Avis JDP n°213/12 – AUTOMOBILE – Plaintes non fondées

Décision publiée le 26.09.2012
Plaintes non fondées 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’association Les Chiennes de garde, de l’annonceur et de son agence, ainsi que de l’ARPP;

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, d’une part, le 21 juin, d’une plainte de l’association Les Chiennes de garde, d’autre part, les 22, 23, 24 et 25 juin 2012, de plusieurs plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce, sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire en faveur du constructeur automobile, pour son modèle de véhicule dénommé A.

Le spot télévisé en cause met en scène la présentation visuelle du véhicule accompagnée d’une voix féminine prononçant, en arrière-plan, le texte suivant : « regarde moi, touche moi, possède-moi, contrôle-moi, exalte-moi, déteste-moi, aime-moi, effleure-moi, retiens-moi… Je suis A. Mieux que des mots, essaie-moi. ».

Ce texte est suivi d’une offre « privilège reprise ».

Le visuel diffusé par voie de presse montre le véhicule accompagné du texte « Je suis A. Mieux que des mots, ESSAIE-MOI ».

2.Les arguments des parties

Les plaignants considèrent que cette campagne présente un caractère sexuellement suggestif et sexiste, la femme étant assimilée à un objet sexuel.

L’association Les Chiennes de garde ajoute qu’en aucun cas un homme ne peut « posséder » ou « contrôler » une femme et regrette le parallèle entre l’automobile et la femme. Elle invite à briser le stéréotype selon lequel un homme aurait du succès auprès des femmes parce qu’il possède une belle voiture.

Trois séquences du clip ont particulièrement retenu son attention :

Dans la première, une femme en robe fluide blanche très habillée caresse la voiture du bout des doigts, pendant qu’une voix féminine dit « Touche-moi » puis on ne voit plus que des mains musclées qui empoignent un volant (sont-ce des mains d’homme ?) et le font tourner au moment où la voix de femme ordonne « Possède-moi, contrôle-moi ! ».

Dans la suivante, une femme en mini-jupe et dont la manche de veste dénude l’épaule et le bras claque la portière de la voiture si violemment que ses longs cheveux noirs volent devant son visage pendant que la voix clame « Déteste-moi ».

Pour la dernière, une femme et un homme s’embrassent et la voix-off dit « Aime-moi ».

Selon l’association, les attitudes, les vêtements, les cheveux des femmes mises en scène font partie des codes des publicités sexistes signalés dans une grille de lecture réalisée récemment par des féministes canadiennes (comité anti-sexisme de la Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie (TCGF-M). Elle fait observer qu’il n’y a pas de rapport entre la femme et le produit. Ce spot s’inscrit dans la veine de la femme-objet qui devrait pourtant disparaître suite aux progrès de l’égalité femmes/hommes et à l’efficacité de l’autodiscipline des publicitaires. Cette publicité propose un grossier parallèle femme-objet/voiture, en mode possessionnel de l’homme sur la femme.

L’Association dénonce ces messages qui exploitent le corps des femmes pour susciter du désir, générer de l’envie, exacerber les frustrations et rendre le produit à vendre attirant, de quelque univers soit-il. Elle déplore que l’on utilise le sexe pour attirer l’attention et que l’audace, souvent salvatrice en publicité et en communication, se limite à l’utilisation du registre de l’objet sexuel. Elle considère qu’il faudrait attendre mieux de cette forme artistique qu’est la publicité.

Le principe universel du respect de la personne humaine ainsi que le principe de la responsabilité sociale de la publicité dans la représentation de la personne humaine, rappelés tous deux dans les Recommandations de l’ARPP, doivent s’apprécier aujourd’hui dans des contextes social et culturel qui évoluent : le corps social est plus sensible aux droits des femmes, qui ont aujourd’hui une représentation au Gouvernement.

