Avis JDP n°53/10 – EAU DE SOURCE – Plainte fondée

Décision publiée le 20.04.2010
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi de deux plaintes de particuliers en date des 29 janvier et 5 mars 2010 afin qu’il se prononce sur la conformité, aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité de la société distribuant l’eau de source X, diffusée en presse.

Cette publicité, dont l’accroche est « Avec l’eau de source X, les préjugés sur l’eau en bouteille tombent à l’eau », comporte des allégations présentées sous forme de « préjugés » numérotés de 1 à 4, selon lesquels  l’eau en bouteille coûte cher, l’eau en bouteille est anti-écolo, l’eau du robinet peut remplacer l’eau en bouteille et l’eau en bouteille est trop contraignante.

Ces « préjugés » ainsi présentés font l’objet de commentaires qui procèdent par rapprochements avec l’eau du robinet notamment, l’eau du robinet filtrée.

2.Les arguments des parties

Les plaignants estiment que cette publicité comporte des allégations incomplètes et dénigrantes sur l’eau du robinet présentées de façon directe ou insidieuse,  sans fondement et sans preuve avec des sous-entendus mettant en cause cette eau du point de vue sanitaire.

Elle vise à faire peur au consommateur qui boit l’eau du robinet pour qu’il préfère l’eau en bouteille. Elle met donc en cause tous les professionnels de la filière eau courante potable publique, les collectivités locales qui gèrent les syndicats des eaux et même l’Etat qui fixe les règles.

Plus précisément :

Sur l’emploi du terme « préjugés »

L’annonceur qualifie les convictions des consommateurs d’eau d’un terme à teneur péjorative par l’emploi du terme « préjugés ». Cela contrevient à l’article 12 du Code de la Cci relatif au dénigrement.

Sur l’affirmation « l’eau en bouteille, ça coûte cher »,  l’annonceur oublie de préciser que son produit est de 34 à 91 fois plus cher que le prix moyen du m3 d’eau du robinet en France. La tromperie est également manifeste selon lui lorsque l’annonceur invente une dépense pour le filtrage de l’eau du robinet alors que cette opération n’est absolument pas nécessaire. Cette allégation contrevient à l’article 5 du Code de la CCI car le consommateur est induit en erreur par voie d’omission sur la valeur du produit.

Sur les allégations santé, les allégations directes ou indirectes selon lesquelles l’annonceur met en doute la composition et la potabilité de l’eau du robinet, avec une insistance lourde sur les besoins de filtration et de désinfection, contreviennent aux recommandations de l’ARPP relatives à la véracité et à la loyauté.

L’annonceur tente, selon lui, de faire croire que les sources X sont plus contrôlées, plus pures, plus naturelles, avec moins de nitrates, alors que la majorité des sources de l’eau du robinet sont de même nature. De plus, l’annonceur reproche à l’eau du robinet d’avoir une composition qui varie d’une ville à l’autre, alors que les sources X ont également des compositions variables selon la région et parfaitement banales.

Le plaignant renvoie en cela à l’argumentation développée par France nature Environnement dans la décision du JDP du 17 février 2010.

Sur les allégations relatives au développement durable et notamment sur l’affirmation selon laquelle l’eau en bouteille  serait « anti-écolo »

Une grave confusion entre les termes « recyclable » et « écolo » est opérée. C’est une incitation à produire des déchets : la bouteille plastique, fabriquée en consommant de l’énergie avec du pétrole, matière fossile non renouvelable est non biodégradable, imparfaitement recyclable et à grands frais. La moitié n’est pas recyclée parce que le tri ne se fait pas encore partout.

Par ailleurs, la pollution par les transports ne peut être minimisée. La « proximité des sources X» est un leurre. Le nombre réduit de sources X ne peut permettre d’être réellement proche de la majorité des consommateurs français, alors que l’eau du robinet arrive à domicile grâce à des réseaux souterrains courts et ne consommant aucun carburant. Cette affirmation du caractère écologique d’une bouteille plastique constitue un manquement aux résolutions du Grenelle de l’environnement, aux efforts des collectivités publiques qui traitent les déchets et aux campagnes publicitaires incitant à diminuer les déchets.

