Avis JDP n°138/11 – PARFUMERIE – Plaintes fondées

Décision publiée le 29.09.2011
Plaintes fondées

 Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’annonceur et de la société d’affichage,

– et après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 21 et 22 juin 2011, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire diffusée en affichage en faveur d’un parfum.

Cette campagne est constituée de deux visuels, l’un présentant un homme debout portant une chemise ouverte sur son torse nu et un jean déboutonné dans lequel est insérée une version géante du flacon de parfum, l’autre montre une femme en jean et t-shirt blanc tenant un flacon de taille identique dans ses mains et portant à sa bouche la lanière attachée à l’étui en jean qui le recouvre .

Le texte accompagnant ces images est « X – Denim collection » « Pour lui » ou « Pour elle » « X – le nouveau parfum ».

2.Les arguments des parties 

 Les plaignants considèrent que ces publicités ont « un caractère ouvertement sexuel », et constituent une « incitation à la débauche ». La femme est également assimilée à un objet sexuel « seulement là pour faire des fellations aux hommes ».

Par ailleurs les plaignants critiquent le choix du support de diffusion qui s’impose à tous, notamment au jeune public et qui constitue une agression visuelle.

L’annonceur fait valoir que lors de l’élaboration de la campagne d’affichage, elle n’a eu en aucun cas la volonté explicite ou implicite  de faire une exploitation de la personne humaine ou de son image susceptible d’être  considérée comme abusive, pas plus que de porter atteinte à sa dignité. Elle n’a de plus pas eu l’intention de blesser, choquer ou provoquer un quelconque sentiment d’angoisse à la vue des visuels. Le souhait pour l’annonceur est de se rapprocher au plus près de la mode de la marque dont la communication s’adresse à la « génération Denim », une cible jeune  et séduisante.

La communication s’articule autour de l’amusement, de la joie et du plaisir, et est construite autour d’un parti pris  ludique et décalé. L’humeur, le jeu et la sensualité sont en effet des valeurs résolument modernes, au cœur de l’ADN de la communication de la marque, que partagent les jeunes d’aujourd’hui.

La société annonceur précise que les visuels visés par ces plaintes sont issus du  film publicitaire dont le produit a également fait l’objet et dont les différentes versions ont été soumises à l’ARPP afin d’en vérifier la conformité aux dispositions déontologiques en vigueur. Les versions ont reçu des avis favorables le 6 juin 2011.

La société précise que la campagne d’affichage est désormais terminée.

L’afficheur précise à titre liminaire qu’elle n’est pas directement concernée par les deux plaintes qui concernent uniquement la ville de Paris alors qu’elle n’a accepté la diffusion de cette campagne que dans l’agglomération de Lille.

Cette campagne a été soumise à la validation de différents départements et la direction juridique, en accord avec la direction commerciale, a décidé qu’il n’était pas opportun de soumettre les visuels à l’ARPP avant leur diffusion car ils ne lui apparaissaient pas de nature à heurter la sensibilité du public, tous âges et toutes catégories confondus.

En ce qui concerne le premier visuel mettant en scène un jeune homme en chemise ouverte et en jean à l’intérieur duquel est positionnée la bouteille de parfum, la société d’affichage considère qu’il n’y a pas atteinte à la dignité de la personne humaine et à la décence.  D’une part, ce jeune homme n’est pas dénudé et n’adopte aucune attitude provocatrice ou dégradante, cette publicité surfant sur la tendance de la mise en scène et de la starisation auquel les jeunes de cette génération aspirent. En outre, son attitude très détachée apporte une touche d’humour à la publicité.  D’autre part, sa représentation ne peut être considérée comme avilissante ou aliénante au regard des dispositions des Recommandations « Enfant » et « Image de la personne humaine » de l’ARPP car la pose du jeune homme ne traduit aucune ambiguïté pouvant susciter une quelconque confusion dans l’esprit du public.

En ce qui concerne le second visuel mettant en scène une jeune femme tenant un flacon de parfum qu’elle ouvre grâce à une fermeture éclair, la société d’affichage considère qu’il n’y a pas de représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine explicite ou implicite au travers de postures attentatoires à la dignité humaine. D’une part cette publicité est en conformité avec la Recommandation « Image de la personne humaine », la jeune femme contrôlant l’objet et non pas l’inverse et ne laissant aucun doute sur son pouvoir d’action. D’autre part, cette publicité respecte la Recommandation « Enfant » car elle ne présente aucune connotation sexuelle et n’est pas de nature à choquer des enfants. En effet, la jeune femme ouvre ce flacon de parfum à l’aide de ses dents et non de sa langue ; elle n’est pas dénudée ni aguicheuse.

