LAFARGE – Internet – Plainte fondée

Avis publié le 1er avril 2022
LAFARGE – 816/22
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société Lafarge France, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 27 décembre 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société Lafarge pour promouvoir sa gamme de bétons de marque ECOPact.

La publicité en cause, diffusée sous forme d’une publication sur le réseau social LinkedIn, montre trois images présentées côte à côte présentant une vue d’ensemble d’une ville sur fond de ciel bleu. Sur le visuel de gauche, un ensemble immobilier flotte dans les airs.

Les textes accompagnant ces images sont : « Aujourd’hui la solidité d’un projet dans le bâtiment se mesure à la légèreté de son empreinte écologique. L’avenir sera Bas Carbone, construisons-le ensemble… #concrete #betonbascarbone #ecopact #construction », « Le béton qui allège votre impact carbone », « découvrez la plus large gamme de bétons bas carbone du marché ! », « EcoPact -30 à – 50% de carbone, EcoPact A -50 à – 70% de carbone, EcoPact AA – 70% de carbone, EcoPact Zéro -100% de carbone » ainsi que : « ECOPact Les bétons responsables, c’est par ici !», le terme ECOPact étant inscrit en très gros caractères, en vert.

2. Les arguments échangés

Le plaignant considère que les allégations présentes en grand format sur le troisième visuel, et de façon secondaire sur le second visuel, ainsi que les mentions portées sous les trois visuels, contreviennent aux points 7 et 8 de la Recommandation Développement durable de l’ARPP.

Concernant le point 7 (Vocabulaire), il estime qu’on peut admettre que la gamme de béton promue soit « bas carbone », mais pas qu’elle est « responsable » alors que sa fabrication, son usage et sa fin de vie s’accompagnent nécessairement d’impacts sur l’environnement.

Concernant le point 8 (Présentation visuelle), l’utilisation de la feuille d’arbre dans le nom même de la gamme promue par la publicité laisse accroire que le béton est sans impact sur l’environnement, alors que ce n’est pas le cas.

La société Lafarge a été informée, par courriel avec accusé de réception du 13 janvier 2022, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

La société Lafarge explique que la campagne de promotion de la gamme ECOPact a été diffusée en deux vagues, en juin-juillet 2021 et octobre 2021, sur plusieurs sites internet d’information spécialisés dans le domaine de la construction, et sur le réseau social LinkedIn.

Lafarge France indique prendre très au sérieux les mises en cause dont elle fait l’objet, l’entreprise étant fermement engagée dans une trajectoire bas-carbone, circulaire et visant un impact positif sur la biodiversité et les territoires. L’entreprise apporte de plus un soin particulier à la transparence de ses actions, comme en témoignent les récentes reconnaissances qu’elle a obtenues au niveau mondial (SBTi, CDP, VigeoEiris…) ou national (Label RSE de l’UNICEM, Act4Nature). Membre du groupe Holcim, elle s’est fixée comme ambition de mener la transition écologique dans le secteur des matériaux de construction, en proposant des offres de produits et de services qui améliorent la performance environnementale de ses clients.

L’accompagnement de son secteur aval fait ainsi partie intégrante de la stratégie de développement durable de l’entreprise. Le choix des termes utilisés dans sa campagne vise à susciter un choix éclairé et responsable de la part des clients, en s’appuyant sur une représentation visuelle couramment utilisée.

L’annonceur rappelle que le secteur de la construction représente aujourd’hui en France près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre. En amont de ce secteur, Lafarge France s’est dotée d’une stratégie ambitieuse de développement durable, au premier rang de laquelle figurent ses ambitions climatiques. Ses objectifs ont été validés par la Science Based Target Initiative (SBTi) pour 2030 et 2050, l’entreprise devenant l’une des premières (parmi 8 entreprises dans le monde) à appliquer la méthodologie de neutralité carbone du SBTi, en cohérence avec les accords de Paris et la trajectoire de réchauffement limité à 1,5°C. Ils constituent les objectifs les plus ambitieux de l’industrie.

Le groupe est convaincu que ce n’est qu’en conjuguant les efforts de chaque acteur, que des résultats tangibles et durables pourront être atteints. Son engagement porte donc non seulement sur la réduction de ses propres émissions, mais aussi sur l’accompagnement du secteur de la construction tout entier vers la neutralité carbone.

