SCARA

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Plainte partiellement fondée / Demande de révision rejetée

Avis publié le 10 mai 2023
SCARA – 903/23
Plainte partiellement fondée
Demande de révision rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • l’avis délibéré ayant été adressé à l’association plaignante, la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports ainsi qu’au Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes lequel a introduit une demande de révision rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 16 janvier 2023, d’une plainte émanant de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT), tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur du Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes (SCARA), pour adresser ses vœux à l’occasion de la nouvelle année.

La publicité en cause, diffusée sur le site Internet et les réseaux sociaux du SCARA (Twitter et Linkedin), se compose de deux parties :

  • une première image montrant des voies de chemin de fer traversant une forêt, entourées de poteaux et fils électriques. Le texte accompagnant cette image est : « Le Scara vous souhaite une bonne année 2023, ainsi qu’aux usagers du train… ».
  • une seconde partie du visuel comporte le logo du SCARA, la mention de ses réseaux sociaux et un texte blanc sur fond vert : « … et leur rappelle que les émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion sur les vols intérieurs en France : – ont été les mêmes que celles du train en 2022, – ne représenteront que 50 % de celles du train en 2023, – seront nulles en 2024 alors que le train continuera à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation. L’avion investit toujours plus dans la compensation carbone, notamment en finançant la reforestation car il préfère contempler les arbres en les survolant. ».

Au bas de la page figure une première mention en petits caractères selon laquelle « la production annuelle de 8,5 térawattheures d’électricité nécessaire à la motricité des trains, plus le gasoil utilisé génèrent 1,1 millions de tonnes de CO2 avec le mix nucléaire en France, et 3 millions de tonnes avec le mix européen. ».

Après le mot « France » figure un second renvoi (« (1) ») en bas de page indiquant « la loi Climat et Résilience impose la compensation carbone à 50 % en 2022, puis 75 % en 2023 et 100 % en 2024 pour tous les vols intérieurs France ».

2. Les arguments échangés

La Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT) est une association de consommateurs agréée par l’Etat, spécialisée dans la défense et la représentation des usagers des transports.

Elle énonce que la publicité en question contrevient à de nombreuses règles de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

En outre, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, indique que l’augmentation de la part modale du transport ferroviaire de voyageurs et le report modal de l’avion vers le train sont des objectifs de cette loi pour lutter contre le dérèglement climatique et font partie de la stratégie bas-carbone :

  • Article 143 : Pour atteindre les objectifs d’augmentation de la part modale du transport ferroviaire de voyageurs de 17 % en 2030 et de 42 % en 2050 définis par la stratégie nationale bas-carbone, l’État se fixe pour objectif d’accompagner le développement du transport ferroviaire de voyageurs.
  • Article 144 : Afin de favoriser le report modal de l’avion vers le train et de contribuer efficacement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien, l’État se fixe pour objectif de lutter contre la vente à perte de billets d’avion, notamment par une évolution de la réglementation européenne permettant d’instaurer un prix minimal de vente des billets.

La FNAUT estime que la publicité du SCARA dévalorise les objectifs de stratégie bas-carbone de l’État, en laissant entendre que l’avion serait à terme un moyen de transport en France sans impact d’émission nette de CO2, tandis que « le train continuera à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation ». Cette publicité ne respecte donc pas les points 1.1 et 1.2 de la Recommandation « Développement durable ».

La FNAUT considère que la communication contrevient également au point 3.3 b en indiquant qu’en 2024 les « émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion sur les vols intérieurs en France » seront nulles, sans aucune modération de ce propos.

Elle ajoute que selon l’ADEME, en 2019, « en France (vols intérieurs et vols internationaux au départ de France), le secteur aérien a émis directement 24,2 millions de tonnes de CO2, soit +85% par rapport à 1990. Ces émissions de l’aérien représentent l’équivalent de 5,3 % des émissions globales de la France, soit 2,2 fois plus qu’il y a 30 ans. C’est l’aviation commerciale de passagers qui constitue l’immense majorité du trafic mondial (avec 12,5 millions de passagers par jour) ». Toujours selon l’ADEME, en moyenne, l’avion émet 73 fois plus de CO2 par passager que le train (source : calculateur d’impact CO2 disponible sur son site internet : https://impactco2.fr/transport/avion).

Elle indique que selon la communication du SCARA les « émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion sur les vols intérieurs en France » seront nulles, et « l’avion investit toujours plus dans la compensation carbone, notamment en finançant la reforestation car il préfère contempler les arbres en les survolant », comme si ces arbres n’étaient pas affectés par les impacts du transport aérien, voire même que leur protection serait assurée par le secteur aérien !

La FNAUT relève que les actions de compensation carbone ne sont pas une solution annulant totalement les effets d’une pollution, mais permettent seulement de contribuer à diminuer ses conséquences : «Alain Karsenty, socio-économiste au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), est catégorique : compenser est « impossible », d’abord en raison de la nature même des projets proposés : en général planter des arbres, participer à la «reforestation». Il dénonce un décalage temporel entre les émissions immédiates – que le voyageur émet à un instant T, durant son vol – et le temps nécessaire pour que les forêts tout juste plantées absorbent réellement ce carbone. « Le temps de planter puis que les arbres poussent, cela peut prendre un an, dix ans ou cent ans.».(article Le Figaro de Anne-laure Mignon : Peut-on vraiment «compenser» l’empreinte carbone de son trajet en avion ?2) ».

