Décision publiée le 18.05.2011
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu les représentants de l’Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes (INTERBEV), plaignant, de l’association environnementale, annonceur de la publicité, ainsi que des supports de diffusion et de l’ARPP,
– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi d’une plainte en date du 29 mars 2011, émanant de l’Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes (INTERBEV), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée par affichage, presse et sur internet par une association de protection de l’environnement.
Le visuel en cause représente trois morceaux de viande de bœuf posés sur une planche à découper. Dans l’un d’eux a été fiché un panneau comportant la mention « 100% naturel ».
Il est accompagné de l’accroche « GROS MENTEUR », qui est suivie d’un texte figurant en dessous, selon lequel «La loi n’impose pas l’étiquetage des viandes issues d’animaux nourris aux OGM ».
Un renvoi au site de l’association accompagné de l’indication « Agissez avec nous » ainsi que son logo figurent en bas de message.
2.Les arguments des parties
– L’association plaignante considère que cette publicité méconnaît les principes de véracité et de loyauté, qu’elle est particulièrement choquante pour les consommateurs et enfin qu’elle viole le principe de lisibilité du message publicitaire.
Plus précisément, l’association Interbev souligne que :
La publicité de l’association n’est pas véridique en ce qu’elle induit en erreur le consommateur sur les propriétés de la viande de bœuf, les méthodes de sa production ainsi que sur la fiabilité de la filière de ses professionnels en laissant penser que cette viande serait issue d’animaux nourris aux OGM.
D’autre part, cette campagne conforte les français dans l’idée fausse qu’un animal ayant été nourri avec une alimentation contenant des OGM produit une viande OGM. Or, à ce jour, il n’existe pas de viande de bœuf génétiquement modifiée, ce que démontre le constat de ce qu’il n’existe pas de viande, notamment de bœuf étiquetée OGM, alors que la réglementation exige l’étiquetage systématique de tous produits génétiquement modifiés.
En outre, la publicité induit l’idée fausse que les professionnels mentent s’ils disent que les bovins sont principalement nourris à l’herbe. Les systèmes d’élevage d’herbivores sont caractérisés par une nourriture à l’herbe. Les bovins se nourrissent d’herbe et de foin à hauteur de 80 à 90 % dans les régions herbagères et de 60% pour une ration moyenne d’un bovin élevé en France. A cet égard, le caractère « naturel » et non « OGM » de l’herbe et des fourrages constitués par des tiges, feuilles, ou herbes et fleurs de plantes, naturelles ou cultivées, parait difficilement contestable. Plus généralement, la part des OGM dans la nourriture des boeufs en France se limite à la part de tourteaux qui vient en complément du fourrage et des céréales à hauteur de 5% de la ration journalière des bœufs, selon les statistiques établies par le Ministère de l’agriculture.
Le plaignant soutient encore que la publicité en cause n’est pas loyale car elle dénigre de façon agressive les métiers de la viande au sens large. Le visuel dénigre non seulement toute la chaîne des professionnels de ce secteur mais également le produit et, en particulier, la viande de bœuf. Le fait d’associer l’accroche « GROS MENTEUR » avec la représentation de plusieurs morceaux de viande de bœuf sur lesquels est apposée une étiquette « 100% naturel », constitue un dénigrement de la viande car elle a pour objet de convaincre les consommateurs que celle-ci serait issue d’animaux essentiellement nourris avec des OGM et entraîner ainsi une perte de confiance dans ce produit.
Enfin, cette publicité abuse les consommateurs car ceux-ci seront davantage portés à faire confiance aux associations écologistes qu’aux professionnels de la viande, la tendance médiatique étant plus défavorable à ces derniers qu’à une association luttant pour la protection de l’environnement.
Il fait aussi valoir que la publicité en cause n’est pas saine en ce qu’elle s’inscrit dans une campagne globale de discrédit des agriculteurs et des produits agricoles qui a précisément pour objet de choquer les consommateurs.
En dénigrant la viande et sa filière dans le cadre d’une publicité grand public, l’association a, de façon gratuite et disproportionnée, nui à la filière bovine à deux égards : d’une part, à l’image auprès du grand public de la viande de bœuf, fragilisée pour les raisons liées à la sécurité sanitaire, d’autre part, en faisant des professionnels de la filière viande et surtout bovine, les complices voire les initiateurs du prétendu mensonge.
