Avis JDP n°4/08 – GRANDE DISTRIBUTION – Plainte fondée

Décision publiée le 16.12.2008

Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu successivement les représentants de l’ARPP et de l’agence de communication,

– et après en avoir délibéré, hors la présence des représentants de l’ARPP,

rend la décision suivante :

1.Les faits et la procédure suivie

Le Jury de déontologie publicitaire a été saisi par message électronique du 21 novembre 2008 d’une contestation portant sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne de publicité, conçue par l’agence de communication pour une enseigne de grande distribution alimentaire et diffusée par voie de presse.

Le message critiqué présente l’image de trois flans au caramel de marques différentes, avec en accroche la phrase: « Pour nous, être moins cher, c’est être 3 fois moins cher ». Cette accroche renvoie, par un astérisque, à un texte figurant sous l’image, inscrit en caractères nettement plus petits et qui explique que pour les trois produits présentés, les magasins à l’enseigne de l’annonceur sont ceux qui les vendent au prix le moins cher. Le texte renvoie enfin, pour davantage de détails, sur la comparaison au site internet de l’annonceur et précise en note de bas de page les paramètres de comparaison.

Le dépôt de la plainte a été communiqué le 24 novembre 2008 à l’annonceur ainsi qu’à l’agence de communication. Cet envoi a été complété le 28 novembre 2008 par l’envoi de la plainte elle-même par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 1er décembre 2008.

Le plaignant, l’agence de communication et l’annonceur, avertis de l’examen de la plainte par le Jury lors de sa séance du 5 décembre 2008 par la lettre du 24 novembre, ont été convoqués à cette séance par lettre recommandée avec AR du 28 novembre 2008.

2.Les arguments des parties

Le plaignant, qui est un particulier, soutient que cette publicité est inexacte car il n’a pas constaté la différence annoncée par rapport aux autres enseignes de distribution qu’il fréquente.

L’ARPP indique que, par lettre du 19 novembre 2008, elle a fait connaître à l’agence que la présentation de la publicité en cause, qui comporte un caractère ambivalent, est contraire aux principes déontologiques qui exigent que la publicité soit véridique et loyale, et que la lisibilité des textes figurant au bas de cette publicité ne respecte pas les dispositions de sa Recommandation « Mentions et Renvois ».

L’annonceur oppose qu’il n’est pas membre de l’ARPP et s’interroge sur la compétence du JDP à son égard ainsi que sur l’opposabilité des règles internes qui lui confèrent ses pouvoirs.

Il précise que les règles de la publicité comparative sont harmonisées de façon communautaire qu’il en est de même de la définition du consommateur moyen comme de la notion de publicité de nature à induire le consommateur en erreur.

L’agence conceptrice dénonce le fait que la plainte qui lui a été transmise ait été « anonymisée » et soutient que ce procédé constitue une atteinte aux droits de la défense. Lors de la séance, elle a soutenu ne pas avoir bénéficié d’un délai suffisant pour produire préalablement à celle-ci, une note écrite.

Sur le fond, elle précise, notamment, que ni elle, ni son client, n’ont reçu de réclamations de consommateurs ou de concurrents. Elle observe que le texte accompagnant l’accroche expose de façon précise la mécanique de l’annonce et qu’il faut l’analyser de façon globale en tenant compte du degré de discernement, ainsi que du sens critique de la moyenne des consommateurs, s’agissant d’une hyperbole publicitaire. Elle ajoute que le plaignant ne prétend ni n’établit avoir subi de préjudice et qu’elle n’a commis aucune faute au regard des règles en vigueur en matière de publicité.

3.Les motifs de la décision du Jury

Sur la compétence du Jury de déontologie publicitaire

Le Jury de déontologie publicitaire, créé par décision du conseil d’administration de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, dite ARPP et anciennement BVP, est une instance associée au dispositif de régulation professionnelle de la publicité telle que définie dans les statuts de l’ARPP, laquelle est une autorité indépendante des pouvoirs publics, administrée par les trois professions impliquées dans la production et la diffusion des campagnes publicitaires (annonceurs, agences et médias) et s’est donné pour but de mener toute action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine, dans l’intérêt des consommateurs, du public et des professionnels de la publicité.

Ainsi que le précise l’article 3, al. 3 du règlement intérieur du Jury, ses décisions concernent seulement les questions relatives à la déontologie que la profession, dans ses différentes composantes s’est fixée. Elles s’inscrivent dans ce seul cadre. Ses membres sont indépendants, tant à l’égard de l’ARPP que des trois professions qui la composent.

Le champ d’action que s’est fixé l’ARPP, et dont découle celui du Jury de déontologie qui lui est associé, n’est pas limité aux comportements de ses adhérents. L’article 3 du règlement intérieur du Jury précise que celui-ci est compétent pour traiter les plaintes portant sur des publicités que les professionnels, qui en sont à l’origine, soient ou non adhérents de l’ARPP.

