Avis JDP n°361/15 – GRANDE DISTRIBUTION – Plainte fondée

Avis publié le 18 février 2015
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,

– après avoir entendu les représentants de l’agence de communication,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 30 décembre 2014, d’une plainte de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en presse, notamment dans un journal quotidien, par une société de la grande distribution.

Cette publicité est divisée en deux parties de tailles approximativement équivalentes, un visuel surmontant un texte sur deux colonnes. Le visuel présente cinq piles de pièces de un euro, au-dessus desquelles figurent le nom et le logo d’enseignes de grande distribution.

A gauche de l’image, la pile la plus petite est constituée d’une seule pièce de un euro qui illustre les prix de la société annonceur.

A sa droite sont positionnés deux groupes de piles de pièces de monnaies, nettement plus hautes, illustrant l’écart de prix pratiqué par les enseignes de deux groupes de distribution concurrents, en mentionnant cet écart au moyen d’un pourcentage.

L’accroche publicitaire « Qu’est-ce qui peut justifier de tels écarts de prix ? Rien ! » figurant en gros caractères est suivie d’un texte explicatif, puis du logo de l’enseigne.

2. Les arguments échangés

– L’association plaignante considère que cette publicité est trompeuse et ne respecte pas l’article 11 du code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale qui précise que « la communication commerciale contenant une comparaison doit être conçue de telle sorte que la comparaison ne soit pas de nature à induire en erreur le consommateur … ».

En effet, selon elle, le décalage entre les écarts de prix et le visuel est de nature à induire en erreur le consommateur car l’une des enseignes est annoncée 7,6% + cher que l’annonceur. Visuellement, l’annonceur est représenté par une pièce de 1€, l’autre enseigne, par 16 pièces ! Ce qui donne l’impression d’un écart de prix 16 fois plus élevé soit une différence de l’ordre de 1500% ! une autre enseigne est représentée par 27 pièces soit une différence de 2600 %.

La différence de prix de 7,6% est ainsi visuellement ressentie comme bien plus importante qu’elle ne l’est en réalité, ce qui peut manifestement induire le consommateur en erreur.

– La société annonceur et son agence de communication, ont été informées par courrier recommandé avec avis de réception du 13 janvier 2015 de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

L’agence expose, en premier lieu, que la plainte du particulier qui écrit en donnant pour adresse celle de l’UNAF est irrecevable, puisque cette adresse n’est pas la sienne.

Elle ajoute que, contrairement à ce que laisse croire la plainte transmise par le Jury de Déontologie Publicitaire, cette publicité ne se limite pas au seul visuel qui couvre un tiers de la page et qui est suivi :

– d’une part, d’une accroche: « Qu’est-ce qui peut justifier de tels écarts de prix ? Rien ! »,

– puis, d’autre part, d’une explication très précise signée par le représentant de l’annonceur et selon lequel :

« Le pouvoir d’achat des Français est en baisse. Pour les consommateurs, même en ces jours de fête où l’on a envie de faire plaisir, il faut maîtriser au maximum les dépenses.

« Certains groupes de distribution ont trouvé la parade. Ils reprennent d’une main ce qu’ils ont donné de l’autre.

« Si l’on observe les prix dans leurs magasins, on constate que la plupart des groupes de distribution n’ont baissé les prix que partiellement, dans certaines villes, sur certains produits, mais rarement dans l’ensemble de leur réseau.

« Les écarts de prix peuvent même être considérables (jugez-en !) entre les enseignes d’un même groupe !

« Comment peuvent-elles justifier de tels écarts de prix, alors qu’elles s’approvisionnent dans les mêmes super-centrales d’achat, qu’elles n’offrent pas de services supplémentaires à leurs clients, et qu’elles vendent quasiment les mêmes marques et les mêmes produits, de la supérette à l’hypermarché ?

« Pour les centres X, vendre moins cher, ça ne se réduit pas à une stratégie de communication limitée à quelques magasins.

« C’est une priorité sociale qui doit se démontrer tous les jours, partout et en tout lieu, en hyper ou en supermarché, comme dans les drives.

