SAINT LAURENT – Affichage – Plaintes partiellement fondées

Avis publié le 23 novembre 2020
SAINT LAURENT – 690/20
Plaintes partiellement fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte, y compris le courrier en date du 8 octobre 2020 par lequel l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a saisi le Jury dans les conditions prévues à l’article 17 de son règlement intérieur relatif à la procédure d’urgence,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu deux des plaignants et une représentante de l’association Les chiennes de gardes, ainsi que le directeur général de l’ARPP, lors d’une séance tenue le 6 novembre 2020 sous la forme d’une visioconférence,
  • après avoir rendu un avis ayant fait l’objet d’une demande de révision de la part de l’une des plaignantes,
  • après accomplissement de ses diligences par le Réviseur de la déontologie publicitaire,
  • les personnes intéressées ayant de nouveau été invitées à faire valoir leurs observations ;
  • après avoir entendu la plaignante concernée et son conseil lors d’une séance tenue le 8 janvier 2021 sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir de nouveau délibéré dans sa séance du 8 janvier 2021, en présence du Réviseur de la déontologie publicitaire,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 3 et le 6 octobre 2020, de dix plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire de la société Saint-Laurent, pour promouvoir sa collection de vêtements et accessoires de maroquinerie en cuir et latex.

La campagne se compose de plusieurs visuels diffusés en affichage. Les affiches mises en cause par les plaintes présentent :

  • pour l’une, la photographie d’une femme allongée sur le ventre sur une moquette rouge, en pantalon bleu moulant son corps, les jambes écartées et portant un haut laissant largement apparaître son dos ; sur certains supports d’affichage, ce visuel fait partie d’un diptyque dont la partie gauche montre un sac à main de la marque accroché à un clou sur un mur délabré ;
  • et pour l’autre, de profil, le bas du corps d’une femme penchée en avant, les fesses relevées vers l’arrière, portant une robe rouge fendue et des collants de couleur rouge.

Le Jury a également été saisi des mêmes publicités par l’ARPP dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article 17 de son règlement intérieur.

2. Les arguments échangés

Les plaignants considèrent que ces images, qui mettent l’accent sur les fesses des modèles et qui ne font pas apparaître leur visage, concourent à une présentation dégradante de la femme, présentée comme un simple objet sexuel.

L’un des plaignants ajoute, à propos de la première affiche, que cette publicité porte atteinte à la dignité et à l’intégrité de la jeune femme en constituant le sujet principal en ce qu’elle réifie cette jeune femme, qu’elle la représente comme victime d’un comportement prédateur et qu’elle suggère sans la condamner une violence sexuelle à son encontre. La jeune femme, qui semble inconsciente ou endormie, est représentée face contre terre sur un sol sale, portant des taches largement apparentes ainsi qu’un trou de 10 à 15 cm de diamètre. Son sac à main est suspendu à un mur carrelé endommagé dont les carreaux manquants découvrent une gaine électrique. Ce décor présente un fort contraste avec le luxe dont la jeune femme est parée et dont témoignent ses habits et son sac à main. La mise en scène de cette aisance financière dans ce décor sordide de « bas-fonds » crée une atmosphère insécurisante, qui, associée à l’inertie du corps de la jeune femme, contribue à la représenter comme vulnérable. Le comportement violent est suggéré par l’angle de vue du spectateur-prédateur relativement à la victime.

Cette publicité constitue ainsi une violence psychologique et un affront aux quelques 94 000 femmes qui se déclarent victimes de viol chaque année.

Les plaignants rappellent qu’une précédente campagne du même annonceur, en 2017, représentant des femmes en collants, déséquilibrées car perchées sur des talons aiguilles à roulettes, encore une fois sans visage, photographiées sous l’angle de leurs parties génitales ou de leurs fesses et soumises au regard cruel d’un observateur-prédateur, avait déjà légitimement choqué le public.

Ils considèrent que ces publicités méconnaissent la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Lors de la séance, la plaignante présente a repris l’ensemble de ces éléments et insisté sur les éléments factuels de posture et de cadrage de la première photographie (pantalon bleu) pour soutenir que cette affiche montre la femme comme un objet sexuel et une victime selon les critères définis par Stankiewicz et Rosselli dans leur article « Women as Sex Objects and Victims in Print Advertisements » citée dans sa plainte.

La société Saint-Laurent a été informée des plaintes dont copie lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée. Elle n’a pas présenté d’observations.