L’ensemble du message, selon les plaignants, contrevient à la recommandation de l’ARPP sur le développement durable, notamment les points 1-1, 6-1, 9-1 et 9-2, en induisant une confusion entre les termes « recyclable » et « écolo » et en ignorant ou minimisant les coûts énergétiques et environnementaux de fabrication, de transport et de recyclage des bouteilles en plastique.

Sur l’allégation selon laquelle l’eau en bouteille, « c’est trop contraignant »  

L’annonceur attribue à l’eau de source X un côté pratique qui n’est que partiel et n’est pas l’apanage exclusif de l’eau en bouteille.

Par ailleurs, l’un des plaignants considère que l’annonceur est récidiviste par rapport aux manquements constatés et demande que la décision du Jury soit également publiée aux frais de l’annonceur dans les magazines mêmes qui ont publié la publicité condamnée.

3.Les motifs de la décision du Jury

Les principes généraux contenus dans le Code sur les pratiques loyales de publicité et de communication marketing de la Chambre de Commerce Internationale disposent qu’en matière de

  • « Loyauté : La communication de marketing doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs (article 3)
  • « Véracité : La communication de marketing doit être véridique et ne peut être trompeuse. Elle ne doit contenir aucune affirmation ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguités ou d’exagérations de nature à induire en erreur le consommateur … (article 5) .

La Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose, notamment, que :

  • « L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (1.4) »  
  • « La publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable. La publicité ne saurait détourner de leur finalité les messages de protection de l’environnement, ni les mesures prises dans ce domaine (9.2) »

Le Jury constate que les allégations relevées par les plaignants dans la publicité de la société distribuant l’eau de source X, dans les commentaires des « préjugés » n° 1,2 et 4, reviennent à présenter systématiquement l’eau du robinet comme devant être filtrée pour pouvoir être comparée à l’eau en bouteille et mettent en cause sans aucune précision ou justification, dans les commentaires des « préjugés » n° 3 et 4 , la composition, la qualité et la potabilité de l’eau du robinet alors que celle-ci fait l’objet de contrôles fréquents et rigoureux et a, dans certains cas, la même provenance que l’eau de source.

Elles sont ainsi de nature à induire le consommateur en erreur en exploitant son manque de connaissance.

En ce sens, elles méconnaissent les articles 3 et 5 précités du Code de la Chambre de Commerce Internationale relatifs à la loyauté et à la véracité et la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Elles discréditent, de surcroît, les principes, conseils ou solutions communément admis en matière de développement durable qui pour sensibiliser les publics à la nécessité de réduire les déchets, recommandent de boire l’eau du robinet.

Ces documents publicitaires contreviennent ainsi à la Recommandation 9/2 de l’ARPP précitée relative aux impacts éco-citoyens des messages publicitaires.

Sur la demande de l’un des plaignants tendant à ce qu’il soit demandé à  l’annonceur de publier la présente décision à ses frais dans les magazines mêmes où le message publicitaire a été publié :

Le jury considère que les circonstances ne paraissent pas justifier la publication de sa décision sur un autre support que celui du site internet du JDP.

4.La décision du Jury

–  La plainte est  fondée ;

– La publicité de la société distribuant l’eau de source X méconnaît les articles 3 et 5 du Code sur les pratiques loyales de publicité de la Chambre de Commerce Internationale relatifs à la loyauté et à la véracité et les recommandations 1 /4 et 9 /2 de l’ARPP sur le développement durable;

– Il est demandé au directeur général de l’ARPP de prendre les mesures nécessaires au non renouvellement de ces messages publicitaires

– Le surplus des demandes est rejeté ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants et à la société distribuant l’eau de source X ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 9 avril 2010 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, Vice-Présidente, Mme Drecq, MM Carlo, Lacan, Benhaïm et Raffin.