« En cette fin d’année, c’est l’engagement renouvelé des centres X pour 2015. Avis aux concurrents, entre la bourse et les consommateurs, il va vous falloir choisir ! »

Sous cette explication, on trouve les mentions auxquelles renvoient les astérisques qui suivent les pourcentages:

« * Écarts de prix par rapport à X calculés sur la base des prix de produits de marques nationales collectés (entre le 5 et le 29 novembre 2014) dans 1 250 magasins de 5 enseignes : 106 Y, 112 Z, 177 W, 279 V** et 576 X. Plus d’informations et détail des prix collectés sur quiestlemoinscher.com

** Prix relevés uniquement sur internet. »

L’agence explique que cet ensemble forme un tout et qu’il est manifestement abusif de soumettre au Jury de Déontologie Publicitaire un tiers d’une publicité, alors qu’elle doit être appréciée dans son ensemble. Selon elle, un tel procédé discrédite totalement la plainte et contrevient au Règlement du JDP. La plainte est en conséquence irrecevable.

Par ailleurs, l’agence expose que le principe de liberté d’expression est appliqué à la publicité et que, par application de la directive 2006/114 qui réalise une harmonisation exhaustive de la matière, l’appréciation de la licéité d’une publicité comparative doit être effectuée uniquement à la lumière des critères établis par le législateur de l’Union et qu’ainsi que l’a précisé la Cour de justice de l’Union dans un arrêt du 8 avril 2003, ( Aff. Pippig Augenoptik, aff. C-44/01, motifs 21 et 44) : «(…) les dispositions nationales plus strictes en matière de protection contre la publicité trompeuse ne peuvent pas s’appliquer à la publicité comparative en ce qui concerne la forme et le contenu de la comparaison. » 

Elle rappelle aussi que les critères de licéité de la publicité comparative doivent être appréciés dans le sens « le plus favorable » à celle-ci. Selon elle, ces règles s’imposent au Jury de Déontologie Publicitaire, qui a vocation à régir de façon collective en France les messages publicitaires en ce qu’il a pour mission de se prononcer publiquement sur les plaintes émises à l’encontre de publicités ou de campagnes susceptibles de contrevenir aux règles professionnelles relatives aux messages publicitaires.

Sur le fond, l’agence indique que si la publicité comparative ne peut être trompeuse, la mise en évidence du caractère trompeur des publicités comparatives a été encadrée par la Cour de Justice, et les autorités nationales ne peuvent être plus strictes. Elle rappelle qu’une publicité comparative demeure une « publicité », peut « vanter » une offre et peut encore choisir les paramètres qui sont « le plus favorables » à l’annonceur. Ainsi pour qu’elle soit condamnable, une publicité ne doit pas seulement être mensongère, elle doit aussi être trompeuse, c’est-à-dire de nature à induire en erreur celui qui la reçoit. Il est à ce sujet admis depuis longtemps par la jurisprudence que la publicité peut avoir un caractère hyperbolique.

Par ailleurs, elle fait valoir qu’aux termes d’une jurisprudence constante, les tribunaux doivent, pour apprécier si le message publicitaire est ou non de nature à induire en erreur, se placer dans l’optique du consommateur moyen. Il est admis que ce dernier est à présent parfaitement conscient des aspects nouveaux des moyens d’animation et on doit tenir compte du degré de discernement et de sens critique de la moyenne des consommateurs, la loi n’étant pas destiné à protéger les faibles d’esprit. Elle rappelle encore, qu’il faut démontrer que la demande collective des consommateurs (« nombre significatif ») a été faussée par la publicité (« décisions d’achat » qui « n’auraient pas été prises autrement ») ; il faut ici prouver ce fait qu’est le déplacement de la demande.

Selon l’agence, le plaignant n’apporte pas la preuve d’un déplacement de la demande par l’effet de la publicité en cause et le Jury de Déontologie Publicitaire ne peut le présumer.

Elle ajoute que l’auteur de la plainte n’est pas représentatif puisque la campagne publicitaire critiquée a été diffusée le 16 décembre 2014 à plus de 2,6 millions d’exemplaires, ce qui représente un lectorat d’environ 14 millions d’individus et que ni la société ni l’agence n’ont reçu de plaintes. Selon elle, le plaignant ne constitue pas un panel qui aurait eu vocation à être représentatif d’un lectorat estimé à 9 millions de personnes et il ne peut être considéré comme représentant « le consommateur moyen ».