La société Decaux a été informée des plaintes dont copie lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée. Elle n’a pas présenté d’observations.

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) indique être intervenue auprès de la présidente de la société Yves Saint Laurent (Kering) pour lui demander de ne plus diffuser les visuels en cause en affichage et en presse magazine.

Selon l’ARPP, ces images, du fait des postures des femmes, présentées comme offertes, véhiculent en effet une impression de femme réduite à un objet sexuel et suggèrent une idée de soumission sexuelle. Elles concourent à banaliser des stéréotypes sexistes et contreviennent en ce sens aux dispositions de la Recommandation « Image et respect de la personne », adoptée par l’interprofession publicitaire.

Ce texte déontologique reprend notamment dans son préambule les principes élémentaires de respect de la personne énoncés par le Code de la Chambre de commerce internationale, en particulier les points relatifs au respect de la décence, de la dignité et ceux prohibant la soumission, violence ou dépendance ainsi que l’utilisation de stéréotypes.

Réuni en séance plénière le mercredi 7 octobre, le Conseil d’Administration de l’ARPP a pris connaissance de la campagne d’affichage et des réactions qu’elle suscite. Il a fait savoir qu’il déplorait que ce type de manquements soit susceptible de nuire gravement aux efforts de la régulation professionnelle pour ce qui est de la diffusion d’une publicité responsable, attentive à l’image de la femme en publicité, qui plus est dans un contexte où les discriminations sexistes sont fortement dénoncées par les associations, par la société civile mais également par les pouvoirs publics.

Par courrier du 8 octobre 2020, l’ARPP a demandé au Jury de déontologie publicitaire de bien vouloir examiner ces deux affiches lors de sa prochaine séance, comme le prévoit l’article 17 de son règlement intérieur relatif à la procédure d’urgence, de déclarer la présente plainte fondée et de considérer la publicité visée contraire aux règles déontologiques précitées.

3. Les règles applicables

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose :

  • au titre de la dignité et de la décence, que :
    • « 1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence».
    • «3 D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine ».
  • au titre des « stéréotypes », que :
    • « 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.» ;
  • au titre de la « soumission », de la « dépendance » et de la « violence », que :
    • « 1 La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes.» ;
    • « 2 Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue »;
    • « 3 La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique. / La notion de violence recouvre au minimum l’ensemble des actes illégaux, illicites et répréhensibles visés par la législation en vigueur. / La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; la violence suggérée s’entend par une ambiance, un contexte voire par le résultat de l’acte de violence ; la violence morale comprend notamment les comportements de domination, le harcèlement (moral et sexuel) ».
    • « 4.4. La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence.».

4. L’examen de la publicité représentant une femme en robe rouge

Cette affiche représente le bas du corps d’une femme penchée en avant, de profil, les fesses relevées vers l’arrière, portant une robe rouge fendue et des collants de couleur rouge.

Le Jury constate que la demande de révision adressée au Réviseur de la déontologie publicitaire ne porte pas sur cette publicité. Par suite, son avis est devenu définitif sur ce point, dans les termes qui suivent.

Le Jury estime légitime qu’un annonceur mette en valeur les vêtements qu’il commercialise en recourant au registre de la séduction et en valorisant les formes des modèles qui les portent afin d’accroître l’envie d’acheter le produit. Pour autant, il doit veiller à ce que la représentation du corps humain et, en particulier, celui de la femme, ne le ou la réduise pas à la fonction d’objet, en particulier par le recours à une nudité excessive, des postures excessivement suggestives ou une mise en scène inappropriée, en tenant compte de la nature du ou des vêtements dont il s’agit de faire la promotion.

Si le cadrage retenu, qui focalise l’attention sur le postérieur de la femme sans représenter le haut de son corps et son visage, apparaît tendancieux voire provocateur, et si le Jury comprend qu’il ait pu choquer les plaignants, la représentation du corps de la femme, sans recours à la nudité et dans une mise en scène peu érotique compte tenu notamment du décor, a essentiellement pour effet de mettre en valeur la découpe et la souplesse de la robe en latex, qui est le produit promu par cette publicité. Dans ces conditions, le Jury estime que ce visuel ne réduit pas la femme à la fonction d’objet et ne porte pas atteinte à sa dignité. Il ne méconnaît pas les autres points de la Recommandation précitée dès l’instant que la mise en scène ne suggère ni violence, ni soumission ou exploitation.