Il expose, enfin, que la publicité viole le principe de clarté et de lisibilité du message publicitaire, puisque le visuel attire l’attention sur l’accroche reproduite en lettres majuscules et caractères gras « GROS MENTEUR » et sur la viande de bœuf et son panneau « 100% naturel ». Le texte relatif à l’absence d’étiquetage des viandes issues d’animaux nourris aux OGM n’apparaît qu’en petits caractères bien moins visibles alors même que l’absence d’information du consommateur en la matière résulte bien de cette absence de réglementation et non d’un « mensonge » délibéré des professionnels. Les consommateurs risquent de ne retenir que l’image de la viande et les mots « GROS MENTEUR ».
A l’appui de sa plainte l’association Interbev a produit les résultats d’une enquête par sondage réalisée par l’IFOP sur « La perception de la campagne FNE ». Les résultats de ce sondage ont été critiqués, au regard de l’orientation des questions posées, par l’association, l’agence et le diffuseur.
– L’annonceur, l’association, après avoir rappelé son objet, explique que l’affiche contestée a été créée dans le cadre d’une campagne de sensibilisation du public ayant pour but de dénoncer les conséquences négatives pour l’environnement et la santé de certaines pratiques agricoles intensives, ainsi que les lacunes de la législation sur ce sujet et, enfin, de présenter les solutions imaginées par l’association pour pallier ces lacunes. Cette campagne a été matérialisée par la diffusion de six affiches rendues disponibles sur le site Internet de l’association. L’affiche en cause a pour thème le droit des consommateurs d’être informés de la consommation de viande d’animaux nourris aux OGM.
Cette affiche, ainsi que cinq autres ont été approuvées par l’ARPP.
L’annonceur fait valoir que sa campagne a pour objet d’alerter l’opinion sur une question d’intérêt général et ce, dans le cadre de la liberté d’expression dont il dispose.
Sur le caractère non véridique avancé par la plainte, il souligne que l’affiche ne fait nullement référence à une « viande OGM ».
Concernant le caractère dénigrant, il précise qu’il n’est pas non plus induit que les professionnels mentent lorsqu’ils disent que les bovins sont principalement nourris à l’herbe, mais, c’est l’allégation d’une alimentation intégralement faite à l’herbe qui peut constituer le mensonge ici dénoncé, ce dont témoigne l’étiquette « 100% naturel ».
L’association fait valoir qu’elle est tout à fait fondée à dénoncer le mensonge qui consiste à ne pas préciser qu’une viande a été produite à l’aide d’OGM alors que chaque morceau est issu d’un animal nourri en moyenne avec 5% d’OGM, et davantage dans certains élevages puisque ces 5% ne représentent qu’une moyenne. L’affiche critique également la législation en ce qu’elle ne permet pas au producteur, qui n’a pas recours aux OGM pour nourrir ses animaux, de le faire savoir au consommateur.
L’association précise que la présentation sur l’affiche de trois morceaux de viande rouge n’a pas pour objet de stigmatiser, en particulier, la viande de bœuf. Aucune mention écrite ne vise nommément celle-ci. Le choix opéré a été motivé par le fait que la viande rouge est celle à laquelle le consommateur pense en premier, lorsqu’on lui parle de ce sujet, mais l’alimentation animale contenant des OGM concerne tous les élevages.
Elle fait observer que l’affiche ne porte aucun jugement sur la viande elle-même et qu’elle ne sous-entend pas non plus que tous les morceaux de viande contiennent des OGM, ni même une majorité d’entre eux. Au contraire, l’affiche expose simplement la problématique de l’information du consommateur, ce dernier ne pouvant savoir si un morceau de viande donné contient ou non des OGM.
L’association informe aussi le Jury de ce que le Tribunal de grande instance de Paris, saisi par Interbev, afin de faire interdire la diffusion de l’affiche, a intégralement rejeté les prétentions du demandeur, par décision du 10 févier 2011. Le TGI a notamment considéré que l’objet de l’affiche n’était pas « la consommation de viande en elle-même mais une situation qui en l’absence de toute transparence faute d’une législation adaptée permet, selon la défenderesse d’abuser le consommateur » et que « l’affiche ne jette pas le discrédit sur l’ensemble de la viande et ne constitue pas un dénigrement générique de la viande ».
La dite décision précise également que le visuel « n’outrepasse pas les limites de la provocation et n’excède pas la liberté d’expression dont doit pouvoir bénéficier une association consacrée à la protection de la nature et de l’environnement… ».