S’agissant plus précisément de la plainte, l’agence fait valoir que son auteur n’a procédé à aucun acte d’achat, mais avoir procédé à une comparaison des prix. De ce fait, il n’a subi aucun préjudice. Il est dépourvu de toute qualité et de tout intérêt à agir.

Elle ajoute que le plaignant ne semble pas représenter un faible d’esprit puisque de façon très attentive, il a relevé les exagérations du visuel et a perçu non seulement l’écart entre les chiffres et la présentation publicitaire, mais a parfaitement compris que les chiffres étaient exacts, et la présentation visuelle exagérée. Ainsi, selon l’agence, le plaignant a également parfaitement perçu que les pourcentages donnés étaient une explicitation, alors que la présentation visuelle est de fantaisie. Il n’a donc pas été trompé. Il ignore simplement ce qu’est la licence publicitaire, le droit d’exagérer à condition de ne pas tromper. Sa plainte n’est pas fondée, ni à l’égard de l’annonceur, ni de son agence de publicité.

– La société diffuseur a précisé au Jury qu’en tant que support elle n’avait aucune influence sur le contenu des campagnes publicitaires mais qu’en tout état de cause celui visé par la plainte ne lui avait pas paru contraire aux principes déontologiques.

3. L’analyse du Jury 

A titre liminaire, le Jury de déontologie publicitaire rappelle qu’il n’est pas une juridiction. Il a seulement reçu de la part de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) qui regroupe les représentants des trois professions intéressées par la publicité (annonceurs, agences, diffuseurs) la mission d’apprécier si les publicités dont il est saisi par des plaignants, personnes physiques ou morales, sont ou non, conformes aux Recommandations déontologiques que les professionnels de la publicité se sont donnés à eux-mêmes et qu’ils se sont engagés à respecter.

En conséquence, il ne saurait qualifier une publicité d’illicite ou de « trompeuse » au sens où l’entendent les législations européenne et nationale, ainsi que la jurisprudence. Au cas particulier son examen se limitera au respect du principe de loyauté et des règles déontologiques qui en découlent, précisés dans le code de la Chambre de commerce internationale et dans les Recommandations de l’ARPP.

Sur la recevabilité de la plainte

En application de l’article 11 de son règlement intérieur, publié sur son site Internet, le JDP peut être saisi d’une plainte par toute personne physique ou morale. Celle-ci doit être présentée par écrit, et préciser le nom complet et des coordonnées du plaignant.

La plainte contre la publicité examinée dans le présent avis a été adressée par une personne physique depuis l’adresse internet de l’Union départementale des associations familiales (UDAF) et donne pour adresse postale celle de cette association.

Le Jury pouvant être saisi par une personne morale ou physique, il importe peu que le plaignant qui, manifestement, a souhaité saisir le JDP au nom de l’association, n’ait pas donné son adresse personnelle. Par ailleurs, l’absence de cette précision ne cause aucune atteinte, préjudice ou trouble particulier à l’agence, à l’annonceur ou aux diffuseurs et en conséquence, le JDP considère que la plainte est régulière.

Par ailleurs, ainsi qu’il a été précisé aux représentants de l’agence lors de la séance, le plaignant a transmis au Jury la publicité dans son intégralité et non le seul visuel. Le fait que le secrétariat n’ait adressé aux personnes concernées que le seul visuel, sur lequel porte d’ailleurs l’intégralité de la critique, n’est pas de nature à rendre la plainte ou la procédure irrégulière.

Par ailleurs, au regard de l’article 11 du règlement intérieur du JDP, il suffit d’une plainte pour que celui-ci puisse rendre un avis. En conséquence, celle qui fait l’objet du présent avis ne peut être déclarée irrecevable pour n’émaner que d’une seule source.

Sur la conformité aux principes déontologiques

Le Jury rappelle que le code de la Chambre de commerce internationale consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale (dit code ICC) dispose, en son article 1er, que toute communication commerciale doit être « loyale et véridique ».

L’article 5 du même code précise que « la communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse. / [Elle] ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui concerne : / – des caractéristiques du produit qui sont essentielles, ou en d’autres termes, de nature à influencer le choix du consommateur, telles que (…) l’efficacité et les performances (…) ». 