5. L’examen de la publicité représentant une femme en pantalon bleu

Cette affiche montre une femme allongée sur le ventre sur une moquette rouge, en pantalon bleu moulant son corps, les jambes écartées et portant un haut laissant largement apparaître son dos. Elle tient les coudes de chaque côté de la tête qui se trouve en partie masquée par les cheveux. L’image est coupée au niveau des genoux. Ce visuel constitue, sur certains supports d’affichage, la partie droite d’un diptyque dont la partie gauche montre un sac à main de la marque, accroché à un clou sur un mur délabré.

5.1. Sens de l’avis délibéré par le Jury dans sa séance du 6 novembre 2020

Le Jury a été d’avis que cette publicité méconnaissait les points 1.1, 1.3. et 2.1 de la Recommandation « Image et respect de la personne ». En revanche, il a estimé que les points 4.1. à 4.4. de cette Recommandation n’étaient pas méconnus.

5.2. La demande et la procédure de révision

Le Réviseur de la Déontologie publicitaire a été saisi d’une demande de révision qu’il a examinée conformément à l’article 22.1 du Règlement intérieur du Jury de Déontologie Publicitaire et pour laquelle il formule des observations ainsi rédigées :

« La récente campagne publicitaire en faveur des vêtements et accessoires de maroquinerie Yves Saint Laurent (YSL) se compose de plusieurs affiches, dont 2 ont été déférées par 10 plaignants au JDP, celui-ci ayant d’autre part été saisi de l’affaire par l’ARPP, selon la procédure d’urgence.

L’avis que le Jury a délibéré le 6 novembre 2020 ayant été régulièrement notifié aux parties, il a fait l’objet, de la part de l’une des plaignantes initiales, de la présente demande de Révision.

Conformément au Règlement qui gouverne les travaux du JDP et du Réviseur, la demande de Révision a été communiquée à toutes les personnes concernées.

Pas plus que lors de l’examen de la plainte initiale, les sociétés Saint-Laurent ou Decaux n’ont présenté d’observations ; d’autre part, s’agissant de l’ARPP, son silence doit être interprété comme confirmant ses observations produites lors du premier examen.

Le Réviseur s’est également rapproché du Président de la séance du JDP qui a élaboré l’avis ici contesté et il a procédé avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le JDP a fondé cet avis.

Cette affaire pose deux questions de recevabilité et une question de fond.

A) la première question de recevabilité touche aux délais.

1) Le courriel de notification de l’Avis du JDP aux parties (du 16 novembre 2020) leur rappelait l’Article 17 de notre règlement intérieur (sur la procédure d’urgence), article qui ramène à 2 jours le délai de saisine du Réviseur (au lieu de 15 jours en procédure normale).

Durant ce délai de 2 jours (le 18 novembre), la plaignante adressait au JDP un courriel laconique ainsi rédigé : « Madame, Monsieur, Par la présente, je vous prie de bien vouloir examiner pour révision l’avis du JDP concernant l’affaire Saint Laurent n°690. Cordialement, (signature) »

Dès le lendemain (19 novembre), notre secrétariat lui rappelait les conditions de motivation des demandes de Révision, telles que fixées par l’Art 22.1 du règlement. En citant les dispositions en cause, ce courriel reprenait notamment le délai (de droit commun) de 15 jours, mais sans explicitement rappeler le cas particulier de la procédure d’urgence applicable à l’affaire en cause.

Dans les 15 jours suivant la notification de l’Avis, la plaignante nous adressait une argumentation très développée de sa demande de Révision.

2) Dès lors la question se pose ainsi.

Si nous nous en tenons au courriel initial de notre secrétariat (celui qui notifie l’Avis) et qui précise bien le délai de 2 jours, alors la demande de Révision de la plaignante, certes adressée dans ces 2 jours, n’était aucunement “argumentée” (comme l’exige notre Règlement).

Elle devrait donc être déclarée irrecevable pour défaut d’argumentation.

Mais la plaignante pourrait – si nous devions débattre de cette question de recevabilité – alléguer une certaine ambiguïté dans nos messages. Plus précisément elle pourrait soutenir que :

  • notre courriel du 16 novembre certes mentionnait bien le strict délai de 2 jours, mais ne rappelait pas explicitement les conditions de motivation des demandes de Révision ;
  • notre courriel du 19 novembre, lui, mentionnait certes ces conditions de motivation, mais ne rappelait pas explicitement le strict délai de 2 jours.