Sur le caractère malsain de l’affiche, l’association fait valoir qu’aucune grossièreté n’est employée, ni aucune image pouvant provoquer la répulsion du public. La formule « gros menteur », qui ne saurait choquer, est suivie par une phrase qui explicite l’origine du mensonge.
Enfin, sur la clarté et la lisibilité du message publicitaire, l’association souligne que l’affiche est accompagnée d’un ensemble d’explications textuelles précises sur le sujet qui compensent largement l’éventuel rétrécissement de l’image et donc du texte. Concernant l’affiche diffusée dans le métro, l’explication située sous le titre est relativement courte et figure en caractères suffisamment grands pour permettre une bonne lecture par le public.
– L’une des sociétés d’affichage fait valoir qu’en raison de leur caractère non marchand qui participe à la liberté d’expression, les campagnes d’opinion émanant d’organismes reconnus d’utilité publique pour alerter les populations sur les problèmes de société ou de santé publique peuvent bénéficier d’une appréciation plus tolérante quant aux slogans et images qu’ils diffusent. Tel étant le cas en l’espèce, puisque la campagne litigieuse est l’expression d’une opinion que l’association défend et pour laquelle elle est reconnue d’utilité publique.
Elle fait également valoir que l’objectif évident de la campagne n’est pas de porter atteinte à la filière « viande » et de mettre en cause les professionnels de cette filière en suscitant de la méfiance de la part des consommateurs à l’égard du produit, mais de provoquer une réaction dans l’opinion publique sur une question d’intérêt général concernant l’absence de réglementation adaptée sur l’étiquetage de la viande qui serait seule de nature à procurer aux consommateurs, en toute transparence, une information effective sur la chaîne alimentaire. La campagne n’est donc ni trompeuse ni mensongère puisqu’elle repose sur des faits exacts.
– L’ARPP expose avoir été consultée sur la conformité de la campagne aux principes déontologiques et qu’elle a, notamment, pris en compte dans son appréciation le fait qu’il s’agissait d’une campagne d’opinion lancée par une association reconnue d’utilité publique. Elle indique avoir fait changer les termes de l’étiquette piquée dans les morceaux de viande, afin qu’ils n’entraînent pas de confusion dans l’esprit du public.
– Une autre société d’affichage expose que le visuel incriminé fait partie d’une campagne choc de six visuels destinés à être affichés sur les quais du métro parisien, lesquels, transmis à l’ARPP ont fait l’objet d’un certain nombre d’observations et de critiques.
Sur le projet Viande, l’ARPP observait que « Ce projet aborde lui un des problèmes de l’étiquetage des viandes en déplorant que la Loi actuellement n’impose pas une information sur la nourriture à base d’OGM que recevraient ces animaux ; cependant sa rédaction nous paraît être de nature à générer une confusion entre ce que le public entend communément par « origine contrôlée » et ce qui serait une « alimentation contrôlée » selon le souhait de l’association ». A la suite à la transmission de cet avis à l’annonceur, ce dernier a modifié ses visuels dont celui concerné par la plainte en faisant précéder le site Internet de l’accroche « Agissez avec nous ». L’ARPP n’a plus alors formulé de réserves.
Elle explique que seuls trois visuels sur cinq ont finalement été acceptés dont le visuel « Gros menteur », pour les raisons suivantes : il a un caractère informatif et ne vise pas des responsables dénommés, il ne dénigre aucun individu, produit, métier ou organisme, il fait une constatation avérée selon laquelle la loi n’impose pas l’étiquetage des viandes issues d’animaux nourris aux OGM, il met en scène une étiquette « 100% naturel » piquée sur des morceaux de viande et par là se contente de présenter le caractère mensonger de cette étiquette par rapport à une vérité sur les obligations relatives à l’étiquetage des viandes issues d’animaux nourris aux OGM.
Ce visuel s’inscrit dans le cadre d’une campagne dont l’objectif est d’interpeller le public et de susciter une réaction de l’opinion et, par voie de conséquence, des décideurs. Elle n’a pas dépassé, selon l’afficheur les limites de la liberté d’expression.
La société ajoute que ce visuel ne lui apparaît ni trompeur, ni de nature à induire en erreur, dans la mesure où il informe, au contraire, de l’absence de règles légales en matière d’étiquetage des viandes issues d’animaux nourris aux OGM. Il ne lui apparaît pas non plus dénigrant ou déloyal et, en ne désignant pas un responsable mais en invitant le public à réfléchir, il ne nuit pas à des individus ou à la société dans son ensemble.