La FNAUT cite encore l’ADEME dans son avis du 1er avril 2021 « La neutralité carbone est une notion qui ne peut être définie qu’à l’échelle de la planète ou d’un État. En effet, chercher à appliquer une neutralité carbone arithmétique à une autre échelle peut engendrer des biais méthodologiques et éthiques. C’est pourquoi les acteurs ne peuvent ni devenir ni se revendiquer neutres en carbone individuellement à leur seule échelle, mais doivent mettre en place des stratégies climat ambitieuses et compatibles avec l’Accord de Paris et les politiques nationales. (…) En cherchant à afficher leur neutralité carbone individuelle, les acteurs peuvent être tentés de se tourner vers des actions de compensation directement accessible à moindre coût, au détriment d’une réelle stratégie de réduction de leurs propres émissions et de leur impact sur le changement climatique. ».

Elle estime en conséquence que la communication du SCARA contrevient aux points 5.4 c/ et 7.4 relatives au développement durable, puisqu’elle parle d’émission nette de CO2 nulle, alors que les compensations carbone ne permettent pas d’effacer la pollution émise.

Selon la FNAUT, le SCARA reprend des éléments naturels ou évoquant la nature, accompagné du message incriminé laissant penser que l’avion est un transport plus écologique que le train ce qui est selon elle contraire au point 8.3 qui prévoit que : « Sans exclure leur utilisation, l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur. »

Elle ajoute que la photographie est un paysage forestier, très vert, et la communication sur la deuxième image comporte une grande part de couleur verte, celle symbolisant communément l’écologie. Au regard du paysage très forestier et de la grande présence de la couleur verte, alors même que l’avion n’est pas un mode de transport reconnu comme étant écologique, la communication du SCARA utilise des codes couleur visant à s’attribuer une image respectueuse de l’environnement. Cette communication contrevient donc au point 8.3.

Au surplus, un œil averti constate que la caténaire et les voies ferrées figurant sur la photographie ne sont pas des éléments du Réseau Ferré National : la photographie n’a pas été prise en France.

La FNAUT considère que la publicité contrevient également au point 9 relatif aux « Dispositifs complexes », car le SCARA ne prend aucune précaution particulière pour éviter d’induire en erreur le public sur la portée réelle du mécanisme de compensation carbone. Au contraire, il affirme que les émissions nettes de compensation carbone seront nulles en 2024 pour l’avion, grâce à ses investissements, tandis que le train continuera à émettre du CO2 sans compensation. Les formulations employées ne sont pas précises, aucune indication de la valeur des émissions CO2 rapportées au nombre de voyageurs n’est formulée et ainsi aucune perspective ou explication n’est donnée. Le SCARA compare deux secteurs du transport de voyageurs sous l’angle des « émissions nettes » de CO2 sans les relativiser par rapport aux poids respectifs de ces secteurs.

Elle soutient que le secteur ferroviaire transporte près de huit fois plus de voyageurs.kilomètre (79,5 milliards de voyageurs.kilomètre en 2021 selon le bilan annuel des transports 2021 du ministère de la transition écologique4 ) que le secteur aérien (10,1 milliards de voyageurs.kilomètre en 2021) : En n’apportant pas les précisions nécessaires à la compréhension des chiffres présentés, la communication du SCARA contrevient aux points 9.1 et 9.3.

Concernant la Recommandation « Communication publicitaire numérique » v5 (entrée en vigueur le 1er janvier 2022) :

La FNAUT retient que la communication du SCARA compare les émissions de CO2 du transport par train et par avion, et aboutit à l’affirmation que « les émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion seront nulles en 2024 ». Plusieurs éléments conduisent à l’étonnement devant cette affirmation :

  • Il est admis que les compensations carbone ne permettent pas de considérer que l’impact sur l’environnement est nul (cf supra, concernant le point 7.4) ;
  • Comme il est indiqué sur cette communication, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, contraint les compagnies aériennes aux compensations présentées, mais la compensation à 100 % en 2024 ne peut pas encore être affirmée comme étant certaine, puisqu’elle n’a pas encore été réalisée ;
  • Une présentation loyale et honnête de cette comparaison aurait dû conduire le SCARA à communiquer également sur le montant des émissions carbone de ces deux transports rapportés au nombre de voyageurs, afin de pouvoir les comparer et les mettre en perspective.

Elle ajoute que la communication du SCARA contrevient au point 2 « Respect d’une publicité loyale, véridique, honnête » relative aux communications publicitaires numériques.

Le Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes (SCARA) a été informé, par courriel avec avis de réception du 2 février 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son représentant fait valoir qu’aux termes de l’article 2.1 du règlement Intérieur du JDP : « Le Jury est compétent pour se prononcer sur tout message publicitaire, à caractère commercial ou non, à l’exclusion de la propagande électorale, ou de tout document à caractère politique ou syndical. ».

Le SCARA soutient qu’il est un syndicat professionnel dont l’objet est notamment « l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des membres de la profession concourant à la chaîne de valeur du transport aérien » et qu’il

siège au conseil d’administration de la Caisse de retraite du personnel navigant de l’aviation civile (CRPN), dans le collège des représentants des employeurs. Il en déduit que la carte de vœux du SCARA, comme l’ensemble des autres écrits de l’organisation dans le cadre de ses activités, doit être considérée comme un « document à caractère syndical » au sens des dispositions du règlement intérieur et échapper par conséquent à la compétence du JDP.