On pourrait donc relever une ambiguïté, même légère, dans les communications adressées à la plaignante.

Dès lors, et dans l’esprit qui a présidé à la création du Jury (puis du Réviseur) – esprit caractérisé par la souplesse, l’ouverture et la bienveillance vis à vis des plaignants – je vous propose de faire profiter la plaignante du bénéfice du doute résultant de cette potentielle ambiguïté, et de considérer, dans les circonstances particulières de l’espèce, que sa demande argumentée de Révision n’est pas irrecevable.

B) Cela nous conduit à une deuxième question de recevabilité, qui à ma connaissance ne s’est jamais posée à nous depuis qu’existe la procédure de Révision.

1) L’avis du JDP contesté en Révision porte sur deux affiches YSL, mais la plaignante de ce dossier n’en avait attaqué qu’une, celle que nous appellerons “le pantalon bleu” (par référence au vêtement que porte le modèle figurant sur la photo). C’est donc le seul visuel visé par la Révision (alors que l’avis traite aussi d’un autre, “la robe rouge”, attaqué par d’autres plaignants).

Dans cet avis, le Jury a estimé que l’affiche “le pantalon bleu” comportait des manquements à trois dispositions de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP :

  • le point 2.1 (femme-objet) ;
  • les points 1.1 et 1.3 (dignité ; décence).

Le JDP en revanche a rejeté les demandes de la plaignante portant sur les points 4.1, 4.2, 4.3 et 4.4 de la même Recommandation (soumission-dépendance ; incitation ou banalisation de la violence).

Dans sa demande de Révision, la plaignante, bien sûr ne remet pas en cause les dispositions de l’avis qui lui donnent satisfaction, mais renouvelle celles de ses critiques qui ont été écartées par le Jury.

Dès lors, la question est la suivante : un plaignant qui a déjà obtenu “satisfaction” (puisque le Jury a déclaré une publicité non-conforme à la déontologie professionnelle – en accueillant un ou plusieurs de ses griefs), est-il recevable à contester cet Avis au motif que le Jury a écarté ses autres griefs ?

En d’autres termes, est-on recevable à contester en Révision un avis du JDP, non pas en raison de son “dispositif”, mais pour sa “motivation” ?

2) Non sans une certaine hésitation, je propose d’accueillir une telle demande pour les raisons qui suivent.

D’une part, il est possible que les deux terrains sur lesquels la plaignante nous demande d’accueillir sa requête en Révision (soumission-dépendance ; violence) soient pour elle plus “importants” ou plus “sensibles” que les trois où elle a déjà obtenu satisfaction (femme-objet ; dignité ; décence).

D’autre part, on peut aussi admettre que la plaignante demandait une non-conformité “totale” de l’affiche YSL sur les 5 terrains où elle la critique (dignité ; décence ; objectivation ; soumission-dépendance ; violence) et non pas seulement sur 3 d’entre eux.

Par suite, on peut considérer que la plaignante a un “intérêt” à critiquer un Avis qui, en quelque sorte, ne lui donne que “partiellement” satisfaction (3 griefs accueillis, 2 griefs rejetés) – et que par suite elle est recevable à le faire.

C) Ayant ainsi admis que la demande de Révision n’était ni tardive ni irrecevable, il convient d’examiner la demande au fond.

1) Cette demande reprend les mêmes griefs que ceux mentionnés dans la plainte initiale, mais en les développant ou en les appuyant sur des références plus détaillées.

Ainsi ces arguments ne sont-ils pas que la simple reprise de ceux présentés devant le Jury lors du premier examen, puisque plusieurs contestent notamment diverses analyses ou formulations contenues dans l’avis.

Il n’est donc pas possible de rejeter cette demande de Révision en se fondant sur l’Art. 22.1 du Règlement Intérieur du JDP, lequel donne au Réviseur pouvoir “d’écarter les arguments, faits ou circonstances qui sont (…) soulevés au soutien de la demande de Révision dans une forme tout à fait semblable à celle présentée devant le Jury lors de l’examen de la plainte initiale”.

2) La demande de Révision prend acte de ce que l’avis du Jury a reconnu la non-conformité du visuel litigieux au point 2.1 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP, qui proscrit, au titre des stéréotypes, de réduire les personnes humaines, en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

Mais elle critique cet avis pour n’avoir pas déclaré ce visuel comme méconnaissant les dispositions de cette Recommandation qui proscrivent les idées ou les situations de soumission, de dépendance ou de violence.

