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Plainte non fondée

Avis publié le 13 mars 2023
AMI – 902/23
Plainte non fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le représentant de la société Ami Paris, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 23 décembre 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société Ami Paris, pour promouvoir son offre de vêtements et d’accessoires.

La publicité en cause, diffusée sur Internet, montre une femme vêtue de noir et d’un manteau blanc de la marque. Elle est assise sur l’accoudoir d’un canapé et pose la main gauche sur l’épaule d’un homme positionné en contrebas, la tête au niveau des genoux de la femme. Il tient un sac de la marque contre lui. Les deux personnages ont le regard dirigé vers l’objectif. La femme a la peau blanche et pâle ; l’homme, qui porte des cheveux longs et une fine moustache, a la peau noire.

2. Les arguments échangés

Le plaignant relève que la photographie représente une femme blanche et un homme métis. Il considère que la femme est assise comme sur un trône et l’homme dans une position animale, le mot « ami » renvoyant selon lui à l’idée d’une représentation du chien, qualifié de « meilleur ami de l’homme ».

Il estime que l’image présente un caractère raciste en ce qu’elle met en scène un homme noir en position animale, clairement inférieur à la femme blanche.

Il relève que ce positionnement rappelle les tableaux de la Renaissance, où les maitres s’affichaient avec leurs animaux et leurs servants.

Il ajoute que cette scénographie, pensée par le photographe Alasdair McLellan, ne peut pas être le fruit du hasard.

La société AMI Paris a été informée, par courriel avec avis de réception du 6 janvier 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir qu’elle est une maison de mode ayant forgé, depuis douze ans, une réputation et une notoriété internationales. Comme son nom et l’histoire de sa création le suggèrent, AMI Paris est une marque prônant le lien d’amitié, l’accessibilité et la tolérance. En 2011 son créateur, Alexandre Mattiussi, a pensé sa marque en concevant des vêtements qualitatifs et abordables pour ses propres amis, des hommes et des femmes de toutes origines et classes sociales uniquement liés par le lien fédérateur de l’amitié.

La société compte aujourd’hui plus de 300 personnes et a toujours eu pour mots d’ordre la tolérance et l’inclusivité. Dans le choix de ses égéries et mannequins, elle privilégie le « street casting », notamment dans des quartiers populaires de Paris. Le dernier s’est déroulé en septembre 2020 et a révélé Nima Machado, un jeune homme tibétain-argentin.

Les équipes d’AMI Paris précisent qu’elles ont comme ligne directrice de faire figurer autant d’hommes que de femmes et de représenter toutes les origines ethniques. Tout un chacun doit pouvoir s’identifier, l’objectif étant de mettre en exergue le cosmopolitisme et le bouillonnement culturel propres à Paris.

La société explique qu’elle souhaitait raconter dans cette campagne une fin de soirée, après un dîner entre amis, le couple étant sur le point de quitter les lieux : l’homme apporte, à la manière d’un gentleman, son sac à sa femme et l’attend sur le canapé. Les autres clichés de cette campagne, prises dans le même appartement, sont joints à l’argumentaire de la société.

De manière globale dans la campagne, les origines ethniques et les genres sont représentés dans les mêmes proportions. Il s’agit de promouvoir l’image d’une femme forte, peu important ses origines ethnique et sociale. La mise en valeur de la femme est, en effet, particulièrement mise en scène sur cette image.

La société ajoute que la campagne a été divulguée au cours de la période durant laquelle s’est tenue l’exposition photographique dénommée « Family » résultant de la collaboration entre AMI Paris et les photographes Magnum à travers le monde. L’objectif est de mettre en valeur le cosmopolitisme et la mixité, et en aucun cas la discrimination.

Les collaborateurs d’AMI Paris se disent troublés par les propos tenus dans la plainte, et profondément émus par l’idée que l’image ait pu atteindre un individu, quel qu’il soit. AMI Paris tient ainsi à présenter ses sincères excuses auprès dc ce dernier. Les collaborateurs ont, dès qu’ils ont eu connaissance des connotations négatives ayant pu émaner de l’image, procédé à sa suppression de tous les sites et pages officiels d’AMI Paris afin que le moins de personnes possibles soient susceptibles d’en être offensées.

La société indique qu’elle œuvre actuellement à la mise en œuvre d’une procédure systématique de vérification iconographique, réalisée par des spécialistes, de chacune de ses publications et campagnes publicitaires.

Lors de la séance du 10 février 2023, le représentant de la société a repris en substance ces arguments. Il a précisé que la photographie en cause n’était plus diffusé et que la société était particulièrement attentive désormais aux protocoles permettant le meilleur respect des Recommandations de l’ARPP.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme.

3.2 Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie.

3.3 L’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe ethnique ou religieux doit être maniée avec la plus grande délicatesse.