Le constructeur automobile, qui est annonceur, a indiqué s’en remettre aux arguments apportés par l’agence de communication qui a eu la charge d’adapter au marché français la campagne publicitaire internationale relative à la voiture A.

L’agence de publicité, agissant en sa qualité de  prestataire de la société détenant la marque du constructeur, fait part de son étonnement de devoir faire face à une telle procédure concernant le film publicitaire puisque celui-ci a bénéficié d’un avis favorable de l’ARPP, préalable à chaque diffusion depuis septembre 2011.

L’agence rappelle que la marque est une marque italienne qui a toujours utilisé le registre de la séduction et de la sensualité. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle est perçue partout dans le monde. Cette caractéristique fait partie de son ADN et en toute logique de ses codes de communication.

L’agence souligne également que la campagne en cause s’inscrit dans la continuité de celle du lancement de la voiture en juin 2010, qui utilisait une figure iconique en la personne d’une célèbre actrice et qui incarnait « A» à l’écran. La voiture prenait donc la parole et la voix de l’actrice. La signature du film était : « Je suis A et je suis faite de la même matière que les rêves ».

Dans cette nouvelle campagne, A continue de prendre la parole pour se présenter et inciter à l’essayer.

Il semble donc, à l’agence, que les différentes réactions générées par la campagne A proviennent essentiellement d’un problème d’interprétation et d’une lecture différente de celle qui a présidé à sa réalisation du film.

Elle fait valoir que la publicité ne  montre pas la Femme, comme soumise, dépendante en la réduisant à la fonction d’objet mais plutôt l’inverse. Elle explique à ce sujet que c’est la voiture qui s’exprime, par l’accroche « Je suis A. Essaie-moi » et non une femme. Le fait que le véhicule soit présenté comme ayant une personnalité « féminine » ne signifie nullement que la femme en général est assimilée à un objet.

La voiture est présentée à l’opposé de ce que les critiques soutiennent. Elle incarne quelqu’un de fort, de caractère, qui n’a pas peur du regard ou du jugement des autres. Elle assume entièrement ce qu’elle est, elle a confiance en ses qualités. Elle prend l’initiative, elle met au défi et « challenge » le conducteur en l’interpellant. Il n’y a donc aucun avilissement  attaché à cette campagne : il s’agit de personnaliser une voiture en l’assimilant et en la réhaussant au statut d’une femme de caractère et non pas de dégrader la femme en la considérant comme une chose ou un bien matériel.

L’agence précise encore que le verbe « essayer » renvoie à la pratique courante d’inviter à l’essai d’un véhicule pour convaincre le consommateur.

En conclusion, elle soutient que les créations publicitaires en cause ne présentent, à aucun moment, une femme en situation dégradante, ou de soumission, ou, plus généralement, dans une posture ou une attitude contraire à la dignité humaine, dégradante ou irrespectueuse.

La régie de cinéma affirme porter une vigilance toute particulière à la nature des publicités qu’elle diffuse, avec le souci de ne jamais heurter ses spectateurs, et être désolée que cela ait été le cas. Elle précise que cette campagne s’est terminée sur ses écrans cinéma le 1er mai dernier et qu’aucune nouvelle action n’est prévue.

La chaîne de télévision publique considère que cette publicité ne contrevient pas à la Recommandation «Image de la personne humaine» de l’ARPP.

Elle fait observer que certaines des plaintes font état d’une nudité présente à l’image ce qui est inexact. Il n’est pas non plus fait allusion à une représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite. De ce fait, aucun manquement au chapitre Dignité / Décence n’est avéré.

