Avis JDP n°242/13 – ASSOCIATIONS CARITATIVES – Plaintes fondées

Décision publiée le 13.02.2013
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant les dossiers de plainte,

– après avoir entendu l’un des plaignants et les représentants de l’annonceur,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 10 décembre 2012, de trois plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité d’une fondation ayant pour but de sensibiliser le public sur son action en faveur de la protection de l’embryon, diffusée en presse dans un magazine hebdomadaire.

Cette publicité représente, en partie haute, l’image en noir et blanc d’une queue de baleine sortant de l’eau et sur la partie basse, l’image d’un « embryon » in utero.

Le texte accompagnant ces visuels est «Vous trouvez ça normal ? On arme des bateaux pour défendre les baleines alors qu’on laisse l’embryon sans défense ».

En bas de page, la publicité renvoie au site Internet de l’annonceur par deux encarts : à gauche « Vous ne trouvez pas ça normal ? Aidez-nous à protéger l’embryon. www.vous-trouvez-ca-normal.com » ; à droite « Vous trouvez ça normal ? Complétez vos connaissances. www.vous-trouvez-ca-normal.com. ».

La publicité est signée par le logo de l’annonceur.

2.Les arguments des parties

Les plaignants considèrent que la publicité induit le public en erreur dès lors qu’elle représente non pas un embryon mais un fœtus de plus de neuf semaines, dont on distingue notamment les yeux et les membres. Ils précisent que la recherche embryonnaire porte sur des embryons de quelques cellules (huit) et non sur un être vivant de plus de 8 semaines. Ils ajoutent que la publicité peut être interprétée comme une contestation de l’avortement.

La fondation conteste les griefs portés à son encontre au titre d’une prétendue violation de l’article 5 du code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing.

Rappelant qu’elle est reconnue d’utilité publique depuis 1996 et qu’elle œuvre en faveur de la dignité de la personne humaine, elle indique avoir souhaité sensibiliser le public, par une image hautement symbolique, à l’importance d’une protection de l’embryon, quel qu’en soit le stade, face à une forme de transgression éthique et dans un contexte de réforme législative.

Elle soutient que la publicité litigieuse représente un embryon et non un fœtus, et qu’en tout état de cause, l’utilisation d’un embryon proche du stade fœtal vise à renforcer la symbolique du message, par analogie avec la campagne gouvernementale contre le tabagisme, qui représente un « fœtus » accompagné du message suivant : « fumer pendant la grossesse nuit à la santé de votre enfant ».

La fondation précise qu’en aucun cas elle n’a entendu critiquer la pratique de l’avortement, sa publicité ne contestant que les perspectives de la recherche sur l’embryon, qui n’est pas un simple « matériel de laboratoire ».

Le journal a transmis des éléments d’explication, en dehors cependant du délai fixé pour le retour des différents arguments. Ceux-ci n’ont pu être communiqués aux parties et donc pris en compte par le Jury.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle qu’en vertu de l’article 5 du code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale : « La communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse. La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur (…). ».

Il précise à titre liminaire que ces dispositions, qui posent le principe de véracité de la publicité, sont applicables non seulement à celles qui ont pour objet de promouvoir un produit commercial, mais aussi à celles qui, comme en l’espèce, concourent à la défense d’une cause ou d’une idée.

Le Jury tient compte, dans la mise en œuvre des règles déontologiques dont il lui appartient d’apprécier le respect, des spécificités de cette communication publicitaire, dont l’objet est en règle générale d’interpeller voire de heurter l’opinion publique afin de la sensibiliser à un problème de société ou à une cause d’intérêt général.

S’agissant des questions bioéthiques, il estime toutefois qu’une vigilance particulière est requise des professionnels en raison, tant de la sensibilité du sujet, que de sa technicité et de sa complexité pour la généralité des citoyens.

Le Jury rappelle enfin qu’il ne lui appartient en aucun cas de s’immiscer dans des controverses scientifiques ou politiques, ni de les trancher à l’occasion des plaintes dont il est saisi.

En l’espèce, il constate que la publicité litigieuse peut aussi bien représenter, dans l’esprit des lecteurs du journal dans lequel elle était reproduite, un embryon très proche du stade fœtal (huit semaines) qu’un fœtus. Le terme d’embryon utilisé ne saurait donc par lui-même être regardé comme inapproprié.

Pour autant, il considère que cette communication, qui laisse entendre que l’embryon serait ou pourrait être « sans défense », alors que les baleines font l’objet d’une protection internationale contre les chasseurs, est susceptible d’induire en erreur le public.

Comme la fondation l’a elle-même rappelé lors de son audition par le Jury, l’embryon humain bénéficie aujourd’hui d’un statut juridique extrêmement protecteur, puisque le code de la santé publique pose un principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon comme sur les cellules souches embryonnaires, assorti de dérogations très encadrées, tant au regard des conditions de fond auxquelles elles sont subordonnées que de la procédure applicable.

Si une proposition de loi autorisant, sous certaines conditions, la recherche sur l’embryon a été récemment adoptée par le Sénat afin de substituer au régime d’interdiction un régime d’ « autorisation encadrée » reprenant en large partie les mêmes conditions, une telle initiative ne saurait justifier qu’on présente l’embryon comme dépourvu ou susceptible d’être dépourvu de toute protection, notamment juridique, par opposition à une espèce animale menacée qui bénéficierait d’une mobilisation de la communauté internationale.

Plus encore, le Jury constate que, selon les dires de la plaignante auditionnée, non sérieusement contestés par la fondation, la représentation de l’embryon ou du fœtus qui figure sur cette publicité ne correspond en rien à la réalité de la recherche en laboratoire sur les cellules souches embryonnaires. Celle-ci porte sur des cellules prélevées à un stade très précoce et d’une taille microscopique à partir d’un embryon conçu in vitro, alors que la communication en cause  laisse entendre qu’elle porterait sur des embryons proches du stade fœtal et issus d’une gestation intra-utérine. Ce choix entretient de surcroît la confusion entre le message que la fondation indique avoir voulu adresser, qui touche uniquement à la protection de l’embryon contre les recherches susceptibles d’y porter atteinte, et la question de l’interruption volontaire de grossesse.

Le Jury estime ainsi que cette publicité, qui prétend par ailleurs, par le renvoi au site Internet de la fondation auquel elle procède, informer le public sur la recherche sur les embryons, est moins de nature à le sensibiliser qu’à l’induire en erreur sur la réalité de cette recherche et sur ses perspectives à court ou moyen terme.

Dans ces conditions, il considère que cette publicité méconnaît l’article 5 du code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– La publicité litigieuse méconnaît l’article 5 du code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à mettre fin à cette publicité et qu’elle ne soit pas renouvelée ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à la fondation et à l’hebdomadaire;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le vendredi 1er février 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.