4.1 La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes.

4.2 Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue. »

A titre liminaire, le Jury rappelle qu’en application du point 2.1 de son règlement intérieur, lorsqu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques des publicités qui font l’objet des plaintes dont il est saisi, il lui appartient d’analyser la publicité au regard des informations qu’elle véhicule, non à l’aune des seules intentions des professionnels qui l’ont conçue ou validée. En dernière analyse, c’est au regard de la lecture qu’en fait le consommateur normalement informé, raisonnablement attentif et avisé, que se prononce le Jury, en tenant compte du contexte social dans lequel la communication est diffusée et de la responsabilité sociale pesant sur les professionnels concernés. Dans ce cadre, lorsqu’il procède à l’examen de la publicité critiquée et qu’elle s’inscrit dans une campagne plus large de l’annonceur, le Jury peut prendre en considération celle-ci pour éclairer le sens de la publicité prise isolément.

S’agissant de l’application de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP, le Jury relève que si, en vertu du point 3.2, toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie doit être bannie, c’est à la condition que des constatations objectives établissent une situation d’infériorité ou une vision péjorative. La discrimination qui en découle doit ainsi se déduire du contenu (visuel ou textuel) de la publicité, au regard notamment du traitement défavorable, de la caricature ou, plus généralement, de la présentation négative et dénigrante de certaines personnes et de leurs attributs en fonction de leur appartenance réelle ou supposée à une ethnie.

En l’espèce, la publicité diffusée sur Instagram, est une des dix-neuf photographies de la campagne publicitaire de la marque de vêtements AMI France. Ce visuel montre une femme vêtue de noir et d’un manteau blanc de la marque. Elle est assise sur l’accoudoir d’un canapé et pose la main gauche sur l’épaule d’un homme positionné en contrebas, la tête au niveau de des genoux de la femme. Il serre un sac contre lui. Les deux personnages ont le regard dirigé vers l’objectif. La femme, qui porte une longue chevelure brune, a la peau blanche et pâle ; l’homme, qui porte des cheveux longs et une fine moustache, a la peau noire.

Lors de la publication sur Instagram, la photographie était associée à une autre photographie qu’il n’a pas été possible d’identifier.

Le Jury constate que les dix-huit autres photographies en couleur ou en noir et blanc représentent tantôt des mannequins seuls, tantôt des couples, le plus souvent assis par terre dans le même appartement. Les couples sont en général assis sans qu’il soit possible de déterminer des positions discriminantes, a fortiori des positions dominantes de femmes blanches présentées comme supérieures à des hommes noirs. Toutes les couleurs de peau y semblent en effet représentées et les modèles sont parfois manifestement androgynes, en sorte que, loin de traduire des sentiments d’exclusion, de racisme, d’intolérance et de sexisme, cette campagne, prise dans son ensemble, tend plutôt à les combattre. La campagne ne révèle ainsi aucune intention d’inciter à la discrimination en raison de l’origine ethnique, pas plus qu’elle n’induit l’idée d’infériorité des personnes d’une certaine origine en réduisant leur rôle ou leurs responsabilités dans la société.

Tout en relevant que la photographie en cause, prise isolément, présente une personne à la peau pâle en position surélevée par rapport à la personne à la peau plus foncée, le Jury estime que cette différence de situation, liée à leur position sur un canapé, n’est pas spontanément associée à une idée de soumission ou de dépendance par la majorité du public. En effet, la photographie s’inscrit dans la tradition des poses sophistiquées et artificielles de mannequins faisant la promotion de vêtements, les deux modèles présentant ici des qualités équivalentes de beauté et de présence à l’image. Aucun des deux ne signale, par son attitude, l’infériorité morale ou physique du mannequin situé en contrebas. En particulier, ni le regard de l’homme, ni son aspect général ne traduisent une quelconque souffrance, une tristesse ou un malaise, ni ne donne le sentiment qu’il serait captif ou privé d’autonomie. La main du personnage féminin posée sur lui peut s’interpréter comme un geste d’affection ou un signe de bienveillance, sans qu’on puisse en déduire que le personnage masculin serait ainsi ravalé au rang d’esclave ou d’animal de compagnie. Aucun texte ne vient accréditer cette thèse. Il s’en déduit que la publicité ne décrit aucune dépendance d’une catégorie ethnique sur une autre, ne valorise pas des sentiments de racisme et ne porte pas davantage atteinte à la dignité de la personne humaine.

En conséquence, si le Jury peut comprendre que le plaignant ait pu être choqué par la mise en scène du visuel isolé qu’il a interprété comme illustrant une situation d’infériorité d’un homme noir, une telle interprétation, qui ne s’induit pas de la description de l’image et demeure éloignée des intentions exprimées de l’annonceur, ne peut être retenue par le Jury, lequel doit se placer du point de vue d’un destinataire moyen, normalement informé et raisonnablement attentif. Tout en invitant l’annonceur à faire preuve de vigilance dans les mises en scène auxquelles il recourt afin de ne pas prêter le flanc à la polémique, le Jury considère donc que la publicité en cause ne méconnaît pas les règles déontologiques précitées de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Avis adopté le 10 février 2023 par le Jury de déontologie publicitaire, composé de M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Charlot et Boissier, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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