S’agissant des stéréotypes, elle ajoute que rien dans le message ne permet de conclure à la violation par l’annonceur des interdits définis par la Recommandation. Plus particulièrement, il n’est nullement fait usage de l’image du corps de la femme ni même de sa réduction à la fonction d’objet. Certes, la voiture s’exprime par une voix féminine, ce qui, pour un modèle précisément dénommé « A» ne saurait constituer en soi un grief d’assimilation ou de sexualisation condamnable. En outre, la sémantique employée ne joue pas sur le registre du corps de la femme, mais essentiellement sur celui du lyrisme des sentiments et de l’exacerbation des passions humaines: possession, contrôle, exaltation, haine, amour, retenue. Ce registre est donc très différent de celui des fantasmes érotiques ou des suggestions sexuelles susceptibles d’être mis en avant dans d’autres types de messages publicitaires lors de la représentation du corps féminin.

Enfin, la chaîne de télévision publique fait valoir que le message publicitaire en cause ne concourt pas à la dévalorisation de la personne humaine et en particulier de la femme. Ce message ne saurait être analysé comme s’adressant exclusivement aux hommes, censés selon certains plaignants être incités à « posséder » ou « contrôler » une femme. En effet, sur huit images successives de personnes humaines auxquelles s’adresse le véhicule, cinq sont féminines, deux sont masculines, et l’une est celle d’un couple, au sein duquel la femme est d’ailleurs en position de domination.

Selon elle la communication commerciale en cause n’a pas manqué au respect de la Recommandation applicable. C’est donc à juste titre que le service visionnage de l’ARPP a pu déclarer ce message publicitaire comme non contraire  à la Recommandation en cause, et c’est sur la base de cet avis que ce message a  été diffusé sur les chaînes de télévision, dont les espaces publicitaires sont régis par la chaîne de télévision publique.

Le syndicat représentant les chaînes de télévision invoque l’avis favorable préalablement rendu par l’ARPP.

La régie presse rappelle les différents avis rendus par l’ARPP pour ce qui est de la diffusion du film publicitaire sur une chaîne de sport, dont le dernier avis favorable date du 23 mai 2012. Elle ajoute, concernant les publications sur trois quotidiens, que la campagne n’était qu’une déclinaison du film ayant obtenu l’avis de l’ARPP.

L’afficheur fait valoir que ce spot a échappé à son contrôle juridique interne.

En effet, les équipes commerciales ont été informées par l’annonceur que le spot proposé au cinéma était identique à celui destiné à être diffusé en télévision et celles-ci en ont déduit que le spot avait été validé par l’ARPP.

Le film publicitaire a donc été diffusé au cinéma en l’état, du 11 avril au 1er  mai 2012, à Paris, en Ile de France et en province, dans un réseau composé de 117 cinémas accueillant une cible de spectateurs plutôt âgés et de catégorie sociale supérieure (CSP +).

L’ARPP précise que, comme toute publicité destinée à être diffusée en télévision, ce spot lui a été soumis pour avis avant diffusion sur les chaines. Plusieurs échanges avec l’agence de communication en charge de cette campagne ont eu lieu sur des projets de spots dès le mois d’août 2011.

A ce stade, le conseil de l’ARPP a porté essentiellement sur le respect des dispositions du Code de déontologie Automobile, afin de rappeler la nécessité de ne pas argumenter sur la vitesse du véhicule, ainsi que celles relatives à la publicité des prix des véhicules automobiles.

Concernant le sujet évoqué par les plaintes, l’Autorité a été attentive à l’application de la règle contenue dans la Recommandation Image de la personne humaine qui interdit de réduire à la femme à la fonction d’objet. A ce titre, elle a travaillé avec l’agence de façon à ne pas associer des expressions telles que « possède-moi » avec des images de femme dénudée ou encore à éviter des plans montrant un couple dans une posture érotique.

