Avis JDP n°43/10 – ALIMENTATION BOISSONS – Plainte fondée

Décision publiée le 17.02.2010
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

–  après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

–  après avoir entendu les représentants de l’association France Nature Environnement,

–  et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi d’une plainte émanant de France Nature Environnement (FNE), qui est la fédération des associations de protection de la nature et de l’environnement, datée du 8 décembre 2009, afin qu’il se prononce sur la conformité, aux règles déontologiques en vigueur, d’une part, d’un texte diffusé sur le site Internet de la société commercialisant l’eau de source X, d’autre part, d’un jeu de cartes des 7 familles et enfin, d’un jeu en ligne édités par la même société qui présentent notamment sous forme de questions-réponses les caractéristiques de l’eau du robinet.

Ces publicités comportent des allégations selon lesquelles  l’eau du robinet serait différente de l’eau de source X car elle provient d’eaux de surface, ou qu’elle contiendrait des traces de pollution, ou que  l’eau du robinet filtrée ne serait pas stable ni constante, ou encore que  l’eau du robinet proviendrait parfois indirectement d’eaux usées.

2.Les arguments des parties

– L’association plaignante, France Nature Environnement, estime que ces publicités comportent des allégations incomplètes et dénigrantes sur l’eau du robinet et sont, de ce fait, de nature à entrainer, dans l’esprit des consommateurs, des confusions regrettables et pernicieuses concernant la qualité et la sécurité sanitaire de l’eau du robinet et de nature, ainsi, à favoriser la consommation d’eaux de sources produites et commercialisées par l’annonceur. Elle fait  valoir sa légitimité à agir pour dénoncer tout message de nature publicitaire  dénigrant l’eau du robinet, en tant que fédération des associations de protection de la nature et de l’environnement agréée par le Ministère de l’environnement et reconnue d’utilité publique, qui œuvre pour la protection de la nature et de l’environnement au plan national.

La FNE considère d’une part, que cette campagne ne respecte pas la Recommandation Développement Durable de l’ARPP en ses points 3/5 relatif à la clarté du message et 9/2 concernant les impacts éco-citoyens.

En effet, sur ce deuxième point, la FNE indique que depuis 2003, le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer et l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie ont lancé une campagne de prévention et de sensibilisation à destination du grand public, des entreprises et collectivités locales autour du thème de la réduction des déchets. Boire de l’eau du robinet est donc une action mise en valeur et conseillée dans le cadre de cette campagne nationale.

La FNE considère, d’autre part, que cette campagne ne respecte pas non plus les dispositions du Code de la Chambre de Commerce Internationale relatives à la publicité loyale et véridique en délivrant au consommateur des informations fausses ou tronquées.

Plus précisément :

Sur l’allégation selon laquelle l’eau du robinet est différente de l’eau de source naturelle et notamment de l’eau de source X car elle provient en grande partie d’eaux de surface

Il est mentionné, dans le jeu, que l’eau du robinet est en grande partie prélevée dans les rivières, les lacs et les fleuves, ce qui est faux puisque 62% de l’eau du robinet provient des eaux souterraines. Selon la FNE, le jeu omet d’indiquer que l’eau du robinet peut également provenir d’eaux souterraines comme pour les eaux en bouteille. Dans certains cas, l’eau de source X provient des mêmes sources que celle du robinet; c’est le cas dans la région de Saint-Nazaire, par exemple.

La FNE considère que l’affirmation de l’annonceur est incomplète mais aussi erronée ; elle engendre une confusion pour les consommateurs qui sont ainsi poussés à croire que l’eau de source et l’eau en bouteille seraient d’origine et donc de qualité très différente. Cela dénigre l’eau du robinet en sous entendant que celle-ci serait moins pure que l’eau en bouteille, ce qui est faux.

Sur l’allégation selon laquelle on peut trouver parfois des traces de pollution dans l’eau du robinet ou que l’eau du robinet filtrée n’est pas stable ni constante  

La FNE considère que cette information est également dénigrante et induit les consommateurs en erreur par omission et par sous-entendu.

Dans un premier temps, l’annonceur oublie d’indiquer qu’on peut également retrouver des traces de pollution dans l’eau de source X. En effet, deux études scientifiques de mars 2006 et de novembre 2008, versées au dossier, soulèvent également la question de la migration du plastique de la bouteille vers l’eau, de substances nocives comme l’antimoine (un métal toxique retrouvé à des concentrations 95 à 165 plus élevées que dans l’eau du robinet) ou de perturbateurs endocriniens.

Dans un second temps, ces phrases laissent à penser que l’eau du robinet est polluée, faisant croire que seule l’eau de source subit de nombreux contrôles et autocontrôles garantissant sa potabilité. Or, toutes les eaux de consommation doivent répondre aux mêmes normes de qualité sanitaire, fixées par le ministère chargé de la Santé après avis du Haut Conseil de la Santé publique, à l’exception des eaux minérales naturelles qui peuvent présenter des caractéristiques particulières.

De plus, les analyses chimiques de l’eau du robinet sont publiées localement et sont transmises une fois par an avec la facture d’eau et sont donc facilement accessibles à tous, ce qui n’est pas le cas des eaux embouteillées.

Sur l’allégation « L’eau du robinet provient parfois indirectement du recyclage des eaux usées »

La FNE considère que le message d’information est incomplet et de nature à créer le doute  dans l’esprit du consommateur puisqu’il omet volontairement d’évoquer la dépollution des eaux usées, avant rejet dans les milieux naturels.