Sur le fond, le SCARA estime qu’il se borne à mettre en exergue la différence de traitement entre le transport aérien et le transport ferroviaire au regard du droit de l’environnement. En effet, aux termes de l’article L. 229-57 du code de l’environnement (issu de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite « Loi Climat et Résilience »), les compagnies aériennes sont soumises à une obligation de compensation des émissions de CO2 découlant de leurs vols domestiques. En 2022, cette compensation devait porter sur 50% des émissions au titre des vols domestiques. En 2023, le taux de compensation est passé à 70% et en 2024, il sera de 100%. Et la loi prévoit une amende de 100 € par tonne de CO2 non compensée (étant précisé que le paiement de cette amende ne dispensera pas la compagnie sanctionnée de devoir compenser les volumes de CO2 qu’elle avait omis de compenser). Il en résulte qu’en 2024, les émissions des vols intérieurs, nettes de l’obligation de compensation imposée par la loi, seront égales à zéro. En revanche, aucune obligation de quelque nature que ce soit ne pèse sur le transport ferroviaire, bien que celui-ci émette également des gaz à effet de serre (GES).

Le SCARA reconnaît que le nombre de passagers transportés par train au cours d’une année est nettement supérieur au nombre de passagers empruntant les vols domestiques. Il n’en reste pas moins que selon lui tout le CO2 émis pas les vols domestiques sera absorbé par les programmes de compensation financés par les compagnies aériennes, alors que le CO2 émis par le transport ferroviaire viendra, pour sa part, s’ajouter aux gaz à effet de serre déjà présents dans l’atmosphère, sans aucune compensation.

Il considère que le fait que ces émissions de CO2 ferroviaires soient générées en transportant un plus grand nombre de passagers ne change rien au fait qu’elles ne seront en aucune façon compensées et que son texte n’a pas pour objet de dévaloriser les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone. » Il souligne que, comme cela était indiqué dans l’étude d’impact de la Loi Climat et Résilience, la mesure de compensation imposée sur les vols domestiques « s’inscrit dans le cadre des orientations de la SNBC T1 “Donner au secteur des signaux prix incitatifs” et T5 : “Encourager le report modal en soutenant les mobilités actives et les transports massifiés et collectifs (fret et voyageurs) et en développant l’intermodalité” ».

S’agissant du reproche portant sur le fait de se référer aux « émissions nettes de CO2 », le SCARA s’étonne car selon lui l’objectif « zéro émission nette » est au cœur des stratégies déployées tant au niveau international qu’au niveau national. Quant aux chiffres sur lesquels le SCARA s’est fondé, ils proviennent de rapports et documents incontestables. Il ressort ainsi de l’étude d’impact de la Loi Climat et Résilience (p. 326) qu’en 2019, le transport aérien métropolitain émettait 2,1 millions de tonnes de CO2, qu’elles avaient diminué de 27% depuis 2000 et étaient stables depuis 2010. Et il ressort du bilan carbone publié par la SNCF que celle-ci émet en moyenne 4,5 millions de tonnes de CO2 par an (dont 1,5 million de tonnes en émissions directes et 3 millions de tonnes en émissions indirectes). Page 325 de l’étude d’impact, consultable sur le site de l’Assemblée Nationale.

Le SCARA relève que le chiffre de 24,2 millions de tonnes de CO2 émises en 2019, qui est mentionné par la FNAUT et qui est tiré d’une étude de l’ADEME ne se rapporte pas exclusivement aux vols domestiques. Il inclut également les émissions des vols internationaux au départ de la France.

Il en résulte selon lui que le message figurant sur la carte de vœux du SCARA, selon lequel « les émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion sur les vols intérieurs en France », soit 1,55 million de tonnes en 2022 (50% de 2,1 millions de tonnes), « ont été les mêmes que celles du train » (1,5 million de tonnes en ne comptabilisant que les émissions directes) est rigoureusement exact.

Il ajoute qu’il n’est pas davantage contestable qu’en 2023, les émissions nettes des vols intérieurs seront ramenées à moins de 0,7 million de tonnes et qu’en 2024, l’objectif « zéro émission nette » devra être atteint pour ce qui concerne les vols domestiques.

Enfin, il considère que le message du SCARA indique clairement que l’avion « investit toujours plus dans la compensation » de son empreinte carbone. Il n’est nullement prétendu, ni même sous-entendu, que les vols n’entraineraient pas d’émission de GES. Il est simplement rappelé que ces émissions sont compensées alors que, pour le moment, « le train continue à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation ».

En définitive, le message que le SCARA entend véhiculer au travers de sa carte de vœux est que la puissance publique exige des acteurs du transport aérien des efforts extrêmement importants pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, alors que d’autres secteurs, tels que le train, réputés vertueux par nature, subissent des contraintes bien moindres.

Il en conclut qu’il s’agit d’un message qui concerne les politiques publiques, et non d’une annonce à visée commerciale en vue d’inciter les destinataires de la carte de vœux à prendre l’avion.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur le caractère publicitaire de la communication critiquée

Aux termes de l’article 2.1. de son règlement intérieur, le Jury est compétent pour se prononcer sur tout message publicitaire, à caractère commercial ou non, à l’exclusion de la propagande électorale, ou de tout document à caractère politique ou syndical. Le caractère politique ou syndical du document s’apprécie au regard de la personne qui l’a élaboré, de ses destinataires et de son objet.

