Avis JDP n°261/13 – PRODUITS MÉNAGERS – Plaintes fondées

Décision publiée le 21.08.2013
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’annonceur,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 8 et 11 juin 2013, de deux plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société annonceur pour son liquide vaisselle.

La publicité en cause, diffusée, sur le site Internet de la marque et comme bannière, montre une main de femme qui porte au poignet un bracelet de menottes en fourrure rose, dont l’autre extrémité est reliée au flacon de liquide vaisselle.

Cette image est accompagnée du texte suivant « Nouvel accessoire de plaisir ».

La seconde plainte demande aussi au Jury de se prononcer sur une publicité parue sur le site Internet de la marque qui consiste en un « Manifeste pour le droit des hommes à faire la vaisselle », libellé dans les termes suivants : « Parce que le talent des hommes pour faire la vaisselle n’est pas reconnu à sa juste valeur, nous réclamons le droit : De nous vider la tête, voire de nous défouler, en récurant le fond d’un plat spécialement coriace • De porter un tablier qui met notre taille en valeur • D’avoir une excuse pour quitter la table lorsque la conversation devient gênante • De manger dans une vaisselle immaculée, parce l’on est jamais mieux servi que par soi-même • De s’assurer que nos fils auront un succès indiscutable auprès de la gente féminine en suivant notre exemple • de profiter d’une soirée mousse en solo • De finir tranquillement les restes de gâteau sans témoin gênant • D’avoir une monnaie d’échange pour ne pas se voir attribuer les corvées de type « promener de caniche ». Vive la vaisselle libre … Vive les hommes ! Signé : L’union des hommes du XXIe siècle ».

Une bouteille de produit de vaisselle portant l’inscription « Secrets de vinaigre » est posée, à côté de ce texte.

2.Les arguments des parties

 Les plaignants font valoir que cette publicité est sexiste, car la femme, menottée, est donc condamnée à faire la vaisselle, ce qui est avilissant. Ils soutiennent qu’il s’agit d’érotiser une corvée tout en rappelant que la contrainte incombe aux femmes.

La plainte du 8 juin 2013 ajoute que le « Manifeste pour le droit des hommes à faire la vaisselle » sous-entend que ce n’est pas à eux de faire la vaisselle mais qu’ils le revendiquent, et que s’ils ne la font pas, ils ne sont pas responsables de cette situation.

La société annonceur indique qu’à titre conservatoire, elle a, le 17 juin 2013, interrompu la diffusion de la campagne publicitaire et retiré le  « Manifeste pour le droit des hommes à faire la vaisselle » du site internet dès  qu’elle a été avisée des plaintes.

Concernant le message publicitaire, elle fait valoir que sa campagne avait pour objectif de véhiculer le message selon lequel le produit est doux pour la peau, sent bon et rend par conséquent la corvée de vaisselle, qui en général abîme les mains, plus plaisante.

Elle précise qu’historiquement, la marque n’hésite pas à rompre avec les codes habituels du segment des détergents et qu’en l’espèce, les menottes, agrémentées de fourrure rose, loin de l’imaginaire carcéral, sont une traduction symbolique du plaisir et ne renvoient qu’aux codes d’un univers « coquin » dans l’air du temps, un univers de plaisir. Cette main menottée est « condamnée » au plaisir (et non à une répartition sexuée des tâches).

Selon elle, le slogan « Nouvel accessoire de plaisir » vient d’ailleurs relayer cette idée.

Par ailleurs, l’objectif poursuivi étant de présenter l’idée d’un produit de douceur pour la peau, le choix de l’utilisation d’une main féminine s’explique avant tout par l’image de douceur qu’elle dégage. De même, la couleur du visuel fait écho aux propriétés même du produit qui est parfumé à la rose. A contrario, interpréter, selon elle, le rose uniquement comme un symbole féminin, participerait d’une vision stéréotypée de la société.

L’annonceur ajoute qu’en tout état de cause, il s’agissait surtout d’une forme de clin d’œil décalé.

Concernant la campagne Internet « Manifeste pour le droit des hommes à faire la vaisselle », la société fait valoir que ce message s’inscrit dans la même tradition décalée propre à la marque et qu’elle visait, avant tout, à faire sourire les internautes, tout en distillant une certaine critique d’un état de fait éminemment contestable.

