheurs dans des postures humiliantes ou dégradantes et ne dénigrent pas leur activité professionnelle; elles ne comportent pas, contrairement à ce qui est allégué, d’insinuations sur le caractère licite ou honnête de leurs pratiques professionnelles. Elles restent ainsi, même replacées dans le contexte du Grenelle de la mer, dans les limites fixées par la recommandation de l’ARPP qu’elles ne méconnaissent pas.
Sur le respect de la Recommandation Développement durable :
Le Comité National des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CNPMEM) fait valoir que le vocable utilisé pour l’accroche de la publicité en cause renvoie à la notion de développement durable, laquelle concerne l’ensemble des pratiques des entreprises et les conséquences de celles-ci dans les trois domaines de l’environnement, du social et de l’économique et que l’annonceur devrait être en mesure de justifier l’utilisation de cette notion dans ces trois domaines, alors qu’elle ne se prévaut que de l’écolabel délivré par l’organisme de certification qui ne comporte pas de dimension sociale .
Ces publicités, toutefois, se bornent à affirmer que « 100% des poissons X sont issus d’un approvisionnement responsable », expression qui, si elle évoque un comportement respectueux de l’environnement, est distincte de celle de développement durable et ne renvoie pas, par elle-même, à un ensemble de règles précises concernant des domaines déterminés.
Le CNPMEM soutient, en second lieu, que cette campagne, en faisant l’ « apologie » de l’écolabel délivré par l’organisme de certification, laisserait entendre que les pêcheries qui ne se réclameraient pas de celui-ci, n’auraient pas un comportement responsable à l’égard de l’environnement et tromperaient le consommateur sur l’état des pêcheries alors que nombre d’entre elles, sans être labellisées par cet organisme, ne seraient pas en situation de surexploitation. Il indique qu’il en va de même de la référence faite aux 10 principes de l’annonceur pour le respect des ressources marines dans certains visuels qui mentionnent en tout premier lieu que « X ne traite qu’avec des fournisseurs respectueux des réglementations nationales et internationales en vigueur», ce qui laisserait entendre que les pêcheurs fournissant les autres marques ne respecteraient pas ces réglementations .
Toutefois, si la recommandation 4.1 relative à la loyauté prévoit qu’un annonceur ne peut se prévaloir de « l’exclusivité de vertus au regard du développement durable alors que celles des concurrents seraient analogues ou similaires », aucune des allégations des visuels en cause ne laisse entendre que seul l’écolabel délivré par l’organisme de certification garantit des conditions de pêche respectueuse de l’environnement ou que seul l’annonceur s’approvisionne dans des conditions respectueuses de la légalité.
Par suite, il ne peut non plus être reproché à l’annonceur, qui ne commercialise qu’en partie des produits labellisés par l’organisme de certification, d’avoir cherché à induire le consommateur en erreur sur la réalité de ses actions en faveur de l’environnement et méconnu la règle 2.2 sur la proportionnalité des messages selon laquelle « le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion ».
Il résulte de tout ce qui précède que les publicités en cause ne méconnaissent pas les dispositions invoquées des deux Recommandations Image de la personne humaine et Développement durable.
4.La décision du Jury
– La plainte est rejetée.
– La présente décision sera communiquée au plaignant, à l’annonceur et à l’afficheur.
– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.
Délibéré le vendredi 2 octobre 2009 par Mme Hagelsteen, présidente, Mmes Drecq et Moggio, Ms Carlo, Leers et Raffin.