Le Jury constate que la campagne en cause, émanant du Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes (SCARA), se présente comme une carte de vœux pour l’année 2023 par laquelle l’annonceur s’adresse à tous « ainsi qu’aux usagers du train » et vise à promouvoir « l’avion », qui « investit toujours plus dans la compensation carbone, notamment en finançant la reforestation car il préfère contempler les arbres en les survolant ».

Il n’est pas contestable que l’annonceur constitue une organisation professionnelle d’employeurs, inscrite dans la catégorie « Activités des organisations patronales et consulaires » et ayant pour objet « Etude et défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux tant collectifs qu’individuels des entreprises de toutes catégories dont l’objet est le transport aérien public ». Toutefois, si la communication en cause a bien pour objet la défense des intérêts des entreprises de transport aérien public, elle ne présente aucun caractère syndical au sens du règlement intérieur du Jury dès lors que sa finalité est de promouvoir auprès du grand public le transport aérien, comparé ici au transport ferroviaire, et non de porter une revendication auprès des pouvoirs publics, de traiter des relations internes à l’organisation ou avec ses adhérents ou des élections professionnelles.

Il en résulte que le Jury est compétent pour se prononcer sur cette plainte.

3.2. Sur les règles déontologiques invoquées

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) prévoit que :

  • au titre des impacts éco-citoyens (point 1) :

« La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité.

Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. (…)

1.2 La publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable. La publicité ne saurait détourner de leur finalité les messages de protection de l’environnement, ni les mesures prises dans ce domaine. »

  • au titre de la proportionnalité du message (point 3) :

« 3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. (…) /

3.3. En particulier : (…) b/ Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impact négatif ».

  • au titre de la loyauté (point 5)

« 5.4 c) Une réduction d’impact négatif ne doit pas être présentée comme une “reconstitution” directe des écosystèmes naturels »

  • au titre du vocabulaire (point 7)

« 7.4 Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur. »

  • au titre de la présentation visuelle ou sonore (point 8) :

« 8.3 Sans exclure leur utilisation, l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur. »

  • au titre des dispositifs complexes (point 9) :

« Certains dispositifs reconnus peuvent reposer sur des démonstrations très techniques ou sur des montages complexes dans lesquels le bénéfice en matière de développement durable est indirect (ex. dispositifs dits “électricité verte”, “compensation carbone”, “Investissement Socialement Responsable”, etc.).

Lorsque la publicité fait référence à ce type de dispositif :

9.1 Elle doit veiller à ne pas induire le public en erreur sur la portée réelle du mécanisme. (…)

9.3 L’avantage procuré par les dispositifs de nature à compenser indirectement l’impact négatif d’un produit ou d’une activité ne doit pas être attribué directement au produit ou à l’activité. »

Il ressort en outre des dispositions de la Recommandation « Communication publicitaire numérique », au titre du respect d’une publicité loyale, véridique, honnête (point 2) que :

« Toute communication publicitaire numérique doit se conformer aux règles du droit positif, être loyale, honnête et véridique. / Toute communication publicitaire numérique doit être conçue et diffusée avec un juste sens de la responsabilité sociale et doit être conforme aux principes de la concurrence loyale, tels qu’ils sont généralement admis dans les relations commerciales. / Aucun message publicitaire ne doit être de nature à dégrader la confiance que le public doit pouvoir porter à la publicité. »

Enfin, le principe général de loyauté est repris et explicité à l’article 4 du code « Publicité et marketing » de la Chambre de commerce internationale (dit code ICC) selon lequel : « La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs. / Tout facteur pertinent susceptible d’influencer la décision des consommateurs doit être signalé d’une manière et à un moment qui permettent aux consommateurs de le prendre en considération ».

3.3. Sur la conformité de la campagne publicitaire à ces règles déontologiques

Le Jury relève que la campagne publicitaire en cause, diffusée sur le site Internet et les réseaux sociaux du SCARA (Twitter et Linkedin), prend la forme d’une carte de vœux adressée non seulement aux adhérents du SCARA, mais aussi, expressément, aux « usagers du train ».

La première image montre des voies de chemin de fer traversant une forêt, entourées de poteaux et fils électriques. Le texte accompagnant cette image est : « Le Scara vous souhaite une bonne année 2023, ainsi qu’aux usagers du train… ».

La deuxième partie du visuel comporte le logo du SCARA, la mention de ses réseaux sociaux et un texte blanc sur fond vert : « … et leur rappelle que les émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion sur les vols intérieurs en France :

  • ont été les mêmes que celles du train en 2022,
  • ne représenteront que 50 % de celles du train en 2023,
  • seront nulles en 2024 alors que le train continuera à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation.

L’avion investit toujours plus dans la compensation carbone, notamment en finançant la reforestation car il préfère contempler les arbres en les survolant. »

Au bas de la page figure une première mention en petits caractères selon laquelle : « la production annuelle de 8,5 térawattheures d’électricité nécessaire à la motricité des trains, plus le gasoil utilisé génèrent 1,1 millions de tonnes de CO2 avec le mix nucléaire en France, et 3 millions de tonnes avec le mix européen. ». Après le mot « France » figure un second renvoi (« (1) ») en bas de page indiquant « la loi Climat et Résilience impose la compensation carbone à 50 % en 2022, puis 75 % en 2023 et 100 % en 2024 pour tous les vols intérieurs France ».