Plusieurs points ont par ailleurs été relevés :

  • le modèle de véhicule présenté s’adresse principalement aux femmes,
  • la femme mise en scène apparaît pleinement maîtresse de la situation, comme une conductrice dotée de caractère et de sentiments,
  • la voix féminine qui prononce le texte audio permet de faire le lien avec les conditions d’essai du véhicule « essaie-moi » et de le relier à la voiture.
  • Enfin, des expressions telles que « regarde-moi, touche-moi, effleure-moi… », même si elles relèvent d’un vocabulaire habituellement lié à la séduction, sont acceptables au regard des règles en vigueur.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, ce message n’est pas apparu à l’ARPP comme abaissant la femme à la condition d’un objet, en l’espèce un véhicule, et ne constitue ainsi pas une publicité sexiste. L’autorité l’a considéré comme acceptable au regard des Recommandations déontologiques applicables et l’a validé, dans ses différentes versions, sans restrictions. En revanche, l’ARPP indique ne pas avoir été interrogée concernant des projets de publicité destinés à la presse ou l’affichage ni un film spécifique destiné au cinéma.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :

Au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;

Le Jury relève que les publicités télévisées et cinématographiques présentent le véhicule de façon personnalisée et doté d’une voix humaine féminine ; la publicité diffusée par voie de presse est la déclinaison du spot.

Le spot montre des images de la voiture en différentes situations, des éléments ciblés de celle-ci (portière, phare, volant) et s’attarde, à plusieurs reprises, non sur des personnes, mais sur leurs mains, celles d’une femme effleurant la voiture, à deux reprises, et celles musclées d’un homme tenant le volant. Une image met en scène un baiser, une femme apparaissant, au premier plan, comme étant en position active.

Ces images ciblées, d’une grande sophistication, sont accompagnées de l’énoncé d’un texte utilisant le registre sémantique amoureux tout en jouant sur le double sens des verbes « posséder » et « contrôler », « retenir », qui renvoient, outre le registre des sentiments et sensations, parallèlement à la possession d’un bien matériel et à la maitrise du véhicule. La voix utilise dans sa tonalité le registre de la passion amoureuse. Le spot ne met, à aucun moment, en scène la nudité.

Il n’est pas contesté que la voix est celle de la voiture qui est présentée comme une personne humaine. Le message met ainsi en œuvre deux signaux perceptifs (vue et audition) qui ne sont pas dissociables. Le spectateur ne peut donc se méprendre sur l’auteur du message, qui est la voiture et l’invitation formulée ne peut être analysée comme étant celle d’une femme dont la voiture serait le substitut, mais bien celle de la voiture elle-même.

Dans ces conditions, le message ne réduit pas la femme à la fonction d’objet. Par ailleurs, la mise en scène qui s’appuie sur l’appropriation du véhicule tant par une femme que par un homme, conduit à considérer que le message s’adresse autant aux hommes qu’aux femmes. Il n’apparait donc pas que le message renvoie explicitement à l’idée d’une femme objet ou induise cette idée.

Par ailleurs, l’utilisation du registre de la séduction et de la passion amoureuse pour la promotion d’un véhicule n’est pas prohibée par les dispositions déontologiques, dans la mesure où ce procédé n’utilise pas des images du corps qui ne seraient pas en rapport avec l’objet de la publicité et qu’il n’a pas pour résultat de réduire l’homme ou la femme à la fonction d’objet, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Enfin, il n’apparaît pas que le spot, qui met en scène une relation personnelle imaginée entre le conducteur, de quelque sexe qu’il soit, utilise et valide par conséquent le stéréotype selon lequel la voiture serait un moyen de séduction.

L’ensemble de ces éléments conduisent le Jury à considérer que la publicité an cause est acceptable au regard de la Recommandation Image de la Personne Humaine.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont rejetées ;

– La publicité du constructeur automobile ne contrevient pas au point 2.1 de la Recommandation Image de la Personne Humaine ;

– La décision sera communiquée aux plaignants ainsi qu’au constructeur, à l’agence de communication, à la régie cinéma, la régie presse, la chaîne de télévision publique, l’afficheur et au syndicat représentant les chaînes de télévision.

Délibéré le 7 septembre 2012, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Drecq, Moggio, MM Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.