En conséquence, la société d’affichage a accepté de diffuser cette campagne car elle s’inscrit dans la volonté de la marque de véhiculer une image à la fois humoristique, décalée et impertinente. Sa lecture doit être faite au second degré.

Une autre société d’affichage rappelle, aux fins de contextualiser les visuels mis en cause, que la marque est connue pour ses visuels transgressifs (Par exemple, utilisation du slogan « Be stupid » pour la ligne de vêtements) s’adressant sur un mode décalé à une cible jeune, transgression que l’on retrouve dans les films publicitaires de la marque. Les visuels en cause ne sont que la reprise d’extraits des spots validés par l’ARPP.

Selon le support, il serait très exagéré de conclure de ces visuels qu’ils produisent un sentiment d’angoisse ou de malaise tel que visé par la Recommandation « Enfant » de l’ARPP.

D’autre part, au regard de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP, on ne peut contester que les visuels comportent des mises en scène provocantes sans pour autant être répréhensibles au regard de la Recommandation précitée.

En effet, il n’est pas question dans le premier de ces visuels de représenter le sexe de l’homme, pas plus que le second n’est un encouragement à une certaine pratique sexuelle (surtout que celui-ci est une publicité pour le parfum féminin de la marque).

Pour la dernière société d’affichage, les visuels incriminés ne paraissent pas porter atteinte aux dispositions de la Recommandation Enfant. Les visuels ne comportent en effet aucune représentation d’actes antisociaux ou de comportements contraires aux principes de citoyenneté ; ils ne propagent aucune image de l’enfant portant atteinte à sa dignité et ne sont pas non plus de nature à susciter un sentiment d’angoisse ou de malaise. S’ils peuvent paraître porter l’empreinte d’une certaine transgression, ils s’inscrivent dans le mode de communication décalé, teinté d’un humour au second degré, adopté par la marque depuis sa création. Ce mode de communication qualifié par certains de génial et par d’autres d’inadmissible ne peut évidemment faire l’unanimité.

Elle précise que, préalablement à la décision d’afficher la campagne, elle a pris en compte le fait que les visuels étaient très directement extraits du film publicitaire réalisé pour la promotion du produit et qui a fait l’objet d’une validation par l’ARPP.

 3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle qu’il résulte de la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’ARPP, dans son point 1-1, que :

« La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant  une image de la personne humaine portant atteinte à la dignité ou à la décence » et dans son point 2/1 que « la publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet  ».

Plus généralement, il existe un principe déontologique selon lequel la publicité ne doit pas choquer.

Il résulte aussi de la Recommandation  « Enfant » que la publicité doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale.

En ce qui concerne le visuel mettant en scène une jeune femme, le Jury observe que ce visuel représente une jeune femme vêtue et dans une position qui n’est pas indécente.

La seule circonstance qu’elle tienne un flacon géant de parfum entre ses mains et qu’elle serre entre ses dents l’attache de la fermeture éclair qui permet d’ouvrir ce flacon ne saurait être retenue comme constituant une image  à connotation sexuelle.

Il considère donc que ce visuel ne méconnaît pas les Recommandations précitées.

En ce qui concerne le visuel mettant en scène un jeune homme, le Jury observe que ce visuel met en scène, sur un fond uniformément bleu, un jeune homme dans une pose suggestive, la chemise grande ouverte, le pantalon de jean déboutonné à l’intérieur duquel est positionné, en quelque sorte à la place du sexe, une grande bouteille de parfum.

Cette mise en scène volontairement provocante et à connotation clairement sexuelle, qu’aucune circonstance particulière ne vient justifier, diffusée par voie d’affichage, c’est-à-dire à la vue immédiate du grand public, et notamment des enfants, est susceptible de heurter la sensibilité ou de choquer le public.

Elle méconnaît donc les Recommandations précitées sans que puisse être retenue la circonstance que cette affiche est extraite de films publicitaires  qui ont été  diffusés en France et validés par l’ARPP.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées en ce qui concerne le visuel représentant le jeune homme ; elles sont rejetées en ce qui concerne le visuel représentant la jeune femme;

– Le visuel représentant le jeune homme méconnaît les dispositions 1/1 et 2/1 de la recommandation relative à l’image de la personne humaine ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de faire en sorte que le visuel représentant le jeune homme ne soit plus diffusé ;

– La décision du Jury sera communiquée au plaignant, à l’afficheur, à l’agence et aux sociétés d’affichage ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 9 septembre 2011 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, Vice-présidente, Mme Drecq et MM Benhaïm, Carlo, Lacan, Leers, et Raffin.