Le Jury constate en premier lieu que le seul emploi d’un fond d’écran vert ne suffit pas à constituer une évocation de la nature et que la publicité emploie des éléments naturels (arbres sur le bas-côté) sur la seule photographie représentant un chemin de fer et non pour la partie faisant la promotion du transport aérien. Il en résulte qu’aucun de ces éléments visuels n’est de nature à induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur, de sorte que la publicité ne méconnaît pas à cet égard le point 8.3 de la Recommandation « Développement durable ».

Le Jury estime qu’à l’évidence le message est construit pour combattre l’opinion commune selon laquelle l’avion pollue davantage que le train. Pour ce faire, la communication met en œuvre une comparaison fondée sur les « émissions nettes de compensation de CO2 ».

3.3.1 Sur l’allégation selon laquelle les émissions nettes de compensation de CO2 seront nulles en 2024

Le Jury relève que, selon l’article L. 229-57 introduit dans le code de l’environnement par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, les compagnies aériennes doivent compenser les émissions de gaz à effet de serre résultant des vols intérieurs à hauteur de 50 % depuis le 1er janvier 2022, de 70 % depuis le 1er janvier 2023 et de 100 % à partir du 1er janvier 2024. C’est ce que rappelle la note de bas de page de la publicité critiquée.

Eu égard à la très forte sensibilité du corps social à l’égard du dérèglement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre, le Jury estime indispensable que soient clairement distinguées, dans les publicités, les actions permettant d’éviter ou de réduire ces émissions de celles qui ont seulement pour objet de les compenser, notamment par des projets de reforestation, qui ne produisent d’ailleurs leurs effets que dans la durée. Aucune confusion ne doit pouvoir naître, dans l’esprit du public ou du consommateur, quant à la portée exacte des actions entreprises par un annonceur à cet égard.

Or d’une part, le Jury constate que la notion d’« émissions nettes de compensation de CO2 », qui ne se confond pas avec celle, plus courante, d’« émissions nettes de CO2 », n’est pas utilisée par les pouvoirs publics, ni, en général, par les annonceurs, et n’est pas aisément compréhensible pour le public. D’autre part, et surtout, l’allégation selon laquelle ces « émissions nettes de compensation de CO2 » seront « nulles » en 2024 introduit une confusion entre la réduction des émissions et leur compensation et induit, dans l’esprit d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, l’idée que les vols aériens n’émettront plus de gaz à effet de serre à partir de cette année. Cette lecture est renforcée par la formule, elle-même ambigüe, selon laquelle le train, lui, « continuera à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation » en 2024. La note de bas de page précédemment mentionnée et la référence à l’investissement dans la « compensation » ne suffisent pas à corriger cette perception. De surcroît, la publicité occulte l’empreinte carbone qui ne résulte pas directement des vols et qui procède du « cycle de vie » de l’avion, de sa fabrication à son élimination ou son recyclage.

Une telle présentation laisse ainsi entendre que les vols aériens n’auront plus d’impact négatif sur l’environnement en ce qui concerne leur empreinte carbone, à partir de 2024, en méconnaissance des points 3.3. et 7.4 de la Recommandation « Développement durable ».

En revanche, le Jury considère que ni cette allégation, ni la publicité dans son ensemble ne présente la réduction d’impact négatif comme une « reconstitution » directe des écosystèmes naturels au sens du point 5.4 précité, de sorte que la critique de la plainte n’est pas fondée sur ce point.

3.3.2 Sur la comparaison des émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion et du train

Le Jury constate que la publicité critiquée met en regard l’absence d’ « émissions nettes de compensation de CO2 » de l’avion en 2024, d’une part, et le fait que le train « continuera à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation » à cette même échéance.

En premier lieu, la formulation utilisée ne permet pas de comprendre si les exploitants de transport ferroviaire ne mettent ou ne mettront en œuvre aucune action de compensation à cette échéance ou si ces actions ne permettront pas de compenser intégralement les émissions liées aux voyages en train, contrairement à l’avion. Cette allégation n’est d’ailleurs aucunement étayée par l’annonceur.

En deuxième lieu, pour la raison indiquée au point 3.3.1, cette publicité induit dans l’esprit du consommateur moyen l’idée qu’il n’émettra pas de CO2 en voyageant en avion, contrairement à un voyage en train.

En troisième lieu, une telle comparaison n’apparaît pas loyale en l’espèce dès lors que certains facteurs pertinents, susceptibles d’influencer les décisions des consommateurs, ne sont pas mentionnées. En effet, cette publicité ne précise pas le niveau des émissions liées aux voyages en avion et en train, notamment pour un trajet comparable, les émissions de CO2 ne sont pas rapportées au nombre de passagers respectivement transportés par avion et par train, qui diffèrent considérablement, et, de surcroît, aucune mention n’est faite des efforts consentis respectivement par les compagnies aériennes et ferroviaires pour réduire les émissions (et non simplement les compenser).

Le Jury estime ainsi que cette présentation est de nature à induire en erreur le public sur l’impact environnemental respectif du transport aérien et du transport ferroviaire et véhicule, n’exprime pas avec justesse l’incidence respective des deux modes de transports dans le cadre de la comparaison entre l’avion et le train d’une manière globale, et véhicule un message contraire aux principes communément admis du développement durable consistant, lorsque cela est possible, à privilégier le train pour les déplacements, en particulier les trajets intérieurs. Cette publicité méconnaît ainsi les points 1, 3 et 9 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Pour les mêmes raisons, elle ne procède pas à une comparaison loyale de l’incidence globale des différents modes de transport sur la biodiversité et est de nature à induire en erreur le public sur la réalité de l’impact environnemental du secteur de l’aviation au sens du point 2 de la Recommandation « Communication publicitaire numérique ».

