Avis JDP n°295/14 – BOISSONS ALCOOLIQUES – Plainte fondée

Décision publiée le 26.12.2013
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie et de la société annonceur ainsi que le représentant de l’association représentant les professionnels du secteur ;

– et, après en avoir délibéré hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 6 novembre 2013, d’une plainte de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (l’ANPAA), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée dans un magazine, en faveur d’une marque de vodka.

La publicité mise en cause présente une bouteille de vodka, en premier plan en bas à droite du visuel, sur un fond de ciel nuageux aux couleurs bleu, violet et rose, dans lequel volent des oies.

Dans le haut de l’image est inscrit le slogan « Fly beyond » qui est traduit dans le bas de la page par « s’envoler au-delà ». Sous ce slogan on peut lire : « X  a été créée à partir de deux ingrédients et une ambition : élaborer une vodka française d’exception ».

Au bas de l’annonce il est indiqué : « X  va bien au-delà des standards de la vodka, à l’image de son créateur qui s’envola au-delà de l’Atlantique pour chercher en France un Maître de chai au savoir-faire unique, ainsi que le seul blé et la seule eau de source à la mesure de son ambition. Ce voyage est symbolisé par l’envol d’oies sauvages sur la bouteille ». Face à ce texte, sur la gauche de l’image,  est apposée une photo de la bouteille, sous laquelle est inscrit « X Vodka française d’exception ». Cet ensemble est suivi du  message sanitaire “L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération”.

2.Les arguments des parties

 L’association plaignante fait valoir que le slogan « Fly beyond », rédigé en anglais pour attirer l’attention, contrevient aux dispositions de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, puisqu’il est sans rapport avec les mentions autorisées par ce texte et que, de plus, cette mention est incitative car elle laisse le consommateur imaginer qu’il va vivre une expérience unique, passer un cap, lever des obstacles et atteindre des objectifs qu’il serait impossible d’atteindre sans consommer cette boisson alcoolisée.

Elle ajoute que ce slogan évoque les effets de l’alcool, ce qui contrevient également à la disposition 1-1 de la Recommandation Alcool.

L’ANPAA soutient que le paragraphe d’explication, en bas à droite du message, a pour objet de masquer le caractère illicite du message et démontre, par sa présence, que l’annonceur avait pleinement conscience de ce qu’il dépassait ce qui est autorisé par la règlementation.

La société annonceur fait tout d’abord observer que le visuel est totalement neutre et qu’il illustre l’animal emblème de la marque. La mention, selon laquelle « X a été créée à partir de deux ingrédients et une ambition : élaborer une vodka française d’exception» est, selon lui, totalement factuelle et rappelle succinctement l’histoire de la création de cette vodka. Ces éléments sont conformes à la mention relative à l’origine prévue à l’article 3/1.3 de la Recommandation Alcool de l’ARPP. Cette mention traite par ailleurs des deux ingrédients (l’eau et le blé) qui entrent dans l’élaboration du produit, ce qui est prévu à l’article 3/1.5 de la même Recommandation.

La société explique que la vodka est porteuse d’une histoire, car elle a été élaborée en France dans le respect d’une distillation inspirée des grandes eaux de vie de vin, concept totalement nouveau pour des alcools de ce type. Son créateur, de nationalité américaine, poursuivant l’objectif de créer une vodka de très haute qualité, s’est adressé à un maitre de chai charentais, qui a apporté un savoir-faire unique de la région de Cognac.

L’annonceur explique que tout l’axe de communication repose sur la qualité exceptionnelle du produit et sur la vision audacieuse qui a conduit un Américain à oser produire une vodka en Charente, fief du Cognac, ce qui relève de la gageure et requiert une vision allant au-delà des schémas établis.

La société fait aussi valoir que la dégustation de cet alcool doit se faire lentement, pour permettre la mise en valeur de la richesse des arômes, ce qui implique une consommation raisonnable et lente. Selon elle, sa communication respecte les principes généraux de la Recommandation Alcool et principalement son article 1/1.

Concernant la représentation des oiseaux, la société fait valoir qu’afin que le public puisse identifier le produit immédiatement, la campagne reprend un envol d’oies sauvages sur fond de ciel. Le symbole de la marque, l’oie sauvage, est un rappel de l’origine du produit puisque cet oiseau est réputé pour être le seul migrateur parcourant des distances considérables, de surcroît en traversant l’océan atlantique, comme l’a fait le créateur de cette boisson.

Il fait valoir que sa publicité n’encourage pas une consommation excessive d’alcool, et ne laisse pas entendre que la consommation d’alcool pourrait constituer une aide pour surmonter ses problèmes ou serait un facteur de réussite sociale. Elle soutient que l’usage des éléments distinctifs de la marque est conforme à la définition de la dénomination figurant à l’article 3/1.4 de la Recommandation Alcool de l’ARPP qui précise que la dénomination inclut la marque.

Concernant le slogan « Fly Beyond »,  traduit littéralement par « S’envoler au delà », qui peut être également traduit par « Voler plus loin », la société oppose aux critiques de l’ANPAA que l’axe de communication de cette vodka n’a rien à voir avec un encouragement à consommer ce produit en grande quantité.

Elle fait valoir à ce sujet que le prix de vente excède les 40 euros dans le commerce de détail et elle estime que voir dans le slogan une apologie de l’ivresse est en complète contradiction avec son angle de communication.

Le slogan est donc, selon elle, conforme aux articles 3/1.3 et 3/1.4 de la Recommandation Alcool de l’ARPP.