Au soutien de sa requête, la demande de Révision évoque entre autres divers travaux, notamment de psychologie sociale, travaux que d’après elle l’avis critiqué ne mentionne pas.

Sur ce point, il convient de rappeler que le Jury n’a pas pour rôle ni encore moins pour mission de se prononcer sur la pertinence ou sur la qualité d’études à caractère sociologique ou psychologique (entre autres). Sa mission est seulement d’apprécier, de façon opérationnelle, dans quelle mesure ou de quelle manière, en matière de communication, le contenu d’une publicité porte ou non atteinte aux préceptes d’auto-discipline qui régissent la publicité ; il en va de même de la mission du Réviseur.

Pour ce faire le Jury (et, le cas échéant, le Réviseur quand il est saisi) se prononce(nt) en examinant si une publicité est ou non conforme aux textes qui gouvernent l’auto-discipline, notamment les Recommandations de l’ARPP et les principes généraux du Code ICC (Art. 3 du Règlement intérieur du JDP).

3) Au cas particulier, le visuel “pantalon bleu” montre une femme allongée sur le ventre, sur une moquette rouge, vêtue d’un pantalon bleu moulant son corps, les jambes écartées, et portant un vêtement “haut” transparent qui laisse largement apparaître son dos et dénote l’absence de soutien-gorge visible ; elle tient ses coudes écartés de chaque côté de sa tête, laquelle se trouve en partie masquée par ses cheveux ; l’image est coupée à la hauteur des genoux. Ce visuel, sur certains supports d’affichage, constitue la partie droite d’un diptyque dont la partie gauche montre un sac à main de la marque, accroché à un clou sur un mur délabré.

Se livrant à une analyse rigoureuse et fouillée, l’Avis ajoute que “la mise en scène du pantalon bleu sur fond rouge qui attire l’attention du spectateur sur le postérieur et l’entrejambe offerts du modèle, dans une posture très érotisée accentuée par le reflet de lumière soulignant les courbes des fesses qui semblent légèrement relevées, au centre de l’image, tend à faire des vêtements représentés, notamment le pantalon bleu qui n’est que partiellement reproduit et donc modestement mis en valeur, le prétexte à une représentation du corps de la femme comme un objet de désir sexuel voire comme un objet de consommation offert au spectateur. Cet effet est renforcé́ par l’absence de textes explicatifs, notamment sur les vêtements promus”. Sur cette base, le Jury a ainsi estimé que “cette présentation, qui véhicule des stéréotypes sexistes, excède ce qui est admissible au regard du point 2.1 de la Recommandation précitée, y compris pour la promotion de vêtements de luxe pour femme par l’utilisation de photos dites d’art”.

De même, le Jury a-t-il estimé que l’affiche en cause méconnaissait de surcroit les points 1.1 et 1.3 de cette Recommandation.

Le Réviseur partage cette analyse du visuel en cause et les conclusions qu’en a tirées le Jury dans l’Avis contesté.

4) Mais la demande de révision, si elle ne reproche évidemment pas au Jury d’avoir ainsi retenu à l’encontre de l’affiche ces trois manquements à la déontologie publicitaire, estime en revanche que c’est à tort que l’Avis a écarté les autres griefs allégués par la plaignante.

Plus précisément, la demande fait référence aux notions de “vulnérabilité”, de “prédation” ou de “violence”, qu’elle reproche à l’affiche de véhiculer. Si l’on se réfère aux formulations de la Recommandation applicable (les seules sur lesquelles le Jury puisse se fonder), la demande de la plaignante revient donc à viser, explicitement ou implicitement, les notions qui figurent expressément dans cette Recommandation, celles de “soumission”, de “dépendance”, de “domination”, d'”exploitation” ou de “violence” (Art. 4.1, 4.2, 4.3 et 4.4).

Au regard de ces derniers critères, nombre des éléments de l’affiche en cause – parmi lesquels la lascivité du corps féminin montré, sa posture très érotisée voire sexuelle, l’absence de soutien-gorge visible, les jambes nettement écartées, la bouche entr’ouverte, le postérieur et l’entrejambe offerts, le reflet de lumière soulignant la courbure des fesses lesquelles semblent légèrement relevées, l’absence de textes explicatifs sur le produit ou l’annonceur entre autres – peuvent être regardés comme étant en rapport avec les exigences posées par la Recommandation précitée.