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que la plainte est fondée, à l’exclusion des griefs relatifs aux points 5.4 et 8.3 de la Recommandation « Développement durable ».

Avis adopté le 3 mars 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Charlot et Boissier, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


Le Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes (SCARA), auquel l’avis du JDP a été communiqué le 14 mars 2023, a adressé, le 21 mars suivant, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du Règlement intérieur du Jury. Celle-ci a été rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis, laquelle a été communiquée aux parties le 9 mai 2023.

 DECISION DU REVISEUR DE LA DEONTOLOGIE PUBLICITAIRE

A) Procédure :

Le Jury de Déontologie Publicitaire est saisi, le 16 janvier 2023, d’une plainte émanant de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT), lui demandant de se prononcer sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur du Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes (SCARA), l’annonceur, pour adresser ses vœux à l’occasion de la nouvelle année.

La publicité en cause, diffusée sur le site Internet et les réseaux sociaux du SCARA (Twitter et LinkedIn), se compose de deux parties :

  • une première image montrant des voies de chemin de fer traversant une forêt, entourées de poteaux et fils électriques. Le texte accompagnant cette image est : « Le Scara vous souhaite une bonne année 2023, ainsi qu’aux usagers du train… ».
  • une seconde partie du visuel comporte le logo du SCARA, la mention de ses réseaux sociaux et un texte blanc sur fond vert : « … et leur rappelle que les émissions nettes de compensation de CO2 de l’avion sur les vols intérieurs en France :
  • ont été les mêmes que celles du train en 2022,
  • ne représenteront que 50 % de celles du train en 2023,
  • seront nulles en 2024 alors que le train continuera à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation. L’avion investit toujours plus dans la compensation carbone, notamment en finançant la reforestation car il préfère contempler les arbres en les survolant. ».

Au bas de la page figure une première mention en petits caractères selon laquelle « la production annuelle de 8,5 térawattheures d’électricité nécessaire à la motricité des trains, plus le gasoil utilisé génèrent 1,1 millions de tonnes de CO2 avec le mix nucléaire en France, et 3 millions de tonnes avec le mix européen. ».

Après le mot « France » figure un second renvoi [« (1) »] en bas de page, indiquant : « la loi Climat et Résilience impose la compensation carbone à 50 % en 2022, puis 75 % en 2023 et 100 % en 2024 pour tous les vols intérieurs France ».

Par un avis délibéré le 3 mars, le JDP estime que cette publicité méconnait plusieurs points des Recommandations Développement durable et Communication publicitaire numérique de l’ARPP.

Cet avis, notifié aux parties prenantes le 14 mars, fait alors l’objet d’une demande de Révision formulée par l’annonceur le 21 mars.

Cette demande de Révision s’appuie sur :

  • l’incompétence du JDP pour se prononcer sur le message du SCARA en litige,
  • une critique sérieuse et légitime de l’avis, relative à l’application ou à l’interprétation d’une règle déontologique, et portant sur le sens de l’avis (fondé ou non) et/ou sur la nature des griefs retenus ou écartés par le Jury (Article 22.1 du Règlement intérieur du JDP).

La demande du SCARA est transmise à la Fédération plaignante qui y répond par courriels des 31 mars et 11 avril.

Sur ces bases, le Réviseur de la déontologie publicitaire se rapproche alors du Président de la séance du JDP qui a élaboré l’avis contesté, pour procéder avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le Jury a fondé son avis.

A partir de ces éléments et de l’ensemble des pièces du dossier, le Réviseur est en mesure d’apporter les réponses suivantes à la demande de Révision du SCARA.

B) Analyse :

Le recours de l’annonceur demande d’abord la révision de l’avis en arguant de l’incompétence du Jury pour le rendre.

Il soutient ensuite que, au fond, l’avis repose sur des inexactitudes factuelles.

1) Compétence du Jury :

Le premier moyen de Révision porte sur le caractère syndical du message publicitaire en litige.

Le Règlement du JDP prévoit en effet (en son Art. 2.1.) que “Le Jury est compétent pour se prononcer sur tout message publicitaire, à caractère commercial ou non, à l’exclusion de la propagande électorale, ou de tout document à caractère politique ou syndical.”

Le sens et la justification de cette exception est clair : les messages à caractère politique ou syndical, quand ils se déploient dans un univers ou un contexte non-marchand, notamment dans la sphère des idées, des opinions ou des convictions, échappent alors aux prescriptions de la déontologie publicitaire ou commerciale ; par suite le JDP cesse d’être compétent pour se prononcer sur leur conformité à cette déontologie.

C’est ce que soutient le SCARA pour soulever l’incompétence du Jury dans la présente affaire.

Le Règlement du Jury ne mentionnant pas les critères qui établissent le caractère syndical d’un message, le JDP – qui n’avait, semble-t-il, jamais été saisi d’une telle question à ce jour – a donc été conduit, pour les besoins de la présente affaire, à préciser ces critères, afin de statuer sur sa propre compétence.

Il a retenu trois facteurs qui, combinés entre eux (sans qu’aucun puisse prévaloir sur les autres), permettent d’établir le caractère syndical (ou non) de la publicité, tous trois se rapportant au message : son émetteur, ses récepteurs, sa teneur (son contenu).

