WATERSHOP L’O – Internet – Plainte fondée

Avis publié le 21 février 2022
WATERSHOP L’O – 813/22
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 22 novembre 2021, de deux plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de messages publicitaires diffusés sur les réseaux sociaux par la société Watershop pour promouvoir son eau en bouteille de marque L’O.

Ces messages présentent deux packs de six bouteilles d’eau présentés côte à côte. A gauche, le pack est emballé d’un plastique de couleur rose sur lequel est écrit « plastique party ». Au-dessus, figure l’inscription « Le passé ». Le pack d’eau de marque L’O, représenté à droite, est intitulé « L’avenir ».

Le texte situé au bas de l’image est : « A vous de choisir… ».

Au-dessus de l’image figurent les textes : « Plus de suremballage = 90% de plastique en moins !», « Nos bouteilles sont constituées de plastique recyclé, à 100% », « Notre engagement : réduire le plastique », « Notre intention : vous aider à consommer mieux et responsable », « Plus d’info sur eco-lo.org ».

Sur l’une des publicités figurent les hashtags : « #zérodéchet », « #zerowaste », « #écoresponsable », « #ecofriendly », « #savetheplanet »

2. Les arguments échangés

Le premier plaignant considère que le produit n’est absolument pas « 0 déchet », cela reste du plastique. De plus, l’allégation selon laquelle il y aurait 90% de plastique en moins est fausse. Une bouteille en plastique fait entre 30 et 40g, multiplié par 6, cela fait au moins 180 grammes. Cette quantité reste constante. Pour réduire la quantité de plastique de 90 %, il faudrait passer d’un emballage du pack pesant 1.6kg (P1 = 1.6kg + 180 grammes = 1.78kg) à un emballage pesant 0g (P2 = 180 grammes) C’est le seul moyen pour avoir P2/P1 = 1/10 = 90% de réduction de plastique. Cette publicité est donc, selon le plaignant, mensongère, utilise des termes trompeurs et relève du greenwashing.

Le second plaignant estime également que cette publicité relève du greenwashing et pousse à un comportement d’achat polluant et appauvrissant, sous couvert de conscience environnementale.

La société Watershop a été informée, par courriel avec accusé de réception du 20 décembre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.

La société Watershop estime que le principe du contradictoire n’est pas respecté dès lors que le président du Jury a déjà indiqué dans son courriel que la publicité litigieuse paraissait constituer un manquement flagrant aux dispositions déontologiques en vigueur et qu’il est demandé de présenter des observations sur deux pages au maximum. Elle ajoute que les règles déontologiques en cause sont difficilement identifiables et ne lui sont pas opposables. Elle indique aussi qu’en l’absence de lien hypertexte permettant de consulter le visuel, son existence n’est pas avérée. Elle soutient enfin qu’elle ne comprend pas la procédure et ses droits, et ajoute qu’elle envisage de porter plainte pour dénonciation calomnieuse.

Sur le fond, la société rappelle qu’elle s’inscrit dans une démarche éco-responsable en étant l’un des premiers producteurs d’eaux minérales à avoir utilisé pour ses bouteilles 100 % de plastique PET, donc recyclé. Elle a également développé un système de cerclage limitant sensiblement l’utilisation de plastique dans les emballages, ce qui est l’objet de la publicité critiquée. Elle souligne que l’accès à une eau de qualité constitue un enjeu de santé publique important et que, si on peut certes regretter que l’industrie de l’eau minérale utilise du plastique, comme tant d’autres, il serait regrettable de condamner un des rares acteurs ayant mis en place une politique de limitation des déchets inhérents à cette industrie sur la base d’une « bien-pensance » bien vague et mal informée.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la compétence du Jury

Le Jury rappelle à titre liminaire qu’il constitue une instance associée de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), chargée de traiter les plaintes qui lui sont adressées contre les publicités diffusées en France par tout annonceur, qu’il soit ou non adhérent à l’ARPP. En effet, la profession a souhaité, de longue date et à l’instar de l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne et de l’OCDE, fixer un cadre déontologique et mettre en place un dispositif d’autorégulation applicable à l’ensemble des acteurs du secteur, ce que les pouvoirs publics ont expressément reconnu à travers l’article 14 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui prévoit que « Les autorités d’autorégulation mises en place dans le secteur de la publicité adressent chaque année au Parlement un rapport faisant état des dispositifs d’autorégulation existants et présentant le bilan de leur action ».

3.2. Sur la procédure suivie

En vertu de l’article 13 du règlement intérieur du Jury, « si, au vu des éléments dont il dispose, le cas lui paraît relever d’un manquement manifeste aux règles déontologiques, le cas échéant au regard de cas analogues examinés antérieurement par le JDP, le/la Président(e) peut informer les responsables de la publicité, dans le courrier mentionné au 1° de l’article 12, que l’affaire sera examinée dans le cadre d’une procédure simplifiée, ne comportant aucune séance ».

Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que l’examen en procédure simplifiée est décidée par le président du Jury lorsque le cas lui « paraît » relever d’un manquement manifeste. Cette apparence peut être levée par les observations présentées par les responsables de la publicité, soit par écrit, soit lors de la séance qu’ils peuvent demander dans un délai de quinze jours, conformément au second alinéa du même article 13. En outre, la contrainte de format de la réponse de deux pages ne s’impose que « si possible » et il est loisible à l’annonceur qui souhaite développer sur davantage de pages des arguments techniques nécessaires à sa défense de solliciter une dérogation.

En l’espèce, le Jury observe que la société Watershop a pu présenter des observations écrites, qui consistent d’ailleurs essentiellement à opposer des arguments de procédure, alors que les arguments de fond n’occupent que quelques lignes de son courrier. En outre, elle n’a pas sollicité la tenue d’une séance comme cela lui était possible.

Le Jury ajoute que tant son règlement intérieur que l’ensemble des règles déontologiques sont librement consultables et téléchargeables sur son site internet et qu’il ne peut donc être sérieusement soutenu par la société qu’elle ne comprendrait pas la procédure ou les droits de sa cliente, lesquels lui ont de surcroît été rappelés par le secrétariat du Jury.

3.2. Sur la recevabilité des plaintes

La société Watershop semble mettre en cause la recevabilité des plaintes à deux égards :

  • d’une part, l’existence même des publicités critiquées est remise en cause : toutefois, les communications commerciales litigieuses, diffusées notamment sur le compte de Watershop, sont clairement identifiables et la réponse de l’annonceur témoigne du reste qu’il n’en ignore rien, puisqu’il en rappelle lui-même l’objet ;
  • d’autre part, les règles déontologiques invoquées ne seraient pas identifiables : aux termes du 5° du point 11.1 de son règlement intérieur, une plainte n’est recevable que si elle est clairement motivée « c’est-à-dire indique de façon précise en quoi la publicité mise en cause soulèverait un problème déontologique. Toutefois, le plaignant n’est pas tenu, à peine d’irrecevabilité, d’invoquer formellement l’une des règles déontologiques. Il appartient au Jury d’identifier, au vu de l’argumentation soulevée, les règles déontologiques applicables». En l’espèce, l’argumentation des deux plaintes, qui conteste la véracité des allégations et la minimisation de l’incidence environnementale de l’activité de la société annonceur, permet de comprendre qu’elles invoquent les règles, issues de la Recommandation Développement durable, énoncées au point 3.3.

Ces plaintes sont donc recevables.

3.3. Sur la conformité des publicités aux règles déontologiques

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1 ) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :
    • (…)
    • b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) /
    • c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».
  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « la publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable;
    • les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
    • l’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; »
  • au titre de la proportionnalité ( point 3):
    • « le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
    • le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »

Le Jury relève que les messages publicitaires en cause font la promotion des packs d’eau commercialisés par la société Watershop selon un procédé permettant de supprimer le suremballage. Il est allégué que, de cette suppression, découlerait une réduction de 90 % du plastique.

Or eu égard au poids respectif du suremballage et des bouteilles plastique dans un pack « classique », la seule suppression ou réduction du suremballage ne saurait, mathématiquement, entraîner une réduction de 90 % du plastique utilisé. A supposer que la société ait entendu appliquer cette proportion de 90 % au seul plastique présent dans le suremballage des packs classiques, la publicité litigieuse aurait dû le préciser afin de lever toute ambiguïté sur un sujet qui est d’une grande sensibilité dans l’opinion publique.

Le Jury relève en outre que l’expression « vous aider à consommer (…) responsable » apparaît disproportionnée eu égard à l’impact écologique de la consommation d’eau en bouteille plastique, fussent-elles en PET, compte tenu des nuisances environnementales résultant de l’ensemble du cycle de vie des bouteilles, de l’absence de recyclage à l’infini de l’intégralité des bouteilles mises sur le marché, et de l’intérêt écologique limité, même s’il est réel, que représente la seule suppression du suremballage. Il en va de même, pour la même raison, des hashtags : « #zérodéchet », « #zerowaste », « #écoresponsable », « #ecofriendly », « #savetheplanet ».

Les autres allégations de ces messages publicitaires n’apparaissent en revanche pas contraires aux règles déontologiques invoquées.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît, dans cette mesure, les dispositions précitées.

Avis adopté le 14 janvier 2022 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello et Lucas-Boursier.

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