Enfin, ce visuel énonce une vérité et met en scène le mensonge auquel elle pourrait conduire sans dénoncer un mensonge réel puisque l’étiquette « 100% naturel » n’est pas utilisée dans la filière concernée.
3.Les motifs de la décision du Jury
Les principes généraux contenus dans le Code sur les pratiques loyales de publicité et de communication marketing de la Chambre de Commerce Internationale disposent qu’en matière de :
– « Loyauté : La communication de marketing doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs » (article 3) ;
– « Véracité : La communication de marketing doit être véridique et ne peut être trompeuse. Elle ne doit contenir aucune affirmation ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations de nature à induire en erreur le consommateur (…) » (article 5) ;
– « Dénigrement : La communication de marketing ne doit pas dénigrer une quelconque personne ou catégorie de personnes, une entreprise, une organisation, une activité industrielle ou commerciale, une profession ou un produit, ou tenter de lui attirer le mépris ou le ridicule publics » (article 12).
A titre liminaire, le Jury rappelle qu’il a été créé par l’association des trois professions impliquées dans la production et la diffusion des campagnes publicitaires, laquelle s’est donnée pour objectif de mener toute action en faveur d’une publicité loyale véridique et saine, dans l’intérêt des consommateurs, du public et des professionnels de la publicité eux-mêmes.
Ainsi que le précise l’article 3, alinéa 3, de son règlement intérieur, les décisions du Jury concernent seulement les questions relatives à la déontologie que la profession, dans ses différentes composantes, s’est fixée et a chargé le Jury de faire respecter.
Ses décisions s’inscrivent donc dans ce seul cadre et peuvent être plus exigeantes que ce qu’imposent, en droit, les décisions de l’autorité judiciaire.
Le Jury observe que le message publicitaire qui lui est soumis a pour objet d’appeler l’attention du public sur le problème d’intérêt général résultant de ce que la législation en vigueur n’impose pas l’étiquetage des viandes issues d’animaux nourris aux OGM.
Cet objectif parfaitement légitime correspond à la mission que s’est fixée l’association.
Cependant, l’accroche « GROS MENTEUR » qui est une invective grave puisqu’elle met en cause l’honnêteté de la personne visée, ici formulée dans la forme du masculin singulier, ne correspond pas grammaticalement à ce que l’association entend dénoncer par la phrase inscrite sous l’accroche : « La loi n’impose pas l’étiquetage des viandes issues d’animaux nourris aux OGM ».
Il résulte de cette incohérence qu’un public, normalement attentif, ne peut comprendre que le responsable du mensonge est, comme l’a indiqué l’association « la loi » (ou plutôt l’absence de loi) ou l’Etat, mais bien celui qui, symboliquement, prétendrait que la viande est 100 % naturelle, c’est-à-dire, soit un éleveur, soit un distributeur de viande.
L’accroche telle qu’elle est formulée porte donc, par induction, le discrédit sur certains membres de la filière de la viande bovine.
Ni la légitimité des objectifs et la sincérité des intentions de l’association quelles qu’elles soient, ni le fait que l’étiquette « 100 % naturel » ne soit, en réalité, jamais utilisée, ne sauraient justifier ou atténuer le recours à une terminologie qui peut être de nature à discréditer dans leur ensemble les professionnels de la filière et, par là même, à induire le consommateur en erreur.
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que l’accroche de l’affiche est dénigrante pour les membres d’une profession et qu’elle est de ce fait susceptible d’abuser la confiance des consommateurs. La plainte est donc fondée.
4.La décision du Jury
– La plainte est fondée en ce que l’affiche en cause méconnaît les dispositions des articles 3, 5 et 12 du code sur les pratiques loyales de publicité et de communication marketing de la CCI ;
– Il est demandé au directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures afin qu’il soit mis fin à cette publicité telle qu’elle est libellée ou qu’elle ne soit pas renouvelée ;
– La présente décision sera communiquée à l’association Interbev, à l’association annonceur, aux sociétés d’affichage ;
– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.
Délibéré le vendredi 6 mai 2011 par Mme Michel-Amsellem, Vice-Présidente, suppléant la présidente empêchée, Mmes Drecq et Moggio, ainsi que MM. Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.