Ces trois critères, dont la pertinence pour la présente affaire n’est pas contestée par les parties prenantes, seront examinés successivement ci-dessous.

a) l’émetteur du message (l’annonceur)

Pour soutenir que son message présente un caractère syndical, le SCARA se fonde (très principalement) sur le caractère de “syndicat professionnel” qu’il s’attribue ; plus précisément (haut de la page 2 de son mémoire en Révision) il revendique d’être “incontestablement un syndicat professionnel, au sens des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du Code du travail, ainsi qu’en attestent ses statuts”.

Mais force est de constater que les statuts du SCARA, tels que produits par l’annonceur, se rattachent explicitement – que ce soit dans le titre même du “Syndicat” (sur la page de garde) que dans le Préambule de ce texte (haut de la page 2) – à la loi du 1er juillet 1901, celle qui régit les associations mais non les syndicats, lesquels sont eux organisés par le Code du travail.

Par suite le SCARA, du strict point de vue de la loi à laquelle ses statuts ont choisi de le rattacher, n’est pas fondé – en dépit de l’appellation de “syndicat” qu’il s’est donné – à se prévaloir de la qualité juridique de “syndicat professionnel”, qualité qu’il revendique dans le but de justifier le caractère syndical qu’il attribue à son message publicitaire.

Mais pour autant :

  • d’une part il n’est pas contesté que, quel que soit son statut juridique, le SCARA “constitue une organisation professionnelle d’employeurs”, c’est à dire un syndicat (au sens socio-économique du terme) – comme le mentionne d’ailleurs le Jury dans l’avis en débat ;
  • d’autre part le fait que le SCARA ne soit pas, quant à son régime juridique, un syndicat, mais une Association, n’empêche pas que certaines de ses communications puissent présenter un caractère syndical, à raison de leur contenu ou de leurs destinataires.

C’est ce qu’il convient à présent d’étudier.

b) l’examen de la teneur du message litigieux (son contenu) ne peut pas être dissocié de l’analyse de ses récepteurs, les publics auxquels l’annonceur destine ledit message.

Dans son visuel, le SCARA déclare s’adresser entre autres “aux usagers du train”, visant ainsi tout utilisateur potentiel de moyens de transport, c’est à dire (en fait) le “grand public” – comme l’a relevé à juste titre le Jury dans l’avis contesté.

Certes, ce message, destiné à promouvoir l’avion par comparaison avec le train, a notamment pour objet la défense des intérêts des entreprises de transport aérien membres du SCARA et il n’est donc, de ce point de vue, pas dépourvu d’un certain caractère syndical.

Mais à titre principal et avant tout, le message se développe dans un registre concurrentiel, en comparant systématiquement les deux modes de transport, dans le but de démontrer à tout consommateur les avantages de l’avion sur le train au regard des émissions de CO 2 ou du bilan carbone.

Ce message entend ainsi donner au public une image positive de l’avion et même meilleure que celle du train ; ce par quoi il présente une dimension promotionnelle, et donc publicitaire, laquelle, vis à vis du public visé par la publicité, l’emporte ainsi sur son caractère syndical.

Par suite, l’annonceur ne saurait prétendre faire échapper son message aux obligations de la déontologie professionnelle de la publicité, laquelle a été construite pour répondre entre autres à trois objectifs d’intérêt général : la loyauté de la communication, l’équité de la concurrence, la protection des consommateurs.

Il en résulte que le JDP, au service desdits objectifs, est – contrairement à ce que soutient l’annonceur – parfaitement compétent pour connaître du message du SCARA en cause, dans le but d’apprécier, au fond, la conformité de cette publicité aux règles déontologiques applicables à la matière.

2) S’agissant du fond de l’affaire, le SCARA conteste la manière dont le Jury a analysé la rédaction du message publicitaire en litige.

a) Plus précisément, le SCARA soutient d’abord (haut de la page 4 de son mémoire en Révision) que “l’affirmation du JDP selon laquelle la notion d’émissions nettes de compensation de CO2 ne serait « pas définie officiellement » et ne serait « pas utilisée par les pouvoirs publics », est grossièrement inexacte”.

Si cette affirmation du Jury figure bien dans l’avis en litige, il n’est pas moins exact que, pour en faire la critique, le recours en Révision l’isole de son contexte et méconnait le raisonnement d’ensemble du JDP dans lequel elle s’insère, au point d’en altérer la portée.

En effet le SCARA, en Révision, entend démontrer que l’expression “émissions nettes de compensation de CO2” (ou des expressions voisines, telles  “émissions nettes de CO2” ou “zéro émission nette”) se retrouve dans un certain nombre de documents à caractère officiel – parmi lesquels il cite un site internet de l’ONU, un site du ministère français de la transition écologique, un site internet du Parlement européen, la Commission d’enrichissement de la langue française (avec toutefois une divergence dans la traduction de la formule anglaise) ou bien encore une résolution de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale).

Pour intéressante qu’elle soit, cette question de savoir si la notion d’émissions nettes de compensation de CO2 serait (ou non) “définie officiellement” ou “utilisée par les pouvoirs publics” n’est pas, à elle seule, la plus importante pour analyser le raisonnement qui conduit le Jury à son appréciation sur la publicité en cause.

Ce qui importe dans ce raisonnement est de savoir si l’utilisation de cette expression par le message en cause conduit ou non à des manquements à la déontologie publicitaire.

C’est justement ce à quoi procède avec précision le Jury, dans le long alinéa 3 du § 3.3.1 de l’avis, d’où l’annonceur a extrait la citation qu’il critique en Révision.