Le groupe a développé de longue date des produits bas-carbone, en réponse aux défis climatiques. Cependant, l’appétence du marché pour des produits à forte valeur environnementale est restée longtemps limitée. Lafarge a donc développé une stratégie de marketing responsable, destinée à sensibiliser, convaincre et accompagner ses clients dans la transition bas carbone.

En préparation de la nouvelle Réglementation environnementale des bâtiments (RE2020), l’entreprise propose ainsi :

  • un simulateur (et comparateur) de l’empreinte carbone du gros œuvre d’un bâtiment, accessible à tous en ligne et destiné aux maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage en phase de concours, de projet, d’appels d’offres et de travaux
  • une étiquette environnementale classant ses produits de AA à D en fonction de leurs émissions carbone et du taux de matériaux recyclés
  • des gammes de produits dits “responsables” (ECOPact…), c’est-à-dire présentant des performances environnementales significativement supérieures à des produits standards communément utilisés.

La gamme de béton ECOPact s’inscrit dans cette dynamique, et est destinée à offrir, partout dans le monde, une gamme de bétons bas-carbone offrant une réduction carbone de 30% au minimum et pouvant aller jusqu’à plus de 80% par rapport à un béton de référence (défini selon les performances attendues – NF EN 206/CN).

L’expression “les bétons responsables” est toujours accompagnée d’une échelle de réduction de l’empreinte carbone. Cette dernière, sans prétendre à l’absence d’impact sur l’environnement, montre clairement en quoi le produit contribue à la baisse des émissions de carbone.

La campagne renvoie vers une page internet où sont présentés les détails de chaque produit et une brochure exhaustive. Cette approche s’appuie sur la définition des bétons “bas carbone” précisée par le Syndicat National du Béton Prêt à l’Emploi (SNBPE) : “bétons qui, pour des propriétés, des performances, des qualités d’usage et une durabilité équivalente à celles d’un béton de référence, génèrent des émissions de Gaz à Effet de Serre inférieures à celles de celui-ci“.

Selon le SNBPE, la qualification de béton bas carbone est justifiée à partir d’une différence de 10 à 20% par rapport au béton de référence, dit “classique”. L’empreinte carbone des bétons prêts à l’emploi mentionnée est issue de déclarations environnementales conformes à la norme NF EN 1804/CN relative aux produits de construction, ainsi qu’aux règles spécifiques au béton (EN 16757). Les déclarations environnementales (FDES) spécifiques aux formules de bétons livrées, issues du configurateur BETie du SNBPE, sont vérifiées par tierce partie indépendante conformément à l’EN ISO 14025:2010 dans le cadre du programme INIES (N° vérification 11-1939:2018), comme l’exige la réglementation en vigueur5 .

L’illustration de la feuille vise à suggérer que le choix des bétons ECOPact, contrairement aux bétons de référence, contribue à la préservation de l’environnement. La feuille semble communément utilisée dans ce secteur d’activité (gamme Vertua du concurrent Cemex) ou dans des secteurs industriels dont l’impact sur l’environnement ne peut être ignoré (automobile, énergie, grande distribution, ou éco-organismes notamment). Ce logo a une portée internationale. Il est utilisé dans 24 pays, où aucune plainte n’a été formulée à la connaissance de l’entreprise.

Enfin, l’approche de développement durable de Lafarge ne se limite pas à la baisse des émissions carbone. L’entreprise agit pour la préservation des ressources naturelles, grâce à son activité d’économie circulaire Geocycle (valorisation des déchets d’autres industries en substitution de ressources naturelles). Elle a de plus une politique volontariste en faveur de la biodiversité depuis de très nombreuses années. Ses engagements dans le cadre d’Act4nature6 ont été reconnus en 2021 par des experts indépendants et portent autant sur les actions dans les sites de production que dans l’accompagnement du secteur à avoir un impact positif sur la biodiversité (désimperméabilisation, ouvrages favorisant le retour de la biodiversité en ville, sur les ouvrages sous-marins, etc.). Ces actions contribuent à la création et à l’entretien de puits de carbone naturels, en particulier dans le cadre du réaménagement des carrières en fin d’exploitation.