L’association intervenante, rappelle qu’elle a pour objet de lutter contre la consommation excessive d’alcool, et qu’elle est amenée à donner son avis aux professionnels du secteur, dont elle regroupe les principaux membres, sur les publicités qu’ils envisagent de diffuser. Elle indique toutefois que la publicité litigieuse ne lui a pas été soumise pour avis par la société annonceur.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation Alcool de l’ARPP dispose, notamment que :

Au point 1 –

« Aucune communication commerciale ne doit encourager une consommation excessive ni constituer une critique de l’abstinence ou de la sobriété. »

« Aucune communication commerciale ne doit suggérer que les boissons alcoolisées sont dotées de propriétés thérapeutiques, ont un effet stimulant, sédatif, anticonflictuel, ni vouloir démontrer qu’elles peuvent améliorer les performances physiques, psychiques ou intellectuelles. »

« Aucune communication commerciale ne doit présenter la consommation de boissons alcoolisées comme une aide pour surmonter des problèmes individuels ou collectifs ni illustrer ou mentionner des succès obtenus grâce à la consommation de boissons alcoolisées.

« Aucune communication commerciale ne doit vouloir démontrer que la consommation de boissons alcoolisées contribue à la réussite sentimentale, sportive, sexuelle, constitue un signe de maturité, un attribut de la virilité, ou est indispensable à la réussite sociale.

« Aucune communication commerciale ne doit associer la consommation de boissons alcoolisées à des situations de chance, d’exploit, d’audace ou d’exercice d’un sport.

 Au point 3 – Indications et références autorisées :

« Le contenu des publicités doit se limiter à des informations ou des mentions autorisées par la réglementation, en particulier l’article L.3323-4 du Code de la Santé Publique modifié par la loi du 23 février 2005 :

3 1.1 “ La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication… ” :

Le terme “ indication ” permet l’expression publicitaire par le texte, le son ou l’image.

La représentation de personnages doit traduire une fonction professionnelle effective, passée ou présente, exercée dans l’élaboration, la distribution ou la présentation du produit au consommateur (sommelier, maître de chai, chef de cuisine, etc.).

3 1.3 “ … de l’origine… ”

L’origine peut être historique, géographique ou relative à celle des matières premières utilisées pour l’élaboration du produit. Le lien avec le produit doit être fondé.

3 1.4 “ … de la dénomination… ”

La dénomination comprend également la marque.

3 1.7 “ … ainsi que du mode d’élaboration… ”

La description doit se rattacher aux opérations qui aboutissent à l’obtention d’un produit fini, embouteillé, étiqueté et présenté au consommateur final.

(…)”

3 1.10 “ Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, (…)”

Le terme “ références ” permet l’expression publicitaire au niveau du texte, du son ou de l’image (…).

Le Jury rappelle que, conformément à l’article 3 de son règlement intérieur, il n’est compétent que sur les questions relatives au non-respect des règles de déontologie publicitaire, et il statue exclusivement sur la conformité des messages publicitaires avec les Recommandations de l’ARPP, les principes généraux contenus dans le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, et les engagements publiés pris par l’interprofession à l’égard des pouvoirs publics et cosignés par l’ARPP.

La Recommandation Alcool élaborée par les représentants des professions de la publicité réunies au sein du BVP, devenu l’ARPP, se réfère dans sa partie « Publicité – Indications et références utilisées », aux dispositions de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, dont elle prescrit le respect. Cette référence à une disposition législative implique nécessairement que l’analyse du Jury porte sur la conformité de la publicité à cette disposition, telle qu’interprétée par la jurisprudence judiciaire.

Sur le slogan « Fly beyond »

La traduction de « Fly beyond » par « s’envoler au-delà », retenue par la société annonceur sur sa publicité, est expliquée par elle comme étant une référence à l’origine du produit, créé par un américain qui a décidé de faire fabriquer une vodka dans une région de France réputée pour son cognac, ainsi qu’au caractère d’exception de celle-ci.

Cependant, ce slogan appliqué à une boisson alcoolisée induit nécessairement une association à l’idée de voyage et, plus encore, à celle de dépassement de limites, qu’elles soient physiques, sensorielles ou psychologiques. Cette interprétation est renforcée par la représentation de l’oie qui traverse le O de « beyond » qui est représentée dans une position diagonale la tête orientée vers le haut, c’est-à-dire dans une position d’envol, et est visuellement située au-dessus du groupe formé par les autres oies, dont il se détache nettement, dans un ciel dépourvu de limites.

Les explications apportées, qui rattachent le slogan au voyage du créateur du produit et à son ambition d’exception, ne sont pas de nature à retirer aux termes du slogan l’imaginaire induit naturellement par leur sens littéral et qui est en l’espèce renforcé par le visuel précédemment décrit.

Il ne peut, dans ces conditions, être admis que ce slogan se rattache seulement à l’origine du produit dans son sens historique ni à sa composition (blé et eau). En conséquence il ne respecte pas les dispositions de l’article 3 de la Recommandation et particulièrement celles des points 3/1 et 3/1.3. De plus, en induisant l’idée que la vodka promue permet le dépassement de limites, le slogan et le visuel ne respectent pas les dispositions de l’article 1/1 de la Recommandation Alcool.

Il est indifférent, dès lors, que la publicité se réfère dans ses éléments visuels à la marque, qu’elle n’encourage pas littéralement à une consommation excessive ou en grande quantité et que le prix du produit serait de nature à limiter les excès.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la publicité en cause ne respecte pas les dispositions des articles 1/1, 3/1 et 3/1.3 de la Recommandation Alcool de l’ARPP.

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– La publicité en cause ne respecte pas les dispositions des articles 1/1, 3/1 et 3/1.3 de la Recommandation Alcool de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de la diffusion de cette publicité ;

– La décision sera communiquée à l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, ainsi qu’aux sociétés annonceur et support ;

– Elle sera publiée sur le site du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 10 janvier 2014, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Moggio, et MM. Benhaïm et Depincé.