Avis publié le 27 novembre 2020
Plainte partiellement fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
– et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
- La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 31 juillet 2020, d’une plainte émanant de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur d’une publicité, diffusée en presse, pour promouvoir son produit cosmétique.
Cette publicité représente trois femmes tenant un flacon du sérum. Ce visuel est accompagné de l’accroche : « X célèbre 15 ans d’efficacité contre les taches ! » ainsi que différents textes exposant les propriétés du produit.
Au bas de la page, un encart comporte les mentions : « 0% parabènes / phenoxyéthanol / phtalates / huiles minérales / sodium laureth sulfate / ingrédients d’origine animale ».
- Les arguments échangés
– La fédération plaignante considère que la mention « 0 % parabènes / phénoxyéthanol / phtalates » est contraire à la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), en particulier son point 2.2 relatif aux allégations « sans ».
Le message de cette publicité porte sur l’absence d’un ou de plusieurs ingrédients autorisés par la réglementation en vigueur dans un produit cosmétique. Cette absence constitue l’un des arguments principaux de cette communication. Cette publicité ne répond donc pas aux critères communs cités dans la recommandation de l’ARPP qui sont les suivants : « conformité avec la législation, véracité, éléments probants, sincérité, équité, choix en connaissance de cause ».
De façon générale, cette publicité ne contribue pas à une image valorisante des produits cosmétiques. En effet, elle est construite sur des arguments dénigrants visant les produits vendus par les sociétés concurrentes de celle de la société en cause, laquelle les utilise régulièrement dans ses communications commerciales.
Selon la FEBEA, elle méconnaît tout particulièrement le critère de l’équité, qui fait obstacle au dénigrement de substances autorisées. Parmi ces substances, la Recommandation mentionne, sans que la liste soit exhaustive, les parabènes et le phénoxyéthanol, lorsque ce dernier est utilisé conformément au Règlement Cosmétique. Il doit en aller de même des phtalates, qui sont des substances autorisées. Telle est la position de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne sont pas autorisées puisqu’elles dénigrent des substances autorisées.
– La société annonceur a été informée, par courriel recommandé avec avis de réception du 21 août 2020, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle conteste l’ensemble des griefs formulés par la fédération plaignante. L’objectif de la publicité litigieuse est de fournir aux consommateurs de produits cosmétiques une information objective, utile et loyale sur la composition du produit, ses caractéristiques et ses qualités. Il ne s’agit en rien de dénigrer les concurrents de sa société, dont certains utilisent les mêmes allégations, sans être inquiétés par la FEBEA dont ils sont adhérents.
Cette publicité, qui recourt à la formule « 0 % » et non « sans », n’a aucune connotation négative. Elle est essentiellement consacrée aux arguments positifs, conformément au a/ du point 2.2. de la Recommandation « Produits cosmétiques », et l’absence des substances énumérées n’en constitue nullement l’un des arguments principaux, de sorte que le 1. du b/ de ce même point 2.2. n’est pas méconnu.
La société estime en outre que cette publicité n’est pas contraire au 2. du b/ de ce point 2.2. dès lors qu’elle respecte l’ensemble des critères communs établis par le Règlement (UE) n° 655/2013, notamment la véracité, les éléments probants, la sincérité, l’équité et le choix en connaissance de cause.
La société estime que la solution retenue par le Jury dans son avis n° 257/13 doit être transposée en l’espèce.
Elle rappelle enfin que les Recommandations de l’ARPP sont dépourvues de force obligatoire et de valeur juridique.
– Le magazine ayant publié la publicité en cause a été informé de la plainte par un courriel en date du 21 août 2020.
Il indique qu’il ne lui appartient pas, en tant qu’éditeur de presse, de se prononcer sur le bien-fondé des allégations utilisées dans cette publicité, à la conception de laquelle il n’a pris aucune part.
Il précise seulement que, contrairement à ce que soutient la FEBEA, l’allégation « sans » qui figure dans cette publicité n’en constitue pas l’un des arguments principaux, et elle répond à l’ensemble des critères communs établis par le règlement n° 655/2013.
- L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Produits cosmétiques » dispose dans son préambule que : (…) Toute allégation doit être véridique, claire, loyale, objective et ne doit pas être de nature à induire en erreur. / (…) Les allégations publicitaires doivent respecter le Règlement (UE) N° 655/2013 établissant les critères communs auxquels les allégations relatives aux produits cosmétiques doivent répondre, ainsi que la dernière version du Manual on the scope of application of the Cosmetic regulation (EC) N° 1233/2099 (art. 2(1) a), disponible sous le lien suivant : http://ec.europa.eu/growth/sectors/cosmetis/products/borderline-products_fr./ (…) »
Il résulte du point 2.2. de cette Recommandation, relatif aux « Allégations « sans » » que « l’utilisation d’une allégation portant sur l’absence d’un ou de plusieurs ingrédients ou d’une catégorie d’ingrédients n’est possible que si cette allégation respecte les deux conditions spécifiques suivantes : / b.1. Elle ne constitue pas l’argument principal de la communication mais apporte au consommateur une information complémentaire. / b.2. Elle répond à l’ensemble des critères communs établis par le Règlement (UE) n° 655/2013 (conformité avec la législation, véracité, éléments probants, sincérité, équité, choix en connaissance de cause) et aux bonnes pratiques de son application développées dans le Document technique sur les allégations cosmétiques publié le 3 juillet 2017 par la Commission européenne et ses versions ultérieures (cf. traduction reproduite en Annexe).