Lors de la séance, la société Lafarge France a repris en substance cette argumentation. Elle a notamment précisé qu’il n’existait pas de norme officielle encadrant l’utilisation de l’expression « bas carbone », que la plupart des acteurs y recourent à partir d’une réduction d’empreinte carbone de 10 à 20 %, mais que Lafarge France avait retenu un seuil de 30 %. Elle a ajouté que le terme « responsable » ne renvoyait pas seulement à l’empreinte carbone, mais aussi aux autres actions conduites par la société en matière de développement durable, notamment pour la promotion de la biodiversité.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre du « Vocabulaire » (point 7) :
    • « Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.
    • Lorsque les termes et expressions utilisés font l’objet d’une définition fixée par une norme, ils doivent être employés dans un sens qui correspond à cette définition
    • Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.
    • Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur (…) ».
  • au titre de la « Présentation visuelle » (point 8)
    • « Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient.
    • Ils ne doivent pas pouvoir être perçus comme une garantie d’innocuité si cette dernière ne peut être justifiée.
    • Sans exclure leur utilisation, l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur.
    • Lorsque la publicité utilise un argument écologique, l’assimilation directe d’un produit présentant un impact négatif pour l’environnement à un élément naturel (animal, végétal, …) est à exclure. »

Le Jury relève que la publicité en cause fait la promotion d’une gamme de béton dénommée « ECOPact » en valorisant l’empreinte carbone limitée de ces matériaux de construction. Il ressort ainsi du site internet de l’annonceur Lafarge que les « taux de réduction carbone » annoncés, appréciés au regard des « bétons classiques » et calculés selon la réglementation RE2020 (tenant compte de l’ensemble du cycle de vie), sont obtenus notamment par le recours à des formulations et des composants nouveaux ainsi que, pour le produit « ECOPact Zéro », à l’achat de crédits carbone certifiés par un organisme international.

Le Jury observe que la plainte ne remet en cause ni la véracité des allégations, ni le sérieux des démarches engagées par l’annonceur pour réduire l’impact environnemental de son activité. Elle porte exclusivement sur le vocabulaire employé dans la publicité et sur l’utilisation d’une feuille verte dans la dénomination « ECOPact ». Le Jury relève en revanche que l’appellation « bas carbone » n’est pas critiquée, de sorte qu’il n’y a pas lieu pour lui de se prononcer sur ce point.

D’une part, l’ensemble de la gamme « ECOPact » est qualifiée de « responsable ». Cette formulation globale et non relativisée, appliquée aux produits promus eux-mêmes (« les bétons responsables »), n’est pas justifiable compte tenu de leur impact écologique au regard de l’intégralité de leur cycle de vie, alors au surplus que la plupart de ces produits ne sont pas neutres en carbone mais permettent de ne réduire que partiellement l’empreinte carbone dans des proportions qui seraient comprises entre 30 et 70 %. Alors même que le public est informé, par des données chiffrées, des performances environnementales de la gamme de produits en cause et que le recours à ce type de béton apparaît préférable à l’utilisation de béton classique du point de vue de l’émission de gaz à effet de serre, une telle allégation, qui donne à croire au consommateur qu’il adopterait un comportement responsable en y recourant et tend ainsi à minimiser les conséquences de la consommation de béton. La circonstance que Lafarge France conduit d’autres actions en lien avec le développement durable, auxquelles la publicité ne fait du reste pas écho, ne permet pas de recourir à une telle allégation. Il en résulte que la publicité critiquée méconnaît à et égard le point 7 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

D’autre part, le Jury constate que la lettre « O » du terme « ECOPact », reproduit en vert et en gros caractères, est conçue en utilisant la feuille d’un végétal. La publicité litigieuse ne procède pas à une assimilation directe entre le végétal et le béton. Toutefois, l’emploi d’un tel élément naturel apparaît en l’espèce disproportionné, voire de nature à induire en erreur le public, au regard de l’impact environnemental des constructions en béton, même en recourant à des solutions « bas carbone » comme celles dont cette communication fait la promotion. En particulier, il pourrait donner à penser au public que des matières végétales entrent dans la composition des bétons produits par l’entreprise, ce qui ne semble pas être le cas. Par suite, cette publicité contrevient au point 8 de la même Recommandation.

Dans ces conditions, et sans sous-estimer les efforts consentis par l’annonceur pour réduire l’impact environnemental de son activité et de l’ensemble du secteur de la construction, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît les règles déontologiques invoquées.

Avis adopté le 4 mars 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain et MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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