La société fait valoir également que la publicité ne comporte ni nudité, ni aspect indécent, l’image stylisée étant uniquement destinée à évoquer le plaisir. Ce visuel tient compte de l’évolution évidente des sensibilités et des mœurs depuis une trentaine d’années. Là encore, il relève d’un humour décalé mais dans un registre très différent de certains messages quant à eux explicitement provocateurs auxquels le public est régulièrement confronté, tant dans la presse que sur internet.

L’annonceur ajoute que la marque n’a aucune volonté de diffuser une image avilissante des femmes. En tout état de cause, la marque n’aurait eu aucun intérêt à le faire, ce message publicitaire ayant uniquement vocation à susciter l’achat.

En outre, la marque n’a à aucun moment voulu véhiculer l’expression d’un stéréotype sexuel.

Enfin, l’annonceur considère qu’il ne peut lui être reproché de porter atteinte à l’image de la femme en présentant celle-ci comme condamnée, soumise par la violence.

Outre que les menottes représentées, couvertes de fanfreluches, se démarquent à l’évidence de l’univers carcéral, le visuel utilisé visait à représenter une certaine idée du plaisir, sous un angle humoristique et légèrement provocant.

Concernant le message « Manifeste pour le droit des hommes à faire la vaisselle », si celui-ci joue avec certains stéréotypes, cette utilisation est également faite sur le ton de l’humour et, afin notamment d’encourager les hommes à partager les tâches ménagères, les statistiques montrant encore malheureusement un déséquilibre dans de nombreux foyers.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle qu’aux termes du point 1.3 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP :

« D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».

Le point 2.1 de la même Recommandation prévoit que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;

La publicité promeut un produit vaisselle par la photo d’une main de femme aux ongles vernis, enchaînée au flacon par une paire de menottes entourée de fourrure. L’image qui décline divers tons de rose, se compose aussi d’un amoncellement de mousse, parsemée de pétales, dont sort une éponge en forme de cœur.

Cet ensemble, qui réunit différents stéréotypes de l’imagerie féminine, la couleur, la laque des ongles, la forme de l’éponge, les pétales de fleur, présente la vaisselle comme étant une activité spécifiquement féminine.

Plus encore, la présence des menottes ainsi que le slogan « Nouvel accessoire de plaisir », donne une représentation agréable de l’asservissement de la femme aux fonctions  ménagères, ce qui le banalise.

Enfin, cet accessoire induit l’idée que l’accomplissement de cette tâche peut être érotisé, liant ainsi deux stéréotypes : celui d’une activité propre aux femmes et celui de la femme objet sexuel.

Cette représentation qui réduit la femme à une condition d’objet est renforcée par le « Manifeste pour le droit des hommes à faire la vaisselle » apparaissant sur le site. Celui-ci suggère par son titre que les hommes devraient lutter pour acquérir le droit de faire la vaisselle et suggère que, non seulement cette activité est propre aux femmes, mais que, de plus, elles sont les responsables de cette situation et y trouvent de multiples avantages.

Au regard de ces constats, il importe peu que les publicités en cause ne fassent pas apparaître de nudité  ou ne soient pas explicitement érotiques puisqu’elles contreviennent, en tout état de cause, à d’autres dispositions de la Recommandation Image de la personne humaine que celles concernant la décence.

Par ailleurs, l’intention de l’annonceur qui peut expliquer les ressorts d’un visuel, ne saurait modifier l’appréciation portant sur la publicité telle qu’elle est diffusée

Le Jury estime en conséquence que la représentation donnée de la femme dans les deux messages examinés, la réduit, par les stéréotypes utilisés, à la fonction d’objet et qu’elle est de ce fait dégradante.

En conséquence, le Jury considère que ces deux publicités contreviennent aux règles déontologiques précitées.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– Les publicités en cause ne respectent pas les points 1.3 et 2.1 de la Recommandation « Image de la Personne Humaine » ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non-renouvellement de cette publicité ;

– La décision sera communiquée aux plaignants et à l’annonceur;

– Elle sera publiée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 5 juillet 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Drecq et MM. Depincé, Lacan et Leers.