En conséquence, le fait que l’annonceur ne soit pas adhérent à l’ARPP et au système d’autorégulation, dont elle est l’émanation, est sans portée sur la compétence du Jury pour connaître des plaintes portant sur des publicités dont cette société est à l’origine.

Sur les atteintes invoquées aux droits de la défense

L’anonymisation de la plainte

L’examen du Jury et la décision qu’il est conduit à prononcer porte sur la conformité, ou non, d’un message publicitaire aux principes déontologiques fixés par l’ensemble des acteurs de la profession au travers des Recommandations de l’ARPP et qui reprennent ceux édictés par la Chambre de Commerce Internationale. Il importe donc que les parties mises en cause soient informées des manquements qui leur sont reprochés afin qu’elles puissent faire valoir toutes les explications et tous les arguments nécessaires à la défense de leurs intérêts mais le fait que l’identité de l’auteur de la plainte, lorsqu’il s’agit d’un particulier, ne soit pas connue de celles-ci n’est pas de nature à nuire à la mise en oeuvre de cette défense.

Les délais

Les parties ont été informées, par courrier du 24 novembre 2008, de la saisine du Jury, ainsi que de la publicité critiquée. Par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 1er décembre 2008, elles ont reçu la copie du texte de cette plainte. Elles ont été convoquées à la séance par lettre recommandée du 28 novembre 2008, dont l’accusé de réception a été signé le 1er décembre 2008. Elles ont donc disposé d’un délai suffisant pour préparer l’argumentation qu’elles ont présentée oralement devant le Jury le 5 décembre 2008, sans d’ailleurs demander le report de l’examen de la plainte.

Sur le fond

 Il résulte des dispositions des articles 1 et 5 du code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale que la publicité doit, notamment, être loyale et véridique, qu’elle doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle, qu’elle ne doit pas porter atteinte à la confiance que le public doit pouvoir porter au marketing et, enfin, qu’elle ne doit pas, par voie d’ambiguïtés, induire le consommateur en erreur. Ce principe est repris dans la Recommandation relative aux mentions et renvois du BVP, devenu l’ARPP ;

La publicité en cause comporte, en police de grands caractères et imprimée en gras, la mention : « Pour nous, être moins cher, c’est être 3 fois moins cher ». Au mot « cher » est adjoint une mention de renvoi. Le paragraphe de renvoi apparaît sous la photo des pots de flans, il est imprimé en caractères notablement plus petits et explique que quelle que soit la marque et la catégorie préférée par le consommateur, le rôle de l’enseigne de l’annonceur est de les offrir toujours au meilleur prix. Le texte se poursuit en indiquant qu’ainsi, par exemple, pour les flans au caramel présentés, qu’il s’agisse de la marque d’un fournisseur, de la marque de distributeur ou du produit « le moins cher des moins chers », ces produits sont vendus au prix le moins élevé.

La première affirmation, qui fait l’objet du premier paragraphe, est susceptible de deux interprétations : l’une littérale et selon laquelle les prix pratiqués par les magasins à l’enseigne de l’annonceur sont le tiers des prix pratiqués ailleurs, l’autre, éclairée par le second paragraphe, selon laquelle les prix pratiqués par cette enseigne sont pour les trois flans au caramel présentés, les moins chers.

Cette présentation du message, en deux temps de lecture et en caractères de tailles différentes, privilégie la conclusion placée en tête, exprimée de manière ambiguë en s’appuyant sur une expression populaire (« 3 fois moins cher »). Elle nécessite pour être comprise dans son véritable sens une lecture plus approfondie et attentive que celle de la seule accroche.

Si le consommateur est certes habitué au langage publicitaire et sait qu’il faut le décoder, le Jury considère que le message contenu dans la publicité critiquée va au-delà de l’hyperbole et du symbolique en ce qu’il est susceptible, soit en raison d’un examen trop rapide ou inattentif du message, soit en raison d’un déficit de compréhension, à induire en erreur le consommateur sur un élément, le prix, auquel il est particulièrement sensible.

Le jury considère donc que la publicité en cause n’est pas conforme au principe déontologique selon lequel le message ne doit pas, par voie d’ambiguïtés, induire le consommateur en erreur ;

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée.

– La publicité en cause de l’enseigne de l’annonceur réalisée par l’agence n’est pas conforme aux dispositions des articles 1 et 5 du code consolidé sur les pratiques de publicité et à la Recommandation relative aux mentions et renvois du BVP, devenu l’ARPP, et doit être retirée.

– La présente décision sera communiquée au plaignant, à l’annonceur et à l’agence. Elle sera diffusée sur le site internet du JDP.

Délibéré le vendredi 5 décembre 2008 par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, Mmes Drecq et Moggio et Ms Carlo, Lacan et Raffin.