TRANSAVIA – Affichage – Plainte fondée

Avis publié le 4 mai 2022
TRANSAVIA – 827/22
Plainte fondée

 Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 2 mars 2022, d’une plainte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la compagnie aérienne Transavia, pour promouvoir des tarifs de vols à destination de villes européennes.

La publicité en cause, diffusée en affichage, montre une jeune femme circulant à vélo. L’image est découpée en cinq vues présentant la jeune femme dans différents lieux correspondant aux destinations concernées. A côté, sont énumérées le nom des villes (Venise, Athènes, Séville, Budapest, Amsterdam) ainsi que les tarifs applicables à chacune d’entre elles.

Le texte accompagnant cette image est : « Ne passez jamais vos week-ends au même endroit ».

2. Les arguments échangés

L’ADEME rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP prévoit qu’« une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable ». A titre d’exemple « la publicité doit bannir toute évocation ou représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles (gaspillage ou dégradation des ressources naturelles, endommagement de la biodiversité, pollution de l’air, de l’eau ou des sols, changement climatique, etc.) » ; par ailleurs, « la publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs ».

Par ailleurs, la Recommandation dispose que : « la publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable ».

Selon l’ADEME, la publicité porte un message problématique sur la mobilité via le transport aérien.

Introduite par la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique. Elle donne des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas-carbone, circulaire et durable. Elle définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050 et fixe des objectifs à court-moyen termes : les budgets carbone. Elle a deux ambitions : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et réduire l’empreinte carbone de la consommation des Français.

Les décideurs publics, à l’échelle nationale comme territoriale, doivent la prendre en compte.

Le secteur des transports a émis à hauteur de 139 MtCO2eq en 2017. Ces émissions ont augmenté de +11,8% entre 1990 et 2017, dont une forte augmentation constatée entre 1990 et 2004 (+18,9%). Dans les transports, la consommation d’énergie finale en 2017 en France est de 46 dont 90,4 % d’énergies fossiles. Le dioxyde de carbone (CO2) issu de la combustion de carburant est le principal gaz émis par le secteur des transports : il représente 96,4 % des émissions de gaz à effet de serre en 2017, suivi des hydrofluorocarbures (HFC) (2,4 % des émissions) et d’autres gaz à effet de serre (1,2 % des émissions) tels que le protoxyde d’azote et le méthane.

Par rapport aux objectifs de réduction des émissions fixés par la première stratégie nationale bas carbone, on constate, selon un bilan provisoire, que les émissions du secteur « transport » sont supérieures aux cibles envisagées avec des dépassements des parts annuelles indicatives 2015 à 2018 du budget carbone.

L’objectif de neutralité carbone affiché depuis 2017 par le gouvernement français impose de décarboner entièrement le secteur des transports (voyageurs et marchandises). L’enjeu est de taille, puisque ce secteur est le premier émetteur de gaz à effet de serre (GES) en France (30 %).

Pour atteindre cet objectif, il sera nécessaire de convertir le parc roulant vers des carburants décarbonés (bioGNV et électricité), et d’améliorer l’efficacité énergétique des véhicules (division par deux de la consommation unitaire à l’horizon 2050). Mais cela ne suffira pas. Différents exercices le montrent (SNBC, scénario ADEME, etc.), l’atteinte de la neutralité carbone devra aussi passer par une maîtrise du trafic, aussi bien pour les voyageurs que pour les marchandises.

La publicité Transavia pousse évidemment à multiplier les vols en avion lors de ses week-ends.

L’ADEME précise que les empreintes carbone des vols aller-retour pour les destinations citées sont les suivantes (sur la base du calculateur Air France et du calculateur ADEME) : Paris-Amsterdam : 57 kgeqCO2 Paris-Budapest : 174 à 458 kgeqCO2 Paris-Séville : 201 à 544 kgeqCO2 Paris-Athènes : 294 à 744 kgeqCO2 Paris-Venise : 384 kgeqCO2.

Le message mis en avant dans cette publicité s’oppose aux principes généraux de sobriété et de « maîtrise de la croissance de la demande (pour le transport de voyageurs et de marchandises) » développé dans la Stratégie Nationale Bas Carbone de la France.

Cette surconsommation contrevient ouvertement au principe 9.1 selon lequel « La publicité ne saurait inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessive », ce qui est le cas si une personne utilise l’avion tous les week-ends.

La société Transavia et la société d’affichage JC Decaux ont été informées, par courriel recommandé avec avis de réception du 8 mars 2022, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elles n’ont pas présenté d’observations.

3. L’analyse du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP s’applique aux publicités qui présente des éléments non compatibles avec les objectifs du développement durable, même sans y faire référence.

Le point 1 de cette Recommandation, relatif aux « impacts éco-citoyens » dispose que : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit : / 1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple : / (…) b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) / ».

Le Jury relève que la publicité litigieuse vise à promouvoir les offres de la compagnie aérienne Transavia portant sur différentes destinations européennes. Elle comporte la formule suivante : « Ne passez jamais vos week-ends au même endroit ».

Le Jury relève que la formule litigieuse présente un caractère équivoque. Elle peut en effet être comprise de deux façons.

La première consiste à y voir une invitation à prendre l’avion pour passer chaque week-end de l’année dans l’une des villes qu’elle énumère, en changeant de destination chaque semaine. L’incitation à ne pas passer ses week-ends « au même endroit » inclurait ainsi le lieu de résidence habituel de la personne, que celle-ci serait encouragée à quitter chaque fin de semaine pour voyager en Europe.

Dans la seconde interprétation, cette publicité, qui n’évoque pas un voyage « chaque week-end » ou « tous les week-ends », n’inciterait pas à prendre l’avion pour voyager en Europe tous les week-ends de l’année, mais seulement à varier ses lieux de villégiature lorsque la personne entend partir en week-end (plutôt que de rester chez elle), sans préjuger de la fréquence d’un tel déplacement. Le propos de la publicité serait donc seulement d’inviter les consommateurs qui souhaitent partir en week-end en Europe à ne pas choisir la même destination deux fois de suite.

Le Jury estime que la première interprétation est la plus intuitive à première lecture, qui est aussi celle des personnes exposées à l’affiche. Elle n’utilise pas la locution « partir en week-end », qui se réfèrerait à des voyages occasionnels, mais « passer vos week-end ». En outre, s’il est peu probable que les consommateurs partent à l’étranger chaque week-end de l’année pour un séjour touristique, l’objectif poursuivi est de les inciter à le faire au maximum, à la faveur des tarifs avantageux proposés. Eu égard aux conséquences environnementales qui s’attachent aux voyages en avion et à la sensibilité du corps social à l’égard de l’impact du transport aérien sur le climat, dont témoigne l’article 145 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (qui interdit les vols intérieurs de moins de 2h30 en présence d’une alternative ferroviaire directe et pluri-quotidienne), le Jury considère que les annonceurs, doivent faire preuve, dans ce domaine, d’une particulière clarté et ne pas laisser place à l’ambiguïté. Dans ces conditions, il est d’avis que cette publicité véhicule un message contraire aux principes communément admis du développement durable, consistant à modérer le recours à l’avion, en particulier pour les voyages d’agrément, et à privilégier, dans la mesure du possible, des modes de locomotion moins polluants, et qu’elle incite à des modes de consommation excessifs au sens de la Recommandation « Développement durable ».

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la campagne de publicité en cause méconnaît les règles précitées.

Avis adopté le 1er avril 2022 par M Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain et Charlot, ainsi que MM. Depincé, Lucas-Boursier et Thomelin.

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