C’est ainsi que, de manière minutieuse, l’avis contesté :

  • pose d’abord que la “notion d’« émissions nettes de compensation de CO2 », qui n’est pas définie officiellement et n’est utilisée ni par les pouvoirs publics, ni, en général, par les annonceurs, n’est pas aisément compréhensible pour le public ;
  • poursuit en indiquant que “surtout, l’allégation selon laquelle ces « émissions nettes de compensation de CO2 » seront « nulles » en 2024 introduit une confusion entre la réduction des émissions et leur compensation et [qu’elle] induit, dans l’esprit d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, l’idée que les vols aériens n’émettront plus de gaz à effet de serre à partir de cette année” ;
  • souligne aussi que “cette lecture est renforcée par la formule, elle-même ambigüe, selon laquelle le train, lui, « continuera à émettre du CO2 dans l’atmosphère sans compensation » en 2024″ ;
  • précise encore que ” la note de bas de page précédemment mentionnée et la référence à l’investissement dans la « compensation » ne suffisent pas à corriger cette perception ;
  • ajoute enfin que “de surcroît, la publicité occulte l’empreinte carbone qui ne résulte pas directement des vols et qui procède du « cycle de vie » de l’avion, de sa fabrication à son élimination ou son recyclage” ;
  • en conclut qu’une “telle présentation laisse ainsi entendre que les vols aériens n’auront plus d’impact négatif sur l’environnement en ce qui concerne leur empreinte carbone, à partir de 2024, en méconnaissance des points 3.3. et 7.4 de la Recommandation « Développement durable »”. [N. B. Les termes soulignés dans les §§ qui précèdent le sont par le Réviseur].

Face à ce raisonnement très articulé par lequel le JDP analyse le fond du message, l’annonceur, en Révision, ne conteste pas réellement les divers manquements détaillés ci-dessus, qui conduisent le Jury à démontrer que la publicité en cause méconnait les exigences de clarté et de lisibilité posées par la déontologie publicitaire.

En effet le recours du SCARA, pour l’essentiel, se borne à recenser diverses occurrences de l’expression “émissions nettes de compensation de CO2” (ou “émissions nettes de CO2”), sans pour autant répondre au raisonnement d’ensemble du Jury (rappelé ci-dessus) selon lequel cette publicité – en tant qu’elle méconnait les dispositions 3.3 et 7.4 de la Recommandation Développement durable de l’ARPP – est de nature à induire en erreur le public exposé à cette publicité.

Par suite, le recours en Révision ne peut être considéré comme fondé.

Tout au plus, le Jury, dans son avis final, pourra-t-il, sur ce point, préciser son appréciation et mentionner que la notion d’« émissions nettes de compensation de CO2 », qui ne se confond pas avec celle, plus courante, d’« émissions nettes de CO», n’est pas utilisée par les pouvoirs publics ni en général par les annonceurs et qu’elle n’est pas aisément compréhensible pour le public.

b) Le SCARA critique ensuite l’avis contesté, au motif que le Jury y estime “indispensable que soient clairement distinguées, dans les publicités, les actions permettant d’éviter ou de réduire ces émissions de celles qui ont seulement pour objet de les compenser, notamment par des projets de reforestation, qui ne produisent d’ailleurs leurs effets que dans la durée. Aucune confusion ne doit pouvoir naître, dans l’esprit du public ou du consommateur, quant à la portée exacte des actions entreprises par un annonceur à cet égard”.

Face à cette affirmation, qu’il ne conteste pas réellement sur le fond, l’annonceur soutient que, ce faisant, le Jury a formulé une “appréciation de nature totalement politique”.

Le Réviseur observe d’abord que l’annonceur, par son silence sur le fond de cette argumentation exposée dans l’avis, reconnait implicitement que son message puisse être porteur d’une confusion entre éviter, réduire ou compenser les émissions de CO2.

Surtout, on doit constater, eu égard à la très forte sensibilité du corps social à l’égard du dérèglement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre”, que cette obligation, posée par le JDP, d’avoir à distinguer entre évitement, réduction et compensation des émissions, se borne à expliciter les règles déontologiques édictées pour garantir une “publicité loyale, honnête et véridique” (Point 2 de la Recommandation Communication publicitaire numérique de l’ARPP). Le Jury ne s’est donc pas prononcé au-delà de ses pouvoirs.

L’annonceur n’est par suite pas fondé à soutenir que le Jury aurait ainsi méconnu sa mission ou ignoré ses obligations.

C) Conclusions :

Des analyses qui précèdent il résulte que :

  • la demande de Révision de l’annonceur SCARA est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
  • l’Avis contesté n’est entaché d’aucune incompétence du JDP et ne s’expose à aucune critique sérieuse et légitime (au sens de l’article 21.1 du Règlement).

Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à une seconde délibération de l’affaire en cause ni de réformer l’Avis contesté (sauf pour y mentionner la demande de Révision et préciser la rédaction relative aux “émissions nettes de compensation de CO2” comme indiqué ci-dessus).

Dès lors et pour conclure, l’Avis en cause (mentionnant en outre la requête en Révision et la présente réponse) deviendra définitif et il sera publié sur le site Internet du JDP – accompagné du présent courrier, lequel constitue la réponse du Réviseur de la Déontologie Publicitaire à la demande de l’annonceur.

Alain GRANGE-CABANE

Réviseur de la déontologie publicitaire


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