L’Annexe à cette Recommandation traduit l’annexe III du Document Technique sur les allégations cosmétiques publié le 3 juillet 2017 sur le site de la Commission européenne. Si cette annexe III ne constitue pas, ainsi que le précise le préambule du document technique auquel elle se rattache, un document de la Commission européenne, et qu’elle se présente comme un simple « outil » destiné à éclairer les acteurs nationaux sur les bonnes pratiques dans l’application de la règlement européenne au cas par cas, il résulte clairement des dispositions du point 2.2 de la Recommandation que l’ARPP a entendu conférer au contenu de cette annexe la valeur de règles déontologiques, dont il appartient au Jury de contrôler le respect, conformément aux articles 2 et 3 de son règlement intérieur.
Cette annexe précise, dans la partie « description » du critère commun de l’équité, que : « Les revendications « sans » ou les revendications avec une signification similaire ne sont pas autorisées quand elles impliquent un message dénigrant, notamment quand elles reposent principalement sur une perception négative présumée sur la sécurité de l’ingrédient (ou d’un groupe d’ingrédients) ». Elle ajoute, au titre des « exemples d’allégations illustratives et non exhaustives » que : « Certains parabènes sont sûrs lorsqu’ils sont utilisés conformément au Règlement (CE) n° 1223/2009. Compte tenu du fait que tous les produits cosmétiques doivent être sûrs, la revendication « sans parabènes » n’est pas autorisée car elle dénigre le groupe entier des parabènes. Le phénoxyéthanol et le triclosan sont sûrs lorsqu’ils sont utilisés en accord avec les dispositions du Règlement Cosmétique. Par conséquent la revendication « sans » ces substances n’est pas autorisée puisqu’elle dénigre des substances autorisées ».
Il résulte des termes mêmes du b/ 2. du point 2.2. de la Recommandation « Produits cosmétiques » qu’il fait obstacle à ce qu’une publicité se prévale de l’absence de parabènes et de phénoxyéthanol pour promouvoir des produits cosmétiques. Il en va de même de l’allégation « 0 % phtalates ». En effet, si ce groupe n’est pas mentionné expressément dans l’annexe, celle-ci précise que l’énumération qu’elle comporte n’est pas exhaustive.
Conformément à la « description » du critère commun de l’équité, il y a lieu de lui appliquer le même traitement qu’aux autres substances évoquées, dès l’instant que l’utilisation de phtalate de diéthyle (DEP), conformément au règlement n° 1223/2009, est admise dans les produits cosmétiques, à la différence des autres phtalates, mentionnés en particulier aux n° 675, 677 et 678 de l’annexe II de ce règlement. Il y a lieu de préciser, d’ailleurs, que l’allégation « sans phtalates » ne saurait se justifier par la préoccupation d’informer le consommateur de l’absence des phtalates dont l’usage est prohibé en cosmétologie par le règlement 1223/2009, puisque le critère commun de « conformité à la législation » interdit de se prévaloir, dans une publicité pour des produits cosmétiques, de l’absence d’ingrédients légalement interdits.
La société annonceur ne peut utilement se prévaloir de l’avis rendu par le Jury le 26 juin 2013 dans l’affaire 257/13, dans la mesure où, à cette date, la Recommandation « Produits cosmétiques » ne comportait pas d’annexe reprenant l’annexe III du Document technique du 3 juillet 2017, laquelle n’est d’ailleurs applicable que depuis le 1er juillet 2019.
Dans ces conditions, et même s’il comprend la préoccupation de la société d’informer les consommateurs soucieux de ne pas être exposés à des substances dont les éventuelles propriétés suscitent un débat dans une partie de l’opinion publique, le Jury ne peut qu’en conclure à la méconnaissance du b/ 2. du point 2.2. de la Recommandation « Produits cosmétiques ».
Il estime en revanche que le point a/ et le point b/ 1. de ce point 2.2. n’ont pas été méconnus, dès lors que l’absence des substances précédemment mentionnées ne constitue pas l’un des arguments principaux de la publicité litigieuse et que celle-ci est essentiellement consacrée aux arguments positifs. Les arguments principaux de la publicité, qui célèbre le 15ème anniversaire de la commercialisation du produit, sont fondés sur l’efficacité de ce produit, mise en évidence notamment par un comparatif photographique « avant/après application », sa bonne tolérance dermatologique, sa composition essentiellement naturelle et son principe actif (Viniférine), son positionnement commercial avantageux et la fréquence de vente (« 1 sérum vendu toutes les 30 secondes dans le monde »). Il comporte en outre une invitation à l’utiliser en période estivale, sous la crème solaire. L’allégation « 0 %… », qui constitue le seul argument négatif de cette publicité, ne donne lieu qu’à une mention relativement discrète, en bas du communiqué en format A4, dans une police d’une taille sensiblement inférieure à celle des autres allégations et dans une couleur et une présentation générale qui ne la font pas ressortir visuellement.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la campagne de publicité en cause méconnaît le seul point b/ 2. du point 2.2. de la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP.
Avis adopté le 10 septembre 2020 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.