Le propos tel qu’exprimé laisse penser que l’eau du robinet provient d’eaux usées brutes, non traitées, ce qui est trompeur et de nature à miner la confiance des usagers dans l’eau du robinet. A l’appui de cette affirmation, la FNE indique que les études d’opinion montrent que près de la moitié des français croient que l’eau du robinet provient de leur station d’épuration sans retour au milieu naturel.

D’autre part, cette information tend à laisser croire que l’eau embouteillée ne proviendrait pas, elle, indirectement d’eaux usées, ce qui est contraire au cycle biologique de l’eau qui régule notre écosystème. Seule la durée de ces cycles diffère, c’est-à-dire que nos eaux usées se retrouveront plus vite dans les eaux de surface que dans les eaux souterraines, mais au final, le constat sera le même puisque l’eau souterraine provient également indirectement de nos eaux usées.

La confusion ainsi apportée donne à l’eau du robinet une image sale et impropre.

– L’annonceur conteste la légitimité et la recevabilité de la plainte aux motifs qu’elle n’est pas signée de son auteur et que ce dernier ne présente pas les pouvoirs qui lui permettraient d’entreprendre une telle démarche.

Elle a également fait valoir qu’elle n’a pas disposé de délais suffisants pour répondre à l’argumentation présentée dans la plainte et que les droits de la défense ont été méconnus.

3.Les motifs de la décision du Jury

Sur la recevabilité de la plainte :

L’annonceur fait valoir que la plainte présentée pour France Nature Environnement n’est pas recevable car elle n’est pas signée de la main de son auteur et que celui-ci n’a pas présenté les pouvoirs pouvant justifier sa démarche.

Toutefois, la plainte qui précise l’identité de son auteur a été présentée par voie électronique ainsi que l’autorise l’article 11 du règlement intérieur du JDP ; elle ne pouvait donc être signée « de la main » de son auteur.

Par ailleurs, en début de séance, l’auteur de la plainte a justifié d’un mandat l’habilitant à représenter l’association agréée France Nature Environnement.

Par suite, la plainte est recevable.

Sur le respect des droits de la défense :

La société commercialisant l’eau de source X explique que, n’ayant reçu que le 3 février le courrier en date du 28 janvier que lui a adressé le JDP, alors que la séance du Jury se tient le 5 février, elle n’a pas disposé de délai suffisant pour se défendre.

Sans demander le report de l’examen de la plainte, elle indique avoir décidé de ne pas être présente à la séance.

Cependant, la société a été avisée par un courrier recommandé avec accusé de réception, en date du 12 janvier, de la plainte dont elle était l’objet de la part de France Nature Environnement.

Cette plainte comportait l’essentiel de l’argumentation de l’association, détaillait chaque grief formulé à l’encontre des publicités en cause et permettait à l’annonceur de préparer utilement sa défense.

Les éléments complémentaires qui lui ont été adressés le 28 janvier se bornaient à développer les thèmes figurant dans la plainte dont elle avait eu connaissance, et comportaient des annexes qui sont, en fait, des extraits de documents officiels ou de sites officiels ou un communiqué de presse qui, concernant l’objet même de l’activité de l’annonceur, ne pouvaient être ignorés de celle-ci, si bien qu’elle aurait été en mesure d’y répliquer oralement lors de la séance du Jury tenue le 5 février si elle avait décidé d’y assister.

Dans ces conditions, les droits de la défense n’ont pas été méconnus.

Sur le bien-fondé de la plainte :

Les principes généraux contenus dans le Code sur les pratiques loyales de publicité et de communication marketing de la Chambre de Commerce Internationale disposent qu’en matière de

– « Loyauté : La communication de marketing doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs (article 3)

– « Véracité : La communication de marketing doit être véridique et ne peut être trompeuse. Elle ne doit contenir aucune affirmation ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations de nature à induire en erreur le consommateur … (article 5) .

La Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose, notamment, que :

– « La publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable. La publicité ne saurait détourner de leur finalité les messages de protection de l’environnement, ni les mesures prises dans ce domaine (9.2) »

Le Jury estime que les allégations relevées par l’association France Nature Environnement dans les documents publicitaires édités par l’annonceur qui s’adressent, avec une visée prétendument pédagogique, plutôt à un public de jeunes, voire d’enfants,  procèdent par des affirmations qui, si elles ne sont pas littéralement inexactes, sont  incomplètes, tendancieuses ou tronquées, et ne sont pas étayées par la citation de sources précises.

Elles donnent ainsi une image déformée de la réalité et mettent systématiquement en cause de manière non justifiée la qualité et la potabilité de l’eau du robinet.

En ce sens, elles méconnaissent les articles 3 et 5 précités du Code de la Chambre de Commerce Internationale relatifs  à la loyauté et à la véracité.

Elles discréditent, de surcroît, les messages des autorités en charge de l’environnement en ce qui concerne la sensibilisation des publics à la nécessité de réduire les déchets qui recommandent, dans le cadre de campagnes nationales, de boire l’eau du robinet.

Ces documents publicitaires contreviennent ainsi à la Recommandation 9/2 de l’ARPP précitée relative aux impacts éco-citoyens des messages publicitaires.

4.La décision du Jury

–  La plainte est  fondée.

– Le jeu de 7 familles édité par l’annonceur et le jeu figurant sur le site Internet de cette même société méconnaissent les articles 3 et 5 du Code sur les pratiques loyales de publicité de la Chambre de Commerce Internationale relatifs à la loyauté et à la véracité  et la recommandation 9/2 de l’ARPP ;

– La présente décision sera communiquée au plaignant, l’association France Nature Environnement, et à l’annonceur ;

–   Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 5 février 2010 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme  Moggio, MM Lacan, Benhaïm et Leers.