Dès lors, en raison de l’accumulation de ces divers éléments (plusieurs d’entre eux ayant d’ailleurs été relevés par le Jury dans l’avis critiqué), l’affiche contestée peut être ainsi considérée, au regard de la mise en scène particulière de la photographie, comme induisant une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes (contraire au point 4.1 de la Recommandation) ou encore comme suggérant une présentation complaisante d’une situation de domination (contraire au point 4.2 de la Recommandation).

Ces manquements à la Recommandation se trouvent en outre renforcés par le fait que les promeneurs ou les passants, pouvant être souvent confrontés par hasard à l’affiche, peuvent ainsi se trouver d’autant plus surpris par son caractère insolite et peu explicatif. Il pourrait en aller différemment si ce visuel figurait dans une publication, choisie par son lecteur ou sa lectrice.

5) S’agissant des points 4.3 et 4.4 de la Recommandation, le Jury a estimé que ni le cadrage de l’image, ni l’usure de la moquette, ni l’attitude de la femme, dont rien ne donne à penser qu’elle souffrirait ou serait inconsciente plutôt qu’endormie, ne permettent de conclure ni même de présumer que celle-ci aurait été victime d’un acte de violence voire d’un viol, ou qu’elle serait sur le point de l’être”.

Il a ajouté les constatations suivantes : “Les vêtements ne sont pas déchirés ou abîmés. Le dos dénudé ne porte la trace d’aucune blessure ni d’aucun coup. Le visuel ne comporte ni arme, ni sang. Aucun tiers susceptible d’être impliqué dans un tel acte n’est représenté”.

Le Jury en a conclu que “si la mise en scène se prête à de multiples interprétations et qu’elle peut être de nature à susciter un certain malaise chez certains spectateurs, elle n’encourage pas des comportements de prédation sexuelle et ne suggère ni ne banalise la violence dans des conditions contraires aux points 4.3. et 4.4 de la Recommandation précitée”.

Sur ces points, le Réviseur constate, à partir des éléments du dossier, que les demandes de la plaignante n’établissent pas que le Jury, dans l’analyse précise et fouillée du visuel à laquelle il s’est livré, soit aurait formulé des appréciations manifestement déformées, erronées ou biaisées de l’image en litige, soit aurait procédé à une interprétation inexacte des prescriptions figurant aux points 4.3 ou 4.4 de la Recommandation en cause.

6) Dans ces conditions, et tout en soulignant, dans le cas particulier du litige, que cette affiche “pantalon bleu” peut être interprétée comme étant à la limite des manquements allégués contre elle, le Réviseur demande au Jury d’approfondir son analyse de ce visuel et de le déclarer également contraire aux points 4.1 et 4.2 de ladite Recommandation.

D) A ce stade, nous avons à résoudre une nouvelle et ultime difficulté de procédure.

Pour donner satisfaction à la plaignante qui demande une modification de l’Avis, le Réviseur – aux termes du Règlement Intérieur qui régit sa mission – ne dispose que d’un pouvoir et d’un seul : celui de demander au Jury de procéder à un second examen de l’affaire.

Or il se trouve qu’à deux reprises dans sa demande de Révision, la plaignante met explicitement “en doute”, ou même “dénonce”, la “légitimité du Jury pour (…) juger cette publicité”. On pourrait donc s’étonner de voir ainsi l’intéressée se prévaloir d’une procédure dont en même temps elle récuse la légitimité.

Cette contradiction ne doit pourtant pas nous conduire à écarter la demande, ni à priver la plaignante des droits qui sont les siens au titre de notre procédure de Révision, alors surtout qu’elle a fait le choix d’y recourir.

Je vous propose donc de considérer que, de la part de la plaignante, sa “dénonciation” de la légitimité du Jury constitue, non pas une récusation formelle et absolue de votre droit à lui donner éventuellement satisfaction (au bénéfice d’un second examen), mais plutôt une vigueur de langage par laquelle elle exprime avec virulence sa déception ou sa contestation, face à celles des analyses du JDP qui n’ont pas totalement suivi ses conclusions.

E) En conclusion, et pour toutes les raisons qui précèdent, le Réviseur demande au JDP, au terme de ce second examen de l’affaire en cause :

a) de déclarer recevable la demande de Révision ;

b) sur le fond :

  • de compléter son analyse du visuel “pantalon bleu” en le déclarant en outre contraire aux points 4.1 et 4.2 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP ;
  • de confirmer les autres points de son Avis initial qui ne sont pas contraires à l’alinéa précédent. ».

