Avis JDP n°275/13 – CENTRES D’ENTRETIEN AUTOMOBILE – Plaintes fondées

Décision publiée le 23.10.2013
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– et, après en avoir délibéré dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 23, 26 et 27 août 2013, de trois plaintes de particuliers et, le 27 août 2013, d’une plainte de la délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité de Midi-Pyrénées, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur d’un centre auto en ligne.

La publicité en cause, diffusée par voie d’affichage, consiste en la photo d’une main de femme aux ongles manucurés empoignant un attelage de voiture, dont la forme rappelle un sexe masculin.

Le texte accompagnant cette image est « OSEZ l’expérience 100% Web».

2.La procédure

 L’annonceur a été informé par courrier recommandé du 4 septembre 2013 des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée. Il a été également informé que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du JDP.

Les sociétés d’affichage ont été également informées par courrier recommandé du 4 septembre 2013 de l’examen des plaintes dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du JDP.

3.Les arguments des parties

Les plaignants font valoir que cette publicité est sexiste et insultante pour la femme. L’un d’eux ajoute que cette image est choquante car le service promu par la publicité ne justifie pas une telle référence sexuelle.

La société explique qu’elle est une jeune société d’e-commerce, qui propose aux automobilistes une nouvelle approche de l’entretien auto en ouvrant accès aux bases de données techniques des constructeurs automobiles, ce qui permet aux internautes de consulter gratuitement les plans d’entretien de plus de 25 000 véhicules et d’obtenir des prix défiant toute concurrence pour les opérations concernées. Elle donne ainsi la possibilité à chacun d’entretenir sa voiture au même prix que ceux que l’on peut trouver sur les sites de vente de pièces détachées, sans pour autant connaître parfaitement son véhicule et en conservant toutes les garanties de montage.

 Concernant le visuel en cause, la société explique que celui-ci a été créé dans le but de briser les idées reçues liées à l’entretien auto en faisant comprendre que monter un attelage, acheter une vidange ou encore choisir le bon entretien pour son auto est enfin à la portée de tous : hommes, femmes, jeunes, séniors, du mécanicien aguerri au conducteur récalcitrant.

La responsable de la société se dit surprise de constater que les plaignants aient interprété ce visuel comme sexiste car son objectif est inverse. Elle précise qu’une enquête menée en juin 2012 sur les sites « Drivepad.fr » et « journaldesfemmes.com » a montré que 60% des femmes sondées s’occupent seules de l’entretien de leur véhicule, ce qui, selon elle, démontre que son concept répond à leurs souhaits. Elle explique avoir choisi ce visuel d’une main féminine manucurée tenant une rotule d’attelage pour montrer qu’une femme qui prend soin d’elle peut également avoir le contrôle de l’entretien de son véhicule au même titre qu’un homme. Elle précise que l’objet photographié est une rotule d’attelage, dont la forme n’a été ni courbée, ni déformée afin de paraître phallique et qu’elle a choisi cet objet précisément parce que la pose d’attelages est le premier service que la société ait vendu sur internet.

La société fait valoir que sa publicité permet de faire comprendre aux consommateurs qu’ils ont désormais le choix d’acheter leur « entretien auto » sur internet et qu’il est primordial que ceux-ci aient confiance en elle, afin d’oser cette expérience nouvelle de même que les 500 garagistes dont elle est partenaire.

L’un des afficheurs fait valoir que la publicité critiquée permet à la société de retranscrire le mode d’achat innovant qu’elle propose par une campagne publicitaire inédite. Elle précise que le secteur de l’automobile est un monde encore réservé aux hommes et qu’une campagne publicitaire percutante était nécessaire pour éveiller les consciences et changer les mentalités. Le message diffusé par cette publicité est que désormais l’automobile n’est plus un secteur réservé aux hommes. Le texte publicitaire accompagnant l’image est, selon elle, clair, sans ambiguïté et dépourvu de toutes connotations sexuelles : les femmes doivent « oser » s’aventurer et conquérir un domaine qui leur était jusqu’ici presque défendu.

Au regard de la Recommandation « Image de la personne humaine », l’afficheur fait valoir que la femme, dans le contexte publicitaire, prend le pouvoir, le contrôle d’un secteur qui lui était jusqu’alors étranger, tant sa présence dans un cadre exclusivement masculin pouvait lui paraître hostile. Elle n’est donc pas représentée en position de femme soumise ou en situation de victime. Elle se saisit de l’objet utilitaire, choisi opportunément car aisément identifiable pour caractériser le secteur automobile, marquant ainsi l’entrée de la femme dans le milieu considéré.

Selon elle, le visuel ne porte atteinte ni à la dignité, ni à la décence, ni à l’image de la femme, la main de femme n’étant soumise à aucun acte de soumission, de dépendance ou de violence et toute nudité étant absente. La représentation proposée n’est donc pas dégradante ou avilissante pour la personne humaine.

Elle ajoute que si le visuel incriminé constitue une mise en scène provocante, il n’est pas pour autant répréhensible au regard de la Recommandation de l’ARPP. Il s’agit d’un message humoristique décalé, fondé sur le détournement de certains codes de la publicité. Elle fait encore valoir que cette campagne est un « éveilleur de conscience », représentant une main de femme, et non ses attributs féminins.

La société indique qu’elle a néanmoins décidé de déposer cette campagne une semaine après sa parution.

L’autre société d’affichage affirme que, si elle a bien procédé à une campagne pour cet annonceur,  le visuel incriminé a été refusé par son Comité de déontologie et n’a donc pas été affiché sur son réseau.

4.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :

Au point 1-1 que « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou même de provoquer une partie du public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité ou à la décence ».

 Au point 1-3 que « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».

Au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

Le Jury relève que la publicité en cause met en scène une main de femme aux ongles manucurés empoignant une « rotule d’attelage » dont la forme suggère directement celle d’un sexe masculin en érection et qui donne au visuel une connotation sexuelle évidente.

Le choix de présenter une main de femme saisissant précisément un objet de cette forme connotée, alors que tant d’autres auraient pu être choisis, pour promouvoir un service offert dans un univers traditionnellement masculin, donne une représentation de la femme restreinte à un rôle sexuel. Contrairement à ce que prétendent l’annonceur et l’afficheur, ce visuel ne met pas particulièrement en évidence l’idée que les femmes peuvent comme les hommes s’occuper de l’entretien d’une voiture et les y inviter.

La publicité en cause utilise ainsi comme faire valoir commercial une image de la femme réduite à une fonction d’objet sexuel qui contrevient aux dispositions précitées.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– La publicité en cause  contrevient aux points 1.3 et 2.1 de la Recommandation Image de la Personne Humaine ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de cette publicité ;

– La décision sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur et aux afficheurs;

– Elle sera publiée sur le site du JDP ;

Délibéré le 4 octobre 2013, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé et Lacan.