L’article 3 énonce que « La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs. Tout facteur pertinent susceptible d’influencer la décision des consommateurs doit être signalé d’une manière et à un moment qui permettent aux consommateurs de le prendre en considération. »

L’article 11 indique que « la communication commerciale contenant une comparaison doit être conçue de telle sorte que la comparaison ne soit pas de nature à induire en erreur le consommateur et elle doit respecter les principes de la concurrence loyale. Les éléments de comparaison doivent s’appuyer sur des faits objectivement vérifiables et qui doivent être choisis loyalement.»

Ces recommandations dans leur ensemble fixent les limites déontologiques de l’exercice de la liberté d’expression dans la publicité, qui, si elle mobilise des ressources créatives essentielles, s’inscrit néanmoins dans un processus économique dans lequel le consommateur ne doit pas être induit en erreur, sous peine de le détourner de la confiance qu’il peut porter à la publicité.

Par ailleurs, ainsi qu’il a été dit en préambule, le Jury de déontologie publicitaire n’est pas une juridiction et ne saurait porter une appréciation sur la licéité des publicités qui lui sont soumises, ce qui relève de la compétence des juridictions judiciaires. S’il doit donc ne pas méconnaître les critères posés par la loi, il peut toutefois adopter dans son appréciation de la conformité aux principes déontologiques une analyse distincte, voire plus sévère que ne le ferait une juridiction appliquant des principes légaux et jurisprudentiels nationaux et européens.

En conséquence, il est sans portée que le plaignant ait, pour sa part, analysé la publicité en cause en mobilisant le mécanisme intellectuel qui conduit à y voir une exagération et qu’il ne démontre pas que son comportement d’acheteur ait été modifié par le visuel ou le message. Il est de même sans conséquence que l’association plaignante ait été seule à adresser une plainte au JDP, alors que ni l’annonceur ni l’agence n’en ont reçue selon eux.

En l’occurrence, le Jury observe que le visuel publicitaire, qui constitue une illustration des écarts de prix constatés sur un certain nombre de produits de marques nationales entre les magasins à l’enseigne de l’annonceur et ceux des enseignes concurrentes, montre ces écarts au moyen de piles de pièces d’un euro au lieu d’un histogramme.

Or, ce visuel n’illustre pas à proprement parler les pourcentages d’écarts de prix pour des paniers de produits similaires entre les magasins de l’annonceur et des magasins concurrents. En effet, la représentation graphique des écarts par rapport à une base de référence 100 matérialisée par une pièce pour les prix de l’annonceur ne saurait être de 16 pièces pour l’autre enseigne avec un écart de 7,6% (soit un indice 107,6) ni de 35 pièces pour un écart de 16,6% (soit un indice de 116,6).

Dans la présentation contestée, la déformation de la réalité des indices par l’illustration des piles de monnaie selon une autre échelle conduit à une perception visuelle de ce que, pour des paniers similaires de produits, les prix pratiqués chez l’annonceur seraient considérablement inférieurs à la concurrence puisqu’en l’occurrence, une pièce d’un euro suffirait contre 16 pièces chez une des autres enseignes et une trentaine chez la seconde.

Le texte qui suit le visuel n’apporte aucune explication sur la façon dont il doit se comprendre et au contraire, par la phrase « qu’est-ce qui justifie un tel écart de prix (…) », invite le lecteur à s’y référer pour constater l’ampleur des écarts entre les enseignes.

Un tel changement de registre et d’échelle entre les indications chiffrées et l’illustration destinée à les représenter visuellement dépasse ce qui relève de l’hyperbole et du symbolique en ce qu’il est susceptible, soit en raison d’un examen trop rapide ou inattentif du message, soit en raison d’un déficit de compréhension, notamment des différences de prix exprimées en pourcentage, à induire en erreur le consommateur, particulièrement sensible à la question des prix dans la conjoncture économique actuelle.

Le Jury est, au regard de l’ensemble de ces éléments, d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme au principe déontologique selon lequel le message ne doit pas, par voie d’ambiguïtés ou d’exagérations, induire le consommateur en erreur.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire et aux règles précitées qui en découlent.

Avis adopté le vendredi 7 février 2015 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Lacan et Leers.