5.3. Avis définitif du Jury après nouvelle délibération

5.3.1. S’agissant des points 1.1, 1.3. et 2.1. de la Recommandation

Ainsi que le relève le Réviseur de la déontologie publicitaire, l’appréciation portée par le Jury sur ce point n’est pas critiquée par la plaignante qui l’a saisi.

Le Jury estime que la mise en scène du pantalon bleu sur fond rouge qui attire l’attention du spectateur sur le postérieur et l’entrejambe offerts du modèle, dans une posture très érotisée accentuée par le reflet de lumière soulignant les courbes des fesses qui semblent légèrement relevées, au centre de l’image, tend à faire des vêtements représentés, notamment le pantalon bleu qui n’est que partiellement reproduit et donc modestement mis en valeur, le prétexte à une représentation du corps de la femme comme un objet de désir sexuel voire comme un objet de consommation offert au spectateur. Cet effet est renforcé par l’absence de textes explicatifs, notamment sur les vêtements promus. Le Jury estime ainsi que cette présentation, qui véhicule des stéréotypes sexistes, excède ce qui est admissible au regard du point 2.1 de la Recommandation précitée, y compris pour la promotion de vêtements de luxe pour femme par l’utilisation de photos dites d’art.

Cette conclusion vaut a fortiori pour le diptyque également mis en cause. Le sac à main, qui constitue le point focal de la photographie de gauche, correspond exactement à l’emplacement de l’image des fesses sur la photographie de droite, comme pour induire une comparaison entre les deux. Le Jury estime donc que la mise en scène retenue a pour conséquence de présenter la jeune femme allongée à plat ventre comme un produit de consommation au même titre que le sac à main. Cette instrumentalisation de l’image de la femme, accentuée par sa tenue sexy, la réduit plus encore à la fonction d’objet sexuel et, de surcroît, a pour effet, en l’espèce, de porter atteinte à sa dignité, en méconnaissance des points 1.1 et 1.3. de la même Recommandation.

5.3.2. S’agissant des points 4.2 à 4.4. de la Recommandation

Le Jury considère que le point 4.2 de la Recommandation, qui prohibe la « présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre », suppose que la publicité représente deux personnes, dont celle qui dominerait ou exploiterait l’autre, ou que sa mise en scène l’implique nécessairement ou s’y réfère sans ambiguïté.

Or en l’espèce, la publicité en cause ne représente qu’une femme. La présence d’un tiers n’est ni apparente, ni impliquée nécessairement par la mise en scène. Aucun élément objectif ne donne à penser que la femme représentée serait dominée par une autre personne ou exploitée, le cas échéant sexuellement. Cette scène ne fait pas davantage référence à une œuvre ou un évènement connu du grand public évoquant clairement la domination ou l’exploitation d’une personne par une autre.

La plaignante soutient toutefois que la position et la posture de la femme, l’angle de vue et la courte distance qui sépare l’objectif du postérieur de celle-ci ont été choisis de telle sorte que le spectateur joue le rôle de cette tierce personne, sur le point de se livrer à un acte de nature sexuelle voire à un viol. Toutefois, cette lecture de la scène repose sur des ressorts psychologiques qui ne peuvent être prêtés à la généralité des passants exposés à cette affiche, en l’absence de tout élément objectif la corroborant et s’agissant d’une pose de mannequin pour un article de mode, qui tempère le réalisme de la situation.

A l’appui de son argumentation, la plaignante se prévaut de l’article « Women as Sex Objects and Victims in Print Advertisements » de J. Stankiewicz et F. Rosselli (publié le 15 janvier 2008). Cette étude, dont le Jury ne conteste pas le sérieux, a pour objet de quantifier les publicités diffusées dans des magazines publiés aux Etats-Unis, présentant les femmes comme « objets sexuels » ou comme « victimes », et d’en analyser les incidences psychologiques et sociologiques. Selon la méthode retenue, la catégorie des publicités représentant une femme comme « victime » comprend notamment celles dans lesquelles elle apparaît morte, « zombie-like » ou inconsciente, à l’exception du cas où elle semble dormir paisiblement dans un lieu adapté. Toutefois, ce seul choix méthodologique, qui peut au demeurant se discuter alors que les autres sous-catégories de publicités relevant de cette catégorie renvoient à des scènes plus explicites (personne impliquée dans un acte non ambigu de violence envers une femme, comme un tir d’arme à feu ; homme dominant et soumettant une femme dans un acte sexuel ou regardant une femme d’une façon agressive sexuellement ; femme piégée ou espionnée de façon inappropriée ; femme attachée, ligotée ou apparemment blessée ; femme visiblement effrayée, déprimée, dégoûtée ou en situation de détresse liée à une vulnérabilité au vu de son expression faciale et de la position de son corps…), ne lie en rien le Jury. La qualification générique de « victime » que cette étude retient ne permet pas, en tout état de cause, d’en tirer des conclusions décisives quant au respect des règles déontologiques précitées et, en particulier, quant à la caractérisation d’une situation de « domination » ou d’« exploitation » de la femme au sens de la Recommandation de l’ARPP par la publicité critiquée. De surcroît, le Jury n’identifie pas, dans cette publicité, les mécanismes de relativisation et de culpabilisation des victimes précisément décrits par la plaignante lors de la séance et qui sont à l’œuvre dans la « culture du viol » qu’elle dénonce.

De la même façon, si la mise en scène litigieuse peut être de nature à susciter un sentiment de malaise chez certaines personnes qui y verraient un message complaisant à l’égard de la prédation sexuelle ou du viol, et être de nature à choquer ou blesser des femmes victimes de tels agissements, le Jury confirme son appréciation initiale selon laquelle cette affiche ne peut être regardée par le public comme incitant à la violence ou comme la banalisant. En effet, ni le cadrage de l’image, ni l’usure de la moquette, ni l’attitude de la femme, dont rien ne donne à penser qu’elle souffrirait ou serait inconsciente plutôt qu’endormie, ne permettent de conclure ni même de présumer que celle-ci aurait été victime d’un acte de violence voire d’un viol, ou qu’elle serait sur le point de l’être. Les vêtements ne sont pas déchirés ou abîmés. Le dos dénudé ne porte la trace d’aucune blessure ni d’aucun coup. Le visuel ne comporte ni arme, ni sang. Aucun tiers susceptible d’être impliqué dans un tel acte n’est représenté.

Il est vrai que le point 4.3. prescrit d’éviter toute scène de « violence suggérée », laquelle peut s’entendre d’une « ambiance » ou d’un « contexte ». Mais cette notion, qui s’oppose à celle de violence directe caractérisée par la représentation de l’acte violent lui-même, suppose la présence d’un minimum d’éléments objectifs attestant de la commission d’un acte violent ou caractérisant sans ambiguïté un climat de violence, ce qui n’est pas le cas. Le Jury reste donc d’avis que ce grief n’est pas fondé, conformément aux conclusions du Réviseur de la déontologie publicitaire.

En revanche, comme le relèvent à juste titre les mêmes conclusions, la formulation du point 4.1. de la Recommandation est plus englobante que celle des autres points, en ce qu’elle prescrit à la publicité d’« éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes. ». Il en résulte que la publicité ne doit pas donner à penser, y compris par les ambiguïtés ou les non-dits qu’elle comporte, qu’une personne humaine se trouverait en situation de soumission ou de dépendance, dans des conditions de nature à la dévaloriser.

En l’occurrence, dès l’instant que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la publicité litigieuse prend le parti de réduire la femme à la fonction passive et dévalorisante d’objet sexuel, comme tel susceptible d’être soumis au, ou dépendant du, bon vouloir d’un tiers, le tout sur une affiche diffusée dans la rue, l’annonceur aurait dû, aux yeux du Jury, y faire figurer les éléments, visuels ou textuels, permettant d’exclure clairement toute idée de soumission ou de dépendance ou, à tout le moins, « d’éviter d’induire » une telle idée. Tel n’est pas le cas. L’absence de tout texte explicatif laisse au contraire ouverte la possibilité d’une telle interprétation, que ni l’annonceur, ni l’afficheur ne réfute dans la mesure où ces derniers n’ont pas daigné présenter d’observations, ni dans le cadre de la procédure initiale, ni à la suite de la communication de la demande de révision, ni lors de la seconde séance au cours de laquelle le Jury a examiné l’affaire. On ne peut ainsi exclure que telle ait été l’intention même des concepteurs de la publicité.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis, après une nouvelle délibération éclairée par le Réviseur de la déontologie publicitaire, que ces publicités méconnaissent non seulement les points 1.1., 1.3, 2.1 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP précitée, mais aussi son point 4.1.

Avis définitif adopté